Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

@nait particulièrement. Elle mettait dans l'observation de ce vœu d'obéissance la plus stricte fidélité et cette humilité sans réserve qu'elle ne démentait jamais, en offrant à Dieu tous les sacrifices qui pouvaient le plus lui coûter.

Maître Conrad s'éleva contre certains impôts abusifs, dont le produit était destiné à couvrir les dépenses de la table royale ; il prescrivit à sa pénitente de ne se nourrir que des mets qu'elle saurait positivement provenir des biens propres de son mari, et non pas des redevances de ses pauvres vassaux, qu'il regardait comme étant trop souvent le produit d'extorsions injustes et contraires à la volonté de Dieu. Le cœur compatissant de la jeune duchesse adopta avec empressement cette pensée, qu'elle mit à exécution avec la sévérité la plus scrupuleuse; elle en était quelquefois embarrassée, car elle tenait à rester assise auprès de son mari pendant ses repas. Ce pieux prince ne mit du reste aucun obstacle à ses désirs, et, lorsque trois des filles d'honneur de la duchesse demandèrent la permission de suivre l'exemple de leur maîtresse, il la leur accorda sur-le-champ, en ajoutant: Je ferais très-volontiers comme vous, si je ne craignais les médisances et le scandale; mais, avec l'aide de Dieu, moi aussi je changerai bientôt de genre de vie. Plein d'un tendre respect pour la conscience de sa femme, il l'avertissait lui-même avec un doux et affectueux empressement, quand il y avait des mets qui n'entraient pas dans sa règle; comme aussi, lorsqu'il savait que tout provenait de son propre bien, il la pressait de manger. Mais Elisabeth osait à peine toucher à un plat quelconque, craignant toujours que ce ne fût le fruit des amères sueurs du pauvre.

Dieu bénit le mariage des deux époux. En 1223, Elisabeth, étant âgée de seize ans, devint mère pour la première fois. Le vingt-huit mars elle eut un fils, à qui Louis donna le nom de Hermann, en mémoire de son père. Un an après, elle accoucha d'une fille qui fut nommée Sophie, comme la duchesse-mère. Cette princesse épousa depuis le duc de Brabant, et fut la tige de la maison actuelle de Hesse. Elisabeth eut encore deux autres filles; la seconde fut également nommée Sophie, et la troisième, née après la mort de son père, Gertrude; toutes deux furent consacrées à Dieu dès le berceau, et prirent le voile des épouses du Seigneur.

Fidèle en tout à l'humilité et à la modestie qu'elle s'était prescrites, Elisabeth conserva scrupuleusement ces vertus au milieu des joies de la maternité, comme elle l'avait fait au milieu des magnificences souveraines. Après chacune de ses couches, quand le moment de ses relevailles était arrivé, au lieu d'en faire, comme c'était l'usage, l'occasion de fêtes et de réjouissances mondaines, elle pre

[ocr errors]

nait son nouveau-né entre ses bras, sortait secrètement du château, vêtue d'une simple robe de laine et nu-pieds, et se dirigeait vers une église éloignée, celle de Sainte-Catherine, située hors des murs d'Eisenach. La descente était longue et rude, le chemin rempli de pierres aiguës qui déchiraient et ensanglantaient ses pieds délicats. Elle portait elle-même, pendant le trajet, son enfant, comme avait fait la Vierge sans tache; et, arrivée à l'église, elle le posait sur l'autel avec un cierge et un agneau, en disant : Seigneur JésusChrist, je vous offre, ainsi qu'à votre chère mère, Marie, ce fruit chéri de mon sein. Voici, mon Dieu et mon Seigneur, que je vous e rends de tout mon cœur, tel que vous me l'avez donné, à vous qui êtes le souverain et le père très-aimable de la mère et de l'enfant. La seule prière que je vous fais aujourd'hui et la seule grace que j'ose vous demander, c'est qu'il vous plaise de recevoir ce petit enfant, tout baigné de mes larmes, au nombre de vos serviteurs et de vos amis, et lui donner votre sainte bénédiction.

Dans la vie de ces deux saints époux, tout démontre la profonde sympathie qui les unissait, et à quel point ils étaient dignes l'un de l'autre. Nous avons vu la duchesse employer toute l'énergie et l'ingénieuse tendresse de son âme au soulagement des malheureux qui se trouvaient à sa portée ; de son côté, le duc Louis consacrait son courage et ses talents militaires à la défense des intérêts du peuple que Dieu lui avait confié. Cet amour inné de la justice, que nous avons signalé déjà comme sa principale vertu, lui donnait un sentiment si profond des droits de ses sujets, et une sympathie s générale pour leurs injures, que ces motifs seuls le déterminaient à des expéditions lointaines et coûteuses, dont la cause étonnait profondément ses voisins et ses vassaux.

