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et la littérature arabes ont pour origine et pour type le Coran; les peuples chrétiens ont la Bible, et, bon gré malgré, il faudra que la Bible refasse les littératures et les langues de l'Europe. Tout ce qui a été fait d'après les littératures mortes n'est plus que de l'archéologie. Ronsard, qui était poëte comme Pindare et comme Horace, a échoué parce qu'il a voulu perpétuer l'influence exclusive d'Homère sur les enfants de la Bible. Malherbe avait mieux compris le génie des langues modernes lorsqu'il écrivit sa belle ode biblique.

N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde.

Tout Malherbe et toute sa gloire sont dans cette ode, qu'on le sache bien. Comme tout Corneille est dans Polyeucte, tout Racine dans Athalie, tout Jean-Baptiste Rousseau dans les odes sacrées, et tout le XIX siècle dans le génie du Christianisme de Chateaubriand. Tous ces grands hommes ont été les précurseurs de la véritable littérature des temps modernes, et cette litérature aura pour autorité la Bible, pour modèle l'Evangile, et pour style celui des grands disciples de l'Evangile et de la vie. Voilà la vérité aussi évidente que le soleil. Aveugle serait celui qui se refuserait à la voir !

SULPICE SEVERE (saint), écrivain du Iv siècle, a été surnommé le Salluste chrétien, parce qu'il goûtait fort le style énergique et honnête de Salluste, et s'efforçait de l'imiter. On sait que Salluste était un Romain enrichi par des exactions et livré à tous les vices de son temps, qui a voulu tromper la postérité par des écrits pleins d'une sévérité et d'un stoïcisme affectés. Sulpice Sévère, riche

comme Salluste, mais réellement vertueux, sanctifia, en l'imitant, le style de son mo→ dèle: il est à regretter toutefois qu'un homme du talent de Sulpice ait puisé son éloquence à des sources si profanes, quand il avait à sa disposition la Bible et les saints Evangiles. On dit assez ordinairement dans les colléges que Sulpice Sévère et Lactance sont les seuls écrivains ecclésiastiques qui aient écrit en bon latin: c'est tant pis pour le latin, dont nous ne regrettons pas la pureté dans les chefs-d'œuvre de saint Augustin et de saint Ambroise. Sulpice Sévère à écrit une Histoire sacrée qui est remarquable comme monument du iv siècle, et une Vie de saint Martin correctement écrite. Il y fait ressortir avec assez de bonheur le grand caractère de ce saint évêque, qui faisait acception de personnes non d'après le rang, mais d'après le caractère et les vertus de ceux qu'il honorait. Il eut lui-même l'honneur d'être reçu par saint Martin à Tours, et de manger à sa table, grâce que le saint évêque n'accordait pas aux seigneurs de la cour des empereurs. Sulpice Sévère ayant omis beaucoup de choses importantes dans la Vie de saint Martin, y suppléa par des. dialogues où il fait raconter par Gallus, un des premiers disciples du saint évêque, ce qu'il avait omis en écrivant sa Vie. Ces dialogues de Sulpice Sévère sont plus estimés que la Vie même du saint, à laquelle ils servent du supplément. On trouve dans l'histoire sacrée de Sulpice Sévère quelques opinions erronées qui n'étaient pas encore condamnées par l'Eglise. à l'époque où il écri

vait..

T

TAULÈRE. Jean Taulère, de l'ordre des Frères Prêcheurs, vivait au commencement du XIVe siècle. C'était un prédicateur célèbre, un mystique profond, et les auteurs de la Bibliothèque des Pères lui donnent le titre de théologien sublime. Il a écrit la Vie de sainte Hildegarde, cette prophétesse illettrée dont les exhortations et les prédictions étonnèrent le x siècle, et remuèrent alors le monde chrétien. Taulère, dans l'introduction de cet ouvrage, résume les prophéties de la sainte, et y ajoute les siennes. Selon lui, les maux que l'Eglise a déjà soufferts ne sont rien en comparaison de ce qu'elle doit souffrir à la fin des temps, quand l'homme voudra se substituer à Dieu et quand l'esprit antichrétien aura séduit presque toute la terre. La persécution doit être alors d'autant plus mortelle que la foi et la charité seront affaiblies dans bien des

cœurs.

