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lui-même prisonnier et ôtage, à condition que tous les siens eussent la vie et sortiraient en chemise et en braie, ou, comme on dirait aujourd'hui, en culotte et en blouse : c'était le costume des valets de l'armée. La convention fut exécutée le jour de l'Assomption, quinze août 12091.

Après quoi, sur la proposition de l'abbé de Citeaux, les chefs de la croisade tiennent conseil, pour voir à quel baron ils donneraient la seigneurie de leurs conquêtes. Ils Foffrent d'abord au comte de Nevers, puis au duc de Bourgogne : l'un et l'autre refusent, disant qu'ils avaient assez de terres dans le royaume de France. Ils remettent alors l'élection à sept commissaires, deux évêques, quatre chevaliers et l'abbé de Citeaux, légat du Pape. Les sept électeurs, d'une voix unanime, choisissent le comte Simon de Montfort. Aussitôt le légat, le duc de Bourgogne et le comte de Nevers vont le trouver, le pressent et le conjurent d'accepter cette charge. Il se récuse comme insuffisant et indigne. Le légat et le duc se jettent à ses pieds: il résiste encore. Alors le légat lui commande au nom du Pape, en vertu de l'obéissance 2. Tel est le récit de Pierre de Vaulx-Cernai, qui accompagnait son abbé dans cette expédition, abbé qui devint évêque de Carcassonne. Un autre contemporain, Guillaume de Puy-Laurens, chapelain de Raymond VII, comte de Toulouse, dit également que le preux et vaillant Simon, comte de Montfort, après avoir refusé avec les autres, finit toutefois par accepter, vaincu par les prières réitérées des prélats et des barons, disant que la besogne de Dieu ne devait pas manquer faute d'un seul champion. Le poète contemporain dit de même que tous le supplièrent d'accepter, et qu'il ne le fit que quand tous les barons lui eurent juré de venir à son aide, lorsqu'il les appellerait".

Voici du reste le portrait de Simon de Montfort que trace, d'après les chroniques contempraines, l'historien protestant d'Innocent III.

< Sa famille, que la tradition présentait comme étant alliée depuis des siècles à la maison royale de France, brillait plus par son antique origine que par ses richesses. Second fils de Simon III, il hérita de la petite seigneurie de Montfort, située sur une hauteur entre Paris et Chartres. Sa mère Alix, sœur aînée du comte de Leicester, mort sans enfants, lui avait laissé le comté de Lei

cester.

» Il était allié à l'illustre maison de Montmorency, par sa femme Adélaïde, fille de Bouchard de Montmorency, et sœur du fameux

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Strophes 22 et 23. Pierre de V.-C., c. 16.—- 2 C. 17. — 3 C. 14. — Strophe 35.

Mathieu, dont elle avait l'esprit belliqueux. Baudouin de Flandre et Simon de Montfort peuvent être regardés à juste titre comme les plus beaux types de la chevalerie de leur temps. De haute taille, d'une figure agréable, doué d'une grande vivacité, portant une che[velure flottante, Simon réunissait toutes les qualités extérieures qui distinguent les chevaliers; prévoyant, vigilant, d'un courage le calme et réfléchi dans les combats, d'une audace surprenante, it possédait aussi toutes les vertus militaires; affable, officieux, éloquent, habile dans toutes les affaires, il occupait une des preemières places dans la société. Enfin sa piété, son zèle pour la foi, la pureté de ses mœurs complétaient en lui cette perfection par elaquelle la chevalerie représentait l'Eglise dans ses rapports avec le monde. La confiance qu'on avait en sa probité, dans des circons→ tances graves, n'était pas moins honorable pour lui. Ami du clergé, il respecta ses parents, exécuta scrupuleusement leur dernière volonté et se montra bienfaisant envers le Port-Royal, qui était dans gson voisinage. Plus tard, lorsqu'il possédait de vastes domaines, il ne donna pas seulement une preuve de sa bienveillance à l'ordre de Citeaux, mais il affecta à plusieurs évêchés du midi de la France des donations, des restitutions, des investitures. Il est vrai qu'il cherchait dans le clergé la protection la plus efficace pour la con→ servation de ses possessions chancelantes. C'est pourquoi il ne souffrait pas que ses vassaux s'appropriassent les droits ou les revenus appartenant à des fondations religieuses. S'il défendit devant Zara, son fidèle compagnon, l'abbé Gui de Vaulx-Cernai, contre la fureur des Vénitiens, nous le voyons plus tard professer l'estime la plus profonde pour saint Dominique, et se lier étroitement avec lui.

