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DE FÉNELON.

I.

Fénelon à l'abbé Alamanni.

A Cambray, 15 mai 1709,

J'ai reçu en son temps, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire pendant votre voyage de Flandre, et je ne me suis abstenu d'y répondre, que faute de savoir où j'aurais pu adresser ma réponse, afin qu'elle vous fût rendue (1). Agréez, s'il vous plaît, que je vous remercie par celle-ci de toutes vos bontés. J'espère qu'en vous éloignant de ce pays, vous n'oublierez point un homme qui vous y honore parfaitement. Si j'osais, je me servirais de termes plus libres pour vous protester que je vous aime tendrement. Je me souviendrai toute ma vie avec consolation de la droiture, de l'équité et de la sincérité de votre cœur. J'ai vu avec joie et édification votre amour pour l'Église et votre attachement sans politique mondaine pour le Saint-Siége.

M. l'abbé de Langeron, qui connaît à fond tous mes sentiments, vous dira ce qui m'arrête pour ce que vous désirez. II ne tiendra qu'à vous, Monsieur, que je ne l'exécute, quand vous me ferez savoir qu'on peut le faire avec quelque fruit et sans indiscrétion. Je dois me défier de mes pensées, supposer que les supérieurs ont des lumières supérieures, et être ravi de me taire avec un profond respect. C'est ce que je ferai, s'il plaît à Dieu, sans peine le reste de mes jours. Ce qui est cer

(1) Cette lettre a sans doute été égarée; nous l'avons vainement cherchée dans la Correspondance de Fénelon.

tain, c'est que, malgré le zèle sans bornes que j'ai pour ceux qui sont mécontents de moi, je ne puis pas aller plus loin que j'ai été. Si on connaissait l'état des choses on n'en douterait pas, et on me ferait justice sur les expressions dont je me suis servi. Pendant qu'on est arrêté par des délicatesses, on laisse croître le mal sans mesure et on abandonne ceux qui soutiennent la bonne cause. Dieu le voit et le permet. Je n'ai qu'à l'adorer et qu'à le prier pour ceux qui ont en partage la sollicitude de toutes les Églises. J'espère que vous voudrez bien me donner de temps en temps de vos nouvelles, et m'apprendre par quelle voie sûre je puis vous renouveler de mon côté avec discrétion les assurances de l'estime, de l'inclination, de l'attachement vif et tendre avec lequel je serai le reste de mes jours, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Fr. Ar. duc de Cambray.

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Après cette lettre de Fénelon, l'abbé Alamanni lui écrivit deux fois, le 26 juillet 1709, et au mois de décembre de la même année. Dans la première lettre, il prie le prélat de lui envoyer un Mémoire important, ainsi que ses ouvrages sur les controverses du temps, et l'assure de l'estime dont il jouit à Rome comme en France. Dans la seconde, Alamanni parle à Fénelon de l'estime et de l'affection que le pape Clément XI lui portait, et il l'entretient de la modération du Souverain Pontife sur l'article de l'infaillibilité. (Voy. ses deux lettres dans les OEuvres complètes de Fénelon, 10 vol. petit in-4°. 1848-1852, tom. vii. pag. 652, 656.)

II.

Fénelon à Alamanni.

A Cambray, 10 février 1710.

On ne saurait être plus vivement touché que je le suis, Monsieur, de la bonté avec laquelle vous me faites l'honneur de m'écrire. Je vois par un procédé si obligeant et si affectif, combien votre cœur est sincère, et à quel point vous aimez la religion. J'espère que celui pour qui vous agissez, et qui nous unit, vous comblerà de ses bénédictions, et qu'il se servira de vous pour le bien de l'Eglise.

Tout ce que vous me mandez du Pape me donnerait une sensible joie si les nouvelles qui sont survenues de sa mauvaise santé ne m'alarmaient pas. Il est très-difficile qu'il y ait dans Rome même une maison où l'on prie avec plus de ferveur pour sa conservation que nous le faisons céans. Je dis la messe tous les jours pour lui. Ce serait une étrange perte pour toute l'Église en tout temps, et surtout dans les conjonctures présentes.

J'ai reçu par M. le cardinal Paulucci et par l'autre voie la réponse de la Pénitencerie sur ma consultation, et j'ai une reconnaissance infinie du soin que vous avez eu la bonté de prendre pour me la procurer. Le triste et déplorable état de ce pays ne me permettra d'en faire aucun usage que quand nous ne serons plus dans le trouble et dans l'accablement où la guerre nous met. Jamais diocèse et province ccclésiastique ne furent plus désolés. Il est bien à désirer qu'un Pape trèséclairé et très-pieux, qui nous a été donné par un coup de providence extraordinaire, ne nous soit point enlevé pendant une guerre qui l'empêche de faire une infinité de biens trèsnécessaires à l'Église.

