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elle n'offre pas même l'indispensable caractère des grandes découvertes, l'utilité (2). Leibnitz, dans les distractions de son génie, essaya de la perfectionner, comme il essaya de perfectionner les figures du syllogisme. Mais il laissa ces deux instruments aussi stériles qu'il les avait trouvés.

Les célèbres expériences touchant la pesanteur de l'’air jetèrent un vif éclat sur le nom de Pascal, en l'associant à ceux de Torricelli et de Descartes. Il s'y mêla d'assez tristes récri minations entre des hommes faits pour se comprendre et s'estimer. On sait aujourd'hui que le fond de la découverte appartient à Torricelli et à Descartes, et il n'existe aucune raison de taire ce que Pascal dut au père de la philosophie moderne. Descartes avait prédit le phénomène de l'abaissement du mercure, que Pascal fit vérifier au Puy-de-Dôme. Mais ce dernier conserve le mérite d'avoir dirigé des expériences décisives, et d'avoir par là confirmé et rendu populaires des vérités aussi neuves que fécondes. Une circonstance à remarquer, c'est que le principe de l'horreur du vide avait d'abord été adopté par celui-là même dont les travaux allaient le détruire sans retour, et le faire reléguer parmi les plus creuses chimères de l'école.

Dans ce premier effort des mathématiques pour soumettre les phénomènes physiques à l'empire du calcul, Pascal seinblait avoir choisi de prédilection la partie la plus fugitive de la nature. Après les expériences sur les effets de la pesanteur de l'air, il détermina la pression des fluides sur chaque point des parois des vases qui les contiennent, et donna les lois de leur équilibre. Ces importantes recherches de physique mathé matique, auxquelles les progrès du temps n'ont rien changé, composent peut-être la partie la plus réelle, sinon la plus brillante, de la gloire de Pascal dans les sciences.

Le triangle arithmétique serait une invention belle pour l'antiquité; mais il n'offre ni la puissance ni la généralité des méthodes modernes. Mis au jour à une époque où l'analyse reçut des accroissements qui semblent fabuleux, il n'a

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servi qu'à son inventeur. Un tableau de forme triangulaire, divisé en compartiments égaux, présente les combinaisons d'un nombre de choses prises une à une, deux à deux, trois à trois, indéfiniment, et la somme des nombres naturels, celle des nombres figurés de tous les ordres, et sert, par un ingénieux artifice, à former les coefficients des puissances, tels que les donne la célèbre formule du binôme de Newton. Il n'y avait qu'un pas à faire pour saisir cette formule si simple, si élémentaire, et à la fois si vaste, qu'elle embrasse le corps entier des mathématiques; elle se dessinait sous les yeux de Pascal: on est vraiment étonné qu'il n'ait pas su la voir, et qu'il ait laissé cette découverte à l'auteur des Principes de la philosophie naturelle.

Maître d'une théorie des combinaisons, Pascal créa le calcul des probabilités, et montra le hasard, sous ses apparents caprices, réglé aussi par les mathématiques. Ce qui ne lui fait pas moins d'honneur, c'est la sagesse avec laquelle il mit des bornes à sa propre découverte, en ne l'appliquant qu'à une question de pure curiosité, la seule qui soit de son ressort, je veux dire les jeux de hasard. Le triste et funcste exemple de transporter le calcul des probabilités dans les sciences morales, qui devait trouver tant d'imitateurs, fut donné par Jacques Bernouilli. Mais ce n'est plus le hasard soumis au calcul, c'est la vertu, la justice, la vérité soumises au hasard et à la fatalité!

Il y avait alors parmi les géomètres une grande ardeur pour une courbe fameuse, récemment signalée à leur attention par l'ami de Descartes, le père Mersenne, utile médiateur entre les savants. C'était la cycloïde ou roulette, qui consiste dans l'espace parcouru, à chaque révolution, par un point d'un corps circulaire en mouvement sur une surface, tel, par exemple, que le clou d'une roue de voiture qui marche. Depuis que Huyghens a su tirer de cette courbe l'égale durée des oscillations du pendule, l'application du pendule aux horloges, celle des horloges à la détermination de l'apla

tissement des pôles, aux observations astronomiques et aux usages de la vie, depuis que Leibnitz a surpris dans la même courbe la ligne de la plus courte descente, on a laissé l'étude désormais épuisée de la cycloïde. Aujourd'hui, c'est le règne de la majestueuse ellipse qui abaisse la hauteur des cieux sous la main de l'astronome: tant il est vrai que le monde inflexible de la géométrie a aussi ses changements et ses modes!

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Comme tous ses savants contemporains, Pascal s'occupa donc de la cycloïde, et sembla même y mettre trop d'importance, et peut-être un peu de vanité. Il résolut le problème général de la cubature des solides de cette courbe, ainsi que plusieurs autres questions non moins difficiles qui s'y rattachent. S'il n'offre rien qui approche des grandes vues d'Huyghens, ce qu'il trouve, privé du calcul intégral et avec le seul secours de son triangle arithmétique et de la balance si compliquée d'Archimède, est un vrai tour de force. Ce fut pour Pascal le couronnement de ses travaux de pure science.

