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LIVRE QUATRE-VINGTIÈME.

DE 1370 A 1378.

Pontificat de Grégoire XI. Vie de sainte Brigitte de Suède et de sainte Catherine de Sienne.

Le Fils de Dieu fait homme, au jour qu'il institua le mystère de son corps et de son sang, disait à ses apôtres : Si vous m'aimez, gardez mes commandements. Et je prierai le Père, et il vous don-nera un autre Paraclet ou consolateur, pour demeurer éternellement avec vous; l'Esprit de la vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas; mais yous le connaîtrez, parce qu'il demeurera parmi vous et qu'il sera en vous. Or, le Paraclet, l'Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, c'est lui qui vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit 2. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. Mais quand il viendra, cet Esprit de la vérité, il vous introduira dans toute vérité; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira ce qu'il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. C'est lui qui me glorifiera, parce qu'il prendra de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera. Tout ce qu'a le Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra du mien et vous l'annoncera 3. Enfin, le jour même de son ascension, Jésus rappelle ces promesses à ses disciples, en leur disant : Et moi j'enverrai sur vous la promesse du Père; vous, demeurez dans la ville, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut; car vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous". Nous avons vu l'accomplissement de ces promesses commencer le jour de la Pentecôte. Mais, pour bien saisir l'ensemble des opérations du Saint-Esprit dans l'univers, écoutons saint Ambroise nous expliquant les premières paroles des livres saints: Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre, et l'Esprit de Dieu reposait sur les eaux.

'Joan. 14, 15-17. - "Ibid., v. 26. 3 Joan. 16, 12-15. Luc, 24, Act. 1, 8.

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<< Il en est, dit-il, qui, par cet esprit, entendent l'air que nous respirons; mais nous, d'accord avec les saints et les fidèles, nous entendons l'Esprit saint, en sorte que l'opération de la Trinité se manifeste dans la création du monde. Après avoir énoncé que Dieu a fait le ciel et la terre dans le Principe, c'est-à-dire dans le Christ, il restait la plénitude de l'opération dans l'Esprit, selon ce qui est écrit: Les cieux ont été affermis par le Verbe du Seigneur, et leur armée par l'Esprit de sa bouche. L'Esprit de Dieu était donc porté sur les eaux, parce qu'elles devaient par lui produire les semences des nouvelles créatures. Enfin le texte original porte: Et l'Esprit de Dieu fomentait les eaux, c'est-à-dire les vivifiait, pour les transformer en créatures nouvelles, et par sa chaleur les animer à la vie 1.» Voilà comme parle saint Ambroise, et avec lui plusieurs autres saints. D'après cela, tout ce qu'il y a de vie, de beauté, de perfection dans notre univers, vient de cette opération mysté– rieuse de l'Esprit de Dieu, reposant sur les eaux primitives ou la masse liquide dont devait éclore le monde.

Mais outre ce monde matériel, Dieu devait créer un monde spirituel, son Eglise. Les prophètes en prépareront les fondements, pour la pierre fondamentale, qui est Jésus-Christ; les apôtres bâtiront dessus; mais c'est l'Esprit qui animera, qui poussera les uns et les autres. C'est lui qui a parlé par les prophètes, qui locutus est per prophetas. C'est lui qui, en divers temps et en divers pays, dans la Judée, en Egypte, à Ninive, à Babylone, dans la Mésopotamie, annonçait par les prophètes que le Christ viendrait, qu'il convertirait à lui toutes les nations. C'est lui encore, cet Esprit saint, qui créera pour ainsi dire de nouveau les apôtres et qui renouvellera par eux la face de la terre. Ainsi, tout ce qu'il y a de vérités et de vertus dans l'Eglise, l'Eglise elle-même, est l'œuvre du Saint-Esprit, comme du Père et du Fils.

