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Je fais des vœux pour n'adorer que toi :
Mais quels combats! De ma cendre enflammée
Quelle étincelle encor s'est ranimée !
Si je l'aimai quand il put me trahir,
Quand je le plains, pourrais-je le hair?
Non, la pitié ne saurait être un crime.
Dieu! laisse-lui partager ta victime:

Reçois mes vœux, mes pleurs, mon repentir;
Il n'aura plus que mon dernier soupir.

DEMOUSTIER.

A MON ARBRE.

Je n'ai que toi, mon Arbre, en ce triste univers :

E

Aussi n'est-ce qu'à toi que j'adresse mes vers;
A toi qui fus planté des mains de mon amie,
A tes pieds maintenant pour jamais endormie!
De la Parque, dit-on, qui nous moissonne tous,
Minerve ni Vénus ne craignent point les coups;
Et cependant la tombe enferme Éléonore!
Le sort qui me condamne, hélas! à vivre encore,
Me frappant au lieu d'elle, eût exaucé mes vœux.
Que je te porte envie, Arbre chéri des dieux!
De nos folles erreurs tu méconnais l'ivresse.
Le ciel, qui d'amertume a nourri ma jeunesse,

Enterré sous les flots, en revenant au port,

Et mes jours et mou nom! Qui peut vaincre la mort? Qu'à son gré l'opulence, injuste et vile amante, Berce sur le damas ce parvenu grossier,

Et laisse le poëte, à l'ombre d'un laurier,

Charmer, par ses concerts, le sort qui le tourmente:
Il n'est qu'un vrai malheur; c'est de vivre ignoré.
L'homme brille un moment, et la tombé dévore
Les titres fastueux dont on fut décoré.

Nos maux, et ces plaisirs que le vulgaire adore,
Tout périt sous la faux de la Mort ou du Temps:
Mais la gloire du moins que l'homme a méritée
Survit à son trépas, et s'accroît par les ans ;
Et, loin de les flétrir, la Fortune irritée
Ajoute un nouveau lustre aux talens glorieux.
Racine, dieu des vers! Corneille, esprit sublime!
Vous pouvez effrayer un cœur pusillanime;
Peut-être avec dédain vos mânes radieux

Du haut des monts sacrés regardent qui nous sommes:
Mais, si j'en crois mon cœur, on peut vous égaler :
Le ciel, en vous formant, voulut vous signaler;
J'y consens: mais enfin vous n'êtes que des hommes.
Ainsi je m'abusais. Sans guide, sans secours,
J'abandonne, insensé! mon paisible village,

Et les champs où mon père avait fini ses jours.
Cieux, tonnez contre moi; Vents, armez votre rage;
Que, vide d'alimens, mon vaisseau mutilé

Vole au port sur la foi d'une étoile incertaine,

Et par vous loin du port soit toujours exilé!
Mon asile est partout où l'orage m'entraîne.
Qu'importe que les flots s'abîment sous mes pieds;
Que la mort en grondant s'étende sur ma tête?
Sa présence m'entoure; et, loin d'être effrayés,
Mes yeux avec plaisir regardent la tempête:
Du sommet de la poupe, armé de mon pinceau,
Tranquille en l'admirant j'en trace le tableau.
Je n'avais point alors essuyé de naufrage;
Mon génie abusé croyait à la vertu,

Et, contre les destins rassemblant son courage,
Se nourrissait des maux qui l'avaient combattu.
« Mon sort est d'être grand; il faut qu'il s'accomplisse;
» Oui, j'en crois mon orgueil, tout, jusqu'à mes revers.
>> Qui de ceux dont la voix éclaira l'univers

» N'a point de la fortune éprouvé l'injustice?

>> Un dieu, sans doute un dieu m'a forgé ces malheurs, >> Comme des instrumens qui peuvent à ma vue » Ouvrir du cœur humain les sombres profondeurs, » Source de vérités au vulgaire inconnue.

» Rentrez dans le néant, présomptueux rivaux!
» Ainsi que le soleil, dans sa lumière immense,
» Cache ces astres vains levés en son absence,
» Je vais vous effacer par mes nobles travaux. »
Mon âme (quel orgueil, grand Dieu, l'avait séduile!)
Dévorait des talens le trône révéré,

Et dans tous les objets dont je marche entouré,
Ma gloire en traits de feu déjà me semble écrite.

Elégies.

15

Prestiges que bientôt je vis s'évanouir,

Doux espoir de l'honneur, trop sublime délire,
Ah! revenez encor, revenez me séduire :
Pour les infortunés espérer c'est jouir.

Je n'ai donc en travaux épuisé mon enfance
Que pour m'environner d'une affreuse clarté
Qui me montrât l'abîme où je meurs arrêté.
Ne valait-il pas mieux garder mon ignorance?

Trop heureux Philémon s'il connaît son bonheur !
Fidèle au rang obscur qu'il reçut de ses pères,
Long-temps de sa jeunesse il voit briller la fleur ;
Et, cultivant en paix ses champs héréditaires,
Ne craint pas que toujours ses efforts abusés
Laissent tomber son corps privé de nourriture:
La terre, au jour marqué, lui rend avec usure
Les trésors qu'en ses flancs il avait déposés.
Il n'a point, il est vrai, vu nos cités immondes,
D'où le grand, étonné de ses vastes besoins,
De leurs productions épuise les deux mondes;
Nos sciences, nos arts, étrangers à ses soins,
Ne l'ont point dépouillé de ses mœurs ingénues.
Roulez en char brillant votre heureux déshonneur;
Jamais de Philémon vous ne serez connues,
Beautés dont on nourrit les vices sans horreur;
Tandis que les talens, amis de l'innocence,
Méconnus, repoussés dans leur premier essor,
Tombent découragés, et meurent d'indigence
Sous l'ombre d'un laurier qu'on leur dispute encor.

Ce protecteur, qui marche en semant les promesses,
Même en trompant ses vœux, l'abaissa-t-il jamais?
Burrhus, qui va comptant les ingrats qu'il a faits,
Lui vient-il reprocher ses honteuses largesses?
Aux malheureux toujours on trouve des forfaits;
Et les plus généreux vendent cher leurs bienfaits.
Pour qui les verts bosquets ouvrent-ils leurs ombrages?
Les tranquilles étangs, les tortueux vallons,

Les antres toujours frais, les ruisseaux vagabonds,
Les chants du peuple ailé, ses jeux dans les feuillages,
Le paisible sommeil sur des lits de gazon,
La justice, la paix, tout rit à Philémon.
Oh! combien j'eusse aimé cette beauté naïve
Qui, d'un époux absent pressentant le retour,
Rassemble tous les fruits de son fertile amour,
Dirige des aînés la marche encor tardive;

Et, portant dans ses bras le plus jeune de tous,
Vole au bout du sentier par où descend leur père !
Elle le voit: grand Dieu! dérobe à ma misère

L'aspect de leurs plaisirs dont mon cœur est jaloux!...
N'est-ce donc point assez des tourmens que j'endure?
Quoi! je porte un cœur noble, et d'un œil plein d'effroi
Je lis sur tous les fronts le mépris et l'injure!
Le dernier des mortels est plus heureux que moi!
Ah! brisons ces pinceaux : tombe, lyre inutile!
Périsse un monde injuste! Et toi qui m'as perdu,
Gloire, fantôme ingrat, à la brigue vendu,
Va, je perds sans regret ta couronne futile:

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