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» n'étaient encore que de faibles commence» mens, par où des esprits turbulens faisaient » comme un essai de leur liberté. Mais quelque >> chose de plus violent se remuait au fond des >> cœurs : c'était un dégoût secret de tout ce qui >> a de l'autorité, et une démangeaison d'inno» ver sans fin.» Démangeaison est du style familier on pouvait mettre et un besoin d'in

nover.

:

Il y a une autre sorte d'expressions familieres qui choqueraient dans un écrivain médiocre parce qu'elles tiendraient de la faiblesse, et qui plaisent chez lui, d'abord parce qu'elles ne peuvent paraître une impuissance de dire mieux dans un homme dont l'élocution est ordinairement si élevée, ensuite parce qu'elles sont de nature à faire sentir que leur extrême simplicité est ce qu'il y a de mieux pour la force du sens et le dessein de l'auteur. Un exemple me fera comprendre La voilà telle que la mort nous l'a faite. Cette phrase en elle-même est du style familier: placez-la dans un discours faiblement écrit, elle fera rire. Dans Bossuet, elle est frappante de vérité et d'énergie. Pourquoi? C'est qu'après avoir dit sur le même sujet ce qu'il y a de plus relevé, il finit par ne trouver rien de plus expressif que cette locution vulgaire, il est vrai, mais qui rend si bien en un seul mot tout ce que la mort a fait de Madame; que les termes les plus choisis n'en diraient pas autant. C'est ainsi que la valeur des termes dépend souvent de celle de l'auteur qui les emploie; et l'on pourrait dire, comme un proverbe de goût : Tant vaut l'homme, tant vant la parole.

L'on a vu combien les taches sont légeres et facile à effacer : elles sont, je le répete, trèsclair-semées, même dans les deux oraisons funebres qui, par la nature du sujet, devaient

être inférieures aux autres, celles de Marie-Thérese et de Letellier. Quant à la premiere, Louis XIV, au moment où elle mourut, en avait fait en une seule phrase le plus grand éloge possible: Voilà, dit-il, le premier chagrin qu'elle m'ait donné. Le discours de Bossuet ne pouvait être que le développement de ce beau mot qui renferme le panegyrique le plus complet qu'un époux, et surtout un époux roi, puisse jamais faire de sa femme. Mais on sait que les vertus domestiques et modestes ne sont pas celles qui prêtent le plus à la grande éloquence, à celle qui s'adresse aux hommes rassemblés. Dans tout ce qui prétend aux grands effets, il faut quelque chose qui se rapproche du dramatique, des désastres, des révolutions, des scenes, des contrastes: voilà ce qui sert le mieux le poëte, l'orateur, l'historien; il semble que l'homme aime mieux être ému que d'être instruit : l'éloge de la simple vertu ressemble à un beau portrait: quelque parfaite qu'en soit l'exécution, il frappera beaucoup moins qu'une physionomie passionnée dans un tableau d'histoire; et c'est encore là un de ces principes généraux par lesquels tous les arts se rapprochent les uns des autres.

A l'égard du chancelier Letellier, l'ouvrage de Bossuet offre ici un de ces exemples de l'exagération du panégyrique, contredite par la sévérité de l'histoire. Ce magistrat eut certainement des qualités estimables, et rendit des services au gou vernement dans le tems de la Fronde; mais il ne sera jamais regardé comme un modele de justice et de vertu. La part qu'il eut à la révocation de l'Edit de Nantes pouvait, je l'avoue, n'être chez lui qu'une erreur, puisque ce fut celle de presque toute la France, et même de Bossuet, qui n'y voyait que le triomphe de la religion' dominante. La postérité a pensé autre.

ment, et l'on convient aujourd'hui que cette grande faute contre la politique en était une aussi contre le véritable esprit du christianisme qui n'en reste pas moins ce qu'il est, même quand des Chrétiens s'y trompent.

La France peut se vanter d'avoir en Bossuet son Démosthene, comme dans Massillon elle a eu son Cicéron; ainsi c'est à la religion que nous devons ce que la langue française a de plus parfait dans l'éloquence; c'est à elle que nous devons Athalie, ce qu'il y a de plus parfait dans notre poésie; c'est à elle que nous devons le discours sur l'Histoire universelle, le plus beau monument historique dans toutes les langues; c'est à elle que nous devons les Provinciales, le chef-dœuvre de la critique; c'est à elle enfin que nous devons les Lettres philosophiques de Fénélon, ce que nous avons de plus éloquent en philosophie. Voilà ce qu'a produit le siecle de la religion, qui a été celui du génie : que le nôtre avoue qu'il lui a été plus facile d'en être le détracteur que le rival, ou qu'il ose nous produire en concurrence les chefsd'oeuvre de l'impiété.

