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électorale des princes serait anéantie, et on enleverait aux autres l'espoir de parvenir jamais à l'empire; car, comme précédemment Frédéric a succédé à Conrad et Henri à Frédéric, si maintenant encore un nouveau Frédéric allait succéder à Philippe ou Philippe à Henri, l'empire serait censé se transmettre, non plus par élection, mais par succession. D'ailleurs, comme beaucoup d'autres princes sont aussi illustres et aussi puissants que lui, on leur porterait préjudice, si l'on venait à s'imaginer qu'on ne peut prendre un empereur dans une autre maison que dans celle de Souabe. Pour nous, rien ne pourra nous faire dévier de notre résolution; nous y persistons, et, comme vous nous avez souvent donné à entendre, par des lettres, que nous ne devons pas nous montrer favorable au duc, nous vous exhortons à ne point vous laisser arrêter par le serment que vous lui avez prêté, et à embrasser publiquement et énergiquement la cause d'Otton; en retour de quoi nous vous accordons notre bienveillance'. »

La réponse adressée au roi de France, qui d'abord ne s'était point montré défavorable à Otton, mais qui dans la suite avait fait connaître au Pape, par le marquis de Montferrat, son penchant pour Philippe, contenait l'expression de la bienveillance la plus inviolable pour lui et pour son royaume; elle portait que « le roi et son royaume devaient être sans crainte sur l'élévation d'Otton à l'empire; car le Siége apostolique était pénétré de l'affection la plus vive pour la France et pour son souverain; il regardait l'exaltation de la France comme son exaltation, la dépression de la France comme sa dépression propre. L'excommunication, le parjure, la persécution contre l'Eglise sont les motifs qui font refuser la couronne impériale à Philippe; car celui-ci se regarderait comme déshonoré s'il ne surpassait ses aïeux en méchanceté, et s'il n'en comblait la mesure. En effet, non satisfait de tout ce que son père ainsi que son frère avaient enlevé à l'héritage de saint Pierre, il voulait étendre sa puissance jusqu'aux portes de Rome et au-delà du Tibre. Or, quelle protection l'Eglise pourra-t-elle attendre d'un homme qui en est le spoliateur? Le Pape a donc dû être favorable à Otton, puisque, après une élection douteuse, il ne lui a pas été possible de faire un troisième choix, et que d'ailleurs il vaut toujours mieux appliquer les remèdes à temps, que de les chercher au moment où la blessure est devenue trop profonde. Du reste, le roi de France doit se rappeler que le Siége apostolique a exigé d'Otton, par écrit et par serment, l'assurance de s'en rapporter constamment à ses

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conseils, pour ce qui concerne le royaume de France. Maintenant que le roi est allié à Otton par son fils Louis, héritier du trône, et par plusieurs autres princes, ses parents, il doit être convaincu que la promotion d'Otton lui sera plutôt avantageuse que préjudiciable. D'ailleurs, nous aimons tellement la liberté du royaume de France, que nous défendrions son indépendance et sa dignité de toutes nos forces, non-seulement contre lui, mais contre tout homme qui voudrait y donner atteinte. Le roi de France doit considérer, en outre, que si Philippe de Souabe réussissait à s'adjuger le trône impérial et à enlever à son neveu le royaume de Sicile, il réunirait par là les forces militaires de l'empire aux trésors siciliens, et penserait à subjuguer le royaume de France, comme l'avait projeté, après la conquête de la Sicile, son frère l'empereur Henri, qui se vantait qu'il vous forcerait bien à lui jurer fidélité. Il ne doit pas non plus oublier que Philippe, à son retour des pays d'outre-mer, lui a dressé des embûches en Lombardie; que, sauvé par la divine Providence dans cette conjoncture, il serait imprudent de se jeter dans le même péril, et de tenter vainement d'adoucir le tigre. Il lui donne du reste à comprendre que sa résolution est ferme et immuable. Son altesse royale doit aussi songer quelle valeur et quelle stabilité peut obtenir tout ce qui est en opposition avec le Siége apostolique. De même que le roi de France serait faché de voir le Pape appuyer contre la France un autre souverain, et spécialement l'empereur, de même le Pape serait affligé de voir le roi de France protéger un ennemi de l'Eglise romaine dans ses prétentions à la couronne impériale. Le roi de France ne doit jamais abandonner l'Eglise romaine, pas plus que l'Eglise romaine n'abandonne le royaume de France 1. »

Dans ces lettres, Innocent III signale le grand péril de l'Eglise et de l'Europe.