Il reste aussi de Taulère des lettres spirituelles, et c'est dans une de ces lettres qu'il

rapporte son célèbre dialogue avec un mendiant dont les réponses sont vraiment sublimes. Ainsi, à cette parole du docteur : « Mon ami, je vous souhaite le bonjour, »> le pauvre répond: « Merci; mais je n'en ai jamais eu de mauvais. - Et comment cela? Parce que je bénis Dieu de tout ce qui m'arrive, et je ne veux que ce qu'il veut. C'est pourquoi la faim, le froid, le mépris des hommes, sont encore pour moi du bonheur, puisque c'est lui qui me les envoie. Tout ce qu'il veut est bien.- Mais s'il voulait vous damner? Oh! je l'embrasserais alors si étroitement, que je l'entraînerais avec moi, car il ne m'empêcherait jamaïs de l'aimer et de me résigner humblement à son vouloir, et si j'étais dans l'enfer avec lui, l'enfer pour moi serait le ciel.»

Au chapitre 31 de ses Institutions, Taulère rapporte encore des paroles belles et touchantes, qui peuvent trouver place ici. Une vierge qui avait toujours mené une vie trèssainte, attendait paisiblement la mort, et

comme on lui demandait par quelles pratiques elle avait tâché pendant toute sa vie de marcher à la perfection, elle répondit: «Faire toujours du bien à ceux qui m'avaient fait du mal; aimer tout le monde comme moimême, ne jamais me plaindre et donner toujours, sinon de fait, du moins de cœur et de volonté. »

Les livres originaux de Taulère sont écrits en allemand gothique. On n'en trouve plus guère maintenant que les traductions latines. Il mourut en 1355.

TERTULLIEN, né à Carthage vers l'an 160, fils d'un soldat, élevé dans la licence des camps et dans les pratiques de l'idolatrie, à une époque de décadence, étant d'ailleurs d'un tempérament ardent et d'une imagination violente, se livra d'abord à tous les déréglements et à tous les vices. Le dégoût et la lassitude s'emparèrent de lui : il vit la constance des martyrs, il les entendit chanter au milieu des tortures, tandis que lui, il pleurait intérieurement au milieu des fêtes; il voulut être initié à cette doctrine, et, ayant reçu le baptême, il passa, suivant l'énergie de son caractère, d'une extrémité à l'autre, et fut excessif en vertu comme il l'avait été en débauches. On trouve toujours dans ses écrits quelque chose de violent et de dur, et les erreurs du montanisme où il tomba prouvent combien l'autorité est nécessaire à tout le monde, et aux hommes de génie peut-être plus encore qu'aux autres.

Le plus bel ouvrage de Tertullien est son Apologétique, dont nous avons parlé ailleurs (Voy. APOLOGIE); il avait écrit aussi avec force contre les hérétiques, lorsqu'il tomba lui-même dans l'hérésie avec cette inconséquence dont les grands hommes eux-mêmes ont donné plus d'un exemple.

THÉRÈSE (sainte), n'était pas seulement une grande sainte, c'était aussi une personne d'esprit et de génie, dont les ouvrages attestent la supériorité. Ses traités sur la vie intérieure sont bien pensés et chaleureusement écrits; ses lettres ont toute la grâce et toute l'élégance que pourrait mettre une femme du monde dans sa correspondance la plus soignée. Ses chansons spirituelles et ses cantiques ont un caractêre d'originalité qui les rend extrêmement remarquables; la poésie en est réelle et prend sa source dans une charité dont l'ardeur remplissait et dévorait l'âme de la sainte, Toute souffrante de son divin amour, mais plus divinement amoureuse encore de ses souffrances, elle priait Dieu de redoubler ou de finir son agonie, et n'exhalait vers lui qu'une prière en forme de plainte: << Seigneur! ou souffrir ou mourir!» Domine, aut pati aut mori!

