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Lothaire naquit vers l'an 1160 ou 1161. Il comptait trois cardinaux parmi ses plus proches parents. On ne sait rien ou presque rien de sa première enfance. Après avoir commencé ses études à Rome, il vint les continuer et les achever à l'université de Paris.

Depuis long-temps déjà cette capitale avait répandu au loin le bruit de sa célébrité par les maîtres qui y professaient les arts libéraux et la théologie. Toutes les sciences y étaient accueillies avec honneur et cultivées avec zèle : ce qui attirait dans cette ville les hommes qui voulaient, par des mérites supérieurs, arriver à la gloire et au crédit dans leur patrie. Paris était tellement jaloux de justifier la réputation d'une école qui embrassait toutes les branches des connaissances humaines, qu'aussitôt que Bologne eut, au milieu des applaudissements publics, joint l'étude du droit canon aux autres sciences, et qu'elle eut attiré un grand nombre de maîtres et d'étudiants, une semblable chaire fut immédiatement fondée à Paris, et l'on vit plus d'un docteur enseigner le droit canon avec les succès les plus brillants. La médecine pouvait se glorifier d'avoir produit le fameux Egidius de Corbeil, dont les ouvrages sont encore appréciés des médecins modernes1. Il était généralement reconnu que la jeunesse ne recevait nulle part la science ecclésiastique et tout ce qui s'y rattache, avec autant d'étendue et d'éclat qu'à Paris, et quiconque voulait se faire un nom comme théologien ne manquait pas de se rendre en cette ville. Les évêques et les papes y envoyaient des jeunes gens. Les docteurs en théologie y jouissaient d'une si haute réputation et d'un si vaste crédit, qu'ils étaient consultés sur les cas de conscience les plus difficiles, et c'était à leur décision qu'on s'en référait pour les divers débats survenus dans l'Eglise ; de même qu'à Bologne on avait recours à ses docteurs sur les contestations les plus graves de droit civil et canonique. Les papes eux-mêmes leur adressaient des questions de théologie et de morale, afin d'en obtenir la solution. Aussi, quand un ecclésiastique avait résolu d'une manière profonde un point quelconque de la doctrine chrétienne, on croyait avoir fait de lui l'éloge le plus pompeux, en disant : On croirait qu'il a passé toute sa vie à l'école de Paris.

Depuis le douzième siècle, cette cité voyait affluer des jeunes gens de tous les pays chrétiens, en plus grande quantité qu'en aucun autre lieu. A peine pouvait-on trouver à se loger, et le nombre des étrangers surpassa souvent celui des habitants 2. « Tout ce qu'un pays possède de plus précieux, un peuple de plus distingué, disent

'Hist, littér. de la France, t. 16, p. 508. 2 Ibid., t. 9, p. 78.

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les écrivains contemporains; tout ce qu'une époque a jamais produit d'éminent en génie, tous les trésors de la science et toutes les richesses de la terre, tout ce qui peut procurer des jouissances à l'esprit et au corps; leçons de sagesse, gloire des belles-lettres, élévation du sentiment, délicatesse des procédés, douceur des mœurs, tout est réuni à Paris 1. L'Egypte, Athènes, et toutes ces villes où la science a jeté tant d'éclat, pâlissent quand elles sont mises en parallèle sous le rapport de la foule des hommes qui venaient chez elles chercher une sagesse terrestre, et qui accourent à Paris demander la sagesse céleste. Il n'est qu'une seule chose qui permette de comparer Athènes à Paris : c'est que dans Athènes, comme à Paris, les savants étaient les plus honorés 2. » L'enthousiasme était si grand, qu'on regardait Paris comme source de toute sagesse, comme l'arbre de vie dans le paradis terrestre, comme le candelabre dans la maison du Seigneur. Paris, d'un autre côté, passait déjà depuis long-temps pour une ville noble, populeuse et opulente par son commerce; pour le centre de tous les peuples, la reine des nations, le trésor des princes".

L'agrément et la beauté de son séjour, l'abondance de tous les biens, les honneurs rendus au clergé, le caractère aimable des citoyens charmaient et captivaient tellement les étrangers, qu'ils y oubliaient leur patrie.

