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Cette belle entreprise fut certes la première traduction européenne du Coran, et pour l'époque c'était une merveille. Singulière destinée de cette traduction latine, d'être un jour imprimée, au seizième siècle, par la grâce de l'empereur d'Allemagne, cum gratiâ Cæsareæ Majestatis, sous les auspices et avec des préfaces de Luther et de Mélanchthon!

La traduction faite, Pierre engagea saint Bernard à écrire contre les mahométans. L'abbé de Clairvaux ne put ou ne voulut pas (1). Pierre alors écrivit; mais des cinq livres qu'il composa, deux seulement nous sont parvenus. Dans son exorde, Pierre prend exemple de saint Augustin, fléau de l'hérésie, le plus grand et le prince des pères latins, qui fut toujours son auteur de prédilection; puis il défend contre le Coran la vérité et l'identité des livres de l'ancien et du nouveau testament; il discute les prétendues falsifications de l'Écriture sainte; il établit les caractères essentiels du véritable prophète, et combat la mission divine alléguée par Mahomet, avec une telle autorité de raison, une telle abondance d'accusations ironiques, une telle appréciation des rites mahométans et de la vie du faux prophète, une telle série de preuves, que les théologiens modernes n'auraient qu'à profiter de cette substantielle lecture. Mais ce que je remarque surtout, c'est que Pierre juge de la fausseté du mahométisme et de la vérité du christianisme, par cette idée élevée, que Mahomet défend de disputer sur les dogmes de sa religion : il vaut mieux tuer que disputer, ce sont ses paroles; tandis qu'un des grands disciples de Jésus-Christ dit au contraire: Soyez toujours prêts à rendre raison de votre foi et de votre espérance. Connaissez-vous un plus bel hommage rendu à la religion et à l'intelligence humaine?

Si nous avons perdu trois livres de cette belle controverse, nous avons conservé en revanche la table générale des matières renfermées dans les quatre premiers livres. Le premier livre a sept chapitres, le second huit, le troisième huit, le

(1) V. la note M, dans les pièces justificatives.

quatrième cinq, c'est une curiosité bibliographique à consulter. La curiosité n'est pas moins attirée par une espèce de préambule, encore existant, où Pierre parle de l'origine du Coran et de la vie de Mahomet. J'en traduis une partie, pour faire connaître la manière de l'auteur: mes citations d'ailleurs seront nouvelles pour beaucoup de chrétiens.

« L'abrégé de toute l'hérésie, de toute la fraude diabolique de la secte des Sarrasins ou des Ismaélites, dit Pierre, c'est que, par la plus grande et la plus détestable des erreurs, ils ne croient pas à la Trinité renfermée dans l'unité de Dieu... Ils nient que le Dieu créateur puisse être père, parce qu'ils ne conçoivent pas la paternité sans un acte matériel. Ils ne croient donc pas que le Christ soit fils de Dieu, bien qu'ils avouent qu'il est conçu du Saint-Esprit : ils nient qu'il soit Dieu, mais ils le reconnaissent pour un prophète bon, véridique, exempt de tout mensonge et de tout péché, fils de Marie, engendré sans père, jamais mort, parce qu'il n'a pas mérité de mourir. A les croire, les juifs ont bien voulu le tuer; mais il s'est échappé de leurs mains pour monter dans les cieux. C'est là qu'il doit vivre corporellement, en présence du Créateur, jusqu'à la venue de l'Antechrist. Quand celui-ci viendra, le Christ le tuera avec le glaive de sa vertu, et convertira à sa propre loi le reste des juifs. Quant aux chrétiens, qui ont perdu depuis longtemps sa loi et son évangile, à cause de la disparition du Christ et de la mort de ses apôtres et de ses disciples, le Christ leur enseignera sa loi d'une manière parfaite. En elle, tous les chrétiens seront sauvés avec les premiers disciples. Puis, avec eux et avec toutes les créatures, au son de la trompette de l'archange Séraphim, le Christ lui-même mourra: mais pour ressusciter avec tous, pour les conduire, les défendre au jugement dernier, et non pour les juger; car Dieu seul jugera, et les prophètes et les envoyés de Dieu ne seront, au jour solennel, avec leurs disciples, et pour leurs disciples, que des protecteurs et des intercesseurs.

>> C'est ainsi que l'impie et misérable Machumet a enseigné les Sarrasins, rejetant tous les sacrements de la piété chré

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tienne, niant tout ce qui sauve les hommes, et livrant le tiers du genre humain, je ne sais par quel décret de Dieu, au démon et à la mort éternelle, à travers les fables les plus inouïes et les plus délirantes.

>> Quelques-uns, continue Pierre, ont pu confondre la secte sarrasine avec la secte des Nicolaïtes qui est attaquée dans l'apocalypse de Jean. Plusieurs, sans nulle curiosité pour la lecture, ignorant le passé, rêvent à cet égard toutes sortes d'autres faussetés. Voici la vérité :

