Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Vivant ainsi avec les pauvres et pour eux, il n'est pas étonna que Dieu lui ait inspiré ce saint amour de la pauvreté qui a illust les âmes les plus riches de ses grâces. Elle s'en entretenait quelqu fois naïvement avec son époux. D'autres fois, c'était avec ses stvantes, qui étaient aussi ses amies, qu'elle parlait longuement de joies de la pauvreté, et souvent, dans ses épanchements familier avec elles, la jeune princesse, aussi enfant par le cœur que pa l'âge, cherchait à réaliser, au moins en image, ses pieux désirs Dépouillant ses habits royaux, elle se revêtait d'un misérable man teau de couleur grise, réservée aux pauvres et aux vilains, couvra sa tête d'un voile déchiré, et marchait devant ses compagnes comme une pauvresse, en feignant de mendier son pain; puis, comm. avertie par une inspiration céleste du sort que Dieu lui réservait. elle leur disait ces paroles prophétiques : C'est ainsi que je marche rai lorsque je serai pauvre et dans la misère pour l'amour de Dieu A la fête des Rogations, qui était à cette époque célébrée par des réjouissances mondaines, et surtout par un grand luxe de parure. la jeune duchesse s'adjoignait toujours à la procession, vêtue & grosse bure et nu-pieds. Pendant les sermons des prédicateurs, elle prenait toujours place parmi les plus pauvres mendiantes, et suivait en toute humilité, à travers les champs, les reliques des saint et la croix du Sauveur. Car, dit un de ses contemporains, toutes gloire était dans la croix et la passion du Christ; le monde éta crucifié pour elle, et elle était crucifiée au monde.

Aussi le Dieu qui s'est lui-même nommé le Dieu jaloux, ne pos vait souffrir que le cœur de sa fidèle servante fût envahi, mèm pour un moment, par une pensée ou par une affection pureme: humaine, quelque légitime que pût en être l'objet. Un trait remar quable rapporté par le chapelain Berthold, et répété par tous! historiens, nous montre jusqu'où Elisabeth et son époux portaie ces saints et délicats scrupules qui sont comme le parfum qui se hale des âmes élues.

Une fois tous les deux s'étaient fait saigner en même temps, et selon la coutume d'alors, le duc avait réuni à cette occasion chevaliers des environs, pour se réjouir avec eux et leur donner d fêtes pendant plusieurs jours. Un de ces jours, comme ils assistai tous à une messe solennelle dans l'église de Saint-Georges d'Eise nach, la duchesse, oubliant la sainteté du sacrifice, fixa ses regar et sa pensée sur son époux bien-aimé qui était auprès d'elle, et res long-temps à le contempler, en se laissant entraîner avec aband à l'admiration de cette beauté et de cette amabilité qui le rend si cher à tous. Mais quand elle fut revenue à elle-même, au momet

[merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

de la consécration, le divin époux de son âme lui manifesta combien cette préoccupation purement humaine l'avait offensé; car, lorsque le prêtre éleva l'hostie consacrée pour la faire adorer au peuple, elle vit entre ses mains le Seigneur crucifié et ses plaies toutes saignantes. Consternée par cette vision, elle reconnut aussitôt sa faute, et tomba le visage contre terre, toute baignée de larmes, devant l'autel, pour en demander pardon à Dieu. La messe étant finie, le landgrave, habitué sans doute à la voir ensevelie dans ses méditations, sortit avec toute sa cour; et elle resta seule prosternée jusqu'à l'heure du dîner. Cependant le repas préparé pour les nombreux convives étant prêt, et personne n'osant troubler la duchesse dans sa prière, le duc lui-même vint la trouver et lui dit avec une grande douceur : Chère sœur, pourquoi ne viens-tu pas à table, et pourquoi nous fais-tu attendre si long-temps? A sa voix, elle leva la tête et regarda sans rien dire; et lui, voyant ses yeux rouges comme le sang, à cause de l'abondance et de la violence de ses larmes, lui dit tout troublé : Chère sœur, pourquoi as-tu tant pleuré et si amèrement? Et aussitôt, s'agenouillant à côté d'elle et ayant écouté son récit, il se mit à pleurer et à prier avec elle. Après un certain temps, il se leva et dit à Elisabeth: Ayons confiance en Dieu; je t'aiderai à faire pénitence et à devenir meilleure, encore que tu n'es.

