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l'irremédiable dégénération annonce la ruine prochaine. C'est l'Orient, où le sort du monde se débat, les armes à la main, entre la civilisation chrétienne et la barbarie musulmane. C'est en Occident une secte plus funeste que le mahométisme, une secte qui, sous une couleur chrétienne, travaille à la ruine de toute religion, de toute morale, de toute société. C'est enfin, par la grâce de Dieu, la naissance de deux ordres religieux, dont le zèle et le bon exemple allaient comme renouveler la face de la terre.

Tels étaient les immenses travaux qui réclamaient tout à la fois les soins du nouveau Pape, sans compter une multitude innombrable d'affaires de toute espèce qui concernaient des particuliers. Innocent III suffira à tout.

Son élection fut annoncée immédiatement, suivaut l'usage, aux rois, aux clergés et aux peuples de toute la chrétienté. D'abord au roi de France, comme fils aîné de l'Eglise romaine, afin qu'il eût à suivre le dévouement et la vénération de son père pour elle; aux abbés, aux prieurs et à tous les religieux de ce royaume, afin qu'ils adressent de ferventes prières au Seigneur pour que son représentant remplisse ses devoirs de manière à être jugé digne de la récompense éternelle 1.

Le nouveau Pape envoya au roi d'Angleterre, c'était encore Richard Cœur de Lion, quatre anneaux d'or ornés de pierres précieuses, dans lesquelles le roi devait moins considérer le prix que le sens mystérieux caché sous leur nombre, leur forme, leur matière et leur couleur. « Les anneaux sont ronds, et désignent l'éternité, qui n'a ni commencement ni fin. Cette forme invite votre royale sagesse à s'élever des biens terrestres aux biens célestes, et des trésors du temps à ceux de l'éternité. Ils sont au nombre de quatre, nombre carré qui caractérise la fermeté du courage nécessaire pour ne se laisser ni vaincre par l'adversité, ni enorgueillir par la prospérité; deux avantages qui vous sont acquis, si vous êtes orné des quatre vertus principales: la justice, la force, la prudence et la tempérance. Reconnaissez donc dans le premier la justice, dont vous devez défendre les intérêts dans les jugements. Dans le second, la force, dont vous devez vous faire un appui contre l'infortune. Dans le troisième, la prudence, qui doit diriger vos conseils et éclairer tous vos doutes. Enfin, dans le quatrième, la tempérance, dont vous ne devez jamais abandonner les règles dans la prospérité. L'or est le symbole de la sagesse, et comme il occupe le premier rang parmi les métaux, de même aussi la sagesse occupe

1 Inn., 1. 1, epist. 1, 2 et 3.

le premier rang parmi tous les dons. Le roi en a un plus grand besoin que les autres hommes; c'est pour cela que Salomon, ce roi pacifique, ne voulut demander à Dieu autre chose que la sagesse, afin de gouverner avec prudence le peuple qui lui était confié. Le vert de l'émeraude est le symbole de la foi; le bleu éclatant du saphir, le symbole de l'espérance; le rouge étincelant du grenat, le symbole de l'amour, et le jaune vif de la topaze, le symbole des bonnes œuvres dont parle le Seigneur, quand il dit: Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. L'émeraude vous avertit de ce que vous devez croire; le saphir, de ce que vous devez espérer; le grenat, de ce que vous devez aimer, et la topaze, de ce que vous devez faire pour vous élever de vertus en vertus, jusqu'à ce que vous contempliez le Dieu des dieux dans Sion 1. >

Le roi Richard, qui devait aimer ces symboles et ces allégories, d'autant plus qu'il était lui-même poète et qu'il savait combattre, non-seulement à coups d'épée, mais encore à coups de chansons et d'épigrammes, remercia le Pape dans une lettre dont voici l'inscription: << A son très-excellent seigneur et père universel Innocent, par la grâce de Dieu souverain Pontife de l'Eglise catholique; le très-dévot fils de sa majesté, Richard, par la même grâce, roi d'Angleterre, duc de Normandie et d'Aquitaine et comte d'Anjou : salut, respect, affection et services en toutes choses 2. »

Innocent III, dès les premières lettres qu'il écrivit sur diverses affaires, exprima clairement les principes sur lesquels devait reposer son administration, et dont, suivant le témoignage d'un historien protestant, il ne se départit jamais, sous aucun prétexte, pendant la durée d'un règne de dix-neuf ans.

