nous avons de puissants ennemis au dehors qui nous font la guerre; il se présente de toutes parts mille occasions dangereuses, et sans vous nous ne pouvons nous défendre. Après cela nous pourrons nous accuser de nos péchés devant Dieu avec de grands sentiments de contrition, et plus nous en exprimerons l'énormité, plus il nous sera facile d'en obtenir le pardon.

Ces trois sortes de motifs, quoique différents, ne laissent pas de pouvoir de pouvoir se joindre ensemble. C'est pourquoi David disait : Seigneur, pour la gloire de votre nom, vous me remettrez mon péché parce qu'il est grand 1.

Au reste, ces considérations servent plutôt pour nous exciter nous-mêmes à prier avec ferveur, avec dévotion et avec confiance, que pour faire condescendre la bonté divine à écouter nos prières; puisque Dieu a infiniment plus d'envie de nous donner son esprit que nous de le recevoir, et il ne nous commanderait pas de le prier, s'il n'avait dessein de nous exaucer.

On voit que l'essence de l'Oraison mentale consiste à s'entretenir dans son intérieur avec Dieu, principalement pour deux fins, dont la première est de louer ce souverain maître du monde des biens infinis qu'il possède, et de le remercier ensuite de ceux qu'il nous accorde. C'est cette excellente manière d'oraison que saint Paul nous conseille lorsqu'il dit: Soyez pleins de la grâce du

1 Ps. 24. 11.

Saint-Esprit, et entretenez-vous ensemble, en chantant, au fond de vos cœurs, des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels, à la gloire de Notre-Seigneur, et ne cessant de rendre grâces de toutes choses à Dieu le Père, au nom de NotreSeigneur Jésus-Christ 1.

La seconde chose que nous devons nous proposer en parlant à Dieu, c'est d'obtenir de sa bonté de nouvelles grâces. Cela se pratique en plusieurs manières, suivant les différentes situations où se trouve la personne qui fait oraison.

Quelquefois nous pouvons parler à Dieu comme des enfants à leur père, en lui demandant avec un esprit d'amour et de confiance tout ce qu'un bon fils peut demander au meilleur des pères. C'est dans cette disposition qu'il faut réciter le Pater noster.

D'autres fois nous nous mettrons dans la posture d'un pauvre qui tend la main à un homme riche et charitable. C'est dans cet esprit que le roi-prophète disait souvent à Dieu, qu'il n'était qu'un pauvre, réduit à la dernière nécessité 2, et qu'il lui demandait l'aumône comme à Celui qui, selon le langage de saint Paul, à des trésors infinis, pour répandre sur ceux qui l'invoquent 3.

Quelques autres fois nous nous présenterons devant Dieu comme des malades qui consultent un habile médecin et qui lui exposent leur mal, pour en

1 Eph. 5. 19. Coloss. 3. 16. 2 Ps. 24. 16.

3 Rom. 10. 12.

obtenir un remède prompt et efficace. Il est encore fort à propos que nous nous considérions ou comme des criminels, ou comme des gens qui plaident leur cause, et que nous conjurions ce souverain juge de nous faire miséricorde.

Enfin nous parlerons quelquefois à Dieu comme des disciples parlent à leur maître, pour le prier de nous éclairer l'esprit; ou comme un ami parle à son ami lorsqu'il a besoin de son conseil et de son secours dans une affaire d'importance. Que si une âme fidèle se sent assez de confiance en NotreSeigneur, et assez d'amour pour lui, elle prendra la liberté de lui parler, ainsi qu'une épouse à son époux, avec des termes pleins de tendresse, tels que sont ceux dont le Cantique des cantiques est composé.

Il faut ajouter que, encore que l'Oraison ne soit proprement qu'un entretien avec Dieu, l'on peut néanmoins s'y entretenir avec soi-même et faire à son âme tantôt des exhortations pour l'exciter à former les actes et à demander les choses dont nous venons de parler, tantôt des reproches et des réprimandes pour lui donner de l'horreur de ses péchés et de la confusion de sa négligence dans le service de Dieu. David parlait souvent de cette sorte à luimême 1.

De plus, il est bon de s'adresser à la bienheureuse Vierge, aux anges et aux autres saints pour les mêmes fins qu'on se propose en parlant à Dieu, c'est-à-dire ou pour leur rendre l'honneur qu'ils

méritent, ou pour reconnaître les obligations que nous leur avons, ou pour leur demander leur assistance dans l'affaire de notre salut.

D'après ce que nous avons dit, il est aisé de comprendre de quelle excellence et de quel mérite est *l'Oraison mentale, puisqu'on y exerce les plus héroïques vertus de la vie chrétienne. La vertu de l'Oraison n'entre jamais dans une âme, dit saint Jean Chrysostome, qu'elle ne mène avec elle toutes les autres vertus qui sont ses compagnes et ses suivantes.

Entre ces vertus, quelques-unes marchent devant elle comme pour lui aplanir le chemin et disposer l'âme à la recevoir; et de ce rang sont la foi, l'humilité, la révérence intérieure, la pureté d'intention et quelques autres encore. C'est ce que le Sage voulait dire par ces paroles Préparez votre âme avant la prière, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu 1. Il y a d'autres vertus qui accompagnent l'Oraison, comme la charité, la religion, la dévotion, le don de sagesse et les autres dons du Saint-Esprit, qui éclairent l'âme et l'aident merveilleusement à bien prier. Enfin l'Oraison est suivie d'un grand nombre de vertus qui viennent en foule après elle, et particulièrement d'une infinité de bons désirs et de saintes résolutions de s'appliquer avec ferveur à la pratique de l'obéissance, de la patience, de la tempérance, de la modestie, de la chasteté et des autres.

1 Eccli. 18. 23.

Selon saint Chrysostome 1, il n'y a point de sagesse, point de perfection ni de sainteté comparable à celle d'un homme qui sait la manière dont il faut parler à Dieu; parce que dans ce saint commerce il reçoit une plénitude de grâces qui fait la véritable sagesse et la sainteté consommée. La raison de ceci est que Notre-Seigneur ayant une charité infinie, et lui-même nous inspirant la volonté de le prier, il se plaît à nous répondre quand nous lui parlons, et à converser avec ceux qui se recueillent en eux-mêmes pour jouir en paix de son entretien.

Or ses entretiens ne sont pas de simples paroles; car la parole du Verbe, nous dit saint Bernard, est une communication de ses dons 2. Parle-t-il jamais à une âme qu'il ne l'enrichisse de vertus et ne la comble d'une joie spirituelle qui dépasse tout ce que l'esprit humain peut imaginer 3?

§ II. De ce qu'il faut faire au commencement
de l'Oraison.

C'est un conseil très-salutaire que celui que le Saint-Esprit nous donne, de bien préparer notre âme avant que de nous mettre en prière 4 : parce que d'y aller sans aucune préparation, c'est tenter Dieu, en s'imaginant pouvoir prier comme il faut sans se servir des moyens que Dieu même a établis pour y réussir. Il faut donc avant toutes choses

1 L. de orando Deo, et homil. in Ps. 4.

2 Bern. Serm. 45. in Cant.

3 Ps. 84. 9.

4 Eccli. 18. 23.