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Son union avec Dieu devint plus intime, sa vie n'était qu'une longue extase. Ces opérations intérieures, qui ravissaient son âme, élevaient son corps en l'air, plus ou moins haut, à proportion de leurs degrés. Quand il n'était élevé qu'à la hauteur d'un homme, frère Léon embrassait ses pieds et les arrosait de ses larmes, disant à Dieu du fond de son cœur : Mon Dieu, soyez propice à un pécheur comme moi par les mérites de ce saint homme, et daignez me donner quelque petite portion de votre grâce. Quand il ne pouvait l'atteindre ni l'apercevoir, il se prosternait et priait où il l'avait vu s'élever. On l'entendait parler avec Dieu, tantôt avec crainte et tremblement, tantôt comme un ami parle à son ami. Plusieurs fois frère Léon vit une lumière éclatante, et au milieu des soupirs de François, il ne distinguait que ces paroles : Qui êtesvous, Seigneur, et qui suis-je, moi? Un jour, après un de ces ravissements, le Sauveur parut assis sur une grande pierre plate qui servait de table à François. Il y eut une longue et intime communication; et François, se levant tout transporté, s'écria: Frère Léon, prépare des parfums et du baume pour consacrer cette pierre. Frère Léon lui apporta de l'huile qu'il versa sur la pierre, à l'exemple de Jacob, prononçant ces paroles: Cette pierre est l'autel de Dieu '.

Un matin, vers la fête de l'exaltation de la Sainte-Croix, qui est le quatorzième de septembre, comme il priait au côté de la montagne, il vit un séraphin ayant six ailes ardentes et lumineuses, lequel descendait du haut des cieux d'un vol très-rapide. Quand il fut proche, François vit entre ses ailes la figure d'un homme ayant les mains et les pieds étendus et attachés à une croix. Deux ailes s'élevaient au-dessus de sa tête, deux étaient étendues pour voler, et deux couvraient tout son corps. Cette vision l'étonna merveilleusement; il eut le cœur saisi d'une joie mêlée de tristesse, et il comprit que ce n'était pas par le martyre corporel, mais par l'ardeur de la charité qu'il devait être transformé en la ressemblance de Jésus crucifié. La vision, disparaissant, laissa en son cœur une ardeur merveilleuse et une impression encore plus admirable en son corps car aussitôt commencèrent à paraître à ses mains et à ses pieds les marques des clous, comme il les avait vus dans l'image du crucifix. Ses mains et ses pieds paraissaient percés de clous dans le milieu; les têtes des clous se voyaient au dedans des mains et au-dessus des pieds, et les pointes repliées de l'autre côté et enfoncées dans la chair. A son côté droit paraissait une cicatrice rouge comme d'un coup de lance, et souvent elle jetait du sang, dont sa tunique et ses fémoraux étaient arrosés.

Vital et Fioretti.

E

Le serviteur de Dieu voyant que ces stigmates, c'est ainsi qu'on les a nommés, ne pouvaient demeurer cachés à ses compagnons les plus familiers, et craignant d'ailleurs de publier le secret de Dieu, se trouva dans un grand embarras. Il appela quelques-uns de ses frères, leur proposa la difficulté en termes généraux et leur demanda conseil. Frère Illuminé, jugeant à la manière dont il paraissait étonné qu'il avait vu quelque merveille, il lui dit : Mon frère, sachez que ce n'est pas seulement pour vous, mais encore pour les autres, que Dieu vous découvre quelquefois des secrets; c'est pourquoi vous devez craindre d'être repris d'avoir caché votre talent. François, touché de ces paroles, rapporta avec grande crainte la suite de sa vision, ajoutant que celui qui lui avait apparu lui avait dit des choses qu'il ne découvrirait à personne de sa vie. Après qu'il eut passé sa quarantaine dans la solitude, il descendit de la montagne à la Saint-Michel, et Dieu confirma l'impression miraculeuse de ses stigmates par plusieurs autres miracles.