<< Il est de notre devoir de faire fleurir la religion dans l'Eglise de Dieu, de la protéger où elle fleurit. Nous voulons que, pendant tout notre règne, le culte divin prospère de plus en plus. — Ni la mort ni la vie ne pourront nous faire dévier de la justice, et nous empêcher d'en maintenir les droits. Nous savons que l'obligation nous a été imposée de veiller constamment sur les droits de tous. Aucune faveur, envers qui que ce soit, ne nous détournera de ce sentier. Nous sommes placé au-dessus des peuples et des empires, non à cause de notre mérite, mais comme serviteur de Dieu. Notre résolution, dont rien ne nous fera départir, est d'aimer d'un cœur pur et avec une conscience droite, et non une conscience

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fausse, tous ceux qui sont fidèles et dévoués à l'Eglise, et de les défendre avec le bouclier du Saint-Siége contre l'arrogance des oppresseurs. Mais si nous venons à jeter les yeux sur la haute importance des fonctions pastorales, puis sur la liberté dont nous avons joui par le passé, et sur la faiblesse de nos forces, nous nous garderons bien de bâtir sur notre propre mérite, mais uniquement sur les mérites de celui que nous représentons sur la terre. Si nous considérons les affaires innombrables et le soin de toutes les églises auxquelles nous sommes engagés pour toujours, alors nous comprenons que le nom qui nous convient le mieux est celui que nous exprimons dans le salut qui commence notre lettre, c'est-àdire le serviteur des serviteurs, responsable devant Dieu, nonseulement de notre propre personne, mais de celle de tous les croyants. Enfin, si nous pesons le fardeau de cette administration et la faiblesse de nos épaules, nous pouvons nous appliquer cette parole du prophète : « Je suis arrivé sur la haute mer, et j'ai été englouti dans les flots. Mais c'est la main du Seigneur qui nous a retiré de la poussière pour nous élever sur ce trône où nous prenons place, non pas seulement parmi les monarques, mais audessus des monarques, afin de rendre la justice '. >

Le même historien protestant ajoute: Que ce ne soit point ici l'orgueil qui se cache sous les expressions de l'humilité, nous en avons la preuve dans beaucoup d'autres circonstances où Innocent exprima et répéta les mêmes sentiments; nous le voyons encore par les instances avec lesquelles il se recommande aux prières ferventes de quelques monastères en particulier, et de tous les ordres religieux en général. « Nous sommes pénétré, écrit-il aux religieux cisterciens en Angleterre, de notre impuissance et de toute notre faiblesse ; ainsi, outre les vœux que l'Eglise entière porte pour nous aux pieds du Très-Haut, nous vous supplions tous de vous souvenir spécialement de nous dans vos prières, et de demander que celui qui nous a appelé à la charge apostolique, nous accorde la grâce d'en remplir les devoirs pour notre salut et pour l'avantage de tous les peuples qui nous ont été confiés, et qu'il daigne suppléer à notre faiblesse par la plénitude de sa toute-puissance. » Innocent porta d'abord ses regards sur les réformes à introduire dans son entourage. La restauration devait commencer par sa propre maison, avant de s'étendre sur le pays et sur l'Eglise universelle. Par la simplicité de sa vie, il voulait servir de modèle aux prélats, et ne point perdre, en s'environnant d'une cour fas

L. 1, epist. 6, 202, 230, 257, 15, 176, 171. Hurter, 1. 2.

tueuse, le droit de censurer librement ceux qui ne cherchaient les distinctions et les dignités qu'à cause de leur éclat extérieur. C'est pourquoi il s'astreignit à des habitudes modestes. Les vases d'or et d'argent firent place aux vases de verre et de bois, et les peaux de mouton remplacèrent les peaux d'hermine. Sur sa table, qui dèslors ne fut plus servie par des laïques, mais très-modestement par des religieux, ne parurent plus que trois plats, et deux seulement sur celle de son chapelain. Les jours de grande fête seuls faisaient exception. Il ne se servait des nobles officiers de la cour que dans les solennités où les anciens usages exigeaient que le chef de la chrétienté se montrât dans toute la pompe extérieure. Il congédia tous les gentilshommes du palais, leur laissant à tous une somme d'argent qui les mît à même de parvenir au rang de chevalier.

