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Pour bien apprécier la conduite de l'Eglise et de ses Pontifes, on ne fera pas mal de se rappeler toujours ces leçons de la sagesse et de l'expérience.

Le pape Innocent, voyant que les divers royaumes d'Espagne demandaient toute son attention, envoya dans ces pays, pour y rétablir l'ordre, le frère Rainier de Citeaux, homme généralement estimé à cause de l'étendue de ses connaissances et de l'austérité de ses mœurs. Il le chargea surtout d'y rétablir la paix entre les rois chrétiens. Le roi Sanche de Navarre, malgré ses promesses, aussitôt qu'il vit la Castille exposée de nouveau aux invasions des Maures, avait fait une alliance avec les ennemis de la foi, rompu la paix avec Alphonse, et repris les châteaux forts donnés en gage de cette paix : il s'était même réuni contre Alphonse avec le roi de Léon. Celui-ci et le roi de Castille étaient en désunion avec le roi de Portugal. La lutte entre le roi Pierre et sa mère continuait dans l'Aragon. Au milieu de toutes ces divisions, les armes des chrétiens étaient plus souvent tournées contre eux-mêmes que contre les Maures; ceux-ci avaient moins à redouter la puissance des rois que celle de ces guerriers voués à combattre pour la foi, dont la gloire n'était jamais en repos, dont l'union était sanctifiée par le grand but de soumettre de nouveau l'Espagne à la domination de la croix. Le frère Rainier avait reçu mission de menacer le roi de Navarre de l'interdit de son royaume, s'il n'abandonnait pas son alliance sacrilège ; il devait exhorter ceux de Castille et de Léon à ne pas se laisser tromper plus long-temps par des fauteurs de troubles, à rompre la convention jurée avec le roi de Portugal, et à rétablir la paix. On lui donna plein pouvoir de faire revivre dans les églises les règlements tombés en désuétude, et de corriger les abus existants.

Il reçut également ordre de casser le mariage inconvenant par lequel le roi de Léon avait embrassé sa propre chair chose abominable devant Dieu, et horrible devant les hommes. Si Alphonse se montrait disposé à l'obéissance, Rainier pouvait lever l'interdit et absoudre les évêques de l'excommunication. Il fallait cependant qu'il se fit donner par le roi une caution en garantie de l'exécution des ordres apostoliques; mais, avant tout, l'évêque d'Oviedo devait être rappelé et recevoir une indemnité complète pour les dommages qu'il avait essuyés. Toute convention résultant du mariage devait être anéantie1.

Le légat avertit en vain le roi de Léon; il lui fixa enfin le jour

'L. 1, epist. 58, 62, 92, 125, 219, 295. L. 2, epist. 75. Gestd, n. 58.

et le lieu où il devait comparaître. Le légat attendit au-delà du temps déterminé; le roi ne se présenta point; l'excommunication et l'interdit furent renouvelés. La Castille fut épargnée, car le roi déclara qu'il reprendrait sa fille aussitôt qu'elle reviendrait '. C'était en 1198. Il ne resta donc plus aucun autre expédient au roi de Léon, dans son embarras, que de s'adresser au saint Père luimême, et d'essayer si une ambassade ne pourrait pas le faire changer d'opinion 2.

Cette ambassade arriva d'Espagne à Ronie l'année suivante. Les évêques que le roi de Léon avait choisis pour ambassadeurs prièrent le Pape de suspendre les lois de l'Eglise qui empêchaient le mariage de leur prince. Innocent aurait donné à l'instant un libre cours à l'indignation que soulevait dans son cœur une pareille demande, s'il n'avait été retenu par sa bienveillance pour le roi de Castille, qui montrait plus de soumission à ses ordres. Les députés eurent de la peine à obtenir une audience. Ils prièrent d'abord le Pape de lever l'interdit, parce qu'il menaçait le royaume de trois espèces de dangers : des hérétiques, des Sarrasins et des chrétiens du voisinage. Si les pasteurs des âmes se taisent, ils ne peuvent plus instruire les fidèles contre les hérétiques, le roi ne leur opposera aucune résistance, l'erreur s'étendra rapidement : si les prêtres cessent de prêcher, le zèle du peuple contre les Sarrasins ne manquera pas de s'éteindre. Enfin, si le clergé ne peut distribuer aux laïques les biens spirituels, on lui ôtera les biens temporels, et les prêtres seront forcés de mendier; seront obligés même, ce qui serait une honte pour le nom chrétien, de s'engager comme valets au service des Juifs.

