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mains du Pape. En général, il leur fut enjoint d'observer les rites de l'Eglise romaine, ou plutôt les préceptes de Dieu. Innocent annonce ensuite au clergé et aux peuples de la Hongrie et de la Servie, dont le cardinal traversera le pays, l'heureuse réunion des Valaques et des Bulgares avec l'Eglise. Il charge le légat de juger ou d'examiner tout ce qui lui sera soumis dans les pays qu'il devait traverser, et de rétablir partout la paix et la concorde 1.

Ce prélat reçut en Hongrie un accueil brillant et tel que le Pape l'avait demandé. Mais, arrivé aux frontières, le roi Eméric ne le laissa pas aller plus loin, prétextant la guerre qu'il soutenait contre les Bulgares. Si Eméric se plaignit d'un côté que Joannice avait envahi son pays, ce dernier, à son tour, accusait son adversaire de lui avoir enlevé cinq évêchés, de s'être même emparé des biens des églises; c'est pour ces motifs qu'il occupait le pays en ennemi 2.

Le roi de Hongrie envoya un chevalier à Rome avec une lettre par laquelle il s'excusait de sa conduite envers le légat. Le Pape lui répondit; mais ce passage de sa lettre effraya le roi : « Que diriezvous, si nous mettions obstacle au couronnement de votre propre fils? Nous éprouvons les sentiments qui vous agiteraient dans une semblable occasion, lorsque vous empêchez le couronnement de notre fils spirituel qui retourne dans la maison de son père. » Le roi, effrayé et craignant que le Pape n'élevât des difficultés au sujet du couronnement du jeune Ladislas, permit au légat de continuer son voyage. Innocent ne tarda pas à lui témoigner sa gratitude, et il écrivit au roi qu'il ne doutait nullement qu'il reçût le légat aussi bien à son retour, qu'il l'avait reçu lors de son arrivée.

Le cardinal-légat arriva le quinze octobre 1204 à Ternovo, capitale fortifiée de la Bulgarie, et, le sept novembre, il sacra le primat, qui ordonna à son tour les métropolitains et les évêques, après quoi les premiers reçurent le pallium des mains du légat. Le lendemain, le cardinal couronna le roi aux acclamations du peuple, et repartit le quinze, emmenant avec lui deux jeunes gens que Joannice lui confia pour les faire instruire à Rome dans la langue latine, et les rendre capables de traduire les lettres envoyées en Bulgarie. Dans la lettre qu'il remit au légat, Joannice exprima, il est vrai, sa joie d'être arrivé au but de ses vœux les plus ardents; mais il fait connaître aussi sa ferme résolution de n'accorder au Pape d'autre influence sur sa personne et sur son royaume, que celle qui se rat

'Gesta, c. 70-77, 1. 7, epist. 1~14. — 2L. 7, epist. 126.

[Livre 71. tachait aux affaires spirituelles. Il ne voulait pas rompre avec l'empereur de Byzance, pour se soumettre à une sujétion plus grande que celle qu'il éprouvait déjà. « Le légat, écrit-il au Saint-Père, vous donnera des explications suffisantes sur ma position à l'égard du roi de Hongrie, et vous jugerez lequel de nous deux méprise l'autre. S'il vient à m'attaquer, Dieu me donnera la victoire; mais que dans ce cas votre Sainteté ne conçoive aucun soupçon contre moi. » Il prie le Pape de recommander aux Latins, alors maîtres de Constantinople, de ne point inquiéter son royaume; car il se réservait aussi les mains libres sous ce rapport. Enfin il envoie au Pape quelques présents comme marques de souvenir 1.

Ce qui fait que la terre est une, c'est que Dieu lui a donné un centre d'attraction matérielle, autour duquel viennent se ranger, et les corps qui composent la terre, et ceux qui l'entourent jusqu'à l'extrémité de son orbite. Ce qui fait que l'Europe est une, et, par suite, l'humanité entière, c'est que Dieu lui a donné un centre d'attraction spirituelle, autour duquel viennent se ranger, et les peuples qui composent l'humanité intellectuelle, et ceux qui l'entourent jusqu'aux extrémités de la vie sauvage. Ce centre divin, vers lequel, avec le temps, gravitent plus ou moins tous les peuples, c'est Rome chrétienne. Nous en voyons la preuve au commencement du treizième siècle. Les plus reculés de la civilisation, les Suédois, les Norwégiens, les Bohêmes, les Hongrois, les Serbes, les Valaques, les Bulgares s'adressent au Père de la chrétienté, car ainsi appellent-ils le Pontife romain, pour être incorporés dans sa grande famille, et recevoir de lui jusqu'au titre de royaume et de roi. Comme cette gravitation vers le centre de l'unité catholique est plus ou moins volontaire, il y a quelquefois des rois, des dynasties, des peuples qui s'arrêtent en chemin, qui s'en détournent, ou voudraient se faire centre eux-mêmes. Avec le temps, Dieu les brise et les rejette; avec le temps, Dieu en appelle d'autres à leur place. Des exemples, nous en avons vu, nous en verrons plus d'un.

