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D'après ce qui précède, on voit que les quatre Lettres dont nous donnons la traduction, sont autant historiques que dogmatiques. Il nous a paru intéressant et utile de les joindre à la Dissertation sur l'Autorité du Souverain Pontife avec laquelle elles ont un assez étroit rapport, puisqu'elles ont précédé cette Dissertation et qu'elles présentent, en quelque sorte, la mise en pratique de la doctrine de Fénelon sur le grave sujet qu'il a traité avec tant de lucidité et un si noble désir d'amener la paix. Au reste, cette publication aura aussi cet avantage d'offrir, à l'exception de quelques autres écrits contre le jansénisme, la traduction des œuvres théologiques que l'immortel archevêque a composées en latin.

Ajoutons que, dans les Lettres qui suivent, nous donnons comme nous l'avons fait dans la Dissertation, des Notes ou des indications, lorsque cela nous paraît nécessaire pour l'intelligence du texte, ou pour l'utililé des lecteurs.

L. F. GUERIN.

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LETTRE PREMIÈRE

AU TRES-EMINENT CARDINAL GABRIELLI.

Cambrai, 12 Mai 1704,

TRÈS-EMINENT SEIGNEUR,

J'espère que votre Eminence me pardonnera facilement de lui ouvrir en secret le fond de mon cœur au sujet d'une chose qui intéresse vivement l'honneur de l'Eglise, encouragé que je suis par votre bienveillance singulière dont j'ai éprouvé depuis longtemps les effets.

Les jansénistes sèment partout avec l'orgueil du triomphe un catalogue imprimé où se lisent les titres des ouvrages nouvellement condamnés par l'Index. On y trouve la censure de l'Université de Louvain contre la résolution du Cas de conscience, par quarante docteurs de Paris, laquelle censure m'a paru peu claire, pour ne pas dire peu correcte. J'ai été affligé, j'en conviens, j'ai été vivement ému de voir ainsi frapper de pieux défenseurs de la saine doctrine. S'il leur est échappé quelque parole imprudente, on leur devait certaine indulgence, à eux qui depuis longtemps portent le poids du jour et de la chaleur, et s'appliquent de tout leur cœur à soutenir l'autorité de l'Eglise. C'est pourquoi les jansénistes, ennemis déclarés du Saint-Siége,

1 Cette Censure est insérée dans la Collection des jugements, etc., par d'Argentré, tom. 1, part. 11, pag. 597, etc.

se décernent les honneurs d'une magnifique ovation. On pense communément que cela est arrivé par l'industrie et l'artifice du docteur Casoni, assesseur du Saint-Office, que cette faction pétulante se vante d'avoir pour protecteur.

Bien plus, pour relever les esprits abattus de leurs partisans, ils annoncent ouvertement1 que les mandements* des évêques de Chartres et de Noyon vont bientôt être frappés de la même censure, parce que ces prélats qui parlent beaucoup d'infaillibilité de l'Eglise, ne disent pas un mot de celle du Pape. L'objet de leurs vœux ardents est de rendre odieuse l'autorité du Saint-Siége et de l'accuser de tyrannie. Ce sont ces bruits déjà répandus au loin qui me forcent de placer ici quelques observations.

1. Le roi très-chrétien a, dès sa plus tendre enfance, appris à respecter et à vénérer profondément le SaintSiége, ce qui pourtant ne l'empêche pas de penser que la puissance royale serait en grand danger s'il laissait pénétrer dans son royaume tant soit peu l'opinion de l'infaillibilité du Pape. Toutes les cours suprêmes, appelées parlements, ont pour elle la même aversion. Ainsi pensent

1 Pour venger ce jugement du Saint-Office le cardinal Gabrielli dans sa réponse du 5 juillet 1704 fait quelques observations importantes: « Très souvent, dit-il, il arrive que pareilles censures sont marquées >> d'un thêta noir, parce que leurs auteurs entraînés contre une erreur >> par la droiture de leurs intentions, tombent involontairement dans » l'erreur contraire ou une semblable, ou se laissent emporter à des » reproches et à des malédictions, ou par des digressions intempes>>tives vengent leurs intérêts privés avec une plume trempée dans le » fiel, ou défendent la bonne cause par des moyens illicites et réprou>> vés. » On trouvera cette réponse entière parmi les Lettres diverses, dans la correspondance de Fénelon, édition de Versailles.