De tous les désordres, celui qu'il haïssait le plus, c'était la vénalité, et il s'appliqua de toute manière à l'extirper de l'Eglise romaine. Dès les premiers jours il défendit à tous ses officiers d'exiger quoi que ce fût, excepté seulement les rédacteurs et les expéditionnaires des bulles, dont encore il fixa les salaires, ne leur permettant de prendre au-delà que ce qui leur serait offert gratuitement. Il ôta les huissiers des chambres des notaires, afin que l'accès y fût plus libre. Il fit ôter d'une des cours du palais de Latran un comptoir où l'on vendait de la vaisselle et où l'on changeait de la monnaie. Trois fois la semaine il tenait le consistoire public, dont l'usage était presque aboli; il y écoutait les plaintes de toutes les parties, renvoyait à d'autres les moindres affaires et examinait par lui-même les plus importantes: ce qu'il faisait avec tant de pénétration et de sagesse, qu'il était admiré de tout le monde, et que plusieurs hommes très-savants, jurisconsultes et autres, venaient à Rome uniquement pour l'entendre; et ils s'instruisaient plus dans ses consistoires, qu'ils n'auraient fait dans les écoles, principalement quand le Pape prononçait les sentences; car il rapportait avec tant de force et d'exactitude les raisons des deux parties, que chacune, entendant les siennes, espérait gagner sa cause; et il n'y avait si habile avocat qui ne craignît terriblement ses objections. Dans ses jugements, il n'avait aucun égard aux personnes, et ne les prononçait qu'après une mûre délibération. C'est ce qui lui attira de toute la terre tant et de si grandes causes, qu'on n'en avait pas tant jugé à Rome depuis très-long-temps 1.

A peine Innocent eut-il été élu, que la bourgeoisie de Rome se pressa autour de lui avec une sorte d'impétuosité, le suppliant

'Gesta Inn. III, n. 41.

d'agréer leur promesse solennelle de fidélité, et de s'engager, de son côté, à leur donner les présents d'usage. Le Pape les renvoya à l'époque de son sacre. Alors les réclamations devinrent plus impérieuses. Cependant le Pontife avait fait faire en secret le dénombrement de tous les habitants des paroisses de la ville, selon les rangs et les dignités. Il voulait savoir si le trésor pouvait satisfaire à toutes les demandes. Cela fait, il ordonna de distribuer à chaque quartier ce qui lui revenait.

Le lendemain même de son sacre, Innocent exigea du préfet de Rome le serment de ne rien retrancher du territoire à lui confié, pour le vendre, le mettre en gage ou le donner en fief; de reconnaître les droits et les taxes de l'Eglise romaine, de s'en saisir et de les conserver; de protéger les châteaux forts, de n'y introduire personne sans l'autorisation expresse du Pape; de n'en faire bâtir aucun sans son ordre; et de rendre compte de son administration, et même de s'en démettre au premier ordre qui lui serait intimé. Au lieu du glaive qu'il recevait autrefois de l'empereur, le Pape le revêtit d'un manteau en signe d'investiture, et lui donna pour présent une coupe d'argent, symbole de la faveur suzeraine.

Innocent sut également profiter des transports de joie que le peuple fit éclater le jour de son élection, pour réformer un autre abus dans le gouvernement de Rome. L'année 1144, on y avait établi un sénat de cinquante-six membres. L'année 1191, immédiatement après l'élection de Célestin III, un noble de la ville usurpa la charge de sénateur unique, qu'il conserva jusqu'à l'année 1193. Un autre s'empara ensuite de la souveraine puissance du sénat, et en resta possesseur jusqu'à l'élection d'Innocent. Fort de l'affection du peuple, Innocent ne voulut pas souffrir plus longtemps cette usurpation. Il fit nommer par un fondé de pouvoir un nouveau sénateur, mit d'autres magistrats à la place de ceux qui avaient prêté serment de fidélité au sénateur précédent, de sorte que le nouvel élu n'exerçait plus sa charge au nom du peuple, mais au nom du Pape. Une réélection annuelle du sénateur lui donnait la garantie qu'il n'abuserait point de son autorité, ce qui eût été à craindre dans le cas d'une administration plus prolongée. Le préfet s'engageait par serment à protéger les possessions et les revenus de l'Eglise romaine au dehors de la ville; et le sénateur s'obligeait à veiller à la sûreté personnelle du Pape et des cardinaux. Le sénateur jurait solennellement de ne rien entreprendre, ni par ses conseils, ni par ses actes, contre la vie du Pape; de lui faire connaître tout projet de ce genre; de lui prêter appui dans la jouissance de sa dignité et de tous les droits appartenant au Siége de saint Pierre ; et

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