Ce fut en 1221, l'année même où saint François d'Assise publiait la règle du tiers-ordre, que ses religieux s'établirent définitivement en Allemagne. Ils ne pouvaient certes trouver nulle part plus de sympathie et d'encouragements que chez la jeune et pieuse duchesse le Thuringe. Aussi leur donna-t-elle bientôt toutes les marques l'un dévouement zélé et tout l'appui qui était en son pouvoir. Elle commença par fonder un couvent de franciscains avec son église au sein même de sa capitale, à Eisenach, dès les premiers temps de eur introduction en Allemagne. Elle choisit ensuite pour confesseur e frère Rodinger, l'un des premiers Allemands qui eussent embrassé a règle séraphique, religieux distingué par son zèle, et qui lui conserva toute sa vie un attachement sincère. Par suite de ces reations nouvelles, tout ce qu'elle entendait raconter sur François ui-même enflamma son jeune cœur d'une ardente affection pour ui, et une sorte d'entraînement irrésistible l'excitait à marcher sur es traces de ce modèle suprême de toutes les vertus qu'elle estimait e plus. Elle le choisit dès-lors pour son patron et son père spiriuel. Ayant connu par ses nouveaux hôtes l'existence du tiers-ordre en Italie et dans les autres pays où la famille de saint François 'était déjà étendue, elle fut frappée à son tour des avantages qu'of

fre à une chrétienne fervente cette affiliation. Elle pouvait y voi une sorte de consécration spéciale donnée aux mortifications et am pieuses pratiques qu'elle s'était imposées de son propre mouvement; elle demanda donc humblement à son mari la permission de s'y faire agréger, et, l'ayant obtenue sans peine, elle s'empressa de contracter ce premier lien avec le saint qui devait bientôt la voir venir régner à côté de lui dans le ciel. Elle fut la première en Allemagne qui s'affilia au tiers-ordre; elle en observa la règle avec une scrupuleuse fidélité, et l'on peut croire que l'exemple d'une princesse si haut placée par son rang et si renommée par sa piété, ne fut pas sans influence sur l'extension si rapide de cette institution. François fut bientôt informé de la précieuse conquête que ses missionnaires avaient faite en la personne d'Elisabeth. Il appriten même temps et son affiliation à son ordre, et l'attachement qu'elle lui portait, et les touchantes vertus par lesquelles elle édifiait et bénissait la Thuringe. Il en fut pénétré de reconnaissance et d'ad miration, et en parlait souvent avec le cardinal protecteur de son ordre, Hugolin, neveu d'Innocent III, et depuis Pape lui-mène sous le nom de Grégoire IX. Celui-ci, qui devait plus tard veiller à la sécurité d'Elisabeth sur la terre et consacrer sa gloire dans k ciel, lui portait déjà un affectueux intérêt; et ce sentiment ne pouvait qu'être augmenté par la sympathie qu'il trouvait chez la duchesse po cet apôtre, dont il était le principal soutien ainsi que l'intime et ter dre ami. Il ne put donc que fortifier François dans ses sentiment affectueux envers elle. L'humilité exemplaire dont cette princesse si jeune encore offrait le modèle, son austère et fervente piété, s amour de la pauvreté formaient souvent le sujet de leurs conversations familières. Un jour, le cardinal recommanda au saint & faire passer à la duchesse un gage de son affection et de son souve nir, et en même temps il lui enleva des épaules le pauvre vieux manteau dont il était couvert, en lui enjoignant de l'envoyer sur-le champ à sa fille d'Allemagne, à l'humble Elisabeth, comme u tribut du à l'humilité et à la pauvreté volontaire dont elle fais profession, et en même temps comme un témoignage de reconna sance pour les services qu'elle avait déjà rendus à l'ordre. Je veus dit-il, que puisqu'elle est pleine de votre esprit, vous lui laissiez u pareil héritage qu'Elie à Elisée. Le saint obéit à son ami et envo à celle qu'il pouvait nommer à si bon droit sa fille, ce modes présent, accompagné d'une lettre où il se réjouissait avec elle toutes les grâces que Dieu lui avait conférées, et du bon usag qu'elle en faisait.

Il est facile de concevoir la reconnaissance avec laquelle Elisabet

2

reçut ce don si précieux à ses yeux. Elle le prouva par le prix qu'elle attacha toujours à sa possession; elle s'en revêtait toutes les fois #qu'elle se mettait en prières pour obtenir du Seigneur quelque grâce spéciale; et lorsque, plus tard, elle renonça sans réserve à posséder quoi que ce fût en propre, elle trouva moyen de conserver ce cher manteau de son pauvre père jusqu'à sa mort. Elle le légua alors, 2 comme son plus précieux bijou, à une amie. Il fut depuis conservé avec le plus grand soin, comme une relique doublement sainte, par les chevaliers Teutoniques à Weissenfels, au diocèse de Spire, et le frère Berthold, célèbre prédicateur de ce siècle, raconta aux juges du procès d'Elisabeth, qu'il l'avait souvent vu et touché avec vénération, comme la glorieuse bannière de cette pauvreté qui avait vaincu le monde et toutes ses pompes dans tant de cœurs.