Je n'ai point oublié, Monsieur, ce que vous avez désiré de moi. Je l'ai fait par une confiance sans réserve en votre bon cœur, contre toutes les règles de la prudence mondaine. Vous l'avez exigé absolument, vous l'avez cru important pour l'usage

que vous voulez en faire. Je me suis rendu à votre volonté. Mon écrit part aujourd'hui. Il va à Paris par voie sûre, et doit vous être envoyé de même de Paris à Rome. Je compte que l'usage que vous ferez de cet écrit sera plus sage que l'écrit même, et que vous serez plus réservé pour le montrer que je ne l'ai été pour le composer. Je vous supplie instamment de ne le montrer sans exception qu'à la personne de Sa Sainteté, si Sa Sainteté et ses occupations infinies lui permettent de jeter les yeux dessus, et à M. le cardinal Gabrielli, si vous le trouvez assez bien disposé pour recevoir cette confidence. Je dois plus que je ne saurais dire aux bontés de ce Cardinal. Aussi ai-je pour lui une vénération, un attachement et un respect à toute épreuve. Mais le silence qu'il a tenu à mon égard depuis quelques années m'avait fait craindre qu'il ne fût mécontent de ce que j'ai dit dans mes ouvrages sur le Siége Apostolique. Vous verrez à fond, dans l'écrit qui part, tout ce que je pense sur l'autorité de ce Siége, ce qui m'a fait parler d'une certaine façon, et ce que je crois que Rome pourrait faire pour rétablir ce qu'elle a perdu. Vous me trouverez bien libre et bien hardi. Vous remarquerez même que je ne ménage rien, puisque je dis d'abord tout ce qui peut paraître le plus dur à votre cour. Mais je suis sûr que ceux qui, comme vous, connaissent l'extrémité du mal, ne seront point étonnés de ce que je propose les grands remèdes. Ils verront que j'aime Rome sans flatterie et avec un zèle qui est au-dessus de toutes les craintes de blesser. Du reste, je n'oublie point qu'il ne m'appartient nullement d'oser dire ma pensée sur les choses qui sont infiniment au-dessus de moi. Je dois prier, me taire, songer à me corriger et à obéir, sans vouloir raisonner sur ce qui est réservé à mes supérieurs; mais c'est vous qui m'avez forcé à être indiscret. Vos me cogistis. Cet écrit imprudent est pour vous seul, ou tout au plus pour ceux qui, comme vous, voudront absolument qu'on leur confie le secret de mon imprudence. Je le désavoue et je le condamne à l'égard de tout lecteur qui le yerrait sans m'avoir pardonné par avance, et ordonné mon indiscrétion et ma témérité. Pour M. le Cardinal Fabroni, dont j'ai eu l'honneur de vous parler, j'ai reçu de grandes marques de bonté de lui, que je ressentirai le reste

de ma vie. Je crois qu'il a bien vu que je ne pouvais en aucune façon faire plus que je n'ai fait; mais il a cru devoir parler suivant la place qu'il tient.

Le jansénisme, tant de fois condamné, se fortifie tous les jours. Le mauvais succès des armes de la France et la prospérité des protestants l'ont consolé de toutes les censures. Je ne me mêle point de la politique, mais j'avoue que je suis effrayé de tout ce que le parti protestant peut faire dans peu d'années dans l'empire et dans toute l'Europe. Les jansénistes ne manqueraient pas de s'en prévaloir en France et partout ailleurs. Rome n'a point de plus dangereux ennemis. Avez-vous vu la dénonciation de la bulle de Clément XI pour en demander la condamnation à un Concile libre, qui est écrite par M. With, licencié de Louvain, refugié en Hollande? Je vous l'enverrai, si vous voulez la voir. Elle est horrible par son insolence.

Tous nos abbés, surtout M. l'abbé de Langeron, vous font mille sincères compliments, et moi, Monsieur, je serai jusqu'à la mort sans mesure votre t. h. e. t. o. s.

FR. Ar. duc de Cambray.

Pour avoir de plus amples détails sur le Mémoire touchant les principales choses qu'il faudrait représenter à Rome, Mémoire dont Fénelon parle dans la lettre précédente, on peut consulter: 1o. le § V des fragments d'un mémoire au P. le Tellier, du mois de février 1710 (œuvres, édit. ubi suprà, tom. VII. p. 666); 2o. Ia lettre de Fénelon au duc de Chevreuse, du 10 février 1710 (id. ibid. pag. 303); 3° les lettres au même, en date des 24 février, 20 mars et 3 mai 1710 (id. ibid. pag. 307, 308, 315); 4o la lettre de l'abbé Alamanni à Fénelon, du 27 avril 1710 (id. ibid. pag. 670), lettre dans la

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