> Ayant appris, vers le commencement du siècle, que tant de héros se préparaient à partir pour la Terre-Sainte, il fut tellement enthousiasmé, qu'il s'associa à leurs dangers; mais il était plus fermement résolu que la plupart des croisés à consacrer exclusivement ses forces et sa vie à la conquête de la Terre-Sainte. S'agissait-il de prendre une détermination énergique, il dédaignait de sinistres présages; car l'habitude d'assister chaque jour à la messe et aux heures de l'Eglise, même en temps de guerre, lui avait inspiré, contre les dangers de la mort, ce courage toujours égal, qui est le fruit d'un sincère dévouement à Dieu. Aussi le nom de sa famille (Comte fort) pouvait-il servir à désigner les qualités qui lui étaient propres. A peine fut-il de retour de la croisade contre les infidèles, qu'il brûla, lorsque le Pape l'honora d'une mission spéciale, du désir de consacrer ses services à la cause de l'Eglise contre les hérétiques. Cette nouvelle lutte le mit dans peu de temps en possession

de grands domaines, et lui fit auprès de ses contemporains un tel renom, qu'on le comparait à Judas Machabée, et même à Charlemagne1. >>

Après avoir tracé ce tableau d'après les chroniques contemporaines, le protestant Hurter observe que la gloire de Simon de Montfort ne lui a pas survécu, et que le jugement si glorieux de ses contemporains n'a pas été ratifié par la postérité. Nous pensons de même; mais nous pensons de plus que c'est une cause à revoir. II faut examiner, avant tout, quelle est cette postérité qui n'a point ratifié sur ce personnage historique le jugement favorable de ses contemporains; car si, par aventure, c'était la postérité des manichéens que ce personnage eut à combattre, tout le monde conviendra que le jugement de cette postérité est nul de soi. Or, le protestant Hurter lui-même a reconnu que les manichéens du douzième et du treizième siècle ont eu et ont encore des descendants et des héritiers, et que ce sont les sectes révolutionnaires, sociétés plus ou moins occultes, qui travaillent à la ruine de toute autorité civile ou religieuse. Mais les héritiers les plus audacieux des manichéens sont les deux révolutionnaires, Luther et Calvin: même esprit d'impiété et de rébellion. S'ils n'ont pas inventé un dieu méchant pour décharger sur lui tous les crimes de l'homme, ils ont fait pis; à la suite de Mahomet, ils attribuent au dieu unique et bon les péchés de l'homme, aussi bien que ses bonnes œuvres ; en sorte que Dieu nous punirait du mal que lui-même opère en nous, sans que notre libre arbitre y soit pour rien. Blasphême exécrable, qui attribue au Dieu infiniment bon une méchanceté à peine concevable dans Satan, de punir ses créatures du mal qu'il fait lui-même. A ce mépris infernal de Dieu, Luther et Calvin joignent le mépris de toute autorité, surtout de la plus grande, et ne donnent à chacun d'autre règle que soi-même. Tel est l'arbre funeste de l'impiété et de l'anarchie que Luther et Calvin ont planté en Occident; que des rois et des peuples, des savants et des ignorants ont cultivé et arrosé; qui, en France et en Angleterre, terres précoces, a produit des impiétés et des révolutions sanglantes; qui, en Allemagne, terre lourde et tardive, les annonce seulement par ses feuilles et ses fleurs. Bien des hommes qui en craignent les fruits amers voudraient, tout en conservant et en cultivant l'arbre, l'empêcher de produire ses fruits. Aveugles ou hypocrites! ou changez l'arbre jusque dans sa racine, ou laissez-lui produire ses fruits naturels, la ruine de toute société religieuse, politique et domestique.

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Les chrétiens du douzième et du treizième siècle allaient plus droit au fait. Ayant reconnu cet arbre pestilentiel à ses premiers fruits, l'impiété, la trahison et le meurtre, au lieu de le cultiver ou de l'émonder niaisement, ils décidèrent qu'il fallait l'arracher, et le jeter au feu. Et la chose résolue, ils l'exécutèrent; et, pour l'exécuter, ils en prirent les moyens. La guerre contre les albigeois ou les manichéens n'est que cela. Les chefs de la la croisade décidèrent dès le commencement, que dans toute forteresse qui ne se rendrait pas, mais qu'il faudrait prendre d'assaut, les habitants seraient passés au fil de l'épée; et le poète contemporain ajoute que, sans cette mesure terrible, jamais les hérétiques n'auraient été soumis par la force des croisés. C'est-à-dire que, pour extirper l'anarchie révolutionnaire, les croisés prirent justement le moyen et le seul moyen qui pouvait l'extirper.