Nous le demandons maintenant : y a-t-il là rien de comparable à la géométrie analytique de Descartes, au calcul infinitésimal de Leibnitz, à la simple ébauche de la théorie des mouvements célestes de Newton? Que sont tous les efforts pour résoudre quelques problèmes particuliers, auprès de la découverte de ces méthodes générales qui constituent la science? Il faut juger Pascal sur ce qu'il a fait, non sur ce qu'on imagine qu'il eût pu faire. A-t-il donc besoin de titres empruntés?

Mais en parlant ici de la cycloïde, je parais oublier que Pascal ne s'en occupa que pour se distraire d'intolérables douleurs; que, depuis longtemps, il avait renoncé aux mathématiques, et trouvé la voie de son génie. L'orage qui grondait sur Port-Royal avait fait éclater tout ce que son âme renfermait de religieuse ardeur et d'impétueuse éloquence. Hâtons-nous de le voir aller à la gloire par les combats et la - souffrance, dominer l'opinion, reine du monde, et lutter, par

XVI

ÉLOGE DE PASCAL.

la puissance de sa parole, contre les plus formidables puissances de l'univers.

Si l'on a bien compris le travail intérieur qui s'opérait dans le christianisme à l'époque de la réforme, ainsi que la cause secrète qui poussait les âmes religieuses dans de sombres et farouches doctrines, on ne sera point surpris qu'elles aient gagné Pascal comme ses compagnons de solitude. La théologie chrétienne n'a point d'abîme plus difficile à sonder que celui de la grâce. Il ne s'agit pas seulement d'admettre le concours général et nécessaire de l'action conservatrice de Dieu dans les opérations des créatures: l'homme n'est plus ce qu'il était en sortant des mains de son auteur; déchu et misérable, atteint dans toutes ses puissances, il a besoin d'un secours surnaturel, de l'action réparatrice de Dieu, pour renaître à la vérité, au bien, à la dignité de sa nature. C'est là proprement la grâce. Comme le libre arbitre a été plus profondément blessé que la raison, qu'il est plus porté au mal qu'elle-même à l'erreur, c'est sur lui que la grâce doit agir avec plus d'énergie. Mais elle ne peut le supposer entièrement détruit; car alors que resterait-il à réparer? L'Église, laissant aux écoles l'incertitude des explications, a toujours soutenu d'une main ferme ces deux vérités, la nécessité de la grâce, la réalité de la liberté humaine. Les protestants avaient entièrement sacrifié la dernière. Rien n'égale l'audace, tranchons le mot, le cynisme dogmatique de Calvin, lorsque, sous prétexte de confondre une orgueilleuse raison, il n'hésite pas à faire remonter jusqu'à Dieu la responsabilité de tous les crimes et de toutes les folies de la terre. Rendons cette justice à Pascal et à ses illustres amis: jamais des conséquences aussi révoltantes ne souillèrent leurs ouvrages; ils s'efforçaient même de séparer leurs principes de ceux des protestants. A la vérité, ils avaient beau marquer cette différence, s'effaçait toujours; ils voulaient la liberté de l'homme, et, en elle dépit d'eux, ils l'immolaient à la grâce. Par un contraste qui ne doit plus nous étonner, ce fut Molina, ce fut l'ordre des jésui

tes qui défendit la cause du libre arbitre. Avec leur clairvoyance et leur habileté pratiques, les jésuites sentirent bien où était le faible des jansénistes, et ils firent porter toutes leurs attaques sur la partie vulnérable. Par ce côté ils étaient forts, car ils avaient la vérité pour eux. On dirait que Pascal, dans la défense, a deviné que la controverse de la grâce est trop favorable à ses adversaires; il attend, pour l'aborder directement, qu'il ait conquis l'opinion publique. Que fait-il, avant tout? Il oppose à ses ennemis leur propre tactique; il transporte la guerre chez eux. Il se présente comme l'athlète de la raison, de la morale, de l'antique et libérale constitution de l'Église, contre l'esprit de relâchement, de domination et de despotisme que veulent perpétuer les jésuites, et, au milieu des excès des partis, il sait encore servir les intérêts du genre humain.

Là aussi Pascal était fort de toute la force de la vérité. Il le fut bientôt de celle de l'opinion. Cependant il fallait attaquer la société dans les auteurs de ses maximes, scolastiques pesants, protégés par la masse de leurs in-folio. Comment saisir, dans leurs inextricables subtilités, ces apôtres de l'équivoque et des faciles accommodements? Comment intéresser le public aux erreurs de l'école? Pascal n'avait qu'un parti à prendre.

Vouloir éclairer des casuistes ou des sophistes sur leurs égarements serait une entreprise vaine, puisqu'ils en font métier. Il ne reste donc qu'à détruire leur crédit dans l'esprit des peuples. Pour cela, il faut les rendre ou ridicules ou odieux, et exciter contre eux ou le mépris ou la haine. Le ridicule est le plus sûr, mais il demande une nation spirituelle, enjouée, comme les Athéniens et les Français. Aussi est-il une arme terrible dans les mains de Platon contre les sophistes, dans celles de Pascal contre les casuistes, dans celles de Voltaire contre l'intolérance et le fanatisme. Heureux ce dernier, si ses plaisanteries eussent toujours respecté la foi et la pudeur!

S'agit-il cependant de ces erreurs qui renversent les prin

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