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tendre aux extrémités des Gaules, et déjà les peuples qui habitent au pié des Pirénées avaient reçu la doctrine des apôtres, lorsque sous le consulat de Décius et de Gratus, l'an 250 de notre ère (1), Toulouse reconnut Saturnin pour son premier évêque. A la vérité, les chrétiens étaient encore en petit nombre dans ces belles provinces de l'empire romain; le Dicu du Ciel y avait peu de temples, pendant que l'on voyait dans toutes les villes fumer les autels et couler le sang des victimes en l'honneur des faux dieux. Mais Saturnin commença à détruire leur culte impic dans sa ville épiscopale; il leur imposa silence, fit cesser leurs oracles, dévoila les mistères d'iniquité, et l'on vit en peu de tems la foi des chrétiens, soutenue par la parole de leur saint pasteur, éclairée par sa piété, prendre le dessus sur le culte des idoles. Ce fut ainsi que la religion de Jésus-Christ s'établit sur les ruines d'une religion absurde.

Le saint évêque était obligé, pour aller à une petite église qu'il avait fait bâtir, de passer devant le Capitole. Car il y avait dans les principales villes de l'empire des temples bâtis sur le modèle du Capitole de Rome, et qui en portaient le nom (2). C'est ce que j'ai déjà observé pour Carthage. Les démons qui habitaient ce

(1) C'est l'époque de ce consulat. Dom Ruinart l'a reportée sans motifs à l'an 245; et Drouet de Maupertuy, entraîné par cette autorité, admet ici un doute qui n'a pas de fondement solide. Voyez ce que j'ai dit sur ce sujet au tome xvi, p. 426.

(2) Id. Observation du traducteur, p. 589.

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superbe temple, disent toujours les Actes (1), ne purent souffrir la présence de l'homme de Dieu; ils furent contraints de reconnaître la puissance de Jésus-Christ, que Saturnin exerçait sur eux, et leurs vains simulacres, reprenant leur nature, ne rendirent plus de réponse, au grand étonnement de ceux qui les consultaient.

L'alarme se met aussitôt parmi leurs prêtres; cette nouveauté les confond; ils se demandent les uns aux autres d'où peut provenir un silence si peu ordinaire à leurs dieux.: qui peut leur avoir ainsi fermé la bouche? ces dieux sont-ils en colère ou absens? d'où vient qu'insensibles aux prières qu'on leur adresse, ils n'écoutent pas même la voix de nos ministres? On a beau leur immoler des victimes, en vain le sang des taureaux coule à grands flots devant leurs autels; rien n'est capable de leur rendre la parole: ils sont sourds et muets.

Quelques personnes, peu affectionnées à la nouvelle religion, vont trouver ces prêtres; ils les avertissent. qu'il paraît depuis quelque tems on ne sait quelle secte, qui fait profession d'être ennemie des dieux immortels; qu'elle a juré leur ruine, et qu'elle n'a en vue que de substituer à leur place un autre Dieu qu'elle adore. Qu'un certain Saturnin est le chef de cette secte à Toulouse; que cet homme passe souvent devant le Capitole, et que sa vue semble insulter aux dieux qui y font leur demeure. Cette vue

(1) Id., p. 192.

les a sans doute irrités, et il y a beaucoup d'apparence que telle est la cause de leur silence. Il n'y a qu'un moyen pour les arrêter : c'est de mettre à mort cet impie.

O aveugle furie, s'écrient les Actes (1)! ô malheureuse erreur! comment as-tu pu persuader à des esprits raisonnables, qu'un homme puisse faire peur à des dieux, et que, pour éviter sa présence, ces pauvres divinités, éperdues et tremblantes, se bannissent de leurs temples? Misérables que vous êtes, pourquoi donc cherchez-vous à tuer cet homme? allez plutôt l'adorer certes il mérite mieux vos hommages que ces dieux qui tremblent devant lui. Ne voyez-vous pas qu'ils le reconnaissent pour leur maître? Du moins il les traite comme ses esclaves. Quelle extravagance de craindre ceux qui craignent, et de ne pas craindre celui qui se fait craindre!

Cependant les esprits sont agités de divers mouvemens: les uns sont surpris de cet événement; les autres plaignent leur malheur, et regrettent l'éloignement de leurs dieux, ou redoutent leur colère. Le peuple s'avance, curieux de savoir la cause de ce prodige. On dispose tout pour un sacrifice extraordinaire; un taureau est choisi entre cent des plus beaux : c'est une victime digne d'être offerte à Jupiter, et il n'y a personne qui n'espère qu'à ce coup les dieux, charmés de la beauté du sacrifice, retourneront à leur ancienne demeure, et romprout enfin

(1) Id, p. 193.

leur long et opiniâtre silence. Tout était prêt, et l'on allait commencer, lorsque quelqu'un de la troupe, ayant aperçu Saturnin qui allait à sa petite église, pour l'office du jour (c'en était un solennel), s'é

cria:

<< Voici l'ennemi de nos dieux qui vient, le chef « de la nouvelle religion. C'est cet homme qui prêche << partout que nos dieux sont des démons, et qu'il «< faut abattre leurs temples; c'est lui qui empêche « les oracles de parler, et de nous donner aucune ré«ponse. Les dieux nous le livrent tout à propos, et «< il ne tiendra qu'à nous de nous venger du tort qu'il nous fait, et de venger aussi nos dieux de l'injure qu'ils reçoivent. Il faut, ou qu'il leur << donne sa vie pour les satisfaire, ou de l'encens « pour les apaiser.

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Il dit, et en même tems cette multitude, échauffée par ce discours séditieux, environne le saint évêque. Il se voit tout à coup abandonné par un prêtre et deux diacres qui l'accompagnaient, et sur l'heure même mené au Capitole. On le pressa de sacrifier aux idoles; mais élevant sa voix, il dit : « Je n'adore qu'un Dieu, qui est le seul et véritable Dieu, et je suis prêt à lui immoler des victimes de louanges. << Pour vos dieux, ce ne sont que des démons, qui << prennent beaucoup plus de plaisir au sacrifice de «< vos âmes qu'à ceux de vos taureaux. Au reste, << comment voulez-vous que je les craigne, vous qui << avouez qu'ils craignent devant moi? >>

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Ces paroles, prononcées avec tout le zèle d'un

homme apostolique, achevèrent de mettre ce peuple en fureur. On prend le taureau qui était destiné pour le sacrifice, et on le fait servir à un ministère de cruauté on lui passe autour des flancs une corde dont on laisse pendre un bout; on y attache Saturnin par les piés; puis à grands coups d'aiguillon on presse l'animal furieux. Il se précipite du haut du Capitole, et entraîne après lui le saint évêque; mais dès la première secousse, le crâne s'enfonce, et la cervelle répandue ensanglante les premiers dégrés du perron. Le corps est mis en pièces, et l'âme recouvre sa liberté. Jésus-Christ la reçoit, et la couronne de lauriers immortels (1).

Suite du martire de saint Saturnin.

CCVI. Le corps de saint Saturnin, privé de sentiment, et incapable de douleur, restait attaché au taureau, qui continua de le traîner jusqu'à ce que la corde venant à se rompre, il demeura étendu sur le sable, où on lui donna une sépulture telle que la conjoncture pouvait le permettre; car le peu de chrétiens qui étaient alors à Toulouse, n'osant, à cause des Gentils, rendre ces derniers devoirs à leur évêque, deux femmes, surmontant la faiblesse de leur sexe, et triomphant de celui des hommes, par une foi pleine de force et de générosité, méprisant, à l'exemple de leur saint

(1) Id., p. 194-196.

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