Sainte Thérèse a créé un genre de poésie sacrée qui ressemble à notre ballade gauloise retournée, c'est-à-dire que le quatrain d'envoi, qui résume ordinairement la pièce toute entière dans nos vieilles ballades, se trouve, chez sainte Thérèse, placée au commencement, et sert comme de texte à un commentaire poétique que la sainte appelle

une glose. En disant qu'elle a créé ce genre, nous voulons dire seulement qu'elle y a excellé. Nous avons d'elle une glose de cc genre, dont Lamonnoye donné une traduction un peu trop paraphrasée, et que nous traduisons ici strophe pour strophe et vers pour vers, d'une manière sinon plus élégante, du moins plus exactę.

La Glose de sainte Thérèse.

TEXTE.

Je vis, mais sans vivre en moi-même Et n'attends un tel avenir

Que pour revivre en ce que j'aime, Je me meurs de ne pas mourir!

GLOSE.

1.

Cette union pure et célesto
De l'amour avec ma douleur
Rend un Dien captif de mon cœur
Lorsque la liberté me reste.
Mais les maux que me fait souffrir
L'amour d'un Dieu dans l'esclavage
Ont tant épuisé mon courage,
Que je meurs de ne pas mourir.

II

Ah! combien longue est cette vie!
Que le temps de l'exil est dur!
De quel poids le cachot obscur
Accable mon âme asservie!
Le jour qui doit me secourir
Et me réunir à mon père
Me rend la peine tant amère,
Que je meurs de ne pas mourir.
III.

Oh! que la vie est ennuyeuse
Loin des délices du Seigneur!
Si l'amour n'est pas sans douceur
Sa tristesse est bien douloureuse,
Puissent mes vœux bientôt finir,
Et Dieu soulager ma tendresse,
Car un si lourd fardeau m'oppresse,
Que je meurs de ne pas mourir,
IV.

Je vis avec la confiance
De me reposer dans la mort,
Et la fin de mon triste sort
Est le but de mon espérance.
O trépas! qui dois nous guérir
Pour une existence plus belle,
Ne tarde plus, viens, je t'appelle,
Car je meurs de ne pas mourir.

V.

Vois combien l'amour est sévère,
Cruelle vie, épargne-moi,
Car pour être à jamais à toi,
Je dois te perdre sur la terre!
Mais que tarde-t-elle à venir,
La mort à mes désirs si lente?
Qu'elle arrive la mort charmante,
Car je meurs de ne pas mourir.

VI.

C'est dans l'éternelle demeure
Que la vie a son vrai séjour ·
Pour y renaître il faut un jour
Qu'ici-bas sa vaine ombre meure.
Ne dédaigne pas mon désir,

O mort! deviens-moi complaisante!
Je ne puis vivre que mourante,
Car je meurs de ne pas mourir,

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Que puis-je donner davantage
A mon Maitre qui vit en moi,
Pour en jouir au prix de toi,
→ ma vie et mon esclavage!
En mourant je veux obtenir
Celui dont l'amour me dévore,
Puisque c'est lui seul que j'adore
Quand je meurs de ne pas mourir.
VIII.

Absente de toi, mes délices,
Quel peut être mon triste sort?
Que puis-je goûter que la mort
Parmi les plus cruels supplices?
Sur moi je me laisse attendrir
En voyant mon mal incurable,
Et je me sens si misérable
Que je meurs de ne pas mourir.
IX.

Le poisson tombé sur la terre

N'y sent pas de longues douleurs ;
De l'homme accablé de malheurs
Le trépas finit la misère :
Mais quelle mort puis-je souffrir
Plus triste que mon existence,
Et quel remède à ma souffrance
Quand je meurs de ne pas mourir!

X.

