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venir de la Pologne chercher à Paris l'instruction qu'il n'aurait pu se procurer dans sa patrie1.

Telle était, vers la fin de l'an 1180, la situation de l'université de Paris, lorsque Lothaire y arriva. Parmi le grand nombre de professeurs étrangers ou tirés de la bourgeoisie de cette ville, il est probable que Lothaire suivit de préférence le cours de Pierre, chantre de la cathédrale et savant estimé pour la pureté de sa doctrine2. A cette même époque s'y trouvait aussi Pierre de Poitiers, qui, suivant l'exemple de son maître, Pierre Lombard, enseigna pendant trente-huit ans la théologie avec succès, et l'enrichit de toutes les subtilités de la dialectique aristotélicienne 3. Le fameux Mélior de Pise y occupait aussi une chaire de docteur; et, comme la plupart des savants de cette époque, il joignait de vastes connaissances à une grande expérience dans les affaires, et fut élevé par Lucius III jusqu'à la dignité de cardinal ". Il est vraisemblable que Pierre Comestor, ainsi nommé parce qu'il semblait dévorer les livres, chancelier de l'église de Paris, n'avait point encore quitté le professorat pour s'ensevelir dans la retraite et se préparer à entrer ensuite avec honneur dans cette université où tous devaient recevoir le complément de leur instruction".

De tous les professeurs, Lothaire s'attacha particulièrement à Pierre de Corbeil, et ce furent les leçons de ce savant qui eurent le plus d'influence sur la direction et le développement de son esprit. Il était aussi célèbre par ses connaissances en théologie, qu'estimé pour sa probité et la pureté de ses mœurs. Le roi Philippe-Auguste, qui savait estimer l'une et l'autre qualité, l'envoya à plusieurs reprises en ambassade à Rome. Sa sagacité et la finesse de ses réparties rendaient également sa société agréable au prince.

Lothaire se rappela toujours avec plaisir et reconnaissance le temps qu'il avait passé en France, et le profit qu'il avait tiré de son séjour à l'université de Paris. Il regarde constamment cette dernière comme sa mère spirituelle, il la prend sous sa protection particulière, lui accorde plusieurs priviléges, rend plusieurs décrets propres à augmenter sa prospérité, et lui recommande la stricte observation de ses règlements. Quelques années avant sa mort, il envoya en France le cardinal Robert Courçon, en qualité de légat, avec plein pouvoir de confirmer en son nom les droits de l'école, et de la doter d'utiles institutions, dont il déclare l'inviolabilité en vertu de son omnipotence pontificale.

p. 288.

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1Gerv., abb. Præmonst., epist. 95. 2 Hist. littér. de la France, t. 15, 3 Ibid., p. 484. - Ibid., t. 16, p. traduit par l'abbé Jager, 1. 1.

son siècle,

314. 5 Hurter. Innocent III et

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Les études de Lothaire à Paris embrassaient surtout l'Ecriture sainte, le mode d'explication usité à cette époque, et son application aux discours publics destinés au clergé et au peuple; le système doctrinal de l'école avec ses profondes subtilités, dont plusieurs étonnent plus par leur finesse qu'elles ne parlent au cœur; enfin la connaissance de tout ce qui, dans les siècles précédents, avait été écrit ou pensé par les hommes les plus éclairés sur le christianisme, comme règle de conduite et de salut. Il ne négligea pas non plus l'étude de la sagesse humaine. Il donna la préférence au livre des Consolations, de Boëce, devenu le manuel d'un grand nombre d'hommes d'état et de savants du moyen âge. Il possédait également l'histoire ecclésiastique, ainsi que celle des empereurs sous le règne desquels le christianisme, se propageant au milieu des persécutions, affermit son organisation intérieure, et se prépara aux grands événements dans lesquels il devait remplir un rôle si important pour le monde entier. Non-seulement il connaissait ce que l'Ecriture sainte nous rapporte de l'histoire du peuple juif, mais il avait fait aussi une étude spéciale des ouvrages de l'historien Josèphe. Il paraît qu'il lisait les auteurs grecs dans leur langue originale, et qu'il se délassait, par la lecture des poètes anciens, des fatigues du gouvernement; ce qui l'engagea sans doute à faire quelques essais dans la poésie.