Tous ces avantages furent doublés par la paix inaltérable, la protection et la bienveillance que lui accordèrent les rois, et par les priviléges dont Louis VII enrichit son université, priviléges que son fils Philippe-Auguste augmenta encore pendant la durée d'un long règne, tant cette université était l'orgueil des princes et l'objet de leur protection spéciale. En outre, elle avait su attirer dans son sein cette multitude de savants les plus célèbres dont la gloire et le crédit rejaillissaient sur elle. On y voyait des hommes élevés aux plus hautes dignités de l'Eglise, s'honorer des fonctions de professeur; et les docteurs les plus distingués, sortir de cette école pour passer aux emplois les plus élevés dans l'Eglise, sans cependant abandonner leurs leçons, quittant les devoirs de professeurs pour remplir ceux de pasteurs. Les Papes eux-mêmes portaient avec complaisance leurs regards sur ceux d'entre eux qu'ils croyaient capables d'honorer l'Eglise par leurs talents et leurs vertus.

Les libraires, sous la direction des professeurs, fournissaient aux

Guill. Brit. Philipp., 1. 1. Architremius, poète de cette époque, dans Bulous, t. 2, p. 484. 2 Rigord., c. 50. Albericus, p. 451. — 3 Mém. de l'Académie des Inscript., t. 21, p. 179.

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étudiants tous les objets nécessaires à la science; et leur commerce florissant a laissé leur nom à l'une des rues de Paris 1. Les habitants subvenaient aux besoins d'argent, en le prêtant sur la demande par écrit des parents, ou sur toute autre espèce de garanţie; les Juifs aussi, alors comme à présent, livrés à ces sortes de trafics, se prêtaient à ces transactions. Les étudiants pauvres recevaient l'instruction gratuite, au moyen de bourses fondées en leur faveur par les rois et les princes. Il régnait une grande union, également cimentée, et par les priviléges des rois, et par la part des frais que les étudiants prenaient aux funérailles et aux autres cérémonies religieuses faites pour le repos de l'âme d'un de leurs condisciples. Les maîtres de l'université prescrivaient le costume des élèves, réglaient les leçons des professeurs et les exercices des étudiants. Dès le matin les salles de classe étaient remplies: alors commençait le cours du professeur; l'après-midi était consacré aux conférences et à des lectures comparées; des répétitions terminaient la journée.

Cependant le séjour de Paris n'était pas sans dangers. Des filles de mauvaise vie, tendant des piéges, cherchaient à égarer les jeunes gens inexpérimentés ou assez faibles pour ne pas résister à leurs séductions. Cependant ceux-ci n'étaient point assez étrangers à la discipline et aux bonnes mœurs, pour ne pas s'associer eux-mêmes aux moyens de repousser de pareilles attaques. Ainsi, lorsque plus tard on bâtit le couvent de Saint-Antoine, pour chasser les filles de mauvaise vie de ce quartier, les étudiants y contribuèrent pour deux cent cinquante livres, parce qu'ils étaient las des embûches qu'elles leur tendaient. Un autre péril, c'était le luxe qui provoquait la débauche. Des repas, pris dans le cercle d'amis, faisaient oublier quelquefois aux étudiants le but élevé de leur présence dans la capitale. L'étudiant abaissait dédaigneusement ses regards sur le bourgeois, qu'il regardait comme très-inférieur à lui, et cette fierté, trop commune à la jeunesse, engendrait souvent des querelles, d'abord de peu d'importance, mais qui finissaient souvent, comme il arrive encore de nos jours en Allemagne, par dégénérer en rixes sanglantes. A côté des éloges prodigués par ceux qui ne voyaient que l'éclat des sciences, s'élevait la plainte de ceux qui regardaient la pureté des mœurs comme le plus bel ornement et le plus grand bien de la jeunesse. « O Paris, s'écriait avec douleur Pierre de Celle, ô Paris, repaire de tous les vices, source de tous les crimes, flèche de l'enfer; hélas! comme tu perces le cœur des insensés 2! »

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La contention d'esprit avec laquelle on voulait pénétrer dans le sanctuaire de cette science que la raison de l'homme peut atteindre seulement par l'humilité de la foi, et qui le jette dans un excès d'orgueil lorsqu'il ne peut en expliquer les secrets, conduisit souvent dans des aberrations les plus désolantes, décorées du beau nom de commentaire et d'interprétation. On se plaignait également que des jeunes gens promus aux fonctions de professeurs, osassent enseigner des doctrines perverses. De là la défense d'enseigner la théologie avant l'âge de trente-cinq ans.

