<< Et dans l'Apocalipse, l'ange arrête saint Jean qui « voulait l'adorer, et lui dit (1): << Gardez-vous de le faire car je suis serviteur «< comme vous, et comme vos frères les prophètes, <«<et comme ceux qui observent les paroles de ce « livre. Adorez Jésus, votre Seigneur (2). « Quelle est donc la patience du Seigneur Jésus, << que lui qu'on adore dans le ciel ne soit pas encore vengé sur la terre? Pensons à sa patience, mes « très chers frères, lorsque nous sommes dans la persécution et dans les souffrances. Rendons un hommage entier à son avénement; et que des ser<< viteurs ne soient pas assez hardis pour vouloir se venger avant leur maître. Travaillons plutôt à cor« server une patience invincible, afin que, lorsque le « jour de la colère et de la vengeance viendra, nous ne soyons pas punis avec les pécheurs, mais glori« fiés avec ceux qui craignent Dieu! » Il semble évident que cet ouvrage fut composé à l'occasion du peu de ménagement qu'avait eu l'évêque de Rome pour celui de Carthage. Il est fâcheux qu'une dispute élevée sur un objet important à la vérité, mais assez facile à éclaircir, ait divisé deux Églises telles que l'Église de Rome et celle d'Afrique. Celle-ci paraît avoir été très bien organisée du tems de saint Ciprien. Peut-être excita-t-elle l'envie de l'Église ro (1) Apocalypse, XXII, 9. (2) Saint Ciprien écrit Jesum Dominum adora. La Vulgate dit: Adora Deum. maine, et ce fut à cette occasion que saint Ciprien composa l'ouvrage suivant qui fut publié dans le même tems. Il est assez facile de reconnaître qu'Étienne y est désigné quoique très indirectement, et avec la plus grande modération. Traité de la Jalousie et de l'Envie (1). 256. CLVIII. « Quelques-uns s'imaginent, mes très « chers frères, que ce n'est pas un grand péché d'en« vier le bien d'autrui; et parce qu'ils le croient << peu important, ils y font peu attention, et ne se « mettent pas en peine de l'éviter. Cependant Notre Seigneur nous commande d'être prudens et vigilans, de crainte que notre adversaire, qui veille toujours et nous dresse continuellement des em« bûches, ne se glisse adroitement dans notre cœur, « et, d'une étincelle, n'allume un grand embrasement: a de crainte, je le répète, que tandis que, nous re<< posant trop sur un calme apparent, nous ne nous « tenons pas sur nos gardes, il n'excite tout à coup « une tempête qui nous mette en danger de faire naufrage. Il faut donc veiller sur nous, mes très (1) De zelo et livore. Je ne comprends pas trop pourquoi Lombert ne met, dans le titre de sa traduction, que DE L'ENVIE. chers frères, et employer tous nos efforts pour re« pousser les flèches que l'ennemi lance contre nous « de tous côtés, selon cet avis salutaire que l'apôtre <<< saint Pierre nous donne dans son épître (1) : Soyez sobres et veillez; car le démon votre en« nemi tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer. « Il tourne autour de chacun de nous comme un « ennemi qui assiége une place pour reconnaître les « endroits les plus faibles, et tâcher d'entrer par là. Il présente à nos ieux des objets agréables pour « détruire la chasteté par la vue. Il tente nos oreilles « par des musiques délicieuses, afin de relâcher notre courage et notre rigueur. Il porte notre langue à «< dire des injures, et nos mains à commettre des « meurtres. Il nous présente des gains injustes et des « voies courtes de nous enrichir pour nous perdre " par l'amour de l'argent. Il nous promet les hon«neurs de la terre pour nous ravir ceux du ciel. Il « nous vante de faux biens, pour nous arracher les véritables; et lorsqu'il reconnaît qu'il ne peut nous « surprendre par ses artifices, il a recours aux mea naces, et tâche de nous effrayer par la crainte des persécutions; toujours actif et inquiet pour perdre «<les serviteurs de Dieu; rusé dans la paix, violent << dans la persécution. « C'est pourquoi, mes très chers frères, nous de«<vons être également armés contre ses artifices et (1) Première épître de saint Pierre, V, 8. «< contre ses menaces, et toujours aussi prêts à lui ré« sister qu'il est prêt à nous attaquer. Mais, parce qu'il << nous combat plus souvent par ruses qu'à force ou<< verte, et que les blessures qu'il nous fait sont d'autant plus dangereuses qu'elles sont cachées, c'est principalement à celles-là qu'il faut prendre garde. Or, de ce << nombre sont l'envie et la jalousie. Car, si l'on con« sidère bien ces vices, on reconnaîtra qu'il n'y en a «< point qu'un chrétien doive éviter plus rigoureuse« ment, parce qu'il n'y en a guère de plus imperceptibles, ni qui nous fassent plutôt nous fassent plutôt périr sans que << nous l'apercevions. « Et afin que cela paraisse plus évidemment, re<< montons à l'origine de l'envie, et voyons quand et <«< comment elle a commencé. Car il nous sera plus << aisé de nous garantir d'un mal si pernicieux, lorsque << nous en connaîtrons la naissance et la grandeur. « C'est cette malheureuse passion qui, dès le com« mencement du monde, fut cause que le diable se perdit lui-même et qu'il entraîna l'homme dans sa << chute. Car cet esprit angélique, auparavant si glorieux et si chéri de Dieu, voyant l'homme créé « à son image, en conçut une maligne jalousie, et << par là il tomba lui-même avant de le faire tomber; << il devint captif avant de le réduire en captivité, et << ne le fit déchoir de son immortalité qu'après être « déchu lui-même de sa gloire. Que ce crime est grand, mes très chers frères, puisqu'il a pu précipiter l'ange du haut du ciel, qu'il a renversé une <«< créature si noble et si excellente, qu'il a trompé «< celui qui trompe les autres! C'est de là que l'envie «< est venue sur la terre, et qu'elle tue tous ceux qui << se rendent en cela les imitateurs du diable, sui« vant cette parole de l'Écriture (1) : « La mort est entrée dans l'univers par l'envie de << Satan, et ceux qui sont de son parti l'imitent. « Telle fut la source de cette haine que conçut au« trefois un frère contre son frère; par là com« mencèrent d'exécrables parricides; lorsque Caïn « fut animé de jalousie contre le juste Abel (2), lors« qu'un méchant homme, conduit par cette passion, « forma un dessein criminel contre un homme de « bien, la fureur de l'envie le transporta tellement << qu'il ne put être arrêté ni par l'amour fraternel, << ni par la crainte de Dieu, ni par l'énormité du « crime, ni par la punition qu'il en devait attendre. « Celui qui le premier avait montré le chemin de la « justice est injustement meurtri; celui qui ne con<< naissait pas la haine en ressent la cruauté; et l'on << massacre barbarement celui qui se laisse égorger << comme un agneau. C'est l'envie aussi qui fut cause « de l'inimitié d'Ésau contre Jacob (3), et il ne le per« sécuta que parce qu'il était envieux de la bénédic<tion que Jacob avait reçue de son père. Les frères « de Joseph de même (4) ne le vendirent que par une ༥ (1) Livre de la Sagesse, II, 24. (2) Genèse, IV, 5. (3) Genèse, chap. XXVII, 41. (4) Id., XXXVII, 18. |