Si parfois mon cœur se soulage
En te voyant au sacrement,
Je soupire après le moment
Où tu seras mon seul partage;
Je te vois sans pouvoir jouir
Des délices de ta présence,
Et, pleine d'une autre espérance,
Je me meurs de ne pas mourir.

XI.

Dans cet espoir que je caresse,
Lorsque je pense avec horreur
Que je puis te perdre, Seigneur,
Je sens redoubler ma tristesse.
Dans l'attente c'est trop languir,
L'inquiétude est trop amère;
Car, espérant comme j'espère,
Je me meurs de ne pas mourir.
XII.

O mon Dieu, donne-moi la vie
En m'arrachant à cette mort!
D'un lien trop dur et trop fort
Ne me retiens plus asservie.
Pour te voir selon mon désir
Tu vois qu'à la mort je me livre,
Car sans toi je ne saurais vivre
Et je meurs de ne pas mourir.

XIII.

Je pleure la mort qui m'enchaine A la tristesse de mes jours; Je pleure les liens si lourds Des péchés qu'après moi je traîne.. Oh! quand dois-tu me secourir, Epoux vers lequel je soupire? Et quand vraiment pourrai-je dire Que je meurs de ne pas mourir? THOMAS A KEMPIS OU DE KEMPIS a passé longtemps pour être l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ, et la controverse à ce sujet n'a pas encore reçu de solution définitive. Quoi qu'il en soit, on peut trouver beaucoup de rapport entre le style de l'Imitation et celui du pieux Thomas de Kempis. Les

opuscules que nous avons de lui respirent un parfum si doux de piété angélique, il paraît si savant en spiritualité et si avancé dans les voies intérieures, que rien de trop parfait dans ce genre ne saurait lui être attribué. Son style peut être proposé comme le plus parfait modèle du genre qui convient aux ouvrages de dévotion. C'est la simplicité de l'Evangile, mais une simplicité qui paraît toute fleurie, tant elle est pleine d'affections saintes et colorée de toutes les nuances les plus variées et les plus suaves des sentiments que les âmes pures peuvent éprouver pour Dieu. Les titres seuls donnent une idée de la poésie mystique; un de ses petits livresest intitulé: La vallée des lis, et un autre : Le petit jardin des roses. Voici comment il y parle de la charité fraternelle.

« Ce que vous aurez fait à l'un de mes frères, c'est à moi que vous l'aurez fait. « Remarquez les paroles, scellez les mystères, imitez les exemples.

<< Celui qui subvient à son frère dans l'indigence tend la main à Jésus, et le retient pour empêcher qu'il ne tombe.

« Celui qui porte patiemment les charges. qui lui sont imposées porte sur ses épaules. Jésus blessé pour nous sur la croix.

<«< Celui qui répond à la tristesse de son frère par des paroles consolantes, donne un baiser de paix au visage éploré du Sauveur.

<< Celui qui plaint le coupable et demande grâce pour lui lave les pieds de Jésus et les essuie.

«Celui qui ramène la paix dans les âmes irritées prépare un lit de fleurs au divin Agneau.

«Celui qui, à table, donne la meilleure portion à son frère offre un rayon de miel aux lèvres du divin voyageur. »

C'est avec une doctrine semblable que la religion chrétienne a éternisé son empire dans les cœurs; et c'est avec de semblables paroles que de simples solitaires ont été plus éloquents que tous les sages et plus gracieux que tous les poëtes de l'antiquité. La charité! voilà le véritable nom de la muse chrétienne. Tout ce qu'elle inspire est beau à l'esprit et doux au cœur, car sa splendeur est la lumière de Dieu même, tempérée et adoucie pour les yeux des hommes, et son charme ne nous lasse jamais, car c'est l'attrait de nos destinées éternelles, et comme le sourire de Dieu qui nous convie à la béatitude impérissable (Voy. LIVRES DE PIÉTÉ). THOMAS D'AQUIN (saint). Voy. HYMNES, OFFICES.,

