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dire qu'il ne pouvoit plus avoir lieu sous Louis XIV, qui ne permettait pas que les parlemens délibérassent sur les matieres de gouvernement. Mais ce qui nous reste de ces discussions parlementaires dans les mémoires du tems, et particulierement dans ceux du cardinal de Retz, qui en rapporte de longs morceaux, est lourd, diffus, de mauvais goût et ennuyeux. Patru ne parle pas des assemblées nationales: c'est pourtant là qu'il aurait trouvé plus aisément quelque chose de ce qu'il cherchait, et un discours du chancelier de l'Hôpital, à l'ouverture des Etats-Généraux, est sans comparaison ce qui nous reste de plus solide, de plus sain, de plus noble, de mieux pensé et de mieux senti dans tous nos monumens du seizieme siecle.

Et en effet, quel champ pour l'éloquence, que ces assemblées, saus cóntredit les plus augustes de toutes! Quelle carriere pour un vrai citoyen, soit qu'il ait déjà cultivé le talent de la parole, soit que le patriotisme, capable, comme toute grande passion, de transformer les hommes, ait fait de lui tout à coup un orateur ! Placé dans le sein même de la patrie, au dessus de toutes les craintes, ou parce qu'elle peut alors le garantir de tous les dangers, ou parce qu'elle offre des motifs suffisans pour les braver tous au dessus de tous les intérêts particuliers, parce qu'aux yeux de la raison ils se réunissent tous alors dans l'intérêt général, rien ne lui manque de ce qui peut échauffer le cœur, élever et fortifier l'ame, et donner à l'esprit des lumieres nouvelles ; ni la grandeur des sujets, puisqu'ils embrassent les destinées publiques et les générations futures; ni ce double aiguillon des difficultés et des encouragemens, selon les anciens maîtres, si nécessaires à l'orateur : car il est ici en présence de toutes les passions ou connues ou cachées, géné

reuses ou abjectes; il est de toutes parts assiégé, pressé, heurté par la contradiction, ou repoussé, entraîné, enlevé par l'assentiment général. Il faut qu'il repousse des attaques furieuses, ou qu'il démasque un silence perfide. Il est au milieu de tous les préjugés, qui sont en même tems un épais et lourd bouclier fait pour mettre les esprits bornés et timides à couvert de la raison, et une arme acérée et dangereuse dont les esprits artificieux se servent pour intimider la raison même. Il est au milieu des accès de l'esprit d'innovation, espece de fievre la plus terrible, qui offusque le cerveau des vapeurs de l'orgueil et de l'ignorance, et, allant bientôt jusqu'à la frénésie, se saisit du glaive pour tout abattre, faute de savoir s'en servir pour élaguer. Que d'ennemis à combattre ! mais aussi que de force et de moyens pour le patriote, le vrai philosophe, l'homme éloquent! car tous ces caracteres, qui faisaient l'ancien orateur, doivent alors être ceux du nôtre. Il jouit de toute la liberté, de toute la dignité d'une nation entiere, en parlant devant elle et pour elle : les principes éternels de justice sont là dans toute leur puissance naturelle, invoqués devant la puissance qui a le droit de les appliquer. Ils sont là pour servir l'homme de bien qui saura en faire un digne usage, pour faire rougir le méchant qui oserait les démentir ou les repousser. Enfin, ce n'est point ici l'effet toujours incertain et variable d'une lecture particuliere, où chacun a tout le loisir de lutter contre sa conscience, et de se préparer des défenses et des refuges. J'ose dire à l'orateur de la patrie: Si tous ses représentans sont réunis pour t'entendre, s'ils déliberent après t'avoir entendu, c'est pour assurer ton triomphe et le sien. J'en atteste un des plus nobles attributs de la nature humaine, l'empire de la vérité éloquente sur les hommes rassemblés. Les plus

justes et les plus sensibles recoivent la premiere inpression; ils la communiquent aux plus faibles, et l'étendent en la redoublant de proche en proche la conscience agit dans tous: dans les uns, le courage dit tout haut, oui; dans les autres, la honte craint de dire, non; et s'il reste un petit nombre de rebelles opiniâtres, ils sont renversés, atterrés, étouffés par cette irrésistible impulsion, par ce rapide contre-coup qui ébranle toute la masse d'une assemblée; et comme la premiere lame des mers du Nouveau-Monde pousse le dernier flot qui vient frapper les plages du nôtre, de même la vérité, partant de l'extrémité d'un vaste espace, accrue et fortifiée dans sa route, vient frapper à l'extrémité opposée son plus violent adversaire, qui, lorsqu'elle arrive à lui avec toute cette force, n'en a pas assez pour lui résister.

