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religieux n'osèrent résister aux représentations du Pape, et continuèrent leurs opérations avec d'autant plus de courage, que le comte de Toulouse venait de prêter serment d'expulser les hérétiques de ses états '. Mais ils pensaient que l'instruction donnée aux hérétiques et l'emploi des mesures violentes ne parviendraient pas seuls à rétablir l'autorité ébranléc de l'Eglise, et qu'il fallait commencer par éloigner le scandale du sein de l'Eglise même. Ils engagèrent donc l'évêque intrus de Toulouse à renoncer volontairement à sa charge; l'année suivante, le chapitre élut à sa place l'ancien troubadour Foulque de Marseille. Le prévôt de la cathédrale, qui avait coopéré à l'élection anticanonique de l'évêque, fut déposé par ordre du Pape 3.

Foulque était fils d'un riche marchand génois qui s'était établi à Marseille. La profession du père ne pouvait convenir à ce jeune homme, beau, vif et spirituel. La vie joyeuse que menaient les troubadours ou poètes de Provence, l'attira parmi eux : il en devint même un des plus célèbres. Il passa donc une grande partie de sa jeunesse au milieu des cours, à chanter les seigneurs et les dames. Mais à la fin, voyant mourir l'un après l'autre ceux qu'il avait chantés, il prit des pensées plus sérieuses : il renonça au monde, embrassa la vie monastique dans l'ordre de Citeaux, lui, sa femme et deux de ses fils. Foulque entra dans le couvent de Touronet. Avec le temps, il en devint abbé, et occupa cette place jusqu'à l'année 1206, où il fut appelé à l'évêché de Toulouse; car il passait pour un homme capable d'arracher ce diocèse à sa ruine, et d'y rétablir l'autorité spirituelle. En effet, on retrouve dans ses sermons cette éloquence entraînante que l'on découvre dans ses poésies. A l'éloquence et au zèle, il joignait une charité si géné– reuse, qu'il était vénéré de tout le monde. C'est le témoignage que lui rend, dans son histoire, Guillaume de Puy-Laurens, chapelain du dernier comte de Toulouse". Le bienheureux Pierre de Castelnau, alors malade, ne se trompait donc pas, lorsque, apprenant cette élection sur son lit de douleur, il leva les mains au ciel pour remercier Dieu d'avoir donné un tel évêque au diocèse ".

Le chapitre de Viviers ayant porté des plaintes très-graves contre son évêque, les légats persuadèrent à ce prélat de donner sa démission. En même temps ils parcoururent le pays, mais leurs prédications et leurs réprimandes n'eurent presque pas de succès. Les plaintes qui s'élevaient de toutes parts contre la vie scanda

1 Guill. de Puy-Laurens, c. 7. 2 L. 8, epist. 115. 3 Ibid., epist. 116. ➡ Script, rer. Franc., t. 19, p. 217 et 225. 5 Gall, Christ., t. 15, p. 21.

leuse des ecclésiastiques, les forçaient souvent au silence. Enfin, dégoûtés d'une mission pénible, périlleuse et presque inutile, ils pensaient à prier de nouveau le Pape d'accepter leur démission. C'était à Montpellier, l'an 1206, lorsqu'au mois de juillet l'arrivée de deux hommes en cette ville leur fit changer de dessein.

C'étaient deux ecclésiastiques qui s'en retournaient de Rome en Espagne. Le premier était Diégo de Azevédo, évêque d'Osma en Castille, recommandable par sa naissance et par sa doctrine, mais encore plus par sa vertu, principalement par son zèle pour le salut des âmes. A la suite de son prédécesseur, Martin de Bazan, il entreprit d'établir dans le chapitre de sa cathédrale la règle de saint Augustin et l'observance des chanoines réguliers; et il y réussit, malgré la résistance de quelques-uns des chanoines. Alphonse IX, roi de Castille, voulant faire épouser à son fils Ferdinand la fille du comte de La Marche, choisit l'évêque d'Osma pour négocier cette alliance, et le prélat s'en acquitta si bien, que le mariage fut conclu. Mais étant retourné avec une plus grande suite pour amener la princesse, il la trouva morte. Il se contenta d'envoyer un courrier au roi Alphonse lui porter cette triste nouvelle, et, pour lui, il prit le chemin de Rome avec les clercs qui l'accompagnaient.

Etant arrivé devant le pape Innocent, il lui demanda instamment la permission de renoncer à l'évêché, alléguant son incapacité et la grandeur de la charge. Il découvrit même au Pape que son dessein était d'aller travailler à la conversion des Cumans, peuple barbare qui habitait vers l'embouchure du Danube. Le Pape ne se rendit point à la prière de l'évêque, et ne voulut pas même lui permettre d'aller prêcher les Cumans en gardant son évêché, mais il lui ordonna de retourner à son église. En revenant, le pieux prélat voulut voir l'abbaye de Citeaux. Touché de l'observance qui y était encore en vigueur, il y prit l'habit monastique, et emmena quelques moines pour l'instruire dans les pratiques de l'ordre, ne son geant qu'à retourner en Espagne.

