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il absolument nécessaire pour l'admission d'un moine étranger. C'était dans le même esprit que, hors des moines et des frères convers, on ne voulait pas de ces familiers, familiares, qui, sans rendre beaucoup de services au couvent, en dévoraient la substance, et en compromettaient la règle et le bon ordre. Mais il était impérieusement défendu, sous les peines les plus menaçantes, de rien exiger pour la réception d'un nouveau frère; on ne pouvait qu'accepter un don purement volontaire. Toutes les charges dont disposait librement l'abbé, sans restriction, même de la part de la cour de Rome, devaient être accordées au plus digne, sans sollicitations, sans intrigues, sans simonie; de l'argent, des présents distribués pour s'attirer une fonction, des brigues quelconques, étaient punis de l'excommunication.

Ce fut même toujours un des attributs remarquables des ordres bénédictins, et en particulier de Cluny, que la naissance n'y dut jamais être comptée pour l'admissibilité aux honneurs. A côté d'une foule de monastères chez qui les avantages de la noblesse étaient un titre légal aux fonctions, ce caractère d'égalité chrétienne conserva à la règle bénédictine une sorte d'universelle popularité. Telle était, d'ailleurs, la vraie et générale doctrine de l'Église, que les mœurs et les intérêts du siècle eurent le tort de pervertir. Il appartenait surtout à la règle bénédictine, qui sut conserver le mieux le feu sacré des études et de la science, de garder intacts les droits du mérite et de la vertu. Il n'est pas un seul des articles législatifs de Cluny qui ne recommande les hommes de bien, de piété, de talent, contre les simoniaques et les puissants. Par le même sentiment de dignité monastique, on n'admettait point à Cluny les boiteux, les borgnes, les bossus, les bâtards, tous ceux en un mot à qui les lois ou les mœurs du temps refusaient quelques-uns des attributs de la perfection virile.

Il y avait bien aussi quelque économie, en même temps qu'un insigne privilége, à ce qu'aucun synode, aucun concile provincial, aucune assemblée ecclésiastique, autre que les chapitres réguliers, ne pussent convoquer et forcer à se dé

placer les moines de Cluny, qui ne dépendaient, ni pour leurs contrats, ni pour leurs délits, de la puissance ordinaire.

Les honneurs du cloître, les préséances du chœur et des chapitres, étaient minutieusement réglés, à peu près comme dans les décrets cérémoniels auxquels Napoléon, qui connaissait bien les hommes, avait attaché tant d'importance. Les révoltes, les conspirations contre supérieurs, les intrigues et les corruptions à prix d'argent du chapitre général, les fautes les plus graves, avaient une législation à part, et retranchaient le plus souvent le coupable du sein de l'association religieuse, ou imposaient d'austères et longues pénitences. On a presque honte de la faiblesse de la nature humaine en lisant les détails et les prévoyances où le législateur monastique est forcé d'entrer pour appliquer une sévérité sagace à tous les périls de la vie claustrale. Aux suppositions de fausses dettes, à l'usurpation, à la contrefaçon du sceau de l'abbé et des autres supérieurs, sont attachées des répressions pénales très-graves, qui font comprendre les risques et les embarras de l'administration compliquée de tant de choses, de tant d'hommes, de tant de possessions.

Avec quelle inflexibilité aussi la régularité monastique n'est-elle point mise en garde contre l'invasion des usages et des plaisirs féodaux! Le jeu de dés est interdit aux moines; ils ne peuvent jamais jouer d'argent; ils ne peuvent avoir ni armes, ni chevaux, ni faucons, ni oiseaux, ni chiens, aucun de ces amusements de chasse, de voyage, de guerre, qui divertissaient tant les nobles et riches vies du moyen âge. Lors même que le moine est hors du couvent, et en voyage, il est encore contraint de garder, même à cheval, l'habit de son ordre; et son vêtement de voyage est ordonné avec une prévoyance assez exacte pour qu'en ne gênant pas trop le voyageur il soit exempt néanmoins de toute élégance indécente, de toute grâce mondaine, et le rappelle sans cesse aux devoirs de son état, et le signale à tous ceux qui passent.

Une race d'hommes, qui joue un grand rôle dans les descriptions poétiques du moyen âge, les moines errants, n'ont

point échappé non plus à la prévision des statuts clunisois. Les gyrovagues ne pouvaient impunément parcourir les églises, les cabanes, les châteaux et les monastères. S'ils n'étaient porteurs d'une permission et d'une attestation écrites, de la main de l'un des prieurs de l'ordre de Cluny, on les pouvait arrêter, mettre en prison, leurs chevaux étaient confisqués, et les vagabonds reconduits, de monastère en monastère, à la maison d'où ils s'étaient enfuis, et où les attendait une punition exemplaire. Ces attestations, ces feuilles de route, qui devaient soigneusement renfermer la cause du voyage, le lieu de la destination et le délai strictement imposé au retour, rappellent involontairement à l'esprit nos passe-ports modernes.

