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deux de la première noblesse de Bourgogne. Aremberge, enceinte, se recommanda aux prières d'un prêtre. Celui-ci, en célébrant la messe, vit dans le calice la figure rayonnante d'un enfant d'une admirable et lumineuse beauté. La mère crut y reconnaître le présage de la religieuse destinée de son fils; Dalmace, au contraire, voulait que ce fils devint l'héritier de son antique famille. Il cherchait à lui inspirer l'amour des chevaux, des armes, de la chasse, des faucons, et n'épargnait rien pour lui donner les goûts d'une éducation toute militaire. Mais le jeune Hugues inclinait vers les pressentiments de la pieuse Aremberge. Déjà il préférait la conversation des vieillards, les livres, les églises, à tous les plaisirs, à toutes les occupations des jeunes gens de son âge. Il obtint enfin de passer sous la direction de son grand-oncle, Hugues, évêque d'Auxerre, et comte de Châlons. C'est dans cette dernière ville que l'enfant chrétien se livra avec ardeur à l'étude de la grammaire, de l'Écriture sainte, et des hautes sciences. Son esprit de justice et de bonté éclatait dans ses premières années. Ses camarades avaient dérobé une brebis à un pauvre homme; Hugues indemnisa celui-ci de ses propres épargnes.

A quinze ans, il était à Cluny, sous les ordres d'Odilon, qui ne tarda point à le faire prieur, malgré son extrême jeunesse. L'étude et la prière remplissaient ses jours; et il se proposa toute sa vie pour modèle les vertus tendres et compatissantes de son miséricordieux et docte prédécesseur.

C'est aux dernières années de la vie d'Odilon que se rapporte sans doute une anecdote curieuse, niée par quelques-uns, qui annonçait déjà le grand caractère et le grand avenir de Grégoire VII.

Celui qui fut Grégoire VII était alors à Cluny. Déjà célèbre sous le nom du moine Hildebrand, il y formait avec Hugues ces liens d'amitié profonde qui ne devaient plus finir, lorsque passa et s'arrêta à Cluny l'évêque de Toul, Brunon, de la maison de Lorraine, que son cousin, l'empereur d'Allemagne, Henri III, venait de nommer pape, à la diète de Worms.

Les empereurs d'Allemagne s'attribuaient ainsi un pouvoir

que les fortes âmes du catholicisme étaient impatientes de détruire. Le seul Henri III avait fait successivement élire, avant Brunon, deux papes, Clément II, Damase II, après avoir obtenu d'abord du concile de Sutri la déposition des trois rivaux à la papauté, Benoît IX, Grégoire VI et Sylvestre III. C'était bien mettre un terme à un déplorable schisme; c'était bien soustraire l'Église romaine à la domination féodale et violente des princes Italiens, et notamment des comtes de Tusculum; mais c'était absorber dans l'unité impériale l'indépendance de la tiare, auparavant avilie et déchirée par des factions seigneuriales et simoniaques. Henri III était allé jusqu'à exiger des Romains le serment qu'ils ne procéderaient plus, sans son aveu, à l'élection d'un pape.

Une telle humiliation n'allait pas à l'esprit fier d'Hildebrand. Il s'enferma dans sa cellule, et refusa d'aller offrir ses hommages à Brunon. Celui-ci, tout étonné de son absence, demanda à le voir, et le vit enfin, mais pour en recevoir des conseils sévères. « N'acceptez point, lui dit Hildebrand, une » élection nulle et sacrilége. Que les choses saintes ne soient >> plus la proie du pouvoir séculier. Allez à Rome, mais pour >> y solliciter du clergé et du peuple une nomination nouvelle, >> la seule qui puisse être légitime et sans tache. » Brunon fut convaincu par ces fermes paroles. Ils partirent ensemble pour Rome, sous des vêtements de pèlerins; et l'éloquence d'Hildebrand n'eut pas de peine à faire confirmer canoniquement le pontificat de l'évêque de Toul.

L'abbé Hugues, cependant, jouissait, auprès des puissances civiles ou religieuses, d'un crédit bien au-dessus de son âge. Il avait déjà réconcilié l'empereur Henri le Noir avec les moines de Payerne, qui dépendaient de Cluny. Il était entré avec Léon IX au concile de Reims, et y avait occupé le second rang entre tous les abbés de la chrétienté. Le discours qu'il fut chargé d'y prononcer contre la simonie et le concubinage des clercs eut beaucoup de retentissement et de succès : les conclusions en furent sanctionnées par le concile. De Reims, Hugues suivit le pape à Rome, assista, chemin faisant, au con

cile de Mayence, où siégèrent quarante évêques, puis à un autre concile, à Rome, dans lequel il fut pour la première fois question des erreurs de Bérenger de Tours, le plus ancien des précurseurs de Luther. Dans le concile romain, Hugues, le plus jeune des abbés, eut encore la seconde place. Quelques années après, il alla tenir à Cologne sur les fonts baptismaux le fils de l'empereur d'Allemagne. A peine de retour à Cluny, il courut en Hongrie réconcilier avec cet empereur le roi André.

Il se passait rarement des choses importantes sans que Hugues y prît une grande part. Robert Ier, duc de Bourgogne, irrité de la mort de son fils, tué par les Auxerrois, s'était declaré l'ennemi de l'évêque d'Autun, et ravageait la Bourgogne par ses armes. Un concile s'assemble à Autun, en 1055. Le duc refuse fièrement d'y comparaître. Hugues le calme, le fléchit, et l'amène sans résistance dans la sainte assemblée, où l'abbé de Cluny parla avec tant d'éloquence, que Robert, touché jusqu'au fond du cœur, pardonna aux meurtriers de son fils, et rétablit la paix.