L'empereur allemand est le seul souverain, le seul propriétaire légitime de tout le monde. Il est la loi vivante, de laquelle dérivent tous les droits subalternes des princes et des particuliers. Tout ce qui est contraire à ces principes, est injuste et doit être réformé de gré ou de force. Telle était la religion politique des empereurs de la maison de Souabe: plan applicable aux princes et aux peuples, comme à l'Eglise. Si ce plan n'eût pas rencontré une opposition insurmontable, les rois d'Espagne, d'Angleterre, de France, de Danemarck, de Suède, de Norwège, de Hongrie et d'ailleurs n'étaient plus que les très-humbles vassaux de l'empire allemand, et cet empire, de

1 Registr., epist. 64.

venu héréditaire, ces rois de l'Europe, ainsi que les princes libres d'Allemagne, n'étaient plus que les premiers bourgeois, les premiers sujets, les premiers serviteurs, pour ne pas dire les premiers esclaves de l'unique souverain de l'Europe et du monde. Qui donc a prévu et prévenu cet immense danger? Ce ne sont pas les rois. Ils étaient le plus souvent trop occupés à se brouiller, ou avec leurs femmes, ou avec leurs voisins, pour prendre garde au péril qui les menaçait tous. Le Pontiferomain y veillait pour eux et pour leurs peuples. Oui, l'histoire ne peut assez le redire, c'est au Pontife romain que les rois et les royaumes d'Espagne, d'Angleterre, de France, de Danemarck, de Suède doivent leur liberté et leur indépendance; c'est au Pontife romain que, particulièrement, cette multitude de princes d'Allemagne, y compris les rois de Bavière, de Wurtemberg, de Hollande, de Prusse et l'empereur d'Autriche, doivent d'être encore des princes souverains ou libres, et de pouvoir envoyer leurs enfants trôner dans les différents royaumes de la chrétienté. Si les Pontifes romains avaient permis que l'empire d'Allemagne devint héréditaire, au lieu de demeurer électif, il n'y aurait dans toute l'Allemagne qu'une famille souveraine, non plus que dans toute la Russie. Les rois et les peuples ne le comprennent ou n'y pensent pas plus que les historiens. Quant aux intérêts généraux de l'humanité chrétienne, base première du bonheur des peuples et des rois, et les rois et les peuples ont toujours été et sont toujours mineurs et enfants, il faut toujours que le père de la grande famille, le père de la chrétienté, ait de l'intelligence et de la prévoyance pour tout le monde, sauf à ne recueillir, pendant des siècles, que l'oubli, l'ingratitude, la calomnie. Telle est en effet l'histoire, même parmi les catholiques, je dirais presque surtout les catholiques; car il faut que des protestants viennent nous ouvrir les yeux sur nos préventions envers l'Eglise, notre mère. Le protestantisme était peut-être nécessaire pour cela : nous n'en aurions pas cru des amis !

<< Quant à Innocent III, dit son historien protestant, la contradiction qu'il rencontrait ne servait qu'à le rendre plus persévérant et plus inébranlable dans ses résolutions. Plus les difficultés se multipliaient, plus il mettait d'activité à menacer, à avertir, à encourager et à unir ses forces. De tout temps les grands hommes ont tenté la lutte contre les événements extraordinaires, quand d'autres leur ont cédé. Sans cette résistance, le christianisme fût resté une secte juive ou un simple ordre religieux, propagé dans l'obscurité et dans un coin de la terre, et l'humanité n'eût jamais admiré la plus grande merveille de son histoire, le grain de sénevé

devenu un arbre immense, à l'ombre de qui viennent demeurer les oiseaux du ciel 1. »

