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étroites; mais il était opportun peut-être de parler de l'un des plus célèbres couvents de l'Ordre de saint Benoît, alors

que les dévouements et les travaux bénédictins se renouvellent noblement à Solesmes; alors surtout qu'un jeune prêtre, à l'imagination ardente, au cœur entreprenant, dont la voix éloquente est déjà bien connue dans le monde chrétien, a eu le courage, après nous avoir laissé de belles et spirituelles pages sur l'Ordre des Frères Prêcheurs, d'aller se cacher plusieurs années dans l'obscur noviciat d'un couvent d'Italie, et d'exiler son âme active dans une profonde retraite, pour y ressusciter peut-être les antiques merveilles des prédications dominicaines. Entreprise glorieuse et forte, à laquelle les sympathies et les succès ne manqueront point sans doute! Car, en ce temps de débris et de nouveautés sans racines, qui de nous, dans les ruines universelles des croyances et des pouvoirs, n'a pas appelé à grands cris quelqu'un de ces génies providentiels, quelqu'un de ces événements éclatants, qui tracent à l'humanité défaillante un profond sillon de foi et d'avenir? Qui de nous n'a pas eu un de ces instants douloureux, où quelque noble illusion perdue, quelque belle espérance détruite, quelque sainte ambition morte, quelque grande affection éteinte, laissent au cœur un amer dégoût de la vie, un vide irrémédiable, et font comprendre et aimer ces asiles solitaires, ces demeures régulières et monotones de la piété et du repos, où peuvent se réfugier, dans la tempête, les passions désespérées ou les dévouements sublimes?

Mars 1839.

HISTOIRE

DE

L'ABBAYE DE CLUNY.

CHAPITRE PREMIER.

Cluny.

A quatre lieues de Mâcon, et presque sur les confins de la Bourgogne méridionale, la jolie petite ville de Cluny se cache entre de grandes montagnes couvertes encore de forêts. Bâtie elle-même sur le penchant d'une haute colline, elle s'abaisse doucement dans une riante vallée, embellie et fécondée par les mille sinuosités de la Grosne. Cette rivière court des monts Beaujolais à la Saône, du midi au nord, arrose en passant les prairies clunisoises, embrasse la ville dans ses replis, et vient former, comme à ses pieds, une large et bruyante cascade, inconnu Niagara, admirée seulement par les maîtres d'une usine moderne qu'elle enrichit. A voir les murs presque intacts qui tournent autour d'une enceinte vide et déserte, remplie de jardins et de champs labourés, aussi étendue pourtant que celle de Mâcon ; à voir les bastions, les tours rondes ou carrées qui interrompent et gardent les murs; à regarder ces portes antiques, tant aimées de l'artiste, ornées encore de leurs machicoulis; à suivre de l'œil enfin des rues étroites, sombres, sinueuses, escarpées, et les débris des clochers qui survivent

partout à d'autres ruines, la pensée remonte involontairement au temps du moyen âge, et se demande si Cluny ne fut pas quelque chose à cette époque si profondément oubliée aujourd'hui, que la mode seule ressuscite un peu parmi nous, mais dont nous resterons toujours séparés par deux abîmes, l'ignorance et l'intérêt d'un siècle positif.

Si l'on a passé quelques heures dans l'intérieur de la ville, on ne tarde point à savoir le secret de son ancienne existence. De quelque côté que l'œil ou l'oreille se tourne, il est question d'abbaye. Que la population naisse, se marie ou meure, c'est à l'abbaye qu'on l'enregistre et qu'on la gouverne: car c'est là que se tiennent les rôles de l'état civil et de la conscription, et toutes les séances de l'autorité municipale. Aux jours des fêtes ou de la promenade, on court à l'abbaye encore. De toutes les parties d'un vaste enclos, complétement fermé de grandes murailles, égayé par trois pièces d'eau poissonneuses, planté de jardins, de vergers et de grandes avenues d'arbres, ce que les habitants préfèrent, c'est l'allée de Provence, ainsi nommée, je crois, parce qu'elle est située au midi. Là, je m'en souviens, dans les dernières années de l'Empire, les pauvres prisonniers espagnols allaient, enveloppés dans leurs manteaux bruns, se coucher au soleil, comme au soleil d'Andalousie, le long d'un grand mur, tout tapissé d'abricotiers et de vignes, percé de meurtrières, et couronné d'une pesante galerie. L'école des enfants, la prison des malfaiteurs, la salle de bal et des cérémonies, l'audience des plaideurs, les guinguettes et le jeu de quilles des artisans, le salon des spectacles: tout est réuni, confondu dans les immenses bâtiments de l'abbaye. Ce qui n'est pas destiné aux usages publics enrichit de plus d'un bail utile la caisse municipale. Il n'est pas jusqu'au moulin où se moud le blé de la ville qui ne se trouve aussi dans ce lieu; et quand il pleut, cette bonne et hospitalière population, qui s'est divisé à l'infini l'héritage des moines, va se promener encore et se réfugier sous de vastes cloîtres, où s'étalent périodiquement tantôt les petites boutiques si fréquentées des jeunes filles, tantôt les provisions moins frivoles d'une halle

aux blés; tandis que l'espace renfermé entre les quatre faces du cloître, autrefois rempli de fleurs et d'eaux rafraîchissantes, sert encore, sous son ancien nom de jet d'eau, de place publique, de marché : prêt à se couvrir, à de rares intervalles, des préparatifs d'un mesquin feu d'artifice, d'une ménagerie ambulante, d'un théâtre de polichinelle, ou de la maison de bois d'un entrepreneur de chambre obscure et de fantasmagorie.

Mais ce n'est pas autour de ces constructions assez modernes, de ces jardins, de ces grands espaliers plantés par les moines, que l'âme doit surtout chercher la mémoire du passé. Là aussi il y avait une belle et noble église, une de ces églises tout à la fois centre de civilisation et luxe monumental du moyen âge. En 1811, bien que la main des utilitaires eût déjà dispersé et vendu les pierres du temple, bien qu'un grand chemin coupât déjà par la moitié l'immensité de la basilique, cependant trois énormes clochers, couverts en ardoises et brillant de loin au soleil; le grand portail surmonté de sa rose et encadré entre deux grosses tours carrées; quelques arceaux de la grande nef suspendus dans l'air, et interrompant la vue du ciel, d'espace en espace; les colonnes du chœur encore debout, l'abside presque intacte avec ses vieilles peintures, et quelques chapelles des bas-côtés, témoignaient assez de la splendeur et de la mesure du colossal édifice. Aujourd'hui, hors un clocher et une chapelle, tout a disparu. Il faut se hâter, si l'on veut se rappeler l'étendue et la place même du monument : car le sol où il s'élevait est parcouru maintenant, dans toute sa longueur, par une seconde grande route qui, venant joindre à angle droit le chemin dont nous avons parlé, conduit aux murailles blanches et nouvelles d'un haras départemental, construit, hélas! sur l'emplacement de l'église elle-même, et dans les beaux vergers du monastère.

Et cependant ce monument religieux, dont la destruction entière est si profondément regrettable pour les arts, a été le foyer d'une vie morale désormais éteinte, d'un mouvement social que nous comprenons à peine, et qui est perdu sans re

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