Encore, dans le conseil où fut prise cette décision importante, le comte Simon de Montfort n'avait que sa voix particulière. Il n'était pas le chef de la croisade, mais seulement un des chefs. Hurter a tort de supposer qu'il fut élu chef dès le commencent. Tous les auteurs contemporains nous apprennent que l'autorité suprême était entre les mains de l'abbé de Citeaux, légat apostolique, et que pour les marches et les campements militaires, ce fut le comte de Toulouse qui y présida jusqu'après la prise de Carcassonne. Ce n'est qu'après la prise de cette dernière ville, que Simon de Montfort est élu pour être le seigneur du pays et pour y compléter le but de la croisade, l'extirpation de l'anarchie révolutionnaire.

Quant à l'application de la peine prononcée, Simon de Montfort l'adoucissait plutôt qu'il ne l'aggravait. Dans les places emportées d'assaut et sans capitulation, il offrait aux manichéens la vie et la liberté, s'ils renonçaient à leur impiété subversive et rentraient dans le sein de l'Eglise catholique : il leur adressait, il leur faisait adresser pour cet effet des exhortations convenables. Ceux qui résistaient opiniâtrément subissaient la peine prononcée d'avance. Les autres conservaient leur vie, leur liberté et leurs biens. Telle fut la conduite générale de Simon de Montfort dans les prises des villes et dans toute la guerre : il ne perdait point de vue le but final de toute la croisade, l'extirpation de l'anarchie religieuse et civile.

La conduite de Raymond VI, comte de Toulouse, fut loin d'être aussi nette et aussi loyale. Chef de la croisade devant Béziers et Carcassonne, il parut se lier d'amitié avec Simon de Montfort, lui conseilla de détruire plusieurs forteresses du pays, et promit avec serment d'unir son fils en mariage avec la fille de Simon. Mais il

n'accomplissait pas les conditions qu'il avait jurées pour être réconcilié à l'Eglise : il n'expulsait pas les manichéens de ses états, et ainsi, au lieu de seconder la croisade, il la contrariait. De plus, il élevait de nouveaux péages, contre la défense qui lui en avait été faite sous peine d'excommunication. Devenu légitimement suspect, il fut excommunié conditionnellement, au concile d'Avignon, 1209, s'il prétendait rétablir les péages auxquels il avait re

noncé.

Pour se justifier, il fit le voyage de Paris et de Rome, afin de gagner le roi de France et le Pontife romain. Il trouva l'un et l'autre inaccessibles à ses artifices. Tout ce qu'il put obtenir du Pape, ce fut qu'il serait admis à produire sa justification canonique devant l'évêque de Rièz et le légat Théodise, touchant le meurtre de Pierre de Castelnau et la suspicion d'hérésie. Ce qui le rendait très-suspect sur le premier point, c'est qu'il entretenait dans sa familiarité le meurtrier du bienheureux Pierre, disant plus d'une fois que c'é tait son unique ami véritable.

Théodise et l'évêque de Rièz convoquèrent à Saint-Gilles une assemblée des prélats et des seigneurs. Déjà précédemment, ils avaient mandé au comte de Toulouse qu'il chassât de ses terres les hérétiques et les routiers ou brigands, et qu'il accomplît le reste des choses auxquelles il s'était engagé par plusieurs serments. Il fut également appelé au concile; mais quand il fut venu, on vit clairement par les effets qu'il n'avait exécuté aucun de ses engagements: on jugea donc qu'il ne devait point être admis pour lors à la purgation canonique; car il ne paraissait pas vraisemblable qu'il fît scrupule de se parjurer touchant le reproche d'hérésie et la mort de Pierre de Castelnau, après avoir tant de fois violé ses serments sur des matières moins importantes. C'est pourquoi le concile lui enjoignit qu'il commençât par chasser les hérétiques et les routiers, et par accomplir ses autres promesses: après quoi les deux légats pourraient exécuter à son égard les ordres du Papc.

Quelque temps après, il y eut une conférence à Narbonne. Il s'y trouva le roi Pierre d'Aragon, le comte de Montfort et le comte de Toulouse. Raymond, évêque d'Uzès, et l'abbé de Citeaux, tous deux légats du Saint-Siége, y étaient aussi avec le docteur Théodise. L'abbé de Citeaux proposa en faveur du comte de Toulouse, que, pourvu qu'il chassât les hérétiques de ses terres, on lui laisserait tous ses domaines et la troisième partie des droits qu'il avait sur les châteaux des autres hérétiques, ses vassaux, et que le comte | disait être au moins cinquante. Pour un prince qui demandait à se purger du soupçon d'hérésie et à se montrer bon catholique, ce

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