L'autre ecclésiastique espagnol s'appelait Dominique. Il était fils de Félix de Gusman et de Jeanne d'Asa, et naquit l'année 1170, an bourg de Calaruéga, diocèse d'Osma, dans la Vieille-Castille. Il eut plusieurs frères, dont l'aîné, nommé Antoine, se fit prêtre, et mou rut en odeur de sainteté dans un hôpital où il s'était consacré a service des malades. Un signe précéda la naissance de saint Dominique. Sa mère vit en songe le fruit de ses entrailles sous la forme d'un chien qui tenait dans sa gueule un flambeau, et qui s'échap pait de son sein pour embraser toute la terre. Inquiète d'un présage dont le sens était obscur, elle allait souvent prier sur la tombe

de saint Dominique de Silos, autrefois abbé d'un monastère de ce nom, qui n'était pas loin de Calaruéga, et, en reconnaissance des consolations qu'elle y avait obtenues, elle donna le nom de Dominique à l'enfant qui avait été l'objet de ses prières. Il ne fut pas plus tôt en état de faire usage de sa raison, que sa vertueuse mère, qui elle-même est honorée d'un culte public', l'instruisit de ce qu'il devait à Dieu. Sa ferveur était si grande dans sa jeunesse, que souvent il se levait pendant la nuit pour prier; il aimait aussi dès-lors les pratiques de la mortification. A sept ans commencés il quitta la maison paternelle, et fut envoyé à Gumiel d'Izan, chez un oncle, singulièrement recommandable par la piété, qui remplissait dans cette église les fonctions d'archiprêtre. Le jeune Dominique assistait avec lui à tous les offices de l'Eglise, et, après avoir donné un temps convenable à l'étude et à ses autres devoirs, il employait tout le reste à l'oraison, à des lectures pieuses et à diverses œuvres de charité. Il se privait, par esprit de pénitence, des amusements permis à son âge.

L'université de Palencia, au royaume de Léon, la seule que possédat alors l'Espagne, fut la troisième école où se forma Dominique. Il y vint à quinze ans, et se trouva pour la première fois abandonné à lui-même. Le séjour qu'il y fit fut de dix années. Il consacra les six premières à l'étude des lettres et de la philosophie. >Mais, dit un historien, l'angélique jeune homme, bien qu'il péné– trát facilement dans les sciences humaines, n'en était cependant as ravi, parce qu'il y cherchait vainement la sagesse de Dieu, qui st le Christ. Nul des philosophes, en effet, ne l'a communiquée ux hommes; nul des princes de ce monde ne l'a connue. C'est ourquoi, de peur de consumer en d'inutiles travaux la fleur et la ›rce de sa jeunesse, et pour éteindre la soif qui le dévorait, il alla uiser aux sources profondes de la théologie. Invoquant et priant Christ, qui est la sagesse du Père, il ouvrit son cœur à la vraie cience, ses oreilles aux douceurs des saintes Ecritures, et cette role divine lui parut si douce, il la reçut avec tant d'avidité et si ardents désirs, que, pendant quatre années qu'il l'étudia, il ssait les nuits presque sans sommeil, donnant à l'étude le temps I repos. Afin de boire à ce fleuve de la sagesse avec une chasteté us digne encore d'elle, il fut dix ans à s'abstenir de vin. C'était e chose merveilleuse et aimable à voir, que cet homme en qui petit nombre de ses jours indiquait la jeunesse, mais qui, par maturité de sa conversation et la force de ses mœurs, révélait le

Acta SS., 2 aug.

vieillard. Supérieur aux plaisirs de son âge, il ne recherchait que la justice; attentif à ne rien perdre du temps, il préférait aux courses sans but le sein de l'Eglise, sa mère, le repos sacré de ses tabernacles, et toute sa vie s'écoulait entre une prière et un travail également assidus. Dieu le récompensa de ce fervent amour avec lequel il gardait ses commandements, en lui inspirant un esprit de sagesse et d'intelligence qui lui faisait résoudre sans peine les plus difficiles questions'. >>

Deux traits nous sont restés de ces dix années de Palencia. Pendant une famine qui désolait l'Espagne, Dominique, non content de donner aux pauvres tout ce qu'il avait, même ses vêtements, vendit encore ses livres annotés de sa main pour leur en distribuer le prix ; et, comme on s'étonnait qu'il se privât des moyens d'étudier, il prononça cette parole, la première de lui qui soit arrivée à la postérité : « Je ne veux pas étudier sur des peaux mortes, et laisser des hommes mourir de faim 2. » Son exemple engagea les maîtres et élèves de l'université à venir abondamment au secours des malheureux. Une autre fois, voyant une femme dont le frère était captif chez les Maures, pleurer amèrement de ne pouvoir payer sa rançon, il lui offrit de se vendre pour le racheter; mais Dieu, qui le réservait pour la rédemption d'un grand nombre d'hommes, ne le permit pas.