L'empereur Henri VI n'avait eu qu'une pensée, c'était de réaliser le projet de sa dynastie ; rendre l'empire héréditaire dans sa famille, soumettre l'Eglise à l'empire, et, par là même, à sa famille, amener les autres rois à n'être que les vassaux de l'empereur; en sorte que l'empereur allemand fût le seul souverain, le seul propriétaire, la seule loi du monde.

Mais transformer l'empire d'électif en héréditaire, c'était supprimer, en fait et en droit, la liberté et l'indépendance de tous les

'L. 8, epist. 157.

autres princes de l'empire: aussi les empereurs s'y prenaient-ils d'une manière indirecte, en faisant élire leur premier-né dès le berceau. Mais transformer l'empire d'électif en héréditaire, c'était en changer totalement la nature vis-à-vis de l'Eglise. Par son institution même, l'empereur d'Occident était le défenseur armé de l'Eglise romaine contre les infidèles, les hérétiques, les schismatiques et les séditieux. C'est à cette fin que le pape saint Léon III rétablit la dignité impériale dans la personne de Charlemagne. Aussi, comme nous l'avons vu par l'historien Glaber, du onzième siècle, trouvait-on très-raisonnable et très-naturel, que le chef de l'Eglise romaine, le Pape, choisît celui des princes chrétiens qu'elle devait avoir pour protecteur 1. Cette dignité devenant héréditaire, l'Eglise romaine, au lieu de choisir librement un défenseur digne de sa confiance, se voyait réduite à subir un maître quel qu'il fût : le Pontife romain n'eût plus été que le premier chapelain d'un roi allemand; le chef de l'Eglise catholique, le Père de la chrétienté, n'eût pas eu plus de liberté et d'indépendance, que n'en a de nos jours l'évêque schismatique de Moscou sous le knout de l'empereurpape de Russie. Le chef de la chrétienté ravalé dans la servitude, la chrétienté l'était tout entière. Au lieu de rois et de nations libres, sous la direction spirituelle d'un Père commun, on n'aurait vu dans toute l'Europe que les vassaux et les serfs du césar tudesque. Témoin le plus fier des rois contemporains, Richard Cœur de Lion; pour se tirer de la geôle où la déloyauté de l'empereur allemand le tenait captif, il avait fini, lui Richard, roi d'Angleterre, par se constituer son vassal, et l'Angleterre un fief de l'Allemagne. Si le plus fier des rois put s'abaisserà ce degré, que n'eussent pas fait les autres? L'Europe allait donc devenir, sous le bâton du césar tudesque, ce que nous voyons devenus l'église et le peuple russes, sous le bâton du czar moscovite, servilement adoré, comme empereur et comme pape, par la noblesse, le peuple, le clergé, eût-il les mains tachées du sang de son père et de ses frères. Dieu en préservera l'Europe à cause de son Eglise; et il l'en préservera par l'Eglise et son

chef.

A la mort de l'empereur Henri VI, son frère Philippe, duc de Souabe, qui commandait en Toscane, se hâta de retourner en Allemagne, pour assurer l'empire à son neveu, du moins à sa famille. Son neveu, Frédéric, avait été élu du vivant de son père, mais il n'avait que trois ans; et les princes de l'empire étaient-ils d'humeur à sacrifier leur droit électoral en faveur d'un bambin élu par crainte

'Glaber, 1. 1, sub fine.

ou par complaisance? Aussi Philippe trouva-t-il l'Allemagne agitée comme une mer livrée à la fureur des flots. Les plus clairvoyants n'envisageaient l'avenir qu'avec de vives inquiétudes, augmentées encore par les circonstances extérieures. Car, depuis deux ans, de mauvaises récoltes avaient succédé à une grande abondance; le prix des blés ayant haussé jusqu'au décuple de sa valeur ordinaire, il en résulta une disette cruelle. Les aliments semblaient même avoir perdu de leur faculté nutritive. Des loups sortirent de leurs tanières et attaquèrent même les hommes. Un grand nombre de pauvres périrent de misère. Les suites de cette famine, qui n'épargna pas d'autres pays, se firent sentir jusqu'à l'année suivante. Il se répandit partout des bruits d'apparitions qui annonçaient de grands malheurs. Pour comble d'infortune, l'archevêque Conrad de Mayence, le premier des princes d'Allemagne, cet homme qui, au crédit que lui donnait sa position, joignait tout le poids d'une sagesse mûrie et d'une prudence consommée, était alors en Palestine '.