2 Il s'agit ici des Mandements que ces prélats comme la plupart des évêques français avaient publiés contre le cas de conscience.

tous les conseillers royaux, tous les prélats des Gaules, et à quelques exceptions près, tous les docteurs et savants. Aussi, si quelqu'un glissait cette doctrine même indirectement, aussitôt il serait condamné d'un commun accord par tous les ordres de la nation 1. Tout le monde voit donc que cette assertion, loin de servir à défendre l'autorité du Pape, ne peut que lui être très-nuisible.

2o Qu'il me soit permis de vous dire sans vous blesser, très-éminent Seigneur, et sans manquer au respect dû à l'Eglise mère et maîtresse que je veux aimer, honorer, vénérer, à laquelle je veux tenir par le fond de mes entrailles, à laquelle je veux obéir jusqu'au dernier soupir de ma vie, jusqu'à ce jour aucun concile, aucun souverain Pontife n'a défini par un décret l'infaillibilité du Papé. Pourquoi, de grâce, tous les évêques français, quand ils réfutent les ennemis de l'Eglise, seraient-ils forcés d'enseigner dans leurs mandements ce que les Papes même n'ont jamais enseigné quand ils instruisaient les fidèles. qui leur sont dévoués ?

3o Les partisans les plus zélés de cette infaillibilité ont dit seulement qu'elle était presque de foi. Or qui ne voit qu'une chose n'est pas certainement de foi quand on dit qu'elle est presque de foi? Car il est constant que tout ce qui n'est pas de foi, quelque proche qu'il en soit, est en dehors de la foi. Qui donc blâmera jamais les prélats français, d'ailleurs très-dévoués au Saint-Siége,

1 Voilà encore une preuve de l'esprit d'hostilité et des tendances schismatiques que les principes déclarés en 1682 avaient inoculés dans l'opinion. Et il fallait que les évêques prudents et sages, comme Fénelon, s'efforçassent de tenir le juste milieu entre tant de difficultés pour éviter de plus grand maux! (Voy. notre Introduction).

si, en défendant la doctrine de la foi seule, et en réfutant les adversaires de la vraie foi, ils passent sous silence les dogmes de l'infaillibilité du Pape qui n'est pas incontestablement de foi, et dont l'enseignement serait proscrit tout d'une voix par la nation française, au grand déshonneur de l'Eglise et au grand scandale des faibles. 4o Notre cardinal Du Perron, si dévoué au Saint-Siége, comme le prouve son fameux discours au Tiers-Etat, dans sa Réponse au roi de la Grande-Bretagne et dans ses autres écrits de controverse sur l'autorité ecclésiastique, ne s'est jamais proposé de soutenir cette doctrine; il en est de même de Richelieu et de tous les français de quelque réputation. On ne voit pourtant pas que le Saint-Siége s'en soit trouvé offensé. Pourquoi des prélats, singulièrement attachés à ce même Siége, n'auraient-ils pas le même droit quand ils déploient tout leur zèle pour combattre ses plus terribles adversaires, aux grands applaudissements de tous les catholiques.

50 Bossuet, évêque de Meaux, a fait imprimer un opuscule intitulé: Exposition de la doctrine catholique. Certes, si l'infaillibilité du Souverain Pontife appartenait à la foi, ce serait un grand crime de la passer sous silence, quand on enregistre avec le plus grand soin tous les dogmes de la foi définis contre les hérétiques. Or, il n'a jamais dit le plus petit mot de cette infaillibilité; pour lui c'est assez qu'il soit prouvé que le Pape est le chef des pasteurs, et que le Siége apostolique est le centre de l'unité ou de la communion. Cet opuscule a été honoré d'une approbation écrite et très-laudative d'Innocent XI, quoique par un silence affecté il ait retranché du nombre des dogmes de foi l'infaillibilité du Pape.

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