C'est l'amour seul du devoir qui avait engagé Innocent à tant de sévérité; il craignait qu'on ne lui reprochât un jour d'avoir toléré de pareilles horreurs. La conduite de Célestin au sujet de l'alliance d'Alphonse avec une fille du roi de Portugal, était encore devant ses yeux. Le Pape exposa aux évêques les exemples de punition divine contre le commerce adultère, dans la mort subite de Henri, roi de Jérusalem, et dans la fin tragique de Conrad, marquis de Monferrat. Ajoutez que le frère Rainier avait usé de représentations, de délais, de toute l'indulgence des lois. Enfin cette concession pouvait avoir des conséquences mauvaises, si le Pape venait à la refuser dans un cas semblable; car on croirait alors qu'il se réglait sur la considération des personnes. Il déclara donc qu'il n'accorderait pas entièrement ce qu'on demandait; mais il consentit à mitiger

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la sévérité de l'interdit, et à autoriser la célébration de l'office divin. Ces faveurs n'étaient que pour le peuple, qui est innocent, et non pour le roi de Léon, ni pour la fille du roi de Castille et leurs conseillers; partout où ceux-ci se trouveront, dans une ville, un chateau ou un village, la voix du prêtre doit rester muette, et l'église demeurer fermée. Il ordonna au roi et à la reine de Castille d'employer tous les moyens possibles pour rompre le mariage. Et s'ils ne le faisaient pas, les deux époux, ainsi que leurs conseillers, devaient de même être exclus de l'Eglise, et le royaume privé de la célébration de l'office divin.

La plus grande difficulté dans cette affaire tenait à ce que le roi de Léon avait assigné à sa femme, pour présent de noce, quelques chateaux qui devaient rester sa propriété, même en cas de divorce, n'importe pour quel motif il aurait lieu. Le Pape annula cette promesse, et déclara illégitimes, incapables de succéder à l'héritage paternel, tous les descendants à naître de cette alliance incestueuse et damnable, menaçant même une plus longue résistance de châtiments encore plus sévères. Innocent ne réussit pas, pour le moment, à se faire obéir; au contraire, le lien conjugal se resserra plus étroitement l'année suivante, par la naissance d'un fils, qui fut plus tard la gloire de sa maison, qui restreignit la puissance de ses anciens ennemis, et étendit la foi chrétienne en Espagne, plus que n'avait fait aucun de ses prédécesseurs. Malgré l'interdit qui pesait sur la famille royale, sur le lieu où elle se trouvait, l'enfant fut baptisé avec grande pompe dans la cathédrale de Léon. C'était ce Ferdinand qui, plus tard, mérita par sa piété d'être placé au nombre des saints.

Innocent refusa de sanctionner une union semblable, celle du roi d'Aragon et de Blanche, sœur de Sanche, roi de Navarre. Ce mariage avait été également la condition d'un traité de paix. Déjà on avait donné des gages et prêté le serment; mais le Pape appela ce serment un parjure et une promesse indécente, qu'il n'est pas permis de garder1.

Malgré tous ces conflits, le frère Rainier était parvenu à déterminer les rois de Castille et d'Aragon à faire une expédition contre les Sarrasins. Le Pape en ressentit la plus grande joie; cependant il ne voulut point consentir à ce que le roi d'Aragon, conformément à la proposition de ses conseillers, se servît, pour cette expédition, d'une monnaie qui avait été frappée peu avant la mort de son père, et qui n'avait pas le poids légal; il ne voulut y consentir, à moins

' L. 2, epist. 556.

que le peuple n'approuvât la circulation de cette monnaie, qui avait déjà causé des troubles et des divisions. « Si vous avez eu connaissance, lui écrivit-il, de l'altération des monnaies à l'époque de votre couronnement et du serment que vous y avez prêté, vous devez confesser votre crime à l'évêque de Sarragosse, et vous faire imposer une pénitence; si vous n'en avez pas eu connaissance, nous vous conseillons de faire frapper, sous le nom de votre père, des monnaies de bon aloi, pour faire éviter les dommages qui en résultent, et pour être fidèle à votre serment 1. » L'historien protestant se demande à ce propos: Aurait-on jamais dû se permettre tant de déclamations sur l'influence des Papes, qui se mettaient ainsi dans la balance contre le pouvoir des princes, pour le plus grand bien des peuples 2?

