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RÉPONSE

D'ABEILARD A HELOÏSE.

J'AI reçu votre lettre, et je n'ose vous dire
Dans quel état funeste elle a su me réduire :
Mon trouble me fait honte, et mon cœur abattu
Veut en vain rappeler sa mourante vertu.
Aussi faible que vous, plus criminel encore,
Je me sens consumer du feu qui vous dévore.
Eh! comment voulez-vous que je guide vos pas 2
Je m'égare moi-même, et ne me connais pas.
De vos maux et des miens la trop vive peinture,
De mes désirs éteints réveille le murmure.
Déjà je commençais, oubliant mon malheur,
A ne plus regretter un frivole bonheur;

Déjà je commençais, moins rempli de vos charmes,
A trouver des douceurs à répandre des larmes :
Et la Grâce en mon cœur allumant son flambeau,
Effaçait le vieil homme, et formait le nouveau.

Vous avez tout détruit. Qu'une épouse est puissante!
Eh! qui peut résister aux soupirs d'une amante ?
Inutile raison! chimérique devoir !

Rien ne peut de l'amour balancer le pouvoir.

Héroïdes.

3

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Dans un temple brise trouves-tu des délices,
Dieu cruel? Cherche ailleurs de plus doux sacrifices:
Règne sur les vivans; qu'ils sentent tes transports;
Mais cesse de vouloir les inspirer aux morts.
Assez et trop long-temps soumis à ton empire,
J'ai vécu sous tes lois; souffre que je respire.

Terrible contre-temps, où me réduisez-vous ?
N'avais-je pas du ciel épuisé le courroux ?
Fallait-il qu'une lettre écrite pour un autre,
Troublât tout à la fois mon repos et le vôtre?
Je l'avoue, Héloïse; attendri par ses pleurs,
Je voulus d'un ami modérer les douleurs;
Je crus que de nos maux une fidèle image,
Contre son désespoir armerait son courage;
Et loin d'imaginer qu'un sort capricieux
Dût jamais exposer cette lettre à vos yeux,
Mon cœur, à sa pitié se livrant sans contrainte,
Lui peignait les rigueurs dont je ressens l'atteinte;
Afin que, comparant mes malheurs et les siens
Il oubliât ses maux, et déplorât les miens.

Ainsi, de nos desseins confondant la prudence,
Dieu juste, tu détruis notre aveugle espérance!
Et ta main, où tu veux nous traînant malgré nous,
Accomplit tes arrêts, et signale tes coups:

Tu rebutes un cœur profané par le crime,
D'une flamme insensée odieuse victime.
Heureux, je te fuyais, et sans te consulter;
Malheureux, dans tes bras j'ai couru me jeter.

Plein de mon désespoir et de mon infortune,
Je ne te consacrais qu'une vie importune.
Privé de mes plaisirs, mortel présomptueux,
Je couvrais ma douleur d'un dehors vertueux;
Et quand je paraissais te faire un sacrifice,
Je me vengeais du monde et de son injustice.
Caché dans un désert, je nourris le poison
Dont le charme imposteur offusque ma raison.
Insensé que je suis ! je m'aveugle moi-même ;
Je crois n'aimer que Dieu, c'est vous seule que j'aime.
Que n'ai-je point tenté pour dérober mon cœur
Aux attraits dangereux d'un penchant trop flatteur!
J'ai cherché loin de vous une retraite obscure;
Mes soupirs et mes pleurs y font ma nourriture;
Pâle, défiguré, le sein meurtri de coups,

Je m'arme contre moi pour m'armer contre vous.
Privé de la lumière, enterré sous la cendre,

Au fond de mon tombeau vous vous faites entendre.
Je vous trouve par-tout. Attachée à mes pas,
Votre image me suit avec tous vos appas.

Quelquefois je succombe aux transports qui m'agitent.
Sur les bords de la mer mes pas se précipitent.
Mon cœur, à cet aspect, reprend de nouveaux feux :
Hélas! tout renouvelle un amour malheureux.

Si les vents apaisés, d'une légère haleine
Aplanissent les flots de la liquide plaine,
Ce calme m'attendrit, et retrace à mon cœur
De nos premiers destins le calme et la douceur.

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Ma peine se dissipe, et ma gloire passée
Vient, dans tout son éclat, s'offrir à ma pensée.
Je vois ces jours heureux, où, par mille plaisirs,
Le complaisant amour prévenait nos désirs :

Je vois encor vos yeux, pleins de trouble et de flamme,
S'attacher sur les miens, pénétrer dans mon âme.
J'entends de nos soupirs le murmure confus...
Douce tranquillité! déjà vous n'êtes plus.
La mer gronde; la vague écumante, irritée,
Par le fier aquilon jusqu'au ciel est portée.
Le matelot pâlit, le pilote étonné

Des horreurs de la mort chancelle environné ;.
Et tantôt aux enfers, et tantôt sur la nue,
Le vaisseau fracassé disparaît à ma vue.
Alors contre les flots faisant un vain effort,
Je vois des malheureux dévoués à la mort;
Par l'onde revomis, leurs corps, sur le rivage,
Du féroce Neptune assouvissent la rage.
A ce spectacle affreux mon esprit est troublé;
Mon désespoir s'irrite, et j'en suis accablé.
Votre oncle, mes rivaux, ma disgrâce mortelle,
Tout porte dans mon cœur une rage cruelle;
Et mes feux irrités s'échappant malgré moi,
Mes plaintes et mes cris remplissent tout d'effroi ;
Aux plus noires fureurs ma fureur m'autorise ;
A tout ce que je vois je demande Héloïse :
Je pleure, je m'agite, et jamais à mes maux
Le tranquille sommeil n'apporte de repos:

Plein de mon désespoir et de mon infortune,
Je ne te consacrais qu'une vie importune.
Privé de mes plaisirs, mortel présomptueux,
Je couvrais ma douleur d'un dehors vertueux;
Et quand je paraissais te faire un sacrifice,
Je me vengeais du monde et de son injustice.
Caché dans un désert, je nourris le poison
Dont le charme imposteur offusque ma raison.
Insensé que je suis ! je m'aveugle moi-même;
Je crois n'aimer que Dieu, c'est vous seule que j'aime.
Que n'ai-je point tenté pour dérober mon cœur
Aux attraits dangereux d'un penchant trop flatteur!
J'ai cherché loin de vous une retraite obscure;
Mes soupirs et mes pleurs y font ma nourriture;
Pâle, défiguré, le sein meurtri de coups,

Je m'arme contre moi pour m'armer contre vous.
Privé de la lumière, enterré sous la cendre,

Au fond de mon tombeau vous vous faites entendre.
Je vous trouve par-tout. Attachée à mes pas,
Votre image me suit avec tous vos appas.

Quelquefois je succombe aux transports qui m'agitent.
Sur les bords de la mer mes pas se précipitent.
Mon cœur, à cet aspect, reprend de nouveaux feux :
Hélas! tout renouvelle un amour malheureux.
Si les vents apaisés, d'une légère haleine
Aplanissent les flots de la liquide plaine,
Ce calme m'attendrit, et retrace à mon cœur
De nos premiers destins le calme et la douceur,

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