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l'Église de si prodigieux renversements, que ce qui est catholique dans les Pères devient hérétique dans M. Arnauld; que ce qui était hérétique dans les semi-pélagiens devient orthodoxe dans les écrits des jésuites; que la doctrine si ancienne de saint Augustin est une nouveauté insupportable, et que les inventions nouvelles qu'on fabrique tous les jours à notre vue passent pour l'ancienne foi de l'Église. Sur cela, il me quitta.

Cette instruction m'a servi. J'y ai compris que c'est ici une hérésie d'une nouvelle espèce. Ce ne sont pas les sentiments de M. Arnauld qui sont hérétiques; ce n'est que sa personne. C'est une hérésie personnelle. Il n'est pas hérétique pour ce qu'il a dit ou écrit, mais seulement pour ce qu'il est M. Arnauld. C'est tout ce qu'on trouve à redire en lui. Quoi qu'il fasse, s'il ne cesse d'être, il ne sera jamais bon catholique. La grâce de saint Augustin ne sera jamais la véritable tant qu'il la défendra. Elle le deviendrait, s'il venait à la combattre. Ce serait un coup sûr, et presque le seul moyen de l'établir, et de détruire le molinisme; tant il porte de malheur aux opinions qu'il embrasse.

Laissons donc là leurs différends. Ce sont des disputes de théologiens, et non pas de théologie. Nous, qui ne sommes point docteurs, n'avons que faire à leurs démêlés. Apprenez des nouvelles de la censure à tous nos amis, et aimez-moi autant que je suis,

Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,

E. A. B. P. A. F. D. E. P.

QUATRIÈME LETTRE.

Dé la grâce actuelle, toujours présente; et des péchés d'ignorance. De Paris, ce 25 février 1656.

MONSIEUR,

Il n'est rien tel que les jésuites. J'ai bien vu des jacobins, des docteurs, et de toute sorte de gens; mais une pareille visite manquait à mon instruction. Les autres ne font que les copier. Les choses valent toujours mieux dans leur source. J'en ai donc vu un des plus habiles, et j'y étais accompagné de mon fidèle janséniste qui vint avec moi aux Jacobins. Et comme je souhaitais particulièrement d'être éclairci sur le sujet d'un différend qu'ils ont avec les jansénistes, touchant ce qu'ils appellent la grâce actuelle, je dis à ce bon père que je lui serais fort obligé s'il voulait m'en instruire; que je ne savais pas seulement ce que ce terme signifiait : je le priai donc de me l'expli-quer. Très-volontiers, me dit-il; car j'aime les gens curieux. En voici la définition. Nous appelons « grâce actuelle, « une inspiration de Dieu par laquelle il nous fait connaî« tre sa volonté, et par laquelle il nous excite à la vouloir << accomplir. En quoi, lui dis-je, êtes-vous en dispute avec les jansénistes sur ce sujet ? C'est, me répondit-il, en ce que nous voulons que Dieu donne des grâces actuelles à tous les hommes, à chaque tentation; parce que nous soutenons que, si l'on n'avait pas à chaque tentation la grâce actuelle pour n'y point pécher, quelque péché que l'on commit, il ne pourrait jamais être imputé. Et les jansénistes disent, au contraire, que les péchés commis sans grâce actuelle ne laissent pas d'être imputés : mais ce

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sont des rêveurs. J'entrevoyais ce qu'il voulait dire; mais, pour le lui faire encore expliquer plus clairement, je lui dis: Mon père, ce mot de grâce actuelle me brouille; je n'y suis pas accoutumé: si vous aviez la bonté de me dire la même chose sans vous servir de ce terme, vous m'obligeriez infiniment. Oui, dit le père; c'est-à-dire que vous voulez que je substitue la définition à la place du défini cela ne change jamais le sens du discours; je le veux bien. Nous soutenons donc, comme un principe indubitable, «< qu'une action ne peut être imputée à péché, << si Dieu ne nous donne, avant que de la commettre, la « connaissance du mal qui y est, et une inspiration qui « nous excite à l'éviter. » M'entendez-vous maintenant?