Philippe de Souabe, après avoir célébré à Haguenau la fête de Noël 1197, voulut gagner les seigneurs à la cause de son neveu Frédéric; mais la plupart s'y refusèrent. « Le serment et l'élection précédente, répliquaient-ils, ont eu lieu avant le baptême du jeune prince, et sont par conséquent nuls. Un enfant ne peut être placé sur le trône, et l'empire ne peut demeurer sans maître et sans souverain. D'ailleurs, la puissance du père a trop influencé l'élection. › Ainsi tous les efforts de Philippe échouèrent contre l'appréhension qu'avait la plus grande partie des princes électeurs de perdre leurs droits et leur liberté, s'ils confiaient encore une fois la souveraine puissance de l'empire à la même maison pour une génération entière, et contre le projet qu'ils avaient formé de profiter de cette conjoncture pour reconquérir toute leur influence.

Après quelques incidents, Philippe fut élu lui-même par une partie des princes, le six mars 1198. L'autre partie, ayant à sa tête l'archevêque de Cologne et celui de Trèves déclara d'abord nulle l'élection du jeune Frédéric, cassa celle de Philippe comme excommunié, et élut Berthold, duc de Zaering. Celui-ci ayant renoncé à son élection et s'étant même déclaré pour Philippe, ils élurent Otton, duc de Saxe, fils de Henri le Lion, et le couronnèrent à Aix-la-Chapelle, le jour de la Pentecôte 1198. Philippe avait été excommunié par le pape Célestin pour avoir envahi le patrimoine de saint Pierre. C'était un obstacle à ce qu'il gardât la couronne et qu'il fût sacré. Une circonstance vint le tirer d'embarras.

Hurter, 1. 2.

Avant de connaitre les deux élections royales d'Allemagne, le pape Innocent III porta d'abord son attention sur l'arrestation arbitraire de l'archevêque de Salerne, et puis sur la captivité de la maison royale de Sicile. Célestin avait déjà obtenu la promesse de la mise en liberté de l'archevêque; c'est pourquoi son successeur envoya, aussitôt après son sacre, l'évêque de Sutri et l'abbé de Saint-Anastase près de Philippe et des princes allemands, pour demander la délivrance de l'archevêque, ainsi que celle de la reine Sybille et de ses enfants, qui tous gémissaient depuis si long-temps en prison. Les évêques des pays situés sur les bords du Rhin devaient appuyer cette demande, et le Pape avait ordonné à ses délégués, non-seulement de lancer en son nom l'anathème sur les complices de ce crime, mais encore de prononcer l'interdit et d'excommunier tous les princes qui ne contribueraient pas de tout leur pouvoir à la délivrance des captifs. Le chapitre de Mayence fut chargé en outre de veiller à l'exécution des mesures prises par le Saint-Siége'. L'évêque de Sutri devait aussi réconcilier Philippe, moyennant certaines conditions.

Ce ne fut qu'à leur arrivée en Allemagne, que les envoyés de Rome apprirent l'élection de ce prince. Philippe vint à leur rencontre jusqu'à Worms. Alors l'évêque de Sutri prit sur lui de lever l'excommunication, sur une simple promesse qu'il reçut en lui faisant toucher son étole. Ce ne fut qu'après cela que l'archevêque de Salerne et ses frères furent mis en liberté. Quant à la reine Sybille, elle parvint à s'échapper avec ses filles et à se réfugier en France. Ainsi absous de l'excommunication, Philippe se fit couronner à Mayence dans l'octave de Pâques, par l'archevêque de Tarentaise, parce qu'aucun des évêques allemands ne voulut le faire. Ceux même d'entre eux qui assistèrent à la cérémonie ne prirent point leurs habits pontificaux, excepté le seul évêque de Sutri, nonce du Pape. Aussi, quand il fut de retour à Rome, ayant été convaincu par sa propre confession d'avoir autorisé ce sacre et négligé les formalités de l'absolution, le Pape le relégua hors de son diocèse jusqu'à la fin de ses jours 2.

Otton, second fils de Henri le Lion, banni et dépouillé de ses biens par l'empereur Frédéric, vivait en Angleterre à la cour de Richard, son oncle maternel, quand il se vit élu roi des Romains, en l'absence de Henri, son frère aîné, occupé en Palestine, et qui, suivant toutes les apparences, lui eût été préféré. Aux avantages d'un physique robuste et noble, Otton joignait un courage invin

1 Gesta, c. 22. - L. 1, epist. 24-26. — Gesta, c. 22.

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