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>> Machumet est né, avant l'an 550, du temps de l'empereur ? 571. Héraclius, peu d'années après l'époque du souverain et saint pontife Grégoire le Grand, comme le dit expressément la chronique traduite du grec en latin par Anastasius, bibliothécaire de l'Église romaine. Arabe de nation, obscur de naissance, d'abord livré au culte de l'antique idolâtrie, comme les Arabes de son temps; illettré, ignorant, mais souple et habile, adroit et rusé; de pauvre et vil qu'il était, il devint illustre et riche. A mesure que sa fortune s'accroissait insensiblement, il tendait des piéges à ses parents, à tous ses proches, envahissait leurs domaines et s'enrichissait de leurs dépouilles; tantôt les tuant en secret, tantôt les mettant à mort publiquement et audacieusement, il se fit craindre de tous. Presque toujours vainqueur dans des rencontres armées, il aspira enfin à régner sur son pays. On lui résistait de tous côtés, on méprisait sa naissance basse. Voyant donc que c'était là un obstacle à ses immenses espérances, ce qu'il ne put faire par la force du glaive, il voulut le tenter sous le voile de la religion, et se faire roi sous le nom d'un prophète de Dieu. Et comme il vivait barbare entre des barbares, idolâtre entre des idolâtres, et qu'il les connaissait plus faciles à séduire, plus ignorants de la loi divine et humaine, qu'aucun autre peuple de la terre, il commença l'exécution de ses desseins. Ayant entendu dire que les prophètes de Dieu avaient été de grands hommes, il se nomma prophète, et voulut tirer les Arabes de l'idolâtrie, non pas tant pour les ramener à un seul Dieu que pour les attirer dans le parti fallacieux de l'hérésie qu'il prétendait

engendrer. Dieu voulut que cette tromperie, mêlée de quelques bonnes choses, réussît; Dieu, dont les conseils sur les fils des hommes sont impénétrables et terribles, et qui sauve ou condamne, selon qu'il lui plaît. Le démon propagea l'erreur, envoya dans ces pays d'Arabie le moine Sergius, chassé de l'église, comme fauteur de l'hérétique Nestorius, et joignit ainsi un moine hérétique à un faux prophète. Ainsi Sergius, réuni à Machumet, suppléa à ce qui manquait à celui-ci; et lui expliquant les saintes Écritures, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, tantôt selon l'interprétation de son maître Nestorius, qui niait la divinité de Jésus-Christ, tantôt selon ses propres conjectures, et mêlant tout cela de fables apocryphes, il fit de l'imposteur arabe un chrétien nestorien. Et pour que rien ne manquât à la plénitude de l'iniquité, à la perte de Machumet et de ses partisans, des juifs encore s'associèrent à l'hérétique. De peur que Machumet devint un chrétien véritable, ces juifs insinuèrent perfidement à cet homme avide des choses nouvelles, non pas la pureté des Écritures, mais les propres fables dont les juifs les ont surchargées, et qui ont ainsi passé dans le Coran. Ainsi enseigné par des docteurs juifs et hérétiques, Machumet fit son livre, et composa sa coupable doctrine d'un mélange barbare de fables juives et d'erreur hérésiarques. Il affirma mensongèrement que son livre lui avait été apporté, en fragments détachés, par Gabriel, dont il avait appris le nom dans l'Écriture; il enivra d'une boisson mortelle son peuple qui ignorait Dieu, frottant de miel les bords de la coupe, pour mieux tuer les âmes et les corps avec ce breuvage empoisonné. C'est ainsi que l'impie loua la religion juive et la religion chrétienne, tout en déclarant que ni l'une ni l'autre ne devait être suivie..... Il décrit les tourments de l'enfer, comme il lui plaît, et tels que put les imaginer un grand imposteur. Pour lui, le paradis n'est pas la société des anges, la vue de Dieu, ce souverain bien que l'œil n'a pas vu, que l'oreille n'a pas entendu, que le cœur même ne peut atteindre; mais il est bien tel que la chair et le sang, et la plus grossière concupiscence de la chair et

du sang, ont pu le désirer et l'inventer. Il y promet à ses sectateurs des mets succulents, des fruits de toutes sortes, des ruisseaux de lait et de miel, des eaux brillantes et jaillissantes, et les embrassements des plus belles filles et des plus belles femmes, ornées encore de tous les attraits du luxe. Voilà son paradis : remuant en tout cela la lie de presque toutes les hérésies antiques, dont le démon l'avait pénétré; rejetant la trinité avec Sabellius, niant la divinité du Christ avec son maître Nestorius; la mort du Seigneur avec Manichæus, tout en ne niant pas que le Christ soit retourné dans les cieux. Pour mieux détourner à jamais ses peuples du vrai Dieu et de l'Évangile, il ferme l'accès de leurs cœurs avec la porte de fer de l'impiété. Il conserve la circoncision, comme empruntée à Ismaël, le père de leur nation; et pour mieux s'attirer les esprits charnels de ces hommes matériels, il lâche les rênes à tous leurs appétits, il se donne dix-huit femmes à la fois, il prend les femmes d'autrui, il commet des adultères qu'il fait légitimer par le ciel, entraînant ainsi dans la perdition tous ceux qu'il séduit par son exemple prétendu prophétique. Et pour que sa doctrine eût quelque chose d'honnête et de spécieux, il recommande l'aumône, la charité et la prière; joignant ainsi, comme dit le poëte, à un corps humain une tête de cheval et des plumes d'oiseau.

>> Par les conseils du moine Sergius et des docteurs juifs, il quitta l'idolâtrie, et la fit quitter à tous ceux qu'il put convaincre; il prêcha un seul Dieu, rejeta le polythéisme, et parut ainsi annoncer des choses toutes nouvelles à des hommes agrestes et ignorants. Et comme cette prédication s'accordait avec leur faible raison, ils le crurent d'abord prophète; puis, par les progrès du temps et de l'erreur, ils lui donnèrent la royauté qu'il ambitionnait depuis si longtemps. Ainsi, mêlant le bien avec le mal, le vrai avec le faux, il propagea les semences de l'erreur, et produisit, tant de son temps qu'après lui, une détestable moisson digne d'être brûlée par les feux éternels. Car, l'empire romain languissant, ou, pour mieux dire, s'écroulant, et, par la permission de celui par qui les

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