Nous savons que la plupart des grands hommes qui, sous le pontificat d'Innocent, occupèrent les siéges épiscopaux les plus distingués du monde chrétien, avaient passé les années de leur jeunesse à Paris; mais nous ignorons s'ils ont été liés d'amitié avec le jeune comte de Ségni. Tels sont : Etienne de Langton, que ce Pape éleva à l'archevêché de Cantorbéri, en 1206, et qui fut maintenu sur ce siége par l'autorité du chef de l'Eglise, contre la puissance du roi d'Angleterre ; en France, Guillaume, évêque de Langres, de la maison de Joinville, et Frédéric, évêque de Châlons. Le plus grand nombre des évêques d'Allemagne, contemporains de Lothaire, avaient aussi fait leurs études à Paris. Pierre, fils de Sunon et neveu de l'archevêque Absalom, promu dans la suite à l'évêché de Rotschild, avait séjourné à Paris à la même époque. Gauner, évêque de Wiborg, n'avait que huit ans de plus que Lothaire. A l'exemple de plusieurs autres Danois, il était venu chercher en France ce qu'il n'avait pu trouver dans sa patrie. Walter de Vogelweide, célèbre poète allemand, avait aussi passé quelques années à Paris, et, vraisemblablement, au même temps que Lothaire.

Entre ses nombreux condisciples, Lothaire lia surtout amitié avec Robert de Courçon, Anglais de nation, qui joignait à un esprit

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cultivé cette douceur de mœurs et cette aménité de manières si propres à unir deux cœurs qui se conviennent. Leur amitié ne se refroidit jamais, même au milieu des vicissitudes inséparables de la vie.

Pendant son séjour à Paris, Lothaire alla faire un pélerinage au tombeau de saint Thomas de Cantorbéri, de ce généreux athlète qui avait combattu jusqu'à la mort pour la liberté et les droits de l'Eglise. De quel sentiment dut-il être pénétré devant les dépouilles mortelles de cet homme élevé au rang des bienheureux, lui dont les convictions et la fermeté trouvaient tant de sympathie dans celles de ce grand archevêque! Quelle solidité dut acquérir cette vocation à laquelle il se sentait appelé, d'être tout par l'Eglise et pour l'Eglise! Quelle impression dut faire sur Lothaire ce pélerinage et l'exemple encore vivant qui s'offrait à ses regards dans la personne d'Alexandre III, et celui de ces hommes qui, animés de la même volonté, avaient résolu de consacrer leurs forces et leur vie entière à l'exécution d'un même dessein!

De Paris, Lothaire se rendit à Bologne. Là florissaient depuis long-temps des écoles de droit, où l'on accourait de toute l'Italie et des pays les plus éloignés. L'école du droit romain y était fameuse depuis le décret de Gratien, l'enseignement du droit canon y devint plus fameux encore. Le droit romain n'avait de crédit que dans le lieu qui l'avait vu naître et où il n'avait jamais été entièrement abandonné, et selon la mesure d'importance que lui avait donnée la puissance de l'empereur. Le droit canon, au contraire, était suivi dans tous les royaumes soumis au Pape comme chef de l'Eglise. Partout il se rencontrait des cas sur lesquels il fallait le consulter ; c'était par lui qu'on s'ouvrait le chemin aux honneurs et aux dignités; partout on recherchait les hommes versés dans cette science et dans son application; et tous les pays, à l'envi, se procurèrent un nombre infini d'exemplaires du recueil de Gratien, aussitôt qu'il fut revêtu de la sanction pontificale. Déjà, avant ce temps, une foule de jeunes gens, et même, ce qui n'était pas rare alors, d'hommes promus aux charges supérieures de l'Eglise, accouraient aux cours de Bologne; mais, quelques années après le séjour de Lothaire dans cette cité, le nombre des étudiants s'éleva jusqu'à dix mille, de toutes les nations de l'Europe.

Revenu de Bologne à Rome, Lothaire fut premièrement chanoine de Saint-Pierre. Le pape Grégoire VIII l'ordonna sous-diacre: Clément III, qui était son oncle maternel, le fit cardinal-diacre de Saint-Serge, qui avait été son titre à lui-même.

Sévère dans ses mœurs, simple dans ses habitudes, Lothaire était

le censeur le plus inexorable du luxe et de la volupté. Pauvre au milieu des grandeurs, il surpassait les cardinaux par les trésors de son esprit et les richesses de son cœur. Il mettait à profit tous les loisirs que lui laissaient ses devoirs envers l'Eglise, les affaires de la papauté et ses incommodités naturelles, pour agrandir le cercle de ses connaissances, et pour composer plusieurs ouvrages qui attestent de leur étendue. Le principal est son livre Sur les misères de la vie humaine, autrement, Du mépris du monde.