Les fils des rois et les princes venaient à Paris puiser les connaissances sans lesquelles ils ne croyaient pouvoir ni moissonner les lauriers de la victoire dans les camps et les combats, ni goûter les doux fruits de la paix au sein de leur cour. Le margrave de Monferrat, un landgrave allemand, un consul et des sénateurs de Rome recommandaient à Louis VII les fils qu'ils envoyaient à Paris. La plupart des grands, en France d'abord, ensuite ceux des autres royaumes de l'Europe chrétienne, suivirent aussi cet exemple, qui ne fut pas sans influence sur le développement moral et intellectuel de ceux avec lesquels ils se trouvèrent en contact1. Déjà, dès les temps antérieurs, les hauts personnages de l'Eglise avaient posé dans Paris les fondements de leur science et de leur vertu. Mais ce fut surtout à cette époque qu'on vit s'augmenter le nombre de tels hommes, qui venaient à Paris se préparer à leur haute destinée. C'étaient, d'une part, des Papes, qui ornèrent la Chaire de saint Pierre par leur dignité, par la profondeur de leurs vues et la grandeur de leur courage: tels que Célestin II, Adrien IV, Alexandre III. C'étaient, d'autre part, des cardinaux qui les environnaient de toutes les lumières de leur sagesse et de leur expérience dans les affaires ; des patriarches, en qui l'Orient pouvait reconnaître l'austérité de l'Eglise plus libre en Occident; des archevêques, qui éclairaient leurs nombreux troupeaux de leurs vastes lumières ; des évêques, qui entraient dans le devoir de leur charge avec la conscience de sa grandeur, et enfin de pieux abbés, placés à la tête des monastères les plus célèbres. Paris était de plus en plus regardé comme cette école féconde, ce foyer lumineux dont les rayons se projetaient sur toute la terre. C'était à Paris que se cimentaient ces amitiés dont les liens solides coopérèrent si efficacement à cette grande union qui anima l'Europe entière, et qui étendit son heureuse influence sur chaque pays en particulier. La civilisa

1 Duchesne, t. 4, p. 704, 714 et seqq. Hist. littér. de la France, t. 9, p. 6, et seqq.

tion française, la magnificence du culte, le zèle de la science et l'amour des arts furent portés, par cette institutrice du monde, comme l'appelle un poète contemporain', dans tous les royaumes d'Occident.

Tous ceux que les avantages de la fortune ou de la naissance, ou d'heureuses dispositions rendaient capables d'obtenir et d'occuper dignement les hautes dignités de l'Eglise, semblaient se donner rendez-vous à cette source de la science 2, et le nombre des étudiants, ainsi que celui des bourgeois, était infini. Dans tous les pays de l'Europe, personne ne croyait pouvoir prétendre à quelque considération dans sa patrie, s'il n'avait passé sa jeunesse à Paris et suivi les leçons des maîtres de l'université 3. Sans parler des évêques français, dont plusieurs avaient passé des bancs de disciples aux chaires de professeurs, un grand nombre de prélats des autres royaumes avaient également étudié dans cette université. Le pape Alexandre III y envoya d'Italie toute une troupe de jeunes ecclésiastiques; Venise y fit aller ces hommes qui, plus tard, parvinrent au plus haut degré d'illustration. Les Anglais se plaignaient qu'Oxford fût désert, et Paris grandissait à mesure que cette université tombait sous les coups dont la frappait un pouvoir hostile, et sous l'oppression que Henri II faisait peser sur le clergé. On y comptait des Allemands aussi distingués par leur naissance et leur rang que par la supériorité de leur génie et de leurs talents: tel fut Otton de Frisingue. Quelques Danois, attirés par les souvenirs du temps des Normands, s'y rendirent d'abord; bientôt des établissements furent fondés pour assurer l'entretien d'un plus grand nombre d'entre eux. Depuis que Absalom, archevêque de Lunden, fut venu à Paris comme ambassadeur de Danemarck, l'an 1190, et eut établi une alliance spirituelle entre les deux pays, en envoyant dans sa patrie quelques chanoines de Sainte-Geneviève, cette espèce de commerce scientifique continua à se maintenir, et le nombre des jeunes Danois qui étudiaient à Paris s'augmenta encore, lorsqu'un mariage entre les deux maisons régnantes vint unir plus étroitement les deux pays. Si le Danemarck envoya à Paris un membre de la famille royale, le prince Waldemar, qui mourut chanoine de Sainte-Geneviève, la Hongrie y envoya aussi un fils de roi. Les Suédois ne regardaient pas non plus comme trop éloigné pour eux ce centre de la culture européenne. Les Slavons mêmes cessèrent de lui être étrangers; car nous voyons Ives, évêque de Cracovie,

2 Fons totius scientiæ. Bibl. Cisterc., 1. 2, c. 14.

'Guill. Brit. Philipp. * Vincent Bellov. Spec., 1. 2, c. 423.

Steph. Tornae., epist.

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