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Ne me demandez point par quelle destinée
Dans un cloître, avant moi, vous fûtes confinée.
Que vous dire ? J'étais malheureux et jaloux,
Et je voulais que Dieu me répondît de vous.
Qu'un motif si bizarre, et si plein d'injustice,
Vous fasse de mes feux connaître le caprice;
Et si vous ne pouvez vous guérir par raison,
Employez le dépit à votre guérison.
Mais que peut le dépit, où ne peut rien la Grâce?
Si vous ne sentez point son attrait efficace,
En vain je vous exhorte; et mes vœux impuissans
Ne pourront élever votre esprit sur vos sens.
Seigneur, qui la formas si parfaite et si belle,
Ne voulais-tu qu'en faire une fille rebelle?
Ah! si pour t'apaiser il ne faut que mourir,
Abeilard à la mort vient lui-même s'offrir!

Il est temps de finir. Adieu, chère Héloïse;
Tâchez de soutenir votre sainte entreprise;
Priez pour votre époux ; il va, de son côté,
Du ciel sur son épouse implorer la bonté.
Ne me récrivez plus : que cette déférence
Me marque votre zèle et votre obéissance.

Adieu. Quand du trépas j'aurai senti les coups,
Je ferai transporter mon corps auprès de vous.
Chérissez ce dépôt : quand vous mourrez vous-même,
Venez dans le tombeau d'un époux qui vous aime.
Nous ne nous craindrons plus. Victimes de la mort,
L'amour fera sur nous un inutile effort.

Mais où vais-je ? Et pourquoi moi-même aigrir ma peine?

Pourquoi me rappeler mon amour et sa haine?
Ministre des autels, pourquoi dans ce récit,
Écarté-je de Dieu mon cœur et mon esprit ?
A lui seul attaché, j'ai dû vous laisser croire
Que sur vous, que sur moi j'ai gagné la victoire.
Qu'avons-nous de commun? Nos liens sont finis.
Pouvons-nous l'un à l'autre être encor réunis?
Parlez; qu'espérez-vous des souhaits que vous faites?
Songez-vous qui je suis? songez-vous qui vous êtes?
Voulez-vous qu'oubliant mon devoir, mon honneur,
J'aille encore à vos pieds porter ma folle ardeur?
Ne frémissez-vous point d'un dessein si terrible?
Nous nous retrouverions, vous faible, moi sensible.
Ah! si l'amour, plus fort que mon éloignement,
Fait sentir à mon cœur un si cruel tourment,
Pourrais-je, près de vous, soustraire à sa puissance
Ce cœur qui ne saurait le vaincre par l'absence?
C'est trop entretenir notre commune erreur;
Nés pour aimer, aimons; mais aimons le Seigneur.
Il veut être l'objet de l'amour le plus tendre;
Il demande nos cœurs. Cessons de nous défendre;
Il les mérite seul; nous le savons. Hélas!

Malheureux ! pourquoi donc ne les donnons-nous pas ?
Quelle excuse apporter à notre extravagance?
Et que lui dirons-nous au jour de sa vengeance?
Après tout, vous devez me craindre et me haïr,
Et, si je vous cherchais, m'éviter et me fuir.

Ne me demandez point par quelle destinée
Dans un cloître, avant moi, vous fûtes confinée.
Que vous dire? J'étais malheureux et jaloux,
Et je voulais que Dieu me répondît de vous.
Qu'un motif si bizarre, et si plein d'injustice,
Vous fasse de mes feux connaître le caprice;
Et si vous ne pouvez vous guérir par raison,
Employez le dépit à votre guérison.
Mais que peut le dépit, où ne peut rien la Grâce?
Si vous ne sentez point son attrait efficace,
En vain je vous exhorte; et mes voeux impuissans
Ne pourront élever votre esprit sur vos sens.
Seigneur, qui la formas si parfaite et si belle,
Ne voulais-tu qu'en faire une fille rebelle?
Ah! si pour t'apaiser il ne faut que mourir,
Abeilard à la mort vient lui-même s'offrir!

Il est temps de finir. Adieu, chère Héloïse;
Tâchez de soutenir votre sainte entreprise;
Priez pour votre époux ; il va, de son côté,
Du ciel sur son épouse implorer la bonté.
Ne me récrivez plus : que cette déférence
Me marque votre zèle et votre obéissance.

Adieu. Quand du trépas j'aurai senti les coups,
Je ferai transporter mon corps auprès de vous.
Chérissez ce dépôt : quand vous mourrez vous-même,
Venez dans le tombeau d'un époux qui vous aime.
Nous ne nous craindrons plus. Victimes de la mort,
L'amour fera sur nous un inutile effort.

J'en serai plus célèbre ; et vos cendres glacées

Pourront auprès de moi, sans crime, être placées.

ABEILARD.

SECONDE LETTRE

D'HÉLOISE A ABEILARD.

QUEL

UEL nouveau coup de foudre ! et que viens-je d'entend r
Je ne vous verrai plus! Vous pouvez me l'apprendre,
Cruel! Vous m'ôtez tout, et c'est pour votre cœur
Un barbare plaisir de combler ma douleur !
N'était-ce pas assez, qu'aux pleurs abandonnée,
A vivre loin de vous je fusse condamnée?

Que, plaintive, mourante, en proie à mes désirs,
Ce cloître nuit et jour entendît mes soupirs?
N'était-ce pas assez, qu'à la fleur de mon âge
Vous m'eussiez imposé le plus rude esclavage?
Pourquoi d'un doux espoir m'envier les douceurs,
Et verser sur mes jours de nouvelles noirceurs?
Croyez-vous donc, ingrat, que ma faible constance
Résiste encor long-temps à votre indifférence,
de vos raisons le frivole secours,

Et

que

De mes vives douleurs puisse arrêter le cours?
Non. Votre changement ne peut rien sur mon âme;
Plus vous êtes de glace, et plus mon cœur s'enflamme.

Mais enfin, mon amour devient un désespoir.
C'en est fait, et je veux ou mourir, ou vous voir.
Que fais-je dans ces lieux? Malheureuse et coupable,
J'aigris d'un Dieu vengeur le courroux redoutable;
J'amasse des trésors de crimes et d'horreurs;
Chaque jour, chaque instant ajoute à mes fureurs.
Je ne suis plus, hélas! cette épouse facile,

Qui baissait sous le joug une tête docile :
Victime de mes feux, je cède à leurs transports,
Et ne conserve plus d'inutiles dehors.

C'est trop jouer le ciel sous un masque hypocrite:
Si mon cœur est à vous, tout le reste l'irrite.
Dussé-je vous offrir un objet odieux,

Rien ne peut m'empêcher de paraître à vos yeux:
Vous ne me fuirez point. Au secours de mes charmes,
Au secours de mes feux j'appellerai mes larmes ;
Mes soupirs, mes sanglots fléchiront votre cœur ;
Vous me regarderez avec moins de rigueur;
Et, loin de condamner l'excès où je me livre,
Peut-être que sans moi vous ne voudrez plus vivre.
Vous songerez qu'unis par des nœuds éternels,
Nos vœux précipités sont des vœux criminels;
Que l'hymen a des droits sacrés, inviolables ;
Que vouloir les briser, c'est nous rendre coupables.
Je ne demande pas que, sensible à mes vœux,
Votre cœur s'attendrisse, et rallume ses feux,
Et que, pour dissiper la douleur qui me presse,
Vous confondiez en moi l'épouse et la maîtresse.
Héroïdes.

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