Le vertueux Diégo, évêque d'Osma, ayant entendu parler de son mérite et ayant pris des informations bien exactes, le fit entrer dans le chapitre régénéré de sa cathédrale. « Alors, dit un de ses biographes, le bienheureux Jourdain de Saxe, alors Dominique commença de paraître entre les chanoines, ses frères, comme un flambeau qui brûle : le premier par la sainteté, le dernier de tous par l'humilité de son cœur, répandant autour de lui une odeur de vie qui donnait la vie, et un parfum semblable à l'encens dans les jours d'été. Ses frères admirent une si sublime religion; ils l'éta|| blissent leur sous-prieur, afin que, placé plus haut, ses exemples soient plus visibles et plus puissants. Pour lui, comme un olivi qui pousse des rejetons, comme un cyprès qui grandit, il demeura jour et nuit dans l'église, vaquant sans relâche à la prière, et montrant à peine hors du cloître, de peur d'ôter du loisir à sa com templation. Dieu lui avait donné une grâce, de pleurer pour l pécheurs, pour les malheureux et les affligés; il portait leurs mak dans un sanctuaire intérieur de compassion, et cet amour doule

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Thierry d'Apolda. Vie de S. Dominique, c. 1, n. 17 et 18. Apud Acts aug. Actes de Bologne. Déposition du frère Etienne, n. 1. Acta SS., 4

reux lui pressant le cœur, s'échappait au dehors par des larmes. C'était sa coutume, rarement interrompue, de passer la nuit en prières et de s'entretenir avec Dieu, sa porte fermée. Quelquefois alors on entendait des voix et comme des rugissements sortir de ses entrailles émues qu'il ne pouvait contenir. Il y avait une demande qu'il adressait souvent et spécialement à Dieu : c'était de lui donner une vraie charité, un amour à qui rien ne coûtât pour le salut des hommes, persuadé qu'il ne serait vraiment un membre du Christ que lorsqu'il se consacrerait tout entier, selon ses forces, à gagner des âmes, à l'exemple du Sauveur de tous, le Seigneur Jésus-Christ, qui s'est immolé sans réserve à notre rédemption. Il lisait un livre qui a pour titre : Conférences des Pères, lequel traite à la fois des vices et de la perfection spirituelle, et il s'efforçait en le lisant, de connaître et de suivre tous les sentiers du bien. Ce livre, avec le secours de la grâce, l'éleva à une difficile pureté de conscience, à une abondante lumière dans la contemplation, et un degré de perfection fort grand '.»

Tel était saint Dominique, lorsque l'évêque d'Osma l'emmena dans son ambassade. Tous deux, traversant le Languedoc, y furent témoins du progrès effrayant des albigeois ou manichéens, et leur cœur en conçut une amère affliction. Arrivés à Toulouse, où ils ne devaient demeurer qu'une nuit, Dominique s'aperçut que son hôte était hérétique. Quoique le temps fût court, il ne voulut pas que son passage fût inutile à l'homme égaré qui le recevait. Jésus-Christ avait dit à ses apôtres : Quand vous entrerez dans une maison, saluez-la en disant : Paix à cette maison! Et si cette maison en est digne, votre paix descendra sur elle; si elle n'en est pas digne, votre paix reviendra sur vous 2. Les saints, à qui toutes les paroles de Jésus-Christ sont présentes, et qui savent la puissance d'une bénédiction donnée même à qui l'ignore, se regardent comme envoyés de Dieu vers toute créature qu'ils rencontrent, et ils s'efforcent de ne pas la quitter sans avoir déposé dans son sein quelque germe de miséricorde. Dominique ne se contenta pas de prier en secret pour son hôte infidèle; il passa la nuit à l'entretenir, et l'éloquence imprévue de cet étranger toucha tellement le cœur de l'hérétique, qu'il revint à la foi avant que le jour fût levé. Alors une autre merveille s'accomplit: Dominique, ému par la conquête qu'il venait de faire à la vérité, et par le triste spectacle des ravages de l'erreur, cut pour la première fois la pensée de créer un ordre consacré à la défense de l'Eglise par la prédication 3.

Vie de S. Dom., c. 1, n. 8 et seqq. - Ibid., par le P. Lacordaire. 3 Lacord., c. 3. 10, 12 et 15.

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