O utinam!.... Mais pour que l'éloquence politique acquiere généralement ce caractere et cet empire, il faut supposer d'abord que l'esprit national est généralement bon et sain, comme il l'était dans les beaux siecles de la Grece et de Rome; et il faudrait s'attendre à un effet tout contraire si une nation nombreuse se trouvait tout à coup composée de parleurs et d'auditeurs, précisément à l'époque où, ayant perdu le frein de la religion et de la morale, elle aurait aussi rompu le joug de toute autorité. Alors le talent même, dans ceux qui parleraient, serait le plus souvent asservi et dépravé par ceux qui écouteraient, on n'en serait pas écouté; alors les caracteres dominans des orateurs de cette multitude insensée seraient, ou la complaisance servile qui flatte les passions et les vices, ou la grossiere effronterie de l'ignorance, ivre du plaisir d'avoir tant d'auditeurs dignes d'elle, ou l'horrible impudence du crime déchaîné, parlant en maître de vant des complices et des esclaves.

SECTION III.

Eloquence de la chaire.

L'ORAISON FUNEBRE.

Les sujets d'éloquence que le siecle deLouis XIV a vu porter au plus haut degré de perfection, sont sans contredit le sermon et l'oraison funebre.

A l'égard des sermons, l'on sait assez ce qu'ils étaient dans les deux âges qui ont précédé le sien, et ce qu'étaient les Menot, les Maillard, et ce Barlet, dont les savans disaient en latin : Nescit prædicare qui nescit barletisare. Ne sait prêcher qui ne sait barletiser. On s'est égayé partout sur leurs farces grotesques et indécentes. Nous avons des sermons de la Ligue : ils joignent l'atrocité à cette grossiéreté dégoûtante qui dut nécessairement diminuer à mesure que la politesse s'introduisait dans tous les états, à la suite de l'ordre qui renaissait avec l'autorité. Mais le premier, dit Voltaire, qui fit entendre dans la chaire une raison toujours éloquente, ce fut Bourdaloue. Peut-être faut-il un peu restreindre cet éloge en l'expliquant. Bourdaloue fut le premier qui eut toujours dans la chaire l'éloquence de la raison : il sut la substituer à tous les défauts de ses contemporains. Il leur apprit le ton convenable à la gravité d'un saint ministere, et le soutint constamment dans ses nombreuses prédications. Il mit de côté l'étalage des citations profanes, et les petites recherches du bel-esprit. Uniquement pénétré de l'esprit de l'Evangile et de la substance des livres saints, il traite solide ment un sujet, le dispose avec méthode, l'approfondit avec vigueur. Il est concluant dans ses rai

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sonnemens, sûr dans sa marche, clair et instructif dans ses résultats. Mais il a peu de ce qu'on peut appeler les grandes parties de l'orateur, qui sont les mouvemens, l'élocution, le sentiment. C'est un excellent théologien, un savant catéchiste plutôt qu'un puissant prédicateur. En portant toujours avec lui la conviction, il laisse trop desirer cette onction précieuse qui rend la conviction efficace.

Tel est en général le caractere de ses sermons. Ceux de Cheminais, autre jésuite, ne sont pas sans quelque douceur, et celle qu'il mettait dans son débit lui procura une vogue passagere, dont l'impression fut le terme, comme elle l'a été de la réputation de Bretonneau et de quelques autres sermonaires leurs contemporains, qui depuis long-tems ne sont plus guere lus. Les sermons mêmes de Bossuet et de Fléchier ne répondent pas à la célébrité qu'ils ont acquise dans l'oraison funebre; et sans parler de la foule des prédicateurs médiocres, il suffit de dire que, lorsqu'on eut entendu, et plus encore lorsqu'on eut lu Massillon, il éclipsa tout.

Bossuet et Massillon sont donc les modeles par excellence que nous avons à considérer principalement dans l'éloquence chrétienne, l'un dans l'oraison funebre, et l'autre dans le sermon. Je commencerai par le premier, en me conformant à l'ordre des tems, et même à celui des choses, puisque l'oraison funebre réunit plus de parties oratoires, exige plus d'art et d'élévation que le

sermon.

Mais je me crois obligé de jeter en avant quelques réflexions que l'esprit du moment a rendues nécessaires, par rapport aux différentes dispositions que chacun peut apporter à ces objets, suivant les diverses manieres de penser. Quoique le mérite d'orateur et d'écrivain soit ici parti

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