De l'an 1201 à 1208, les hostilités continuèrent en Allemagne entre les deux partis, mais aussi des négociations pour la paix. En 1203, Otton eut quelques avantages militaires sur son rival; mais l'année suivante il se vit abandonné par son propre frère Henri et par l'archevêque Adolphe de Cologne, le principal promoteur de son élection. Tous deux ils passèrent du côté de Philippe, qui se fit couronner une seconde fois à Aix-la-Chapelle, en 1205. Le parti d'Otton allait s'affaiblissant, et celui de son rival se fortifiant. La plupart des princes se tournaient du côté de la fortune. Otton n'avait qu'un ami bien fidèle: le pape Innocent III. Le Pontife ne cesssait d'écrire et d'agir en sa faveur ; l'archevêque Adolphe de Cologne, qui l'avait trahi et abandonné, fut excommunié et déposé, et remplacé par un autre. Au milieu de toutes ces divisions, Innocent recevait avec bienveillance les ambassades des deux partis, et négociait la paix et la concorde. Ses efforts furent enfin couronnés d'un heureux succès l'an 1208. L'année précédente, il avait ménagé une trève pour amener la paix. Ses négociateurs étaient le cardinal Hugolin, évêque d'Ostie, et Léon, cardinal du titre de Sainte-Croix. Philippe les reçut à Spire, les traita à ses frais, et convoqua, d'après leur conseil, une diète à Nordhausen. Il se chargea également de fournir aux dépenses de leur voyage. Le bruit courut que des présents en habits précieux, en or et en argent, avaient rendu les légats plus souples; que, pour ce motif, ils auraient passé légèrement sur la mise en liberté du nouvel archevêque de Cologne, Bruno, condition expresse que le Pape avait mise à la levée de l'excommunication. Ils firent savoir à Otton que son rival était réconcilié avec l'Eglise, et qu'il pouvait traiter avec lui; mais Otton, leur présentant les lettres du Pape, qui exigeaient la délivrance de Bruno, leur demanda s'ils avaient suivi ces instructions. Les cardinaux, effrayés par les menaces d'Otton, s'accusérent près de Philippe d'avoir commis une erreur, et déclarèrent nulle la levée de l'excommunication, au cas où il ne mettrait pas l'archevêque en liberté. Les circonstances étaient pressantes, Philippe céda, et les légats le reçurent de nouveau dans la communion de l'Eglise, en lui donnant l'absolution. Il fit ensuite serment aux légats d'obéir au Pape sur tous les points qui lui avaient attiré l'excommunication. Innocent, informé du succès des démarches de ses ambassadeurs, envoya le prieur des Camaldules au duc, pour

'Hurter, l. 6.

le féliciter de ce retour et pour l'assurer de sa bienveillance. Un envoyé extraordinaire, lui mande-t-il, vous fera connaître verbalement nos intentions ultérieures. Mettez donc tout votre zèle à rétablir la tranquillité dans l'empire 1.

Après cette réconciliation, les légats travaillèrent à ramener la paix entre les deux rivaux, car tel était l'objet principal de leur mission. Innocent leur avait donné des instructions positives à cet égard. A cet effet, l'ouverture de la diète eut lieu à Nordhausen. Otton se trouvait dans un château à peu de distance, et les légats, le patriarche d'Aquilée et quelques princes s'y rendirent plusieurs fois pour effectuer le rapprochement; mais leurs démarches n'eurent, pour le moment, aucun succès.

On convint qu'une nouvelle conférence aurait lieu à Quedlinbourg pour le quinze septembre de la même année 1207. Otton paraît y avoir assisté; mais, outre les légats et les deux prétendants, peu de princes s'y étaient rendus. Les légats firent une proposition tendant à ce qu'Otton épousât Béatrix, fille aînée de Philippe, malgré sa parenté au quatrième degré. Cette princesse recevait en dot le duché d'Allemagne et d'autres propriétés ; Otton renoncerait au titre de roi et reconnaîtrait son beau-père pour souverain.

Otton s'indigna de voir qu'on mettait la couronne à prix. « S'il en est ainsi, disait-il, je suis prêt à donner à Philippe plus que la couronne, car je n'y renoncerai qu'avec la vie 3. » Avec de telles dispositions, un arrangement devenait impossible; les légats réussirent pourtant à faire conclure une trève jusqu'à la Saint-Jean de l'année suivante 1208. Philippe promit de licencier son armée, mais il exprima le désir que ses ambassadeurs accompagnassent les cardinaux à Rome 3.

Les cardinaux parurent pour la dernière fois, vers la Saint-André, à la diète d'Augsbourg. Il y fut question de paix et d'accommodement, et il paraît qu'un rapprochement eut lieu sur quelques points, mais l'arrangement définitif devait se faire à Rome. Philippe ayant fait des concessions, les cardinaux accueillirent sa prière en faveur d'Adolphe, archevêque déposé de Gologne, qui était, de plus, sous le poids de l'excommunication; mais ils y mirent pour condition que ce prélat se rendrait à Rome pour y implorer sa gráce. Les affaires terminées, les légats passèrent les Alpes, accompagnés de Bruno, nouvel archevêque de Cologne, du patriarche d'Aquilée et d'autres personnages marquants, qui

3

1 Registr., epist. 155, 143. Hurter, 1. 11. -2 Otto de S. Blas., c. 48. Registr., epist. 152.

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