Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

» la rétorsion, puisque, ne soutenant rien, vous >> abandonnez de bon cœur à tous les sophismes » et à tous les raisonnemens de la Terre, quel» que opinion que ce soit. Vous n'êtes jamais >> obligé d'en venir à la défensive; en un mot, >> vous contestez, et vous daubez sur toute chose » tout votre saoul, etc. »

Le style de Bayle est naturel, facile et agréable, mais souvent diffus, négligé, et familier jusqu'à cette trivialité d'expressions qu'on a pu remarquer dans le passage ci-dessus, où cependant elle est moins répréhensible que dans les livres sérieux qui n'admettent point la liberté épistolaire. On lui reproche avec raison un autre défaut, des termes grossiers et obscenes: ce n'était pas que ses mœurs ne fussent pures; mais accoutumé à vivre dans la retraite et avec ses livres, il oubliait ou ignorait les bienséances de la société. L'extrême vivacité de son esprit s'accommodait peu, et il en convient, de la inéthode et de l'ordre. Il aimait à promener son imagination sur tous les objets, sans trop se soucier de leur liaison: un titre quelconque lui suffisait pour le conduire à parler de tout. C'est ainsi que dans son premier ouvrage, à propos de la comete qui parut en 1680, il traite, en quatre volumes, de toutes les questions métaphysiques, morales, théologiques, historiques et politiques qu'il est possible d'imaginer; mais on le suit avec quelque plaisir dans ses digressions, parce qu'il pense toujours et fait penser. Cette marche ou plutôt ce défaut de marche se remarque aussi dans son Commentaire sur ces mots de l'Evangile: Compelle intrare; contrains-les d'entrer : c'est là surtout qu'il établit le plus formellement celui de tous les principes qui lui était le plus cher, la tolérance civile, et dont alors on avait le plus de besoin, à commencer par ceux même en faveur

pour

de qui Bayle la réclamait, et qui n'en eurent pas lui. On sait que c'est chez les protestans de Hollande qu'il trouva des persécuteurs acharnés: aussi a-t-il bien su leur dire qu'ils ne prêchaient la tolérance que là où ils n'étaient pas les plus forts.

Il fut plus à son aise que jamais dans son Dictionnaire, rien n'étant plus commode pour se passer de plan et de suite, qu'une nomenclature alphabétique. Il est reconnu depuis longtems, et par l'aveu de l'auteur lui-même, que ce Dictionnaire qui contient, ainsi que les Réponses à un Provincial, beaucoup d'érudition frivole et de controverse superflue, pouvait être réduit à un seul volume. Il dit dans une de ses Lettres, qu'il est obligé de fournir au jour marqué de la copie à ses libraires, en même tems qu'il reçoit les épreuves. Ce n'est pas le moyen d'abréger, de corriger et de choisir; mais la quantité d'articles curieux qui sont dans ce Recueil, lui donnera toujours une place dans la bibliotheque de tous ceux qui ont des livres pour s'instruire.

Quelque inclination qu'il eût pour le scepticisme, on voit cependant par ses écrits, qu'il n'était pas capable de tomber dans le doute absolu de Pyrrhon, qui n'était qu'une folie complete. Il est vrai que, dans une de ses Lettres, il nous dit que les Pyrrhoniens se tiraient admirablement de la chicane de leurs adversaires, qui voulaient conclure de cette proposition, on peut douter de tout, qu'ils posaient donc affirmativement quelque chose : ils s'en tiraient (dit-il ) en soutenant que leur proposition était aussi sujette à la loi générale du doute, que les autres propositions. J'en demande pardon à Bayle, mais probablement il n'eût pas soutenu dans une discussion réfléchie ce qu'il hasarde dans une lettre

fort légérément, et peut-être pour s'amuse". Quand on a fait l'honneur aux Pyrrhoniens de leur répondre, on leur a opposé un raisɔnnement qui est sans réplique : c'est qu'en disant, je doute, on énonce une action de la faculté pensante, qui suppose nécessairement l'existence de cette faculté, quelque nature qu'on lui attribue, puisque l'action suppose de toute nécessité un être agissant donc, en énonçant le doute, quel qu'il soit, on affirme l'existence de l'être qui, doute. Si quelqu'un essayait sérieusement de réfuter cette preuve, il ne faudrait pas plus l'écouter que s'il niait que deux et deux font quatre; ce qui nous rappelle encore, en passant, que les vérités mathématiques suffiraient seules pour démontrer l'extravagance du pyrrhonisme.

