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NEUVIÈME LETTRE1.

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De la fausse dévotion à la sainte Vierge que les jésuites ont introduite. Diverses facilités qu'ils ont inventées pour se sauver sans peine, et parmi les douceurs et les commodités de la vie. Leurs maximes sur l'ambition, l'envie, la gourmandise, les équivoques, les restrictions mentales, les libertés qui sont permises aux filles, les habits des femmes, le jeu, le précepte d'entendre la messe.

MONSIEUR,

De Paris, ce 3 juillet 1656.

Je ne vous ferai pas plus de compliment que le bon père m'en fit la dernière fois que je le vis. Aussitôt qu'il m'aperçut, il vint à moi, et me dit en regardant dans un livre qu'il tenait à la main : « Qui vous ouvrirait le pa« radis ne vous obligerait-il pas parfaitement? Ne don<< neriez-vous pas des millions d'or pour en avoir une clef, « et entrer dedans quand bon vous semblerait? Il ne faut point entrer en de si grands frais en voici une, voire « cent à meilleur compte. » Je ne savais si le bon père lisait, ou s'il parlait de lui-même. Mais il m'ôta de peine en disant : Ce sont les premières paroles d'un beau livre du père Barry, de notre Société; carje ne dis jamais rien de moi-même. Quel livre, lui dis-je, mon père? En voici le titre, dit-il : « Le Paradis ouvert à Philagie par cent « dévotions à la mère de Dieu, aisées à pratiquer. » Eh quoi! mon père, chacune de ces dévotions aisées suffit pour ouvrir le ciel? Oui, dit-il; voyez-le encore dans la suite des paroles que vous avez ouïes : « Tout autant de « dévotions à la mère de Dieu que vous trouverez en ce << livre sont autant de clefs du ciel qui vous ouvriront le * paradis tout entier, pourvu que vous les pratiquiez ; » et

Le plan de cette lettre fut fourni à M. Pascal par M. Nicole,

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c'est pourquoi il dit dans la conclusion, qu'il est « con<< tent si on en pratique une seule.

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Apprenez-m'en donc quelqu'une des plus faciles, mon père. Elles le sont toutes, répondit-il : par exemple, « sa«<luer la sainte Vierge au rencontre de ses images; dire « le petit chapelet des dix plaisirs de la Vierge; pronon«< cer souvent le nom de Marie; donner commission aux anges de lui faire la révérence de notre part; souhaiter ⚫ de lui bâtir plus d'églises que n'ont fait tous les monar«<ques ensemble; lui donner tous les matins le bonjour, et << sur le tard le bonsoir; dire tous les jours l'Ave Maria « en l'honneur du cœur de Marie. » Et il dit que cette dévotion-là assure, de plus, d'obtenir le cœur de la Vierge. Mais, mon père, lui dis-je, c'est pourvu qu'on lui donne aussi le sien? Cela n'est pas nécessaire, dit-il, quand on est trop attaché au monde. Écoutez-le : « Cœur pour cœur, « ce serait bien ce qu'il faut ; mais le vôtre est un peu trop • attaché et tient un peu trop aux créatures : ce qui fait « que je n'ose vous inviter à offrir aujourd'hui ce petit es<< clave que vous appelez votre cœur. » Et ainsi il se contente de l'Ave Maria qu'il avait demandé. Ce sont les dévotions des pages 33, 59, 145, 156, 172, 258 et 420 de la première édition. Cela est tout à fait commode, lui dis-je, et je crois qu'il n'y aura personne de damné après cela. Hélas! dit le père, je vois bien que vous ne savez pas jusqu'où va la dureté du cœur de certaines gens! Il y en a qui ne s'attacheraient jamais à dire tous les jours ces deux paroles, bonjour, bonsoir, parce que cela ne se peut faire sans quelque application de mémoire. Et ainsi il a fallu que le père Barry leur ait fourni des pratiques encore plus faciles, comme d'avoir « jour et nuit un chapelet « au bras en forme de bracelet, » ou de« porter sur soi un ro

saire, ou bien une image de la Vierge. »Ce sont là les dévotions des pages 14, 326 et 447. « Et puis dites que je « ne vous fournis pas des dévotions faciles pour acquérir « les bonnes grâces de Marie! » comme dit le père Barry, p. 106. Voilà, mon père, lui dis-je, l'extrême facilité. Aussi, dit-il, c'est tout ce qu'on a pu faire, et je crois que cela suffira; car il faudrait être bien misérable pour ne vouloir pas prendre un moment en toute sa vie pour mettre un chapelet à son bras, ou un rosaire dans sa poche, et assurer par là son salut avec tant de certitude, que ceux qui en font l'épreuve n'y ont jamais été trompés, de quelque manière qu'ils aient vécu, quoique nous conseillions de ne laisser pas de bien vivre. Je ne vous en rapporterai que l'exemple de la page 34, d'une femme qui, pratiquant tous les jours la dévotion de saluer les images de la Vierge, vécut toute sa vie en péché mortel, et mourut enfin en cet état, et qui ne laissa pas d'être sauvée par le mérite de cette dévotion. Et comment cela ? m'écriai-je. C'est, dit-il, que notre Seigneur la fit ressusciter exprès. Tant il est sûr qu'on ne peut périr quand on pratique quelqu'une de ces dévotions.