Dans la province de Riéti s'était étendue une maladie contagieuse qui faisait périr les moutons et les bœufs, sans qu'on y pût apporter aucun remède. Un homme craignant Dieu fut averti en songe d'aller promptement à l'ermitage des frères Mineurs, où François demeurait alors, de prendre de l'eau où il aurait lavé ses mains et ses pieds, et d'en asperger tout le bétail. Le matin, il vint à l'ermitage, et ayant obtenu secrètement de cette eau par le compagnon du saint, il en arrosa les bestiaux malades et couchés par terre. Dès que la moindre goutte les avait touchés, ils se levaient vigoureux et couraient aux pâturages. Ainsi toute la maladie cessa. Autour du mont Alverne, avant que le saint homme y demeurât, la grêle, formée d'un nuage qui s'élevait de la montagne, gâtait ordinairement les fruits de la terre; mais, depuis l'apparition du séraphin, cette grêle cessa, au grand étonnement des habitants. L'hiver qui suivit, François voyageait monté sur l'àne d'un pauvre homme, à cause de sa faiblesse et de la rudesse des chemins. La neige et la nuit qui approchait l'obligèrent de demeurer sous une roche, où il s'aperçut que ce pauvre homme qui l'accompagnait se plaignait et se tournait de côté et d'autre, ne pouvant reposer, parce qu'il était vêtu légè– rement et le froid très-rigoureux. François étendit le bras et toucha son guide de la main percée; aussitôt il se sentit tellement échauffé au dedans et au dehors, qu'il dormait plus doucement entre ces roches et ces neiges, qu'il n'avait jamais fait dans son lit, comme il l'assura depuis.

Quelque soin que prît François de cacher ses stigmates, il ne put empêcher qu'on ne vit ceux des pieds et des mains, quoique depuis

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ce temps-là il marchat chaussé et tînt presque toujours ses mains couvertes. Les stigmates furent vus de plusieurs de ses confrères, lesquels, bien que très-dignes de foi par leur sainteté, l'assurèrent depuis par serment, pour ôter tout prétexte d'en douter. Quelques cardinaux les virent par la familiarité qu'ils avaient avec le saint homme; ils ont relevé les stigmates, dit saint Bonaventure, dans les proses, les hymnes et les antiennes qu'ils ont publiées en son honneur, et ont rendu témoignage à cette vérité et de vive voix et par écrit. Enfin le pape Alexandre IV, prêchant au peuple en présence de plusieurs frères et de moi-même, assura que pendant la vie du saint, il avait vu ces sacrés stigmates de ses propres yeux. Ce sont les paroles de saint Bonaventure dans la vie de saint François, d'où est tiré tout ce récit. Il ajoute : A sa mort, plus de cinquante frères les virent, et la pieuse vierge Claire avec ses sœurs, et une multitude innombrable de séculiers, dont plusieurs les baisèrent et les touchèrent de leurs mains, pour plus grande certitude.

Quant à la plaie de son côté, il la cacha si bien, que de son vivant personne ne la put voir qu'à la dérobée. Un frère qui le servait, nommé Jean de Lodi, lui ayant persuadé par un pieux artifice de tirer sa tunique, sous prétexte de la secouer, vit cette plaie, regardant attentivement, et en reconnut la grandeur, en y appliquant légèrement trois doigts. Frère Léon, compagnon du saint, homme d'une simplicité merveilleuse, lui maniant les épaules à cause d'un mal qu'il y sentait, passa là main par son capuce et toucha la plaie par hasard, ce qui causa au saint homme une grande douleur. Depuis ce temps, pour couvrir cette plaie, il porta'des fémoraux qui montaient jusqu'aux aisselles; mais les frères qui les lavaient ou secouaient sa tunique de temps en temps, les trouvaient ensanglantés. Enfin, après sa mort, la plaie du côté parut évidemment comme les autres. Lucas, évêque de Tuy en Espagne, auteur du même temps, rend témoignage à la vérité des stigmates de saint François, et dit qu'ils ont été vus et touchés par beaucoup de clercs et de laïques, religieux et séculiers, cinq ans avant le temps où il écrivait 1.

Saint François, mort au monde, mort à lui-même, absorbé en Dieu, transformé en Jésus-Christ, devait être mort pour la nature entière, la nature entière devait être morte pour lui: voilà ce que nous sommes naturellement portés à croire. Eh bien! nous nous trompons. La vérité, c'est tout le contraire.

Cela étonnera sans doute beaucoup. N'est-il pas dit qu'il faut

• Acta SS., & octob.