Ainsi, en 1225, le duc apprit que quelques-uns de ses sujets, qui trafiquaient avec la Pologne et les autres pays slaves, avaient été volés et dépouillés auprès du château de Lubitz, en Pologne. I demanda au duc de Pologne, pour ces infortunés, une réparation qui lui fut refusée. Aussitôt il se mit en marche avec une armée considérable, prit et rasa le château, et s'en retourna chez lui, lais sant dans toute l'Allemagne orientale l'opinion la plus favorable s sa justice, son courage et son amour du pauvre peuple.

Quelque temps après, le duc se mit en campagne pour une caus qui parut encore plus insignifiante. Deux ou trois ans auparavant ayant remarqué à la foire annuelle d'Eisenach un pauvre colpor teur avec une petite pacotille, il lui demanda s'il avait de quoi s nourrir avec ce petit négoce. Eh! monseigneur, répondit le c polteur, j'ai honte de mendier, et je ne suis pas assez fort pow

[ocr errors]
[ocr errors]

-

travailler à la journée; mais si je pouvais seulement aller en sûreté d'une ville à l'autre, je pourrais, avec la grâce de Dieu, gagner ma vie avec ce petit magot, et même faire en sorte qu'au bout de l'année il vaudrait une fois plus qu'au commencement. Le bon duc, touché de compassion, lui dit : Eh bien! je te donnerai mon sauf-conduit pendant un an; tu ne paieras ni octrois, ni péages dans toute l'étendue de mon domaine. Combien estimes-tu ton paquet? Vingt schellings, répondit le colporteur. Donnez-lui dix schellings, dit le prince à son trésorier qui l'accompagnait, et faiteslui expédier un sauf-conduit avec mon sceau. - Puis se retournant vers le colpolteur : Je veux me mettre de moitié dans ton commerce; promets-moi que tu seras fidèle compagnon, et moi je te tiendrai quitte de tout dommage. — Le pauvre colporteur fut au comble de la joie, et se remit en course avec confiance et succès. A chaque premier jour de l'an, il revenait à la Wartbourg, pour faire part au prince des accroissements de son petit fonds, qui devint bientôt si considérable qu'il ne put plus le porter sur le dos. Aussi acheta-t-il un âne, fit deux ballots de sa marchandise, et se mit à faire des tournées de plus en plus longues et productives. Or, vers la fin de l'année 1225, revenant de Venise, en Thuringe, avec des bijoux fort précieux, il les étala en passant à Wurtzbourg. Certains Franconiens les trouvèrent fort beaux et auraient bien voulu en donner à leurs femmes, mais sans les payer. Ils attendirent le colporteur dans une embuscade, lui prirent son âne et sa marchandise, malgré le sauf-conduit du landgrave, qu'il leur fit voir. Il s'en vint donc tristement à Eisenach trouver son seigneur et associé, et lui raconta son malheur. Mon cher compère, lui dit en riant le bon prince, ne te mets pas tant en peine de notre marchandise; prends un peu patience, et laisse-moi le soin de la chercher.

[ocr errors]

Aussitôt il convoqua ses comtes, les chevaliers et les écuyers des environs, et même les paysans qui combattaient à pied, se mit à leur tête, entra sans délai en Franconie, et dévasta tout le pays jusqu'aux portes de Wurtzbourg, en s'enquérant partout de son âne. A la nouvelle de cette invasion, le prince-évêque de Wurtzbourg lui envoya demander ce que voulait dire une semblable conduite. A quoi le duc répondit qu'il cherchait un certain âne à lui, que les hommes de l'évêque lui avaient volé. L'évêque fit aussitôt restituer l'âne et son bagage, et le bon duc s'en retourna tout triomphant chez lui, à la grande admiration du pauvre peuple dont il prenait ainsi la défense.

Mais pendant qu'il était ainsi occupé, il reçut de l'empereur Fré

déric II l'invitation de venir le rejoindre en Italie. Il partit aussitôt et franchit les Alpes avant la fin de l'hiver. Il fit avec l'empereur toute la campagne, et se trouva à la grande diète de Crémone, à Pâques 1226.

Frédéric fut si satisfait de son courage et de son dévouement, qu'il lui accorda l'investiture du margraviat de Misnie, dans le cas où la postérité de sa sœur Judith, veuve du dernier margrave, s'éteindrait, et en même temps celle de tout le pays qu'il pourrait conquérir en Prusse et en Lithuanie, où il nourrissait le projet d'aller porter la foi chrétienne.

