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Ce Pape qui vivait au xe siècle, époque d'une désorganisation sociale comme les annales de l'humanité n'en signalent pas, crut que l'Eglise romaine, pour recouvrer son autorité et son lustre antique, avait besoin de l'intervention d'une puissance tutélaire. Cette puissance existait du côté de l'Adriatique. Là, Othon Ier avait ramassé dans la poussière le sceptre de Charlemagne, et le portait depuis vingt-quatre ans. Jean XII s'adressa donc à ce prince, et lui députa, en 960, le cardinal Jean et le scriptaire Azon, chargés d'une lettre, dans laquelle le Pape priait Othon de venir délivrer l'Eglise romaine des mains des tyrans et de lui rendre la liberté. Othon qui, en véritable César, comprit le parti qu'il pourrait tirer de cette sollicitation, accourut en Italic avec ses Allemands, chassa les tyrans, délivra Rome, et y reçut des mains du Pape, pour prix de ses exploits, la couronne impériale. L'empire d'Occident passa ainsi des Francs aux Germains.

Encore une fois, nous n'apprécions pas le fait (et pour être juste en cela il faudrait s'inspirer des idées du temps, des circonstances, c'est-à-dire ne pas juger d'après nos idées et les intérêts d'aujourd'hui), nous le constatons seulement. Or n'est-il pas en grande partie identique à celui de Charlemagne ? la conclusion tirée pour celui-ci peut donc être la même pour celui-là...

Mais parce qu'Othon Ier, voulant exploiter la reconnaissance de la Papauté aux dépens de la liberté de l'Eglise, s'attacha à la placer sous sa dépendance en lui préparant une longue suite de calamités, Dieu permit, après un long intervalle d'épreuves, qu'un homme se rencontrât. Ayant vu l'âme commander au corps et l'esprit être supérieur à la force matérielle, cet homme en conclut que la puissance spirituelle, qui représente l'âme dans la société humaine, était au-dessus de la puissance temporelle, qui en représente le corps, et il voulut secouer le joug de celle-ci en sauvant lui-même la Papauté, en même temps qu'il protégerait le peuple chrétien. Cet homme, c'était Grégoire VII.

VI.

L'empereur Henri IV ravageait la société chrétienne, saint Grégoire VII lança contre lui l'excommunication (1080). It reconnut Rodolphe de Rheinfeld pour roi d'Allemagne. Il avait épuisé tous les moyens de douceur et de longanimité, car son cœur était naturellement incliné à la paix, il voulait le bien de P'Eglise et le salut de ses ennemis. Grégoire mourut dans l'exil, tandis que l'empereur Henri IV survécut longtemps et recueillit tous les bénéfices d'une cause triomphante. Pilate avait survécu au Seigneur Jésus-Christ, et Néron aux apôtres Pierre et Paul. C'est le caractère des triomphes de l'Eglise; ses victoires apparaissent d'abord comme des défaites. Dieu ne veut pas que les chevaliers de l'Eglise puissent s'attribuer à eux-mêmes les honneurs du succès.

On a souvent fait aux Papes le reproche d'avoir, pour un fort mince résultat, engagé et soutenu une lutte longue et inutile contre les puissances temporelles; ce reproche est injuste; le résultat du démêlé des investitures est loin d'être aussi mince qu'il paraît l'être au premier abord, lorsqu'on le juge à la distance qui sépare notre époque des temps où s'agitait cette orageuse question.

Il est certain que, dans l'application, les investitures étaient pernicieuses, en ce que les rois ne se bornaient pas sculement à conférer les évêchés et les abbayes, mais donnaient encore à cette collation une forme qui, d'après le sens ct l'importance que l'on attachait dans ce temps au choix des symboles, ébranlait directement un principe fondamental de la constitution de l'Eglise. Il n'était done rien moins qu'indifférent que la crosse et l'anneau fussent remplacés par le sceptre qui exprimait une tout autre idée. Il était en outre de la plus haute importance que l'élection canonique recouvrât toute sa liberté, ce qui exigeait le renoncement de l'empereur à un

droit que ses prédécesseurs avaient exercé presque constamment depuis la conversion des peuples germaniques. Calixte II continua l'œuvre de saint Grégoire VII.

VII.

Nous laissons de nombreux et importants intermédiaires pour arriver à un acte de ce grand drame, de cette lutte des deux pouvoirs.

La guerre avait éclaté entre Philippe-le-Bel, roi de France et Edouard Ier, roi d'Angleterre. Le pape Boniface VIII avait déployé infructueusement tous les efforts de son zèle pour les amener à conclure un traité de paix. Les deux rois, manquant de ressources, contraignirent tous les deux le clergé à leur venir en aide par des impôts très- onéreux; seulement ils s'y prirent chacun par une voie différente. Edouard força le clergé d'Angleterre de lui abandonner une partie notable de ses revenus; Philippe demanda et obtint la cinquième partie de tous les biens ecclésiastiques. Ainsi le patrimoine de l'Eglise et des pauvres servait à alimenter la guerre! D'ailleurs, le droit en vigueur à cette époque avait pour principe général que la puissance séculière ne possède à ce titre aucune espèce de droit sur les biens de l'Eglise. Boniface VIII, par la fameuse bulle Clericis laicos, défendit les droits de la société chrétienne contre les usurpations de la royauté.