Sur l'existence de Dieu et sur l'immatérialité du principe pensant, Bayle est si loin du scepticisme, qu'il énonce une opinion affirmative : Je ne crois pas qu'il soit possible qu'aucun corps, aucun assemblage de divers corps, aucun atome soit susceptible de la pensée. Il parle contre l'athéisme dans les termes les plus forts : « Si l'on » regarde les athées dans le jugement qu'ils for>>ment de la Divinité dont ils nient l'existence, » on y voit un excès horrible d'aveuglement,, » une ignorance prodigieuse de la nature des. >> choses, un esprit qui renverse toutes les lois » du bon sens, et qui se fait une maniere de » raisonner fausse et déréglée, plus qu'on ne, » saurait le dire..... Si l'on regarde les athées » dans la disposition de leur cœur, on trouve » que, n'étant retenus ni par la crainte d'aucun >> châtiment divin, ni animés par l'espérance » d'aucune bénédiction céleste, ils doivent s'a» bandonner à tout ce qui flatte leurs passions. » Un prédicateur chrétien parlerait-il autrement? Il faut que les athées de nos jours, qui se plai

gnent si haut du mépris que leur marquent les auteurs vivans, n'aient jamais lu les morts; ou s'ils les ont lus, de quel nom appeler des hommes qui nous disent formellement qu'il n'y a de philosophes que les athées; en sorte que depuis Socrate jusqu'à Bayle, et depuis Bayle jusqu'à Montesquieu, il faut rayer du nombre des philosophes tous les grands esprits qui n'ont parlé de l'athéisme qu'avec autant d'horreur que de dédain.

A l'égard des Pensées sur la comete, la plúpart des vérités qu'elles contiennent, sont devenues si communes, qu'aujourd'hui, soit qu'on les soutînt, soit qu'on les combattit, on ne se ferait guere écouter. Il épuise sa logique à prouver que les cometes ne peuvent avoir aucune influence, ni morale ni physique, sur notre globe. Il ne peut y avoir ici de difficulté que sur le physique à l'égard du moral, la chose est hors de doute; et pourtant l'on croyait alors trèscommunément que cette espece de phénomene présageait des événemens sinistres, des révolutions dans les Empires, des guerres, des désastres publics, la mort de quelque grand personnage; et de nos jours encore un grand seigneur, qui apparemment savait gré à sa destinée d'avoir quelque rapport avec les cometes, disait à un particulier qui riait de ces terreurs puériles : Vous en parlez bien à votre aise, vous autres que cela ne regarde jamais. Et remarquez que cet homme, qui croyait aux cometes et à cent autres superstitions aussi plates, ne croyait pas à l'Evangile; et ce contraste est ce qu'il y a au monde de plus commun.

SECTION II.

Morale.

Fénélon, Nicole, Duguet, Larochefoucauld, Labruyere, Saint-Evremond.

En passant de la métaphysique à la morale, nous retrouverons d'abord ce même Fénélon qui orna cette morale des grâces de son imagition, comme il avait animé la métaphysique de la douce chaleur du sentiment. Les leçons qu'il donnait à son royal disciple sont celles qui suivront tous les rois qui voudront être bons et aimés; et il les fondit toutes dans un ouvrage d'une espece unique, et qui jusqu'ici est demeuré le seul de sa classe, le Télémaque. Il y a long-tems que tout est dit sur ce livre, et je ne. répéterai point ce que j'ai écrit lorsque j'eus le bonheur de rendre à la mémoire de Fénélon un hommage solennel. J'oserai seulement remarquer que les critiques qu'on a faites de ce chefd'oeuvre, sont pour la plupart outrées et injustes. Voltaire a dit :

J'admire fort votre style flatteur,

Et votre prose, encor qu'un peu traînante.

Il me semble que cette prose ne l'est point, qu'elle est en général ce qu'elle doit être. Ce n'est pas la précision qui doit caractériser un ouvrage tel que le Télémaque, qui, sans être un véritable poëme, puisqu'il n'est pas écrit en vers, se rapproche pourtant des principaux caracteres de l'Epopée, par l'étendue, par les fictions, par le coloris poétique. Ce qui doit y dominer, c'est une abondance facile et pourtant sage, un style nombreux et liant plutôt que

« ZurückWeiter »