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la suprématie spirituelle fut étendue hors de ses limites naturelles. Mais pouvait-il en être autrement, alors que toute la science était dans l'Église et que les peuples adoraient la puissance religieuse? et depuis quand le vainqueur a-t-il l'habitude de borner lui-même les conséquences du principe qu'il a fait triompher?

Qu'on n'oublie pas que, dans ces siècles orageux qui engendraient avec douleur l'ordre social moderne, le pouvoir religieux et le pouvoir civil, dans leurs inexprimables conflits, étaient livrés à toutes les angoisses, à toutes les péripéties d'une lutte violente; et que, dans de continuelles alternatives de triomphe et de défaite, Grégoire et Henri, ces deux représentants de deux forces contraires, moururent l'un et l'autre en quelque sorte martyrs d'une cause tout opposée.

Qu'on pardonne surtout à Grégoire son triomphe, en se rappelant que, si l'empereur mourut tristement, et comme Louis le Débonnaire, trahi par ses enfants, le pape aussi mourut en exil à Salerne, sous la garde des princes normands, en s'écriant avec amertume: Dilexi justitiam, odivi iniquitatem, proptereà morior in exilio. Quelques-uns ajoutent qu'un cardinal, pour consoler les derniers moments de Grégoire, lui dit : Très-Saint-Père, le grand pontife catholique ne peut mourir en exil; car l'univers entier est sa patrie. Le pape ne répondit rien, se retourna sur sa couche, et expira.

Son courage avait déjà été mis à de vives épreuves le jour que, célébrant la messe de minuit à Saint-Jean de Latran, il fut tout à coup enlevé par une faction des seigneurs romains. Le peuple s'émut, menaça, courut délivrer le pontife de la main de ses ennemis qui l'avaient caché et renfermé dans une tour. Le pontife délivré pardonna à ces ravisseurs, les sauva de la fureur populaire, et revint paisiblement à l'église achever le saint sacrifice interrompu.

Ces scènes sublimes peignent l'époque et la trempe d'esprit de l'homme qui le premier disputa glorieusement à la maison impériale l'indépendance spirituelle du pontificat romain. L'abbé de Cluny sut rester fidèle à toutes ses affections;

il conjura plus d'une fois la tempête que Grégoire avait soulevée contre lui-même; mais il défendit aussi l'empereur Henri IV, jusqu'à sa mort, contre l'ingratitude de son fils, et ménagea en 1077, par son crédit auprès de la fameuse comtesse Mathilde, la réconciliation de l'empereur avec Grégoire. C'est à Hugues que l'empereur détrôné et fugitif écrivait avec douleur les détails de la révolte de Henri V, et l'abbé de Cluny ne méconnut point les bienfaits qu'il avait reçus de la famille impériale.

CHAPITRE HUITIÈME.

Urbain II et Pascal II sortent de Cluny. Urbain II consacre le maîtreautel de l'église de Cluny. L'abbaye est reconnue indépendante de l'évêque de Mâcon. Un comte de Mâcon et un duc de Bourgogne deviennent moines de Cluny. - Les rois d'Espagne et Guillaume le Conquérant dotent le monastère. - Détails sur la vie de saint Hugues.

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Dans ces temps mémorables, le rôle de l'abbaye de Cluny fut immense. C'est d'elle que sortirent deux des plus illustres papes qui aient occupé la chaire de Saint-Pierre, et qui, par l'élévation de leur esprit, comme par la sévérité de leurs mœurs, étaient dignes de continuer l'œuvre de Grégoire, Urbain II et Pascal II. L'un et l'autre disciples de Hugues, ils furent envoyés à Grégoire VII, par l'abbé de Cluny, et se succédèrent immédiatement au trône pontifical. Ce fait singulier suffit seul pour faire comprendre la prépondérance morale du monastère bourguignon dans le XI et le X11° siècle.

Urbain II, dès son avénement, s'empressa de l'annoncer à l'abbé Hugues, son maître, en des termes de respect et de fraternité, tout pleins encore des souvenirs de la maison où il avait été élevé. En venant au fameux concile de Clermont, il

alla jusqu'à Cluny, y bénit le grand autel de la nouvelle église qu'on venait de bâtir, et repartit avec Hugues pour l'assemblée catholique où devait se décider l'un des plus grands événements des temps modernes, la première croisade. Hugues fut honoré et puissant dans cette immense réunion, et