TRAGÉDIE. La tragédie est d'origine grecque et païenne, et n'a été, à son origine, qu'une extension du culte et la mise en action des grands symboles de la fable. Eschyle était tout à la fois un poëte et un hiérophante, et ses tragédies étaient des mystères. Sa trilogie de Prométhée enchaîné pour avoir donné le feu du ciel à ses statues était l'histoire prophétique du polythéisme. Prométhée, c'était le génie humain a qui des désirs inassouvis d'immortalité et de gloire rongeaient le cœur comme un vautour éter

nel. La vertu, qui immortalise les hommes, la vertu, que l'antiquité se représentait sous l'image grossière d'Hercule, devait un jour tuer le vautour dévorant, et délivrer Prométhée; alors Prométhée détrônerait Jupiter. Telles étaient les prédictions du génie des anciens Ages; mais l'Hercule vainqueur des monstres et vaincu par la volupté devait purifier d'abord son enveloppe matérielle dans les flammes d'un sacrifice volontaire, et mourir sur le sommet d'Eta pour revivre immortel. Ici s'arrêtaient les pressentiments d'Eschyle, qui semble avoir voulu donner un prologue humain à l'épopée divine du salut des hommes. Hercule était le dernier mot de la force humaine, c'était en quelque sorte le verbe de la chair. Aussi Hercule a-t-il posé les colonnes de l'ancien monde en écrivant non pour l'avenir, mais pour le passé, cette inscription qui est une digue: Nec plus ultra. Ici la poésie attend la prophétie, et le génie tend les bras vers le ciel dans l'attente de la révélation.

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Après Eschyle, la tragédie dégénéra, et de divine qu'elle était elle devint royale. On crut voir dans les malheurs des rois le résultat du conflit des dieux. Homère avait intéressé l'Olympe et le Ténare aux que relles d'Agamemnon et d'Achille. L'épopée d'Homère, qui était, si l'on peut parler ainsi, la Bible de l'ancienne Grèce, fut mise en actions et jouée sur la scène. Ce fut alors la seconde époque de la tragédie grecque illustrée par Sophocle et par Euripide.

Rome ne fit que répéter la Grèce, et n'eut proprement à elle ni théâtre ni épopée. Virgile avait imité Homère avec un grand génie sans doute; mais enfin ce n'était qu'un sublime imitateur. Aussi le trouvons-nous plus grand dans son églogue à Pollion que dans toute son Enéide: lå, du moins, il n'imite personne, et il semble deviner les prophètes. Le génie de Virgile n'inspira pas de grands tragiques, et ne fut pas traduit pour la scène avec autant de bonheur que celui d'Homère. La guerre de Troie fut éternellement le thème des poëtes dramatiques, et la source des inspirations sur cet intarissable sujet fut toujours les poëmes d'Homère. Enfin la Rome païenne tomba, la Bible remplaça Homère, et l'Evangile devint la grande épopée du nouveau monde. Lê théâtre dut alors commencer une nouvelle enfance; les représentations dramatiques se retrempèrent à leur source, c'est-à-dire dans les cérémonies du culte. On rejeta sur le théâtre ce qui sembla trop exubérant pour l'autel, et le spectacle devint, comme dans la Grèce d'Eschyle, un supplément au sacrifice. Les premiers comédiens chrétiens furent des moines et des prêtres, et l'on joua devant le peuple le grand drame de la Passion, comme on avait joué autrefois la fable philosophique

de Prométhée.