Étonné d'un tel discours, selon lequel tous les péchés de surprise, et ceux qu'on fait dans un entier oubli de Dieu, ne pourraient être imputés, je me tournai vers mon janséniste, et je connus bien, à sa façon, qu'il n'en croyait rien. Mais, comme il ne répondait mot, je dis à ce père : Je voudrais, mon père, que ce que vous dites fût bien véritable, et que vous en eussiez de bonnes preuves. En voulez-vous? me dit-il aussitôt; je m'en vais vous en fournir, et des meilleures ; laissez-moi faire. Sur cela, il alla chercher ses livres. Et je dis cependant à mon ami : Y en a-t-il quelque autre qui parle comme celui-ci ? Cela vous est-il si nouveau ! me répondit-il. Faites état que jamais les Pères, les papes, les conciles, ni l'Écriture, ni aucun livre de piété, même dans ces derniers temps, n'ont parlé de cette sorte mais que, pour des casuistes, et des nouveaux scolastiques, il vous en apportera un beau nombre. Mais quoi! lui dis-jc, je me moque de ces auteurs-là, s'ils sont contraires à la tradition. Vous avez raison, me dit-il. Et, à ces mots, le bon père arriva chargé de

livres; et m'offrant le premier qu'il tenait: Lisez, me ditil, la Somme des péchés du père Bauny, que voici ; et de la cinquième édition encore, pour vous montrer que c'est un bon livre. C'est dommage, me dit tout bas mon janséniste, que ce livre-là ait été condamné à Rome, et par les évêques de France. Voyez, me dit le père, la page 906. Je lus donc, et je trouvai ces paroles : « Pour pé« cher et se rendre coupable devant Dieu; il faut savoir « que la chose qu'on veut faire ne vaut rien, ou au moins ⚫ en douter, craindre; ou bien juger que Dieu ne prend plaisir à l'action à laquelle on s'occupe, qu'il la défend, « et nonobstant la faire, franchir le saut, et passer outre. » Voilà qui commence bien, lui dis-je. Voyez cependant, me dit-il, ce que c'est que l'envie. C'était sur cela que M. Hallier, avant qu'il fût de nos amis, se moquait du père Bauny, et lui appliquait ces paroles: Ecce qui tollit peccata mundi; « Voilà celui qui ôte les péchés du monde. Il est vrai, lui dis-je, que voilà une rédemption toute nouvelle, selon le père Bauny.

"

En voulez-vous, ajouta-t-il, une autorité plus authentique? voyez ce livre du père Annat. C'est le dernier qu'il a fait contre M. Arnauld; lisez la page 34, où il y a une oreille, et voyez les lignes que j'ai marquées avec du crayon; elles sont toutes d'or. Je lus donc ces termes : • Celui qui n'a aucune pensée de Dieu, ni de ses péchés, « ni aucune appréhension, c'est-à-dire, à ce qu'il me fit entendre, aucune connaissance de l'obligation d'exercer « des actes d'amour de Dieu, ou de contrition, n'a au« cune grâce actuelle pour exercer ces actes: mais il est « vrai aussi qu'il ne fait aucun péché en les omettant; « et que, s'il est damné, ce ne sera pas en punition de << cette omission. » Et quelques lignes plus bas : « Et

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PASCAL. PROVINCIALES.

<< on peut dire la même chose d'une coupable commis

« sion. »

Voyez-vous, me dit le père, comme il parle des péchés d'omission, et de ceux de commission? Car il n'oublie rien. Qu'en dites-vous? O que cela me plaît ! lui répondis-je; que j'en vois de belles conséquences, Je perce déjà dans les suites: que de mystères s'offrent à moi! Je vois, sans comparaison, plus de gens justifiés par cette ignorance et cet oubli de Dieu, que par la grâce et les sacrements. Mais, mon père, ne me donnez-vous point une fausse joie? N'est-ce point ici quelque chose de semblable à cette suffisance qui ne suffit pas? J'appréhende furieusement le distinguo j'y ai déjà été attrapé. Parlez-vous sincèrement? Comment! dit le père en s'échauffant? il n'en faut pas railler; il n'y a point ici d'équivoque. Je n'en raille pas, lui dis-je; mais c'est que je crains à force de désirer.

Voyez donc, me dit-il, pour vous en mieux assurer, les écrits de M. le Moine, qui l'a enseigné en pleine Sorbonne. Il l'a appris de nous, à la vérité; mais il l'a bien démêlé. O qu'il l'a fortement établi! il enseigne que, pour faire qu'une action soit péché, il faut que toutes ces choses se passent dans l'âme. Lisez et pesez chaque mot. Je lus donc en latin ce que vous verrez ici en français. « 1. D'une part, Dieu répand dans l'âme quelque amour qui la penche vers la chose comman« dée; et, de l'autre part, la concupiscence rebelle la << sollicite au contraire. 2. Dieu lui inspire la connaissance « de sa faiblesse. 3. Dieu lui inspire la connaissance « du médecin qui la doit guérir. 4. Dieu lui inspire le « désir de sa guérison. 5. Dieu lui inspire le désir de le prier et d'implorer son secours. »

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