Sans l'Esprit de Dieu, l'histoire du monde, comme le monde lui-même, serait demeuré un chaos informe et vide, un je ne sais quoi sans corps ni âme. Dix siècles avant que l'antiquité profane nous offre aucune histoire un peu suivie, Moïse le premier, inspiré et éclairé par l'Esprit saint, débrouille ce chaos, y crée la lumière, y distingue des jours et des époques. Moïse le premier lui donne un corps organique et vivant, un ensemble qui embrasse tous les siècles et tous les peuples; le premier, il nous découvre le souffle de vie qui anime ce vaste corps, la divine providence qui surveille tout le genre humain, comme une mère son fils, pour le conduire

Ambros. Hexamer.

de l'enfance à l'adolescence, de l'adolescence à l'âge viril, et le mettre en état de remplir ses grandes destinées. Après Moïse, et inspirés par le même Esprit de Dieu, les prophètes développeront de plus en plus cette histoire vivante de l'humanité; ils écriront des siècles d'avance la succession, la durée, les révolutions de ces grands empires qui feront converger toutes les choses humaines vers un même centre, l'avènement du Christ, d'où rejailliront des torrents de lumière et de vérité sur le passé, le présent et l'avenir. Quand les prophètes auront achevé d'écrire ainsi l'histoire future, cinq ou six siècles avant la venue du Christ, alors seulement apparaitront les écrivains profanes, pour enregistrer les faits isolés, recueillir les fragments de vérité; faits et fragments qui à eux seuls ne présenteraient qu'un amas de décombres, mais qui, dans Moïse, les prophètes et le Christ, trouvent leur ensemble, comme les pierres d'un même édifice.

Le premier qui nous ait révélé cet ensemble divin, c'est le prophète Daniel, dans la statue prophétique de Nabuchodonosor; une, mais composée de quatre métaux qui se suivent ; un empire, mais de quatre dynasties successives; statue renversée, mise en poudre par une pierre qui devient une montagne; empire mis à néant et faisant place à l'empire du Christ, qui, faible d'abord, remplit bientôt l'univers. Après le prophète, ce sont les Pères de l'Eglise, saint Justin, saint Théophile d'Antioche, Jules Africain, Clément d'Alexandrie, Eusèbe de Césarée, qui, les premiers, complétant, rectifiant les chronologies profanes par les Ecritures divines, montré l'histoire humaine comme une chaîne immense qui, partant du trône de l'Eternel, se prolonge, à travers les siècles, depuis Adam jusqu'au Christ, depuis le premier avènement du Christ jusqu'à son avènement final, et rejoint ainsi par les deux bouts le temps à l'éternité. Pour la durée totale du genre humain, pour la providence cachée qui en fait un tout vivant, nul ne l'a mieux fait ressortir que saint Augustin, dans son grand ouvrage De la Cité de Dieu, autrement de l'Eglise catholique. C'est ainsi que l'Esprit saint, et par les prophètes d'Israël, et par les docteurs catholiques, nous révèle l'ensemble divin de l'histoire; prions ce même Esprit de nous en faire bien saisir la suite et les détails; prions-le particulièrement de nous faire bien apprécier ce qu'il ne cesse d'opérer lui-même dans l'Eglise et par l'Eglise de Dieu.

Les prophètes prédisent comme à l'envi les merveilles que l'Esprit saint opère dans les âmes. Voici ce que, dans Isaïe, le Seigneur dit à Israël : Ne crains point. Je répandrai les eaux sur les champs altérés; je ferai couler les ruisseaux sur la terre aride; je

ferai descendre mon esprit sur ta race, et ma bénédiction sur ta postérité. Tes enfants croîtront parmi les plantes, comme les saules sur le bord des ruisseaux. L'un dira: Je suis au Seigneur; un autre écrira de sa main : J'appartiens à l'Eternel1. Voilà que les jours viennent, dit le Seigneur dans Jérémie, et j'établirai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël; je graverai ma loi dans leurs entrailles, et je l'écrirai dans leurs cœurs 2. Je répandrai sur eux de l'eau pure, dit encore le Seigneur par Ezéchiel, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je vous purifierai de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous; j'ôterai de votre chair le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit au milieu de vous; je ferai que vous marcherez dans la voie de mes préceptes, que vous garderez mes ordonnances et que vous les pratiquerez 3.