En un autre temps, les évêques de Châlons et de Mâcon doivent à Hugues leur réconciliation. Il préside au concile d'Avignon, comme légat du pape Nicolas II. Ses lumières éclairaient toutes les assemblées de l'Église gallicane. A Toulouse, en 1068, à Châlons, en 1072, à Autun encore, en 1077, à Clermont, en 1095, partout les synodes catholiques s'honoraient de sa présence. Sa renommée de vertu était si grande que le pape Étienne IX, malade à Florence, voulut l'y retenir pour l'assister au lit de mort et recevoir ses derniers soupirs.

Mais Grégoire VII surtout, l'illustre Grégoire VII, témoigna à l'abbé Hugues la confiance la plus filiale et la plus affectueuse. Il n'y avait pas encore un an qu'il était placé sur le saint-siége, que déjà, en 1074, il se plaignait avec tendresse de n'avoir pas encore vu à Rome son ami, l'abbé de Cluny. Au plus fort de ses disgrâces et des inquiétudes de sa vie publique, il ne trouvait pas de plus grande consolation que de répandre dans le cœur de Hugues toutes les douleurs du sien,

et de le rendre confident intime de ses plaintes éloquentes sur les tristesses de l'Église.

Plus d'une fois Grégoire VII le nomma arbitre et juge d'importantes contestations ecclésiastiques, par exemple, des causes notables de l'Église d'Auvergne et de l'évêque d'Orléans. Il le regardait comme l'un de ses légats dans les Gaules.

Une position délicate et grave fut celle de Hugues, placé entre tous les liens d'affection qui l'attachaient aux empereurs d'Allemagne et ceux qui le rapprochaient de Grégoire VII. Qui ne sait la grande et terrible querelle qui partagea Grégoire et l'empereur Henri IV, et qui fut, pour mieux dire, le grand événement du XIe siècle?

Le temps est arrivé peut-être de parler sans passion de cet immense litige. Assez d'autres ont aveuglément détesté le triomphe des prétentions sacerdotales, sans prendre garde aux temps et aux lieux. Assez d'autres ont déploré la condition misérable de cet empereur venant attendre, pieds nus, dans la cour pontificale, l'absolution de Grégoire, sans accorder au pape vainqueur autre chose que les injustes épithètes de l'indignation la plus partiale. On eût dit vraiment qu'il s'agissait encore du salut et de l'indépendance des couronnes temporelles.

Mais depuis que les royautés terrestres ont bien perdu leurs prestiges et leurs flatteurs; depuis que les grandes voix de l'Église gallicane et de la magistrature parlementaire se sont éteintes, on n'a plus à craindre, pour apprécier les débats du sacerdoce et de l'empire, que les préjugés mesquins de l'école voltairienne et les petites colères d'une incrédulité sans élévation.

Aussi, de nos jours, la grande figure de Grégoire VII a-t-elle été pleinement réhabilitée, et la question replacée dans le point de vue véritable. Peu s'en est fallu même que, dans leur zèle ultramontain, deux célèbres écrivains, M. de Maistre, et M. de Lamennais, qui depuis s'en est bien repenti peut-être, no remissent systématiquement la terre et toutes ses puissances aux pieds de la cour de Rome; oubliant, par une réaction iné

vitable, et dans leurs préoccupations étranges, combien les temps étaient changés. Il est aussi difficile aujourd'hui de réveiller de sa tombe l'universelle suprématie de la tiare sur les autorités humaines, qu'il serait puéril de méconnaître la grandeur des victoires pontificales du XIe siècle.

Car alors ce n'était pas notre civilisation adoucie et correcte, avec son niveau uniforme. C'était encore la violence féodale, avec toutes ses inégalités, ses aspérités barbares. Avant que se levât l'ordre social moderne, il y avait lutte profonde entre les dépositaires des lumières antiques et les maîtres du pouvoir territorial. Cette lutte entre l'intelligence et la matière, entre les idées religieuses et les intérêts temporels, durera jusqu'à la fin du monde, sans que jamais aucune charte puisse être le symbole d'aucune paix ou d'aucune victoire décisive. Pourtant faut-il s'étonnner qu'au cœur du moyen âge, dans la ferveur du zèle chrétien, les opinions des peuples donnassent la prépondérance morale aux gigantesques prétentions de la cour de Rome? Les papes ne combattaient pas avec leurs forces territoriales; ils n'étaient pas le sommet de l'autorité féodale et militaire; ce qu'ils avaient de terres et de pouvoirs temporels, ils le tenaient presque tout entier de notre dynastie carlovingienne. Et cependant ils demeuraient plus forts que l'empire, parce que les forces brutales de l'empire devaient céder devant les croyances des nations et devant la puissance morale de la religion catholique, représentée par l'austérité de grands hommes et de grands caractères.

Le spectacle est vraiment beau de voir la papauté, par le seul ascendant de l'opinion publique et religieuse, tenir en échec l'orgueil impérial; et je ne comnpredrais guère que, dans un siècle qui donne tant à la souveraineté de l'opinion, Grégoire VII ne fût pas absous d'avoir dompté Henri IV. Qui peut dire que la raison et la justice ne fussent pas du côté de Grégoire? et Grégoire n'avait-il pas pour déposer Henri, à Rome, les mêmes droits que Henri pour déposer Grégoire, à Worms et à Brixen? Grégoire vaincu, la mission civilisatrice du pontificat catholique était suspendue : Grégoire vainqueur,

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