A peine le duc fut-il parti pour aller se ranger sous la bannière impériale, qu'une affreuse disette se déclara dans toute l'Allemagne, et ravagea surtout la Thuringe. Le peuple, affamé, fut réduit aux plus dures extrémités; on voyait les pauvres se répandre dans les campagnes, dans les bois et sur les chemins, pour arracher les racines et les fruits sauvages qui servaient ordinairement à la nourriture des animaux. Ils dévoraient les chevaux et les ânes morts, et les bêtes les plus immondes. Mais, malgré ces tristes ressources, un grand nombre de ces malheureux moururent de faim, et les routes étaient jonchées de leurs cadavres.

A la vue de tant de misères, le cœur d'Elisabeth s'émut d'une pitié immense. Désormais son unique pensée, son unique occupa tion, nuit et jour, fut le soulagement de ses infortunés sujets. Le château de Wartbourg, où son mari l'avait laissée, devint comme le foyer d'une charité sans bornes, d'où découlaient sans cesse d'inépuisables bienfaits sur les populations voisines. Elle commença par distribuer aux indigents du duché tout ce qu'il y avait d'argent comptant dans le trésor ducal, ce qui se montait à la somme énorme, pour cette époque, de soixante-quatre mille florins d'or, lesquels provenaient de la vente récente de certains domaines. Puis elle fit ouvrir tous les greniers de son mari, et, malgré l'opposition des officiers de sa maison, elle en fit distribuer tout le contenu au pauvre peuple, sans en rien réserver. Il y en avait tant que, selon les récits comtemporains, pour racheter seulement le blé qu'elle abandonn aux pauvres, il aurait fallu mettre en gage les deux plus grand châteaux du duché et plusieurs villes. Elle sut cependant unir la prudence à cette générosité sans bornes. Au lieu de donner le ble par grandes quantités, qui auraient pu être employées inconsidére ment, elle faisait distribuer chaque jour à chaque pauvre la portion qui pouvait lui être nécessaire. Pour leur éviter toute dépense que! conque, elle faisait cuire dans les fours du château autant de farine qu'ils pouvaient contenir, et servait elle-même le pain tout chaud

aux malheureux. Neuf cents pauvres venaient ainsi chaque jour lui demander leur nourriture, et s'en retournaient chargés de ses bienfaits.

Mais il y en avait encore un plus grand nombre que la faiblesse, la maladie ou les infirmités empêchaient de gravir la montagne où était située la résidence ducale; et ce fut surtout pour ceux-ci qu'Elisabeth redoubla de sollicitude et de compassion pendant cette crise douloureuse. Elle portait elle-même au bas de la montagne, à quelques-uns qu'elle avait choisis parmi les plus infirmes, les restes de ses repas et de celui de ses suivantes, auxquels elles n'osaient presque plus toucher de peur de diminuer la part des pauvres. Dans l'hôpital de vingt-huit lits dont nous avons déjà parlé, qu'elle avait fondé à mi-côte de la montée du château, elle plaça les malades qui réclamaient des soins particuliers, et elle l'organisa de telle sorte que, à peine un des malades était-il mort, son lit était sur-lechamp occupé par un autre venu du dehors. Elle institua ensuite deux nouveaux hospices dans la ville même d'Eisenach, l'un sous l'invocation du Saint-Esprit, pour les pauvres femmes, et l'autre sous celle de Sainte-Anne, pour tous les malades en général. Ce dernier existe encore.

Tous les jours sans exception, et deux fois, le matin et le soir, la jeune duchesse descendait et remontait la longue et rude côte qui conduit de la Wartbourg à ces hospices, malgré la fatigue qu'elle en ressentait, pour y visiter ses pauvres et leur apporter ce qui leur était nécessaire ou agréable. Arrivée dans ces asiles de la misère, elle allait de lit en lit, demandait aux malades ce qu'ils désiraient, et leur rendait les services les plus rebutants avec un zèle et une tendresse que l'amour de Dieu et sa grâce spéciale pouvaient seuls lui inspirer. Elle nourrissait de ses propres mains ceux dont les maladies étaient les plus dégoûtantes, faisait elle-même leurs lits, les soulevait et les portait sur le dos ou entre les bras sur d'autres lits, essuyait leur visage, leur nez et leur bouche avec le voile qu'elle portait sur la tête, et tout cela avec une gaîté et une aménité que rien ne pouvait altérer. Bien qu'elle eût une répugnance naturelle pour le mauvais air, et qu'il lui fût ordinairement impossible de F'endurer,elle se rendait cependant au milieu de l'atmosphèreméphitique des salles de malades, par les plus grandes chaleurs de l'été, sans exprimer la moindre répugnance, tandis que ses suivantes en étaient accablées et murmuraient hautement.

Elle avait fondé dans un de ses hospices un asile particulier pour les pauvres enfants malades, abandonnés ou orphelins: ils étaient l'objet spécial de sa tendresse; elle les entourait des soins les plus

« ZurückWeiter »