Le théâtre moderne est donc d'origine religieuse, et appartient de droit à l'Eglise, qui en a été repoussée par un retour au paganisme à l'époque de la renaissance. Les

mystères du moyen âge sont les véritables archives dramatiques des peuples chrétiens, et nos tragédies modernes sur la famille d'Atrée, la prise de Troie et autres sujets empruntés à Homère, ne doivent être considérées que comme des versions grecques et latines faites avec plus ou moins de talent. Il n'est pas inutile de faire des versions. lorsqu'on veut apprendre les langues, et l'étude des langues est utile au progrès des sciences. Nos, anciens mystères étaient informes, comme les idiomes dans lesquels ils étaient écrits; la renaissance, en exhumant les chefs-d'oeuvre de l'antiquité, rendit aux langues modernes le grand service de les enrichir de toutes les conquêtes du passé, et révéla aux écrivains chrétiens le secret des belles formes et des expressions élégantes. La poésie hellénique était tout humaine sans doute, et ne pressentait Dieu qu'en devinant la lumière spirituelle à travers le voile de la beauté physique. Mais la beauté physique n'est qu'un signe qui doit représenter la beauté morale, et à ce titre toutes les recherches de l'antiquité sur la forme devaient tourner au profit de l'idée chrétienne. Corneille et Racine le comprirent, lorsque, suivant les règles d'Aristote et les beaux exemples de Sophocle et d'Euripide, ils nous donnèrent enfin le mystère du moyen âge revêtu de toutes les splendeurs de la tragédie antique, et léguèrent à la littérature chrétienne ces deux chefsd'œuvre immortels qu'on appelle Athalie et Polyeucte.

Nous ne transcrirons pas ici l'analyse de ces admirables poëmes, parce qu'il nous semble inutile de la refaire et qu'on peut la trouver partout. Quant aux règles de la tragédie chrétienne, c'est d'après Athalie et Polyeucte qu'il faut les faire, en attendant qu'il ait paru quelque chose de mieux, ce qui pourra longtemps encore se faire attendre. (Voy. MYSTÈRES.)

TROPES.

Les tropes ou conversions de mots, du grec póños, n'appartiennent pas spécialement à la littérature chrétienne, et rentrent dans la généralité de l'enseignement littéraire. Il nous suffira donc d'en rappeler la nomenclature en peu de mots.

1o Prendre les êtres animés pour les êtres inanimés, et vice versa (catachrèse, métonymie, métaphore); 2° les bêtes pour les hommes (métaphore); 3° le matériel pour l'immatériel, et réciproquement (métaphore, métonymie); 4° le naturel pour l'artificiel, et vice versa (catachrèse, synecdoche); 5° la cause pour l'effet, et vice versa (métonymie); 6° le plus pour le moins (hyperbole), et réciproquement (litote); utrumque (synecdoche, antonomase; 7 l'antécédent pour le conséquent, et vice versa (métalepse).

Nous empruntons cette classification des tropes à l'excellent précis de rhétorique positive publié par M. Choppin d'Arnouville dans l'Encyclopédie portative.

VERSIFICATION.-Il n'entre pas dans notre plan de donner ici un traité de versification, et de répéter des règles générales qui d'ailleurs se trouvent partout. Nos remarques se borneront à tout ce qui peut être particulier à la littérature religieuse dans la versification en général.

Lorsqu'on traite en vers des sujets religieux, on ne saurait employer une versification trop pure ni trop correcte. Il faut cependant éviter la sécheresse et la roideur : car la beauté poétique, dans le genre religieux surtout, se compose do correction et de grâce.

S'il est un genre dans lequel les négligences ne sont pas permises, c'est incontestablement la poésie religieuse; mais nulle part aussi ne saurait être mieux à sa place une élégante et douce simplicité la versification doit être facile et n'avoir rien de trop recherché dans les formes.

La versification ne consiste pas seulement dans la mesure et dans la rime, mais aussi dans l'harmonie des sons, le choix et l'arrangement des mots. Des vers sans poésie ne seraient que de la prose rimée : il faut donc que l'harmonie des sons réponde à l'harmonie des idées.

La versification hébraïque a pour base le parallélisme poétique des idées, des mots et des sons, ce qui lui donne trois degrés d'harmonie dont nous ne pouvons apprécier d'une manière bien juste que les deux premiers, le troisième étant déterminé par une accentuation dont la valeur en quelque sorte musicale, échappe à l'oreille même des plus habiles hébraïsants.

