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qui va bien, me répondirent mes pères en m'embrassant, voilà qui va bien : car il leur faut de plus une grâce efficace qui n'est pas donnée à tous, et qui détermine leur volonté à prier: et c'est une hérésie de nier la nécessité de cette grâce efficace pour prier.

Voilà qui va bien, leur dis-je à mon tour; mais, selon vous, les jansénistes sont catholiques, et M. le Moine hérétique: car les jansénistes disent que les justes ont le pouvoir de prier, mais qu'il faut pourtant une grâce efficace, et c'est ce que vous approuvez. Et M. le Moine dit que les justes prient sans grâce efficace, et c'est ce que vous condamnez. Oui, dirent-ils; mais M. le Moine appelle ce pouvoir, pouvoir prochain.

Quoi! mes pères, leur dis-je, c'est se jouer des paroles, de dire que vous êtes d'accord à cause des termes communs dont vous usez, quand vous êtes contraires dans le sens._j Mes pères ne répondirent rien; et sur cela mon disciple de M. le Moine arriva, par un bonheur que je croyais extraordinaire; mais j'ai su depuis que leur rencontre n'est pas rare, et qu'ils sont continuellement mêlés les uns avec les autres.

Je dis donc à mon disciple de M. le Moine: Je connais un homme qui dit que tous les justes ont toujours le pouvoir de prier Dieu, mais que néanmoins ils ne prieront jamais sans une grâce efficace qui les détermine, et laquelle Dieu ne donne pas toujours à tous les justes. Est-il hérétique? Attendez, me dit mon docteur, vous me pourriez surprendre. Allons doucement, distinguo; s'il appelle ce pouvoir pouvoir prochain, il sera thomiste, et partant catholique: sinon il sera janséniste, et partant hérétique. Il ne l'appelle, lui dis-je, ni prochain, ni non prochain. Il est donc hérétique, me dit-il : demandez-le à ces bons

pères. Je ne les pris pas pour juges, car ils consentaient déjà d'un mouvement de tête; mais je leur dis: Il refuse d'admettre ce mot de prochain, parce qu'on ne le veut pas expliquer. A cela un de ces pères voulut en apporter sa définition; mais il fut interrompu par le disciple de M. le Moine, qui lui dit : Voulez-vous donc recommencer nos brouilleries? Ne sommes-nous pas demeurés d'accord de ne point expliquer ce mot de prochain, et de le dire de part et d'autre sans dire ce qu'il signifie? A quoi le jacobin consentit.

Je pénétrai par-là dans leur dessein, et leur dis, en me levant pour les quitter : En vérité, mes pères, j'ai grand'peur que tout ceci ne soit une pure chicanerie; et, quoi qu'il arrive de vos assemblées, j'ose vous prédire que, quand la censure serait faite, la paix ne serait pas établie. Car, quand on aurait décidé qu'il faut prononcer les syllabes prochain, qui ne voit que, n'ayant point été expliquées, chacun de vous voudra jouir de la victoire? Les jacobins diront que ce mot s'entend en leur sens, M. le Moine dira que c'est au sien; et ainsi il y aura bien plus de disputes pour l'expliquer que pour l'introduire : car, après tout, il n'y aurait pas grand péril à le recevoir sans aucun sens, puisqu'il ne peut nuire que par le sens. Mais ce serait une chose indigne de la Sorbonne et de la théologie, d'user de mots équivoques et captieux sans les expliquer. Enfin, mes pères, dites-moi, je vous prie, pour la dernière fois, ce qu'il faut que je croie pour être catholique? Il faut, me dirent-ils tous ensemble, dire que tous les justes ont le pouvoir prochain, en faisant abstraction de tout sens : abstrahendo a sensu thomistarum, et a sensu aliorum theologorum.

C'est-à-dire, leur dis-je en les quittant, qu'il faut pro

noncer ce mot des lèvres, de peur d'être hérétique de nom. Car est-ce que le mot est de l'Écriture? Non, me dirent-ils. Est-il donc des Pères, ou des conciles, ou des papes? Non. Est-il donc de saint Thomas? Non. Quelle nécessité y a-til donc de le dire, puisqu'il n'a ni autorité, ni aucun sens de lui-même ? Vous êtes opiniâtre, me dirent-ils : vous ledi. rez, ou vous serez hérétique, et M. Arnauld aussi, car nous sommes le plus grand nombre; et, s'il est besoin, nous ferons venir tant de cordeliers, que nous l'emporterons. Je les viens de quitter sur cette dernière raison, pour vous écrire ce récit, par où vous voyez qu'il ne s'agit d'aucun des points suivants, et qu'ils ne sont condamnés de part ni d'autre : « 1° que la grâce n'est pas donnée à << tous les hommes; 2o que tous les justes ont le pouvoir d'accomplir les commandements de Dieu; 3° qu'ils ont ⚫ néanmoins besoin pour les accomplir, et même pour

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prier, d'une grâce efficace qui détermine leur volonté; 4o « que cette grâce efficace n'est pas toujours donnée à tous « les justes, et qu'elle dépend de la pure miséricorde de « Dieu. » De sorte qu'il n'y a plus que le mot de prochain sans aucun sens qui court risque.