Mais tout allait s'affaiblissant et mourant, et c'est surtout de la France, où l'Eglise fut plus de soixante-dix ans tenue en captivité et directement gouvernée par le roi, qu'est parti le coup qui a renversé et détruit dans ses principes fondamentaux l'état chrétien du moyen âge. L'orgueil des princes s'attacha à cette œuvre de destruction... Et pourtant, chose remarquable! à ces époques de luttes, tous les esprits réfléchis voulaient le maintien de cette grande œuvre qui consacrait le

principe d'unité, sans lequel l'humanité ne peut vivre tranquille. Tous admettaient l'intervention de l'Eglise, tant elle leur paraissait naturelle....

On ne pouvait rien faire sans elle1, parce que ses ministres étaient les seuls dépositaires des lumières en tous genres, et que son autorité était la seule aimée et respectée des souverains et des peuples. D'un côté, les souverains recouraient à son arbitrage dans leurs différends; de l'autre, les peuples invoquaient sa protection. « Il est facile, dit M. l'abbé Gosselin 2, aujourd'hui à des écrivains superficiels ou passionnés d'attribuer à l'ambition des Papes le pouvoir vraiment prodigieux que leur attire ce concours de circonstances: mais, outre que cet état de choses était tout à fait indépendant de leur volonté, n'est-ce pas une injustice manifeste d'attribuer à leur ambition un pouvoir qui leur était librement déféré par les souverains, autant par des motifs d'intérêt que par des motifs de religion? et les Papes, bien loin de mériter les reproches qu'on a leur faits depuis sur ce sujet, n'eussent-ils pas été bien plus répréhensibles de refuser une autorité alors si nécessaire au bien de la société et à la tranquillité des Etats? >> Ceci est bien, mais il y a dans ce passage qui nous offre toute la donnée du livre de M. l'abbé Gosselin, une pensée d'intervention purement accidentelle qui, pour notre] compte, ne nous paraît pas admissible.

Un grand esprit, Leibnitz, ce protestant si éclairé et si grave, apprécie de la manière suivante cette intervention: « Les arguments de Bellarmin, dit-il 3, qui, de la supposi tion que les Papes ont la juridiction sur le spirituel, infère, qu'ils ont une juridiction au moins indirecte sur le temporel,

1 M. l'abbé CHRISTOPHE, loc. cit. Introd., pag. 46.

Pouvoir du Pape au moyen âge, etc., pag. 588, 2e édit, dou blée, 1 vol. in-8°, 1845.

3 Pensées de Leibnitz, par l'abbé EMERY, Paris, 1803, in-8°, tom. u, pag. 407.

n'ont pas paru méprisables à Hobbes lui-même. Effectivement, il est certain que celui qui a reçu une pleine puissance de Dieu pour procurer le salut des âmes, a le pouvoir de réprimer la tyrannie et l'ambition des grands qui font périr un si grand nombre d'âmes.» Si l'on faisait bien attention à cela, on verrait, en effet, que cette intervention est un immense bienfait 1. On verrait que, «si quelque ombre de justice s'est conservée au milieu des désordres du moyen âge, si les peuples n'ont pas succombé sous le joug brutal de la force, si quelques débris de liberté, de civilisation, ont survécu à l'oppression et à la barbarie que le régime féodal faisait peser sur le monde, c'est à la supériorité du sacerdoce sur l'empire, à la suzeraineté des Papes sur les rois, que nous le devons 2. »

VIII.

Cependant les empereurs d'Allemagne n'acceptèrent jamais pacifiquement cette salutaire intervention; l'histoire de la résistance qu'ils opposèrent est devenue célèbre.

La lutte qui fut la suite de cette résistance dura cent cinquante ans, et a répandu un lustre immortel sur les pontificats de Célestin II, d'Innocent II, d'Allexandre III, d'Innocent III, de Grégoire IX, d'Innocent IV. Ce n'est pas que les Césars

1 Voy. les notes aux pages 125 et suiv.; 201 et suiv.; 204 et suiv.; 215 et suiv. etc. du présent volume.

(e) M. l'abbé CHRISTOPHE, ubi supra, Introd. pag. 47. — On peut conşulter, en preuve de tout ceci, le Tableau des institutions et de mœurs de l'Eglise au moyen âge, particulièrement au XIe siècle sous le pape Innocent III, par Hurter (non alors converti), trad. de J. Cohen, 3 vol. in-8o, 1843. Nous conseillerons aussi Les mœurs catholiques ou les Ages de Foi, par Digby, trad. de l'anglais par M. Danielo, 2 vol. in-8. Ces Ages de foi, c'est le moyen âge, et ces mœurs catholiques', ce sont les mœurs d'alors; c'est la vie chrétienne que l'on menait partout, quand partout régnait la foi.

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