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>> Comme toi j'ai brûlé d'un feu sans espérance: » C'est dans la profondeur d'un éternel silence

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Que j'ai trouvé le terme à mes affreux tourmens. » Ici l'on n'entend plus les soupirs des amans ; » Ici finit l'amour, ses soupirs et ses plaintes; » La piété crédule y perd aussi ses craintes.

» Meurs, mais sans redouter la mort ni l'avenir : >> Ce Dieu que l'on nous peint armé pour nous punir,

» Loin d'allumer ici des flammes vengeresses,

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>> Assoupit nos douleurs, et pardonne aux faiblesses.» O mon Dieu! s'il est vrai, si telle est ta bonté, Précipite l'instant de ma tranquillité.

O grâce lumineuse! ô sagesse profonde !
Vertu, fille du ciel, oubli sacré du monde,
Vous qui me promettez des plaisirs éternels,
Emportez Héloïse au sein des immortels.

Je me meurs... Abeilard, viens fermer ma paupière;
Je perdrai mon amour en perdant la lumière :
Dans ces derniers momens viens du moins recueillir
Et mon dernier baiser et mon dernier soupir.

Et toi, quand le trépas aura flétri tes charmes, Ces charmes séducteurs, la source de mes larmes; Quand la mort de tes jours éteindra le flambeau, Qu'on nous unisse encor dans la nuit du tombeau; Que la main des Amours y grave notre histoire ; Et que le voyageur, pleurant notre mémoire,

Dise Ils s'aimèrent trop; ils furent malheureux:

:

Gémissons sur leur tombe, et n'aimons pas comme eux.

FRAGMENT D'UNE RÉPONSE

D'ABEILARD A HÉLOÏSE,

PAR COLARDEAU.

QU'AI-JE lu! qu'as-tu fait, malheureuse Héloïse!
Au joug de tes devoirs je te croyais soumise;
Je croyais que ton cœur, puni d'avoir aimé,
A de froids sentimens s'était accoutumé.
Moi-même, plus tranquille et dans la solitude,
Sous le poids de mes fers courbé par l'habitude,
Inconnu, séparé du reste des mortels,

N'adorant que le Dieu dont je sers les autels,
J'oubliais qu'Héloïse, aux larmes condamnée,
Achevait loin de moi sa triste destinée;
Je n'abandonnais plus mes esprits détrompés
Au regret des plaisirs qui me sont échappés,
Et je goûtais la paix que j'ai tant poursuivie.
Ton amour partagea le trouble de ma vie :
Il était juste aussi que ton cœur généreux
Pût jouir d'un repos nécessaire à tous deux.
Je t'écris... je me peins dans cet état paisible
Qui suit l'épuisement d'une âme trop sensible,

Et ma froide raison t'invite à partager
Les trompeuses douceurs d'un calme passager...
Héloïse! Héloïse!... ah! quelle est ta réponse!
Le repos m'abandonne et ma rage y renonce;
La flamme qui te brûle a ranimé mes feux :
Oui, je t'aime... et t'aimer est un supplice affreux !
Trop déplorable amante, ô ma chère Héloïse!
De mon amour troublé pardonne ma surprise;
Indigne d'être aimé j'ai douté de ton cœur:
Pouvais-je me flatter d'inspirer tant d'ardeur,
Moi qui, sous le fardeau d'une vie importune,
N'ai plus de sentiment que pour mon infortune;
Qui redoutais surtout de réveiller en toi
Un amour désormais inutile pour moi?
Ce n'est plus ce mortel dont l'ardeur dévorante
Se rallumait sans cesse aux feux de son amante,
Et qui, plein d'un amour accru par les désirs,
Sut t'en prouver l'excès par l'excès des plaisirs.
Hélas! tu le sais trop! le ciel dans sa vengeance,
Le ciel ne m'a laissé qu'un reste d'existence.
Ménagemens cruels autant que superflus!
J'existe pour sentir que je n'existe plus!

O mort! m'as-tu frappé sans pouvoir me détruire?
L'homme est anéanti dans l'homme qui respire;
Et de l'humanité ce qui survit en moi
Fait rougir la nature et la glace d'effroi.
Image affreuse, hélas! que tu m'as retracée!...
Grains-tu qu'elle n'échappe à ma triste pensée?

Tu me crois donc heureux par mes propres malheurs? Va, mes lâches bourreaux et tes persécuteurs,

En flétrissant les sens de leur faible victime,

N'ont pu dénaturer le cœur qui les anime :

C'est au fond de ce cœur qu'ils devraient te chercher;
C'est ce cœur, en un mot, qu'il fallait m'arracher.
Depuis l'instant cruel où, dans sa rage extrême,
Le sort m'a pour jamais séparé de moi-même,
Toujours enseveli dans l'ombre des déserts,
J'ai dérobé ma honte aux yeux de l'univers;
Et toi-même, Héloïse, abandonnant ce monde,
Tu cachais ta douleur dans une nuit profonde.
J'ai cru que devant Dieu ton cœur humilié
Oubliait un amant digne d'être oublié ;

Et qu'enfin, ramenée à ton indifférence,

Tu vivais plus tranquille au sein de l'innocence.

Je l'ai cru... Cette idée, en des temps plus heureux,
Aurait livré mon âme à des tourmens affreux :
Aujourd'hui je voudrais qu'elle adoucît ma peine;
Mon cœur à ton amour préférerait ta haine.
Vois combien cet amour accroît mon désespoir!
Déjà docile au joug d'un rigoureux devoir,
J'embrassais sans efforts des vertus mercenaires :
Dieu même, plus sensible à mes larmes amères,
Au pied de ses autels, dans le sein de la paix,
Sur mon cœur affligé répandait ses bienfaits!
Je me flattais enfin que sa main consolante
Versait les mêmes dons sur ma plaintive amante...

Héroïdes.

6

Douce et trompeuse erreur dont j'ai trop peu joui!
Mou bonheur commençait, il s'est évanoui!
Ta lettre, cette lettre où ton âme exprimée
A peint toute l'ardeur dont elle est consumée,
Cette lettre brûlante a porté dans mes sens
Ces désirs autrefois si vifs et si puissans...
Trop cruelle Héloïse! ah! pourquoi ta tendresse
N'a-t-elle pas du moins ménagé ma faiblesse?
Pourquoi montrer encore à mes yeux entr'ouverts
L'image de ces biens qui me furent si chers;
Et pourquoi rappeler à mon âme sensible
D'un bonheur qui n'est plus le souvenir horrible?
Toi-même tu l'as dit; ton malheureux amant,

Par ses persécuteurs privé du sentiment,

N'est plus qu'un spectre vain, n'est plus qu'une ombre errante,
Désormais insensible aux baisers d'une amante :
Et cependant, en proie à tes brûlans désirs,
Ton cœur à cet amant demande des plaisirs!
Tu brûles de le voir, quand sa vue importune
Ne peut que te montrer toute son infortune!
Quand lui-même, pressé par tes embrassemens,
Ne pourrait dans tes bras sentir que des tourmens !
Epargne à tous les deux ce supplice barbare:
L'excès de ton amour et t'abuse et t'égare....

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