On a dit que Bossuet avoit moins d'harmonie que Fléchier : je n'en crois rien; il fallait dire seulement qu'en cette partie, comme dans toutes les autres, ils different entierement. Bossuet n'a pas fait comme Fléchier, une étude particuliere de la construction des phrases, de l'arrangement des mots, et de la symmétrie des rapports. Notre langue a dans cette partie des obligations à Fléchier, que l'on peut appeler l'Isocrate français: il s'est appliqué à donner aux formes du langage, de la netteté, de la régularité, de la douceur, du nombre; c'est en quoi il excelle, et l'on peut dire qu'il est plus nombreux que Bossuet; mais. le nombre n'est pour ainsi dire que la partie élémentaire de l'harmonie du style, comme les ae

cords sont les élemens de l'harmonie musicale Il y a une autre harmonie, d'un ordre bien supérieur, et qui, pour le poëte, l'orateur, le musicien, est celle du génie, parce que la premiere peut s'apprendre, et que celle-ci il faut la créer: elle consiste dans le rapport des effets que l'on produit dans l'oreille, avec ceux que l'on produit dans l'ame et dans l'imagination. Ce rapport, toujours saisi par quiconque est heureusement organisé, est un des moyens de l'art, si essentiel, que sans lui il n'y a point de grand écrivain ni en prose ni en vers; car sans lui tout effet serait manqué. Or, cette espece d'harmonie, personne ne l'a possédée plus éminemment que Bossuet. Il n'évitera pas toute consonnance vicieuse, tout défaut de nombre: cette sorte de négligence peut se rencontrer chez lui, comme quelques autres négligences de diction; mais il n'a guere de grandes images, de grandes idées, de grands mouvemens, où l'arrangement, le son, le retentissement de ses phrases ne frappe l'oreille dans un rapport exact avec l'imagination et la pensée; et sans cela serait-il orateur? C'est le propre du grand talent, en éloquence comme en poésie, de disposer ce qu'il conçoit, de maniere à ce que tout concoure à l'effet. L'organe si important de l'oreille doit être chez lui un des plus heureux, et sans cela serait-il fait pour s'adresser à la nôtre ?

Fléchier s'occupa surtout à la flatter, mais comme il arrive toujours, d'une maniere conforme à la nature de son talent, et proportionnée à ses conceptions. L'esprit, l'élégance, la pureté, la justesse et la délicatesse des idées une diction ornée, fleurie, cadencée, telles sont ses qualités distinctives: c'est un écrivain disert un habile rhéteur qui connaît son art, mais qui n'est pas assez riche de son fonds pour éviter l'a

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bus de cet art. Il emploie trop souvent les mêmes moyens; il répete trop souvent les mêmes figures, et spécialement l'antithese dont il use jusqu'à la profusion, jusqu'à l'excès, jusqu'au dégoût. 11 s'est trouvé deux fois en concurrence avec Bossuet dans les mêmes sujets, dans l'oraison funebre de Marie-Thérese, et dans celle du chancelier Letellier, et, quoiquelles soient les moindres de Bossuet, il s'offre encore dans celui-ci assez de traits de sa force pour que Fléchier ne l'atteigné pas. Il n'en approche pas davantage dans celles de madame de Montausier, de madame d'Aiguillon, de la dauphine de Baviere, et du prési‹ dent de Lamoignon. Deux seuls discours où il a été au dessus de lui-même, ceux où il a célébré Turenne et Montausier, ont assez de beautés pour lui assurer le premier rang dans son siecle parmi les orateurs du second ordre, mais toujours à une grande distance des chefs-d'œuvre de Bossuet. L'exorde de l'oraison funebre de Turenne, imité de celle d'Emmanuel de Savoie composée par le jésuite Lingendes, mais fort embelli par Fléchier, est un des morceaux les plus finis qui soient sortis de sa plume : il a surtout l'avantage de convenir parfaitement au sujet, et d'y entrer d'une maniere très-heureuse. L'orateur prend pour texte ces mots du livre des Macchabées Fleverunt illum omnis populus Israël planctu magno, et lugebant dies multos, et dixerunt: Quomodo cecidit potens qui salvum faciebat Israël ? « Les peuples désolés le pleure»rent; ils le pleurerent long-tems, et ils dirent : >> Comment est tombé l'homme puissant qui sau» vait le peuple d'Israël ? »

« Je ne puis, Messieurs, vous donner d'abord » une plus haute idée du triste sujet dont je viens » vous entretenir, qu'en receuillant ces termes » nobles et expressifs dont l'Ecriture sainte se

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