Que sommes-nous donc sans la grâce de l'Esprit saint? Des champs altérés, une terre aride où rien ne prospère, où tout languit et dessèche. La grâce du Saint-Esprit est une rosée qui rafraîchit, une pluie qui féconde le terrain et qui fait tout croître. Que sommes-nous sans la grâce de l'Esprit saint? Un vêtement rempli de souillures. La grâce du Saint-Esprit est l'eau qui nous purifie. Qu'est-ce que notre cœur sans la grâce de l'Esprit saint? Un cœur de pierre, insensible et froid comme les tables de pierre où était gravée la loi de Moïse. C'est la grâce du Saint-Esprit qui nous ôte ce cœur de pierre et nous donne un cœur de chair; c'est la grâce du Saint-Esprit qui change notre cœur insensible et mort pour les choses de Dieu, en un cœur vivant et aimant ; qui y écrit la loi de Dieu en lettres vivantes, et nous la fait accomplir par amour. Que sommes-nous sans la grâce de l'Esprit saint? Des statues qui ont des yeux et ne voient pas, qui ont des oreilles et n'entendent pas, qui ont des pieds et ne marchent pas, qui ont des mains et n'agissent pas. C'est la grâce du Saint-Esprit qui nous donne les oreilles du cœur pour entendre ce que Dieu nous dit, des yeux pour le voir, des mains pour le faire, des pieds pour nous y avancer de plus en plus.

Ces merveilles s'accomplirent visiblement le jour de la Pentecôte, lorsque l'Esprit saint descendit sur les apôtres et les premiers disciples, et leur donna de parler diverses langues en une seule. Quelques-uns les supposant ivres, Pierre leur parla de cette sorte: Ce n'est pas ce que vous pensez, mais ce qui a été prédit par le prophète Joël. Et après cela, dit le Seigneur, je répandrai

1

Isaïe, 44, 2-5, 2 Jérém., 31, 31–33. — Ezéch., 36, 25-27.

mon esprit sur toute chair; et vos fils et vos filles prophétiseront; vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens verront des visions. Et même, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur les serviteurs et sur les servantes. Et je ferai paraître des prodiges dans le ciel, et des signes sur la terre, du sang, du feu et une vapeur de fumée. Le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang, avant que vienne le jour de Jéhova, ce jour grand et terrible. Et pour lors, quiconque invoquera le nom de Jéhova sera sauvé 1. D'après cette prophétie de Joël, traduite littéralement sur l'hébreu, l'Eternel doit, dans les derniers jours, ce qui comprend tous les siècles depuis Jésus-Christ jusqu'à la fin du monde, répandre son Esprit, non-seulement sur le peuple de Jacob, mais sur toute chair; non-seulement sur les enfants de famille, mais encore sur les esclaves de l'un et l'autre sexe; non-seulement les vieillards, mais les jeunes gens même auront des songes et des visions prophétiques.

On en voit une foule d'exemples dans les actes et les épîtres des apôtres. Les pêcheurs de Galilée, si ignorants et si peureux, l'Esprit saint les remplit tout d'un coup de lumière et de force; ils prêchent hardiment la parole, pénètrent les Ecritures, convertissent les âmes, ferment la bouche aux docteurs de la synagogue, se réjouissent de souffrir des outrages pour le nom de Jésus: ceux qui ont crucifié le Sauveur se déclarent ses disciples, et n'ont avec les premiers qu'un cœur et qu'une âme; à la parole des apôtres, les boiteux marchent, les aveugles voient, les morts ressuscitent; l'ombre même de Pierre, le linge de Paul guérissent les malades ; Pierre voit à nu le mensonge caché dans le cœur d'Ananie et de Saphire, il voit dans une extase tous les peuples de la gentilité appelés à l'Eglise, il se voit délivré de la prison par un ange; le diacre Philippe est transporté par l'Esprit du Seigneur sur le chemin de Gaza, pour baptiser l'eunuque d'Ethiopie, ses quatre filles sont prophétesses; Paul, ravi jusqu'au troisième ciel, y entend des choses ineffables; Jésus-Christ lui révèle ce qu'il lui faudra souffrir pour son nom; un homme de Macédoine le presse en songe de venir à leur secours; il est obligé de prescrire des règles aux fidèles de Corinthe pour user avec ordre des dons de l'Esprit saint, notamment le don des langues, le don de prophétie et les révélations. On voit que ce n'était pas une chose particulière aux apôtres ou au premier jour de la Pentecôte, mais une chose commune

' Act. 2. Joël, 2, ou plutôt 3, suivant l'hébreu, que nous avons suivi dans la traduction.