Les affaires ecclésiastiques en Espagne, les rapports des archevêques entre eux, ensuite avec les évêques, les rapports de ceux-ci avec les ordres de chevalerie, donnèrent bien des occupations au Saint-Siége. Dans un pays qu'il fallait conquérir de nouveau, pied à pied, à la foi chrétienne; où les habitants naissaient et mouraient au milieu des combats, et dont la vie était une lutte continuelle pour la foi, pour la liberté et la gloire de la patrie dans ce pays, dis-je, les rapports ecclésiastiques ne pouvaient être réglés immé diatement d'après les préceptes de l'Eglise, comme on l'aurait fait dans des temps plus tranquilles. Les changements de dynastie avaient amené de nouvelles prétentions, l'ordre primitivement établi avait été interverti. De là une foule de mésintelligences, de demandes, de questions à résoudre. Ainsi les conquêtes d'Alphonse, roi de Portugal, ayant amené l'érection de plusieurs évêchés, donnèrent naissance au différend survenu entre l'archevêque de Brague et celui de Compostelle. Celui-ci trouva appui et protection près du Saint-Siége contre les prétentions des évêques, contre les Templiers, qui se distinguaient plutôt par leur orgueil chevaleresque que par une religieuse soumission aux décisions du Saint-Siége; enfin contre les couvents, qui empiétaient sur les droits de l'évêque de Coïmbre 5.

L'an 1204, la privation du service divin devenait chaque jour plus accablante pour le royaume de Léon. Les chefs du clergé supplièrent le roi de se séparer de son épouse, afin de ne pas faire supporter plus long-temps à ses sujets les suites de sa résistance. Mais ce monarque voulait, avant d'obéir au Pape, faire déclarer habiles à succéder au trône les deux fils et les deux filles qu'il avait

'L. 2, epist. 28.

2 Hurter, 1. 3.

3 L. 2, epist. 196, 214. Hurter, 1, 3.

eus de Bérengère. Les places que le roi de Castille occupait comme douaire de Bérengère devenaient une autre cause de discorde; il était indécis s'il les reprendrait ou s'il les laisserait dans l'état où elles se trouvaient alors. Cette princesse eut assez d'élévation d'esprit pour faire une renonciation volontaire qui procura la paix à son époux et à ses sujets. Elle avait été à même de reconnaître, pendant un grand nombre d'années, que la volonté du Pape était d'autant plus inébranlable, qu'il la regardait comme l'expression de la volonté divine. Elle consentit donc à la séparation, et retourna chez son père. Innocent apprit avec plaisir cette nouvelle, et ordonna aussitôt aux évêques de Castille de lever l'excommunication qui pesait sur elle, sur le roi de Léon et sur son royaume1. Le roi de Castille refusa de restituer les places occupées, sous le vain prétexte qu'elles appartenaient à sa fille. Les évêques reçurent ordre de réclamer de nouveau cette restitution, attendu qu'il n'y avait pas lieu de faire des dons et d'assigner un douaire quand un mariage était déclaré nul. Ils demandèrent donc que ces places leur fussent remises jusqu'à ce qu'un jugement arbitral, ou, s'il était nécessaire, une décision du souverain Pontife eût tranché la difficulté 2. Peu de temps après, Innocent prouva que la sévérité imposée par les devoirs de sa charge s'attachait aux actes et non aux personnes; car les enfants issus de ce mariage, il les déclara légitimes et aptes à succéder au trône, déclaration qui fut immédiatement reconnue par les états de Léon à l'égard de Ferdinand, l'aîné des enfants.

Pierre occupait le trône d'Aragon. Son père, Alphonse, surnommé le Chaste, mort en mai 1196, à la diète de Perpignan, lui avait laissé la couronne, ainsi que de riches trésors. Pierre possédait toutes les qualités héroïques de ces rois d'Espagne dont les hauts faits vivent encore dans les chants populaires. Ses relations avec les cours de la Provence avaient donné le goût de la poésie à ce monarque, qui maniait aussi bien l'épée que la lyre. Dès les premiers jours de son règne, l'an 1197, dans une diète tenue à Girone, pour se conformer aux canons de l'Eglise romaine, il chassa de ses états, sous peine de mort, tous les hérétiques 3. Il rendit des édits concernant la paix intérieure, la tranquillité des habitants, les veuves, les orphelins, les routes, les marchés, les bœufs de labour, les instruments aratoires, les oliviers et les colombiers; affranchit l'agriculteur de la saisie des bestiaux, et prit les moissons sous sa protection spéciale. Tous les actes du commencement de son règne témoignent de sa sollicitude pour ses sujets.

1 L. 7, epist. 67, 94. — 2 Ibid., epist. 93. —3 Mansi. Concil., t. 22.

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