Dans les autres langues anciennes, le mètre des vers est déterminé par les inflexions, régulières de la prononciation. En français, le nombre seul des syllabes, la suspension de l'hémistiche et le mélange régulier des rimes masculines et féminines sont les seules règles précises, et c'est ce qui rend les vers français plus difficiles à bien faire que les vers grecs ou latins, parce que le poëte, moins soutenu par la mesure, doit créer le rhythme et le nombre en choisissant lui-même les sons qui lui flattent l'oreille et qui sont en rapport avec les pensées qu'il exprime.

La versification française fixée par Racine dans Athalie, le chef-d'oeuvre de la littérature de notre nation, n'a pu subir, depuis le siècle de Louis XIV que des modifications peu importantes, et ces modifications sont des réformes. Ainsi, par exemple, on est maintenant beaucoup plus sévère en fait de rimes qu'on ne l'était au siècle dernier. La rime riche est maintenant de rigueur, et l'on trouverait insuffisantes certaines rimes même de Racine. En revanche, on tolère l'enjambement, lorsqu'il doit faire image, en rejetant au commencement du vers suivant un mot à effet qui appartient au sens du vers précédent.

V

Mais il ne faut se servir que bien rarement de cette licence. (Voy. CANTIQUES, HYMNES, Hymnes, POÉSIE.)

Le concile de Tours de l'an 813, en décidant que les évêques expliqueraient l'Ecriture sainte en langue vulgaire, donna lieu à quelques essais de traductions de la Bible qu'on mit en rimes, afin de les graver plus facilement dans la mémoire. Ce n'étaient que des ébauches informes, comme on peut en juger par ces quelques versets empruntés au livre des Rois: Cumque venisset arca fœderis Domini in castra, vociferatus est Israel clamore grandi, et personuit terra.

E cum l'arche vint en l'ost,
Li poples deu duna un merveillus cri
Que tute la terre rebundi.

Et audierunt Philistiim vocem clamoris, dixeruntque: Quænam est hæc vox clamoris magni in castris Hæbræorum? Et cognoverunt quod arca Domini venisset in castra.

Li Philistien virent cest cri

Et distrent quo deïst cest cri k'il funt en l'ost?
Apperceurent sei que l'arch' fud venue en l'ost.

Respondens autem ille qui nuntiabat, Fugit, inquit, Israel coram Philistiim, et ruina magna facta est in populo. Insuper et duo filii tui mortui sunt, Ophni et Phinees, et arca Dei capta est.

Les nos de l'ost s'en sunt enfuiz,
E laidement sunt descunfiz,
E mors sunt ambe-dons tes fiz
E l'arche deu i unt eil pris.

Après ces traductions rimées vinrent les chroniques également en rimes, et les chansons des troubadours; mais la versification ne prit pas avant le xir siècle une apparence de régularité et d'harmonie. En 1130, un chevalier, nommé Béchada, publia un poëme sur la prise de Jérusalem qui fit grand bruit à cette époque, et dont il ne nous reste rien. Peu de temps après parurent le roman du Chevalier du lyon et le Rou de Normandie; puis vinrent Hélinant, qui chantait ses vers à la table de Philippe Auguste, comme Démodocus ou Jopas aux banquets d'Alcinoüs et de Didon; et Alexandre de Paris, qui le premier fit usage du grand vers de douze syllabes auquel on a conservé depuis le nom de vers alexandrin, du nom de son inventeur, et aussi du nom du du poëme où il fut employé pour la première fois; car Alexandre de Paris donna son nom à son poëme allégorique, ou prit peut-être lui-même le nom de son poëme. L'Alexandre dont il est question dans cette composition bizarre n'est pas le conquérant Macédonien, mais bien Philippe Auguste sous le nom d'Alexandre. Voici comment l'auteur nous représente son confrère en poésie, Hélinant chantant ses vers à la table de Philippe :

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