Cependant, à peine âgée de dix-sept ans, elle vit s'éloigner son confesseur franciscain, le père Rodinger, qui avait guidé ses premiers pas sur la trace de saint François. Il fallut songer à le remplacer, et le duc, qu'Elisabeth consulta dans cet embarras, et qui était affligé de ce qu'elle ne lui paraissait pas assez instruite dans l'Ecriture sainte et la science de la religion, écrivit au pape Honorius et lui demanda un guide savant et éclairé pour sa femme. Le souverain Pontife lui répondit qu'il ne connaissait nul prêtre plus pieux ni plus docte que maître Conrad de Marbourg, qui avait étudié à Paris, et qui exerçait alors les fonctions de commissaire apostolique en Allemagne. En effet, maître Conrad jouissait alors de la plus haute estime parmi le clergé et les fidèles. Il brillait en Allemagne, disent les contemporains, comme un astre éclatant. Il joignait à une vaste science des mœurs d'une pureté exemplaire et une pratique constante de la pauvreté évangélique. Il avait renoncé nonseulement à tous les biens temporels auxquels sa noble naissance lui donnait des droits, mais encore à toute dignité et à tout béné– fice ecclésiastique, ce qui l'a fait ranger par plusieurs historiens dans l'un des ordres mendiants qui se propageaient alors dans le monde chrétien; mais il paraît plus probable qu'il resta toujours prêtre séculier. Son extérieur était simple, modeste et même austère; son costume strictement clérical; son éloquence exerçait une puissante influence sur les âmes. Monté sur un petit mulet, il parcourait toute l'Allemagne. Partout où il portait ses pas, une foule immense de prêtres et de laïques le suivaient pour recueillir de sa bouche le pain de la divine parole. Il inspirait partout l'amour ou la crainte, selon qu'il s'adressait à des chrétiens fervents ou à des populations déjà infectées de l'hérésie.

Innocent III lui avait confié les fonctions de commissaire aposto

TOME XVII.

41

lique en Allemagne, avec la mission spéciale de combattre les progrès menaçants de l'hérésie des manichéens, des vaudois et autres analogues, qui s'étaient introduites dans le pays d'outre-Rhin, et promettaient à l'Eglise les mêmes malheurs que dans la France mé ridionale. Il était en même temps chargé de prêcher la croisade, et sut plus d'une fois réchauffer la tiédeur germanique pour ces expéditions sacrées, avec une ardeur et une constance dignes d'Innocent lui-même. Les deux successeurs de ce Pontife, Honorius III et Grégoire IX, lui continuèrent ces fonctions, et il se rendit digne de toute leur confiance par la persévérance, le zèle et l'indomptable courage qui présidèrent à sa carrière. Pendant les vingt années qu'elle dura, il ne recula devant aucun obstacle, devant aucune opposition, quelque redoutable qu'elle pût être; les princes et les évêques eux-mêmes n'échappèrent pas plus que les pauvres laïques à sa sévère justice, lorsqu'ils lui parurent le mériter, et l'on peut attribuer à cette impartialité absolue la grande popularité qu'il sut acquérir dans ses pénibles fonctions.

Conrad, qui était probablement déjà connu du duc Louis avant de lui avoir été spécialement recommandé par le Pape, lui inspira bientôt tant de confiance et de vénération, qu'il investit, par un acte solennel scellé par lui et par ses frères, ce simple prêtre du soin de conférer aux sujets les plus dignes tous les bénéfices ecclé siastiques sur lesquels il exerçait les droits de patronat ou de collation. C'était la meilleure réponse qu'il pût faire aux exhortations que Conrad lui avait adressées sur la sollicitude scrupuleuse qu'il devait mettre à l'exercice d'un droit si important pour le salut des âmes: Vous faites un plus grand péché, lui avait dit ce zélé prédicateur, quand vous conférez une église ou un autel à un prêtre ignorant ou indigne, que si dans un combat vous tuiez cinquante ou soixante hommes de vos propres mains.

Louis le pria ensuite de se charger de la direction spirituelle de sa femme, et Conrad y consentit autant par égard pour la piété da prince que pour la recommandation du souverain Pontife. Bien loin de gêner les progrès de sa femme dans la voie de perfection où Conrad l'engageait, Louis y coopérait de son mieux. Il n'hésit pas à lui permettre de faire un vœu d'obéissance complète à tout ce que son confesseur lui prescrirait, et qui ne serait pas contrair aux droits et à la juste autorité du mariage. Elle y ajouta le ve de continence absolue, dans le cas où elle deviendrait veuve. Ek fit ces deux vœux en 1225, étant âgée de dix-huit ans, avec u certaine solennité, entre les mains de maître Conrad, dans l'église des religieuses de Sainte-Catherine, à Eisenach, qu'elle affection

« ZurückWeiter »