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D'HÉLOÏSE ET D'ABEILARD,

MISES EN VERS

PAR BEAUCHAMPS,

D'APRÈS L'EXCELLENTE TRADUCTION DE BUSSI-RABUTIN.

Abeilard, regardé comme le plus ancien de nos poëtes, naquit à Palais, près de Nantes, en 1079, et mourut en 1142, supérieur du couvent de Saint-Marcel-lès-Châlons-sur-Saône.

Heloise naquit à Paris en 1101; elle était nièce du chanoine Fulbert. Après ses malheurs, ou ceux de son amant, elle se réfugia dans le couvent des religieuses du Paraclet, dont elle mourut supérieure le 17 mai 1164. Le corps d'Abeilard fut porté au Paraclet, et réuni à celui de son amante dans le même tombeau. Ce tombeau est maintenant au cimetière du P. Lachaise.

La lettre que l'on va lire fut écrite au sujet d'une autre lettre qu'Abeilard écrivait à un de ses amis, et qui tomba dans les mains d'Héloïse.

HÉLOÏSE A ABEILARD.

UNE lettre en mes mains l'autre jour fut remise!
J'y reconnus les traits de l'époux d'Héloïse;

Et me servant des droits que j'ai sur cet époux,
Je crus pouvoir l'ouvrir, puisqu'elle était de vous:
Je crus que sa lecture, apaisant mes alarmes,
Calmerait mes ennuis, et sécherait mes larmes.
Curieuse, je l'ouvre avec empressement;
Je me flatte, j'espère y trouver mon amant.
Illusion cruelle où l'amour nous entraîne!
Je veux me consoler, et j'irrite ma peine.
D'un ami malheureux soulageant les douleurs,
Votre main à ses yeux exposait nos malheurs ;
J'y trouvai mille fois et mon nom et le vôtre,
Et mille affreux revers entassés l'un sur l'autre.
Chaque ligne à mon cœur porta de nouveaux coups.
Deviez-vous me réduire à me plaindre de vous?
Deviez-vous, pour calmer des disgrâces légères,
Faire un si long récit de toutes nos misères?
Non. Vous portez trop loin le zèle et l'amitié,
Cruel et l'amour seul vous trouve sans pitié.
Quelles réflexions vinrent troubler mon âme !
Je sentis tout à coup ressusciter ma flamme.
Ces transports, si long-temps retenus dans mon cœur
Plus forts que ma vertu, reprirent leur vigueur.
Dans mes yeux agités on lisait ma tendresse ;
Toutes mes actions annonçaient ma faiblesse..
Même aux pieds des autels, trop pleine de mes feux,
De profanes soupirs se mêlaient à mes vœux.
Excusez, ô mon Dieu, le trouble qui m'accable;

Malgré ma volonté mon cœur me rend coupable.

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Funeste souvenir de mon bonheur passé,
L'absence, ni le temps, ne t'ont point effacé;
Tu rappelles encore à ma triste mémoire

Ces momens où l'amour prenait soin de ma gloire,
Où le tendre Abeilard me donnait tous ses soins,
Où nos cœurs de nos feux étaient les seuls témoins.
Je ne t'oublîrai point, cher époux que j'adore!
Je t'entends, je te vois, je te possède encore.
Si pour toute la terre Abeilard n'est plus rien,
Héloïse en lui seul voit son souverain bien.
Du destin conjuré la fureur impuissante

Ne détruira jamais l'ardeur de votre amante.

Ce n'est pas l'homme en vous qui faisait mon bonheur;
L'amant, le seul amant possédait tout mon cœur.
Vous savez que toujours ce cœur, plein d'innocence,
Modéra de vos feux la vive impatience;

Et que, fuyant les noms et d'épouse et d'époux,
Les liens de l'amour me paraissaient plus doux.
De la soif des plaisirs Héloïse pressée,

N'a jamais sur les sens arrêté sa peusée ;

Et bornant tous mes vœux à la douceur d'aimer,
Cette seule douceur eut droit de me charmer.
Hélas! si vos malheurs m'arrachent quelques plaintes,
C'est pour vous, non pour moi, que j'en sens les atteintes;
Votre seul intérêt me fait verser des pleurs,
Que je refuserais à toutes mes douleurs..
Eh! puis-je, sans frémir, voir un oncle perfide
Animer contre vous une main homicide?

Puis-je voir, sans pleurer, vos ennemis jaloux,
Conduits par leur fureur, s'élever contre vous;
Obscurcir lâchement la gloire la plus pure,
Et sans honte mêler le ciel dans leur injure?
En vain, justifiant le sens de vos écrits,
Vous voulûtes fléchir ces superbes esprits;
L'innocent Abeilard succomba sous leurs trames;
Ses ouvrages sacrés périrent par les flammes.
Lui-même, menacé d'une injuste prison,
N'échappa qu'en fuyant à cette trahison.
Objet infortuné de la haine publique,
On ne vous regardait que comme un hérétique;
On blåmait à l'envi le nom de Paraclet:
Ce nom de votre orgueil paraissait un effet.
Monde injuste et cruel, que ta plainte est frivole!
Tu poursuis Abeilard, et son Dieu le console.
Dans le fond d'un désert ce Dieu consolateur,
Malgré tes vains efforts, rend le calme à son cœur.
De la chair et du sang, esclaves mercenaires,
Traîtres religieux, qui vous dites ses frères,
Pour ternir sa vertu vous avez tout osé;
De crimes et d'erreurs vous l'avez accusé;
Et poussant à l'excès l'insolence et l'envie,
Perfides! vous avez attenté sur sa vie.

Le temps qui calme tout, ne vous adoucit pas:
Vous voulez, inhumains, vous voulez son trépas;
Et peut-être qu'un jour on vous verra descendre
Au fond de son tombeau, pour y troubler sa ceudre

Siècle injuste! rougis de ton aveuglement,
Et reconnais enfin le prix de mon amant;
Mais plutôt contre lui n'écoute que ta rage:
Son immortalité doit être ton ouvrage.
Que dis-je? Juste Dieu! me faudra-t-il toujours
Redouter ta fureur, et craindre pour ses jours?
Et devenu l'objet des plus vives alarmes,
Ne prononcerons-nous son nom qu'avec des larmes?
Entendrai-je toujours ses filles et mes sœurs
Soupirer, s'attendrir, partager mes frayeurs?
Voyez l'état affreux où vous m'avez plongée :
Seule, faible, incertaine, et sans cesse affligée,
Que deviendrai-je, hélas! si vous m'abandonnez?
Puis-je traîner sans vous mes jours infortunés?
Venez, cher Abeilard, soutenir ma faiblesse ;
Venez, ou partager, ou régler ma tendresse ;
Mais si mon fol amour exige trop de vous,
Du moins, cher Abeilard, du moins écrivez-nous.
Eh! ne nous dites point que, ménageant vos filles,
Vous n'osez de vos maux faire gémir nos grilles.
Pourquoi nous épargner? Epuisez tous nos pleurs :
Nos yeux n'en peuvent trop donner à vos malheurs.
Ah! si vous attendez que le ciel, moins contraire,
Laisse à votre vertu désarmer sa colère,

Et que de votre sang, moins fiers, moins ulcérés,
Vos mortels ennemis ne soient plus altérés,
C'est inutilement attendre des miracles;
Le mérite toujours rencontre des obstacles.

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