Heureux les peuples qui l'ignorent! heureux ceux qui ont précédé sa naissance! car je n'y vois plus de remède, si messieurs de l'Académie ne bannissent, par un coup d'autorité, ce mot barbare de la Sorbonne, qui cause tant de divisións. Sans cela la censure paraît assurée : mais je vois qu'elle ne fera point d'autre mal que de rendre la Sorbonne moins considérable par ce procédé, qui lui ôtera l'autorité qui lui est si nécessaire en d'autres rencontres.

Je vous laisse cependant dans la liberté de tenir pour le mot de prochain, ou non; car je vous aime trop pour vous persécuter sous ce prétexte. Si ce récit ne vous déplaît

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pas, je continuerai de vous avertir de tout ce qui se passera. Je suis, etc.

SECONDE LETTRE.

MONSIEUR,

De la grâce suffisante.

De Paris, ce 29 janvier 1656.

Comme je fermais la lettre que je vous ai écrite, je fus visité par M. N., notre ancien ami, le plus heureusement du monde pour ma curiosité; car il est très-informé des questions du temps, et il sait parfaitement le secret des jésuites, chez qui il est à toute heure, et avec les principaux. Après avoir parlé de ce qui l'amenait chez moi, je le priai de me dire en un mot quels sont les points débattus entre les deux partis.

Il me satisfit sur l'heure, et me dit qu'il y en avait deux principaux le premier, touchant le pouvoir prochain; le second, touchant la grâce suffisante. Je vous ai éclairci du premier par la précédente : je vous parlerai du second dans celle-ci.

Je sus donc, en un mot, que leur différend, touchant la grâce suffisante, est en ce que les jésuites prétendent qu'il y a une grâce donnée généralement à tous les hommes, soumise de telle sorte au libre arbitre, qu'il la rend efficace ou inefficace à son choix, sans aucun nouveau secours de Dieu, et sans qu'il manque rien de sa part pour agir effectivement: ce qui fait qu'ils l'appellent suffisante, parce qu'elle seule suffit pour agir: et que les jansénistes, au contraire, veulent qu'il n'y ait aucune grâce actuellement suffisante qui ne soit aussi efficace; c'est-à-dire, que toutes celles qui ne déterminent point la volonté à agir

effectivement, sont insuffisantes pour agir, parce qu'ils disent qu'on n'agit jamais sans grâce efficace. Voilà leur différend.

Et m'informant après de la doctrine des nouveaux thomistes: Elle est bizarre, me dit-il; ils sont d'accord avec les jésuites d'admettre une grâce suffisante donnée à tous les hommes; mais ils veulent néanmoins que les hommes n'agissent jamais avec cette seule grâce, et qu'il faille, pour les faire agir, que Dieu leur donne une grâce efficace qui détermine réellement leur volonté à l'action, et laquelle Dieu ne donne pas à tous. De sorte que, suivant cette doctrine, lui dis-je, cette grâce est suffisante sans l'être. Justement, me dit-il; car, si elle suffit, il n'en faut pas davantage pour agir; et si elle ne suffit pas, elle n'est pas suffisante.

Mais, lui dis-je, quelle différence y a-t-il donc entre eux et les jansénistes? Ils diffèrent, me dit-il, en ce qu'au moins les dominicains out cela de bon, qu'ils ne laissent pas de dire que tous les hommes ont la grâce suffisante. J'entends bien, répondis-je; mais ils le disent sans le penser, puisqu'ils ajoutent qu'il faut nécessairement, pour agir, avoir une grâce efficace, qui n'est pas donnée à tous: ainsi, s'ils sont conformes aux jésuites par un terme qui n'a pas de sens, ils leur sont contraires, et conformes aux jansénistes, dans la substance de la chose. Cela est vrai, dit-il. Comment donc, lui dis-je, les jésuites sontils unis avec eux? et que ne les combattent-ils aussi bien que les jansénistes, puisqu'ils auront toujours en eux de puissants adversaires, lesquels, soutenant la nécessité de la grâce efficace qui détermine, les empêcheront d'établir celle qu'ils veulent être seule suffisante?

Les dominicains sont trop puissants, me dit-il, et la

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