renoncer aux créatures? En tant qu'elles éloignent de Dieu, oui; en tant qu'elles élèvent à Dieu, non. En effet, elleș en éloignent ou en approchent, suivant qu'on les envisage. L'homme sensuel, en qui domine la vie animale, qui fait son dieu de son ventre, ne voit dans les créatures que ce qui peut satisfaire ses passions charnelles, et ainsi elles l'éloignent de plus en plus de Dieu. L'homme en qui domine la vie purement raisonnable ou humaine, le savant, ne voit dans les créatures qu'un objet de curiosité, d'examen, d'expérience, de calcul, de science. Il lui serait facile de s'élever jusqu'à celui qui les a faites. Mais il lui est facile aussi de n'aller pas au-delà de lui-même, de se faire lui-même l'unique but de toutes ses études, et de n'envisager toutes les créatures que comme une pâture à sa curiosité, à sa vanité, à son orgucil. Le chrétien, au contraire, le saint en qui domine tellement la vie de la grâce, qu'elle pénètre en quelque manière et qu'elle s'identifie la vie purement raisonnable et la vie sensitive, il voit, comme le premier et comme le second, ce que les créatures ont de beautés sensibles ou intellectuelles; mais il ne s'arrête ni à elles ni à soi, il s'élève jusqu'à Dieu; il se réjouit dans toutes les œuvres du Seigneur, et, par autant d'agréables miroirs, il monte jusqu'à la cause vivifiante. Dans ce qu'il y a de beau, il contemple celui qui est la beauté même, et aux vestiges qu'il a imprimés dans les créatures, il suit partout le bien-aimé, se faisant de tout un degré, une échelle, pour s'élever et atteindre celui qui est l'amabilité même. Voilà ce que saint Bonaventure raconte en propres termes de saint François d'Assise. Il ajoute Dans toutes les créatures, comme en autant de ruisseaux, ce saint goûtait, avec une dévotion ineffable, il goûtait, il savourait cette bonté souveraine, source intarissable de tout ce qu'il y a de bon. Et comme s'il percevait une céleste harmonie dans le concert des différentes qualités et fonctions que Dieu leur a données, il les invitait amicalement à sa louange, suivant la coutume du prophète David.

Un jour, près de Bévagne, il vint à un lieu où s'était rassemblée une très-grande multitude d'oiseaux de différentes espèces. Le saint, les voyant, courut à eux et les salua, comme si c'eût été des créatures raisonnables. Tous l'attendirent, se retournèrent de son côté, les plus élevés inclinant la tête jusqu'à ce qu'il fût proche et qu'il les exhortât tous à écouter la parole de Dieu, en disant: Mes frères les oiseaux, vous devez bien louer votre Créateur, qui vous a revêtus de plumes, vous a donné des ailes pour voler, vous accorde la pureté de l'air et vous gouverne sans que vous ayez à prendre aucune sollicitude. Pendant qu'il leur disait ces choses et d'autres,

les petits oiseaux tressaillaient de joie, allongeaient le cou, étendaient les ailes, entr'ouvraient le bec et le regardaient attentivement. Lui, plein de ferveur, passa au milieu d'eux, les touchant de sa tunique, sans que pas un changeât de place, jusqu'à ce qu'il les eût congédiés en faisant sur eux le signe de la croix; alors ils s'envolèrent tous avec sa bénédiction. Ses compagnons de voyage considéraient tout ceci de la route où ils l'attendaient. Revenu à eux, cet homme simple et pur commença à s'accuser de négligence de n'avoir point jusqu'alors prêché les oiseaux 1.

Il aimait particulièrement les alouettes. Il se plaisait à remarquer dans leur plumage la couleur grise et cendrée qu'il avait choisie pour son ordre, afin que l'on pensât souvent à la mort, à la cendre du tombeau. Montrant à ses disciples l'alouette s'élevant dans les airs et chantant dès qu'elle a pris sur la terre quelques grains: Voyez, disait-il avec joie, elles nous apprennent à rendre grâces au Père commun qui nous donne la nourriture, à ne manger que pour sa gloire, à mépriser la terre et à nous élever au ciel, où doit être notre conversation.

Prêchant dans le bourg d'Alviano, et ne pouvant être entendu à cause du bruit des hirondelles qui avaient là leurs nids, il leur adressa ces paroles: Mes sœurs les hirondelles, vous avez assez parlé, il est bien temps que je parle à mon tour. Ecoutez donc la parole de Dieu, et gardez le silence pendant que je prêcherai. Elles ne dirent plus un seul petit mot, et ne bougèrent de l'endroit où elles étaient. Saint Bonaventure, qui raconte ce fait, ajoute qu'un bon étudiant de Paris se trouvant interrompu dans son étude par le gazouillement d'une hirondelle, dit à ses condisciples: En voici une de celles qui troublaient le bienheureux François dans son sermon, et qu'il fit taire. Alors il dit à l'hirondelle : Au nom de François, serviteur de Dieu, je te commande de te taire et de venir à moi. Elle se tut dans le moment et vint à lui. Mais, dans la surprise qu'il en eut, il la lâcha, et n'en fut plus importuné 2. C'est ainsi qu'il plaisait à Dieu d'honorer le nom de son serviteur. Un jour, comme saint François allait prendre son repas avec le frère Léon, il se sentit intérieurement rempli de consolation an chant d'un rossignol. Il pria Léon de chanter alternativement les louanges avec l'oiseau. Celui-ci s'en étant excusé sur sa mauvaise voix, le saint se mit à répondre au rossignol, et continua jusqu'au soir, où il fut obligé de cesser, avouant avec une sainte envie que le petit oiseau l'avait vaincu. Il le fit venir sur sa main, le loua

'S. Bonavent., c. 12. — 2 Ibid., n. 12.

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