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Toi qui, sans prononcer de vulgaires sermens,
Fis connoître à l'amour de nouveaux sentimens,
Toi, que l'homme sensible, abusé par lui-même
Se plaît à retrouver dans la femme qu'il aime,
Héloïse! à ton nom quel cœur ne s'attendrit ?
Tel qu'un autre Abailard tout amant té chérit.
Que de fois j'ai cherché, loin d'un monde volage,
L'asyle où dans Paris s'écoula ton jeune âge!
Ces vénérables tours qu'allonge vers les cieux,
La cathédrale antique où prioient nos aïeux;
Ces tours ont conservé ton amoureuse histoire.
Là, tout m'en parle encor (1); là, revit ta mémoire :
Là, du toit de Fulbert j'ai revu les débris.

On dit même, en ces lieux par ton ombre chéris,
Qu'un long gémissement s'élève chaque année,
A l'heure où se forma ton funeste hyménée.
La jeune fille alors lit, au déclin du jour,
Cette lettre éloquente où brûle ton amour :
Son trouble est apperçu de l'amant qu'elle adore,
Et des feux que tu peins son feu s'accroît encore.

Mais que fais-je, imprudent? quoi! dans ce lieu sacré,
J'ose parler d'amour, et je marche entouré

Des leçons du tombeau, des menaces suprêmes !
Ces murs,
ces longs dortoirs se couvrent d'anathèmes
De sentences de mort qu'aux yeux épouvantés,
L'ange exterminateur écrit de tous côtés.
Je lis à chaque pas: Dieu, l'enfer, la vengeance.
Par-tout est la rigueur, nulle part la clémence.
Cloître sombre! où l'amour est proscrit par le ciel,
Où l'instinct le plus cher est le plus criminel;
Déjà, déjà ton deuil plait moins à ma pensée.
L'imagination vers tes murs élancée,

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(1) Héloïse vivoit dans le cloître Notre-Dame; on y voit encore la maison de son oncle le chanoine Fulbert.

Aima leur saint repos, leur long recueillement ; Mais mon ame a besoin d'un plus doux sentiment. Ces devoirs rigoureux font trembler ma foiblesse. Toutefois quand le temps qui détrompe sans cesse Pour moi des passions détruira les erreurs,

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Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs,
Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète,
Dans ces momens plus doux, et si chers au poëte,
Où fatigué du monde, il veut, libre du moins,
Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins;
Alors je reviendrai, solitude tranquille,
Oublier dans ton sein les ennuis de la ville,
Et retrouver encor, sous ces lambris déserts,
Les mêmes sentimens retracés dans ces vers.

CHAPITRE II I.

DES RUINES EN

GÉNÉRA L.

Qu'il y en a de deux espèces.

DE l'examen des sites des monumens chrétiens, nous passons aux effets des ruines de ces monumens. Elles fournissent au cœur de majestueux souvenirs, et aux arts des compositions touchantes. Consacrons quelques pages à cette poétique des morts.

Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, et à une conformité secrète entre ces monumens détruits, et la rapidité de notre existence. Il s'y joint, en outre, une idée qui console notre petitesse, en L...

voyant que des peuples entiers et des hom mes, quelquefois si fameux, n'ont pu vivre cependant au-delà de ce peu de jours, assignés à notre propre obscurité. Ainsi les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature; et quand elles sont placées dans un tableau, c'est en vain qu'on cherche à porter les yeux autre part; ils reviennent bientôt s'attacher sur elles. Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeroientils pas, quand le soleil qui les éclaire doit lui-même tomber de sa voûte? Il n'y a que celui qui le plaça dans les cieux, dont l'Empire ne connoisse point de ruines.

Il y a deux sortes de ruines très-distinctes; l'une, ouvrage du temps; l'autre, ouvrage des hommes. Les premières n'ont rien de désagréable, parce que la nature travaille auprès des ans. Font-ils des décombres? Elle Y sème des fleurs. Entr'ouvrent-ils un tombeau? elle y place le nid d'une colombe : sans cesse occupée à reproduire, elle environne la mort des plus douces illusions de la vie.

Les secondes ruines sont plutôt des dévastations que des ruines; elles n'offrent que l'image du néant, sans une puissance réparatrice. Ouvrage du malheur, et non des années, elles ressemblent aux cheveux blancs sur la tête de la jeunesse. Les destructions

:

des hommes sont d'ailleurs bien plus violentes et bien plus complettes que celles des âges les seconds minent, les premiers renversent. Quand Dieu, pour des raisons qui nous sont inconnues, veut hâter les ruines du monde, il ordonne au Temps de prêter sa faulx à l'homme; et le Temps nous voit avec épouvante, ravager dans un clin-d'œil ce qu'il eût mis des siècles à détruire.

Nous nous promenions un jour derrière le palais du Luxembourg, et nous nous trouvâmes à cette même Chartreuse que M. de Fontanes a chantée. Nous vîmes une église dont les toits étoient enfoncés, les plombs des fenêtres arrachés, et les portes fermées avec des planches, mises debout. La plupart des autres bâtimens du monastère n'existoient plus. Nous nous promenâmes long-temps au milieu des pierres tombales de marbre noir, semées çà et là sur la terre, les unes totalement brisées, les autres offrant encore quelques restes d'épitaphes. Nous entrâmes dans le cloître intérieur : deux pruniers sauvages y croissoient parmi de hautes herbes et des décombres. Sur les murailles, on voyoit des peintures à demieffacées, représentant la vie de saint Bruno. Un cadran étoit resté sur un des pignons de l'église; et dans le sanctuaire, au lieu de cet hymne de paix, qui s'élevoit jadis en

l'honneur des morts, on entendoit crier l'instrument du manoeuvre, qui scioit des tombeaux.

Les réflexions que nous fîmes dans ce lieu, tout le monde peut les faire. Nous en sortîmes le cœur flétri, et nous nous enfonçâmes dans le faubourg voisin, sans savoir où nous allions. La nuit approchoit : comme nous passions entre deux grands murs, dans une rue déserte, tout-à-coup le son d'un orgue vient frapper notre oreille et les paroles de ce cantique de triomphe : Laudate Dominum, omnes gentes, sortent du fond d'une église voisine; on étoit alors dans l'octave du Saint-Sacrement. Nous ne saurions peindre l'effet que ces chants religieux firent sur nous; nous crûmes ouïr une voix du ciel, qui nous disoit : « Chrétien sans foi, » pourquoi perds-tu l'espérance? Crois-tu » donc que je change mes desseins comme » les hommes; que j'abandonne, parce que je punis? Loin d'accuser mes décrets >> imite ces serviteurs fidèles, qui bénissent » les coups de ma main jusque sous les » débris où je les écrase ».

Nous entrâmes dans l'église au moment même où le prêtre donnoit la bénédiction. Des vieillards, de pauvres femmes, des enfans étoient prosternés. Nous nous précipitâmes sur la terre, au milien d'eux;

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