On y reconnaît une de ces grandes âmes que Dieu élève au-dessus du monde et au-dessus d'elles-mêmes, pour juger leur siècle et le genre humain. Des hommes de ce caractère sont les colonnes sur lesquelles la société repose, et sans lesquelles elle tomberait en ruine. Ils sont le sel qui préserve la terre de la corruption. Partout où ils se trouvent, ils sont toujours à leur place; partout où leur action se fait sentir, là tout reçoit l'impulsion de l'élément spirituel qui est leur force. Ils se dévouent sans restriction à tout ce qu'ils ont entrepris. Ils combattent pour la stabilité au centre d'une sphère constamment mobile, et pour l'indivisible unité au foyer de cet isolement où tous les phénomènes n'apparaissent que pour se déchirer et ce que le vieux stoïcisme cherchait en lui-même, leur est offert avec plénitude et vérité dans cette union rétablie avec Dieu, à laquelle Jésus-Christ a rendu le genre humain 1. Dans son livre sur les misères de la vie humaine, on croirait, plus d'une fois, entendre Job ou Jérémie déplorant la misère physique, intellectuelle et morale de l'homme.

<< Quoi donc! s'écrie-t-il en mêlant les accents de sa plainte à ceux de Job; pourquoi ma mère n'a-t-elle pas été mon tombeau! car l'affliction est l'héritage de l'homme. Pétri de boue, engendré dans le péché, né pour le châtiment, il fait le mal qu'il n'aurait jamais dû connaître; il commet des actions honteuses qui le déshonorent, court après la vanité qui ne lui sert de rien, et devient la pâture des vers et la proie de la pourriture. Les oiseaux et les poissons sont formés d'une substance plus noble que celle de l'homme, qui n'a rien de supérieur aux quadrupèdes. Avant qu'il puisse pécher, il est déjà enchaîné dans les liens du péché : impure est sa conception; impure la nourriture qu'il prend dans le sein de sa mère. Un grand nombre naissent avec des difformités, des défauts, sans connaissance, sans parole, sans vertus; tous, faibles, défectueux, plus dénués de secours que les animaux. O heureux ▷ ceux qui meurent avant d'avoir vécu ! Nous entrons dans la vie au

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milieu des douleurs et des gémissements, sans aménité et au-dessous des arbres et de l'herbe des champs qui répandent au loin un parfum agréable. Les jours de la vie sont toujours trop courts. Peu arrivent à quarante ans, très-peu à soixante; et que d'infirmités de corps et d'esprit sont réservées au vieillard !

> De combien de peines la vie n'est-elle pas surchargée! Veuxtu parvenir à la sagesse ou à la science? Alors les veilles, les fatigues et les travaux sont ton partage; et encore ce n'est qu'avec peine que tu pourras acquérir quelques connaissances. Dieu a donné à l'homme une raison qui conçoit clairement, mais il en abuse pour s'enfoncer dans des subtilités infinies. Ne voyez-vous pas les mortels aller çà et là, parcourant les sentiers et les routes, les montagnes et les vallées, les terres et les mers? Comme ils méditent, comme ils s'appliquent, comme ils entreprennent, comme ils exécutent, comme ils se querellent pour un avantage temporel! quelle inquiétude intérieure leur ronge le cœur! Le riche et le pauvre, le maître et le serviteur, celui qui est engagé dans les liens du mariage comme celui qui ne l'est pas; tous, en un mot, sont tourmentés de diverses manières. Ainsi le malheur et la peine se groupent autour de l'homme de bien comme autour du méchant; avec cette différence que le premier crucifie sa chair avec ses vices et ses convoitises. Il sait qu'il n'a point de cité permanente ici-bas; mais il s'élève vers la cité éternelle; il regarde le monde comme un lieu de captivité et d'exil, et son corps comme une prison.

>> La vie est une milice environnée d'ennemis et de périls. Quel est l'homme qui a passé un seul jour dans une joie pure, sans aucun reproche de conscience, sans aucune émotion de colère, sans aucun mouvement de concupiscence? Avec quelle rapidité la peine succède au plaisir, et la tristesse à la joie! La mort nous menace sans cesse ; les songes nous effraient; les visions jettent en nous la confusion. Nous tremblons pour nos amis et nos parents. L'infortune nous frappe de ses coups avant que nous ayons pu nous y attendre. Le malheur arrive comme un torrent; la maladie nous surprend, et la mort vient trancher le fil de nos jours. Les siècles n'ont pas suffi à la médecine pour sonder tous les genres de douleurs auxquelles l'homme fragile est condamné. De jour en jour la nature humaine devient plus corrompue. L'univers et notre corps, qui en est l'image, vieillissent.

>> La misère morale n'est pas moins grande. L'homme est travaillé par trois passions principales: la soif des richesses, la concupiscence et l'ambition. Rien de plus odieux que la cupidité. Là,

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