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CHAPITRE VI I.

Versailles.

La peinture, l'architecture, la poésie et la grande éloquence ont toujours dégénéré dans les siècles philosophiques. C'est que l'esprit raisonneur, en détruisant l'imagination, sappe les fondemens des beaux-arts. On croit être plus habile, parce qu'on redresse quelques erreurs de physique (qu'on remplace par toutes les erreurs de la raison), et l'on rétrograde en effet, puisqu'on perd une des plus belles facultés de l'esprit.

C'est dans Versailles que toutes les pompes de l'âge religieux de la France s'étoient réunies. Un siècle s'est à peine écoulé, et ces bosquets, qui retentissoient du bruit des fêtes, ne sont plus animés que par la voix de la cigale et du rossignol. Ce palais, qui tout seul est comme une grande ville, ces escaliers de marbre, qui semblent monter dans les nues, ces statues, ces bassins, ces bois sont maintenant, ou croulant, ou couverts de mousse, ou desséchés, ou abattus. Et pourtant cette demeure n'a jamais paru ni plus pompeuse, ni moins solitaire. Tout étoit vuide autrefois dans ces lieux: la petitesse de la dernière cour (avant que cette cour eût pour elle toute son infortune) sem

bloit trop à l'aise dans les vastes réduits de Louis XIV.

Quand le temps a porté un coup aux Empires, un seul grand nom s'attache aux débris et les couvre. Si la noble misère du guerrier succède aujourd'hui dans Versailles à la magnificence des cours; si des tableaux de miracles et de martyrs, y remplacent de profanes peintures, pourquoi l'ombre de Louis XIV s'en offenseroit - elle? Il rendit illustres la religion et l'armée; il est beau que les ruines de son palais servent d'abri aux ruines de l'armée et de la religion.

CHAPITRE VI I I.
Des Eglises Gothiques.

CHAQUE chose doit être mise en son lieu :
vérité triviale à force d'être répétée, mais
sans laquelle, après tout, il ne peut y avoir
rien de parfait. Les Grecs n'auroient
pas plus
aimé un temple égyptien à Athènes, que
les Egyptiens, un temple grec à Memphis.
Ces deux monumens, changés de place,
auroient perdu leur principale beauté, c'est-
à-dire, leurs rapports avec les institutions
et les habitudes des peuples. Cette réflexion
s'applique pour nous aux anciens monumens
du christianisme. Il est même curieux de
remarquer que dans ce siècle incrédule, les
poëtes et les romanciers, par un retour na-

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turel vers les mœurs de nos aïeux, se plaisent à introduire dans leurs fictions, des souterrains, des fantômes, un château, un temple gothique; tant ont de charmes les souvenirs qui se lient à la religion et à l'histoire de la patrie. Les nations ne jettent pas à l'écart leurs antiques mœurs, comme on se dépouille d'un vieil habit. On leur en peut arracher quelques parties, mais il en reste des lambeaux qui forment, avec les nouveaux vêtemens, une effroyable bigarrure.

On aura beau bâtir des temples grecs bien élégans et bien éclairés, pour rassembler le bon peuple de saint Louis et de la reine Blanche, et lui faire adorer un Dieu métaphysique; il regrettera toujours ces NotreDame de Reims et de Paris, ces vieilles basiliques, toutes moussues, toutes remplies des générations des décédés et des ames de ses pères; il régrettera toujours la tombe de quelques messieurs de Montmorency, sur laquelle il souloit de se mettre à genoux durant la messe, sans oublier les sacrées fontaines où il fut porté à sa naissance. C'est que tout cela est essentiellement lié à ses mœurs; c'est qu'un monument n'est vénérable qu'autant qu'une longue histoire du passé, est empreinte sous ces voûtes toutes noires de siècles. Et voilà pourquoi il n'y a rien de merveilleux dans un temple qu'on

a vu bâtir soi-même, et dont les échos et les dômes se sont formés sous nos yeux. Dieu est la loi éternelle; son origine et tout ce qui s'attache à lui, se doit perdre dans la nuit des temps.

On ne pouvoit entrer dans une église gothique, sans éprouver une sorte de frissonnement, et un sentiment vague de la divinité. On se trouvoit tout-à-coup reporté à ces temps où des cénobites, après avoir médité dans les bois de leurs monastères, se venoient prosterner à l'autel, et chanter les louanges du Seigneur dans le calme et le silence de la nuit. L'ancienne France revivoit toute entière à vos yeux, on voyoit tous ces costumes singuliers, tout ce peuple si différent de ce qu'il est aujourd'hui ; on se rappeloit et ses révolutions, et ses travaux, et ses arts. Plus ces temps étoient éloignés de nous, plus ils nous paroissoient magiques, plus ils nous remplissoient de ces pensées qui finissent toujours par une réflexion sur le néant de l'homme, et la rapidité de la vie.

L'ordre gothique, au milieu de ses proportions barbares, a toutefois une beauté qui lui est particulière (1).

· (1) On pense qu'il nous vient des Arabes, ainsi que la sculpture du même style. Son affinité avec les ma

Les forêts ont été les preiniers temples de la divinité, et les hommes ont pris dans les forêts la première idée de l'architecture. Cet art a donc dû varier selon les climats. Les Grecs ont tourné l'élégante colonne corinthienne, avec son chapiteau de feuilles sur le modèle du palmier (1). Les énormes piliers d'Egypte représentent le vaste sycomore, le figuier oriental, le banannier, et la plupart des arbres gigantesques de l'Afrique et de l'Asie.

Les forêts des Gaules ont passé à leur tour dans les temples de nos pères, et ces fameux bois de chênes ont ainsi maintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en feuillages, ces jambages qui appuient les murs, et finissent brusquement comme des troncs brisés, la

numens de l'Egypte nous porteroit plutôt à croire qu'il nous a été transmis par les premiers chrétiens d'Orient, mais nous aimons mieux encore rapporter son origine à la nature.

(1) Vitruve raconte autrement l'invention du chapiteau; mais cela ne détruit pas ce principe général, que l'architecture est née dans les bois. On peut seulement s'étonner qu'on n'ait pas, d'après la variété des arbres, mis plus de variété dans la colonne. Nous concevons par exemple, une colonne qu'on pourroit appeler palmiste, et qui seroit la représentation naturelle du palmier. Un orbe de feuilles un peu recourbées, et sculptées au haut d'un léger fût de marbre, feroit, ce nous semble, un effet charmant dans un portique.

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