En vérité, mon père, je sais que les dévotions à la Vierge sont un puissant moyen pour le salut, et que les moindres sont d'un grand mérite, quand elles partent d'un mouvement de foi et de charité, comme dans les saints qui les ont pratiquées. Mais de faire accroire à ceux qui en usent sans changer leur mauvaise vie, qu'ils se convertiront à la mort, ou que Dieu les ressuscitera, c'est ce que je trouve bien plus propre à entretenir les pécheurs dans leurs désordres, par la fausse paix que cette confiance téméraire apporte, qu'à les en retirer par une véritable conversion que la grâce seule peut produire. Qu'importe,

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dit le père, par où nous entrions dans le paradis, moyen<< nant que nous y entrions?» comme dit sur un semblable sujet notre célèbre Binet, qui a été notre provincial, en son excellent livre de la Marque de prédestination, n. 31, p. 130 de la 15o édition. « Soit de bond ou de volée, « que nous en chaut-il, pourvu que nous prenions la ville << de gloire? >> comme dit encore ce père au même lieu. J'avoue, lui dis-je, que cela n'importe; mais la question est de savoir si on y entrera. La Vierge, dit-il, en répond. Voyez-le dans les dernières lignes du livre du père Barry: « S'il arrivait qu'à la mort l'ennemi eût quelque préten«<tion sur vous, et qu'il y eût du trouble dans la petite république de vos pensées, vous n'avez qu'à dire que Ma« rie répond pour vous, et que c'est à elle qu'il faut s'adres

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Mais, mon père, qui voudrait pousser cela vous embarrasserait; car enfin qui nous a assuré que la Vierge en répond? Le père Barry, dit-il, en répond pour elle, p. 465 : Quant au profit et bonheur qui vous en reviendra, je « vous en réponds, et me rends pleige pour la bonne « mère. >> Mais, mon père, qui répondra pour le père Barry? Comment! dit le père, il est de notre Compagnie. Et ne Lavez-vous pas encore que notre Société répond de tous les livres de nos pères ? Il faut vous apprendre cela; il est bon que vous le sachiez. Il y a un ordre dans notre Société, par lequel il est défendu à toutes sortes de libraires d'imprimer aucun ouvrage de nos pères sans l'approbation des théologiens de notre Compagnie, et sans la permission de nos supérieurs. C'est un règlement fait par Henri III le 10 mai 1583, et confirmé par Henri IV le 20 décembre 1603, et par Louis XIII le 14 février 1612 : de sorte que tout notre corps est responsable des livres de chacun

de nos pères. Cela est particulier à notre Compagnie; et de là vient qu'il ne sort aucun ouvrage de chez nous qui n'ait l'esprit de la Société. Voilà ce qu'il était à propos de vous apprendre. Mon père, lui dis-je, vous m'avez fait plaisir, et je suis fâché seulement de ne l'avoir pas su plus tôt; car cette connaissance engage à avoir bien plus d'attention pour vos auteurs. Je l'eusse fait, dit-il, si l'occasion s'en fût offerte; mais profitez-en à l'avenir, et continuons notre sujet.

Je crois vous avoir ouvert des moyens d'assurer son salut assez faciles, assez sûrs et en assez grand nombre : mais nos pères souhaiteraient bien qu'on n'en demeurât pas à ce premier degré, où l'on ne fait que ce qui est exactement nécessaire pour le salut. Comme ils aspirent sans cesse à la plus grande gloire de Dieu, ils voudraient élever les hommes à une vie plus pieuse. Et parce que les gens du monde sont d'ordinaire détournés de la dévotion par l'étrange idée qu'on leur en a donnée, nous avons cru qu'il était d'une extrême importance de détruire ce premier obstacle; et c'est en quoi le P. le Moine a acquis beaucoup de réputation par le livre de LA DÉVOTION AISÉE, qu'il a fait à ce dessein. C'est là qu'il fait une peinture tout à fait charmante de la dévotion. Jamais personne ne l'a connue comme lui. Apprenez-le par les premières paroles de cet ouvrage « La vertu ne s'est en« core montrée à personne; on n'en a point fait de portrait « qui lui ressemble. Il n'y a rien d'étrange qu'il y ait eu « si peu de presse à grimper sur son rocher. On en a fait « une fâcheuse qui n'aime que la solitude; on lui a asso« cié la douleur et le travail; et enfin on l'a faite ennemie « des divertissements et des jeux, qui sont la fleur de la joie et l'assaisonnement de la vie. » C'est ce qu'il dit page 92.

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