Voilà les principaux traits des coutumes de Cluny. Elles ne furent pas sans doute observées toujours avec le même scrupule, avec la même exactitude; et la seule nécessité de plusieurs législateurs successifs prouve assez que les passions et les corruptions humaines luttaient sans cesse contre la règle monastique, comme elles luttent partout contre les lois de toute espèce. Mais alors même que les abus se glissaient dans les cloîtres, que le relâchement diminuait l'austérité des pratiques, ce n'était pas encore là une vie joyeuse et enviable, telle que se la figurent les hommes du monde. Aux époques de corruption, ce devaient être surtout les chefs des communautés qui, par leur pouvoir et leur gouvernement des choses temporelles, pouvaient s'adonner plus facilement aux jouissances mondaines: la masse des simples moines, au contraire, restait toujours condamnée aux obligations les plus générales de leur vie recluse. Quand ils mouraient, on leur faisait toujours baiser, non un crucifix d'or ou d'argent, mais un crucifix de bois, pour les faire souvenir de leur pauvreté, de leur humilité chrétienne. Et si l'on veut juger de l'état de luxe et des aisances de la vie, dont jouissait encore le monastère de Cluny, au commencement du XIVe siècle, il faut lire, dans la chronique, avec quelles actions de grâces on loue le trente-deuxième abbé, Henri de Fautrières, d'avoir donné aux moines un pain meilleur, panem melioravit, et d'avoir ordonné qu'à l'avenir,

au lieu de se faire la barbe réciproquement, ils seraient rasés par un barbier séculier. Au temps passé, dit le chroniqueur, on ne se rasait pas à Cluny, on s'écorchait, on s'enlevait la peau : non rasura, sed potiùs excoriatio. L'abbé promit, par an, au maître barbier et à ses successeurs, chargés de raser tout le monastère, barbitonsori magistro rasuræ et successoribus suis, vingt livres tournois et un habit.

CHAPITRE VINGTIÈME.

Les monastères au XIVe siècle.

Les papes s'entremettent directement dans

la nomination des abbés de Cluny. Indépendance et souveraineté de la justice abbatiale. Le palais des Thermes devient la propriété de l'abbaye. L'abbé Androïn de la Roche soutient l'ordre de Cluny.

Le XIVe siècle est rempli de trop graves événements de civilisation générale pour que la place de l'abbaye de Cluny y paraisse bien grande. Le zèle religieux s'est endormi, pour ne plus se réveiller avec force qu'à la vaste réforme du XVIe siècle. Il s'agit bien à présent de l'influence décisive des établissements et des hommes monastiques! Ce temps est passé où l'Europe ne formait, à vrai dire, qu'un seul grand royaume catholique, dont les ordres religieux étaient comme l'immense armée permanente: ce temps est passé où les moines de Cluny composaient, dans tout l'univers chrétien, la triomphante milice de Grégoire VII. Les universités sont venues, avec leurs écoliers, leurs priviléges bizarres, leurs tumultes de colléges, leur domination de dialectique et de syllogismes. L'Église les a sous la main, elle les crée ; les études sont beaucoup moins laïques encore que cléricales; c'est de la science théologique et scholastique; mais enfin l'importance des couvents se perd dans le mouvement universel des lettres. La

civilisation latine s'altère et s'achève; la langue française a commencé dès longtemps à parler. Un autre ordre d'idées va surgir. Cette puissance pontificale, à qui saint Louis ne faisait que résister prudemment, en lui disputant les prérogatives de son pouvoir royal, Philippe-le-Bel l'attaque à force ouverte, la viole, la terrasse, et la jette aux pieds de sa noblesse féodale qu'il subjugue, de son clergé lui-même qu'il entraîne dans le cercle royal envahisseur, de son parlement qu'il institue, de ses états généraux qu'il crée. La classe des légistes s'élève, bien autrement forte que sous saint Louis; et cette autorité judiciaire, organisée dans le parlement, soumettra à la fois les choses féodales et les choses ecclésiastiques. Avec cet instrument énergique, le roi de France domptera toutes les volontés qui résistent, tous les pouvoirs qui s'opposeront au sien. Il en écartera peu à peu la noblesse armée et guerrière, sous prétexte qu'elle n'est pas assez lettrée, et que les chicanes civiles ne vont pas à de nobles épées; les évêques et les chefs de l'Église, parce que le roi fait conscience de les empêcher de vaquer au gouvernement de la spiritualité; et, favorisant de charges judiciaires les hommes de la classe intermédiaire qui ne jurent que par le droit romain et les constitutions impériales, il marchera à grands pas au pouvoir législatif absolu, en s'appuyant sur les populaires épaules des gens de robe. Viennent maintenant le procès des Templiers, les affranchissements graduels des communes et des serfs, les nobles débats du droit salique de succession au trône français, les effrayantes guerres de l'Angleterre et de la France, les guerres civiles du royaume, les défaites illustres, les émotions populaires, les temps funestes de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt, du roi Jean, les jours néfastes de la Jacquerie et du prévôt Marcel il n'en demeurera pas moins vrai que le sang féodal s'est épuisé dans les champs du combat; que la papauté est comme captive à Babylone (Avignon); qu'à travers tous les désastres la royauté, et la royauté seule, a marché vers son but; et que malgré les recrudescences féodales, malgré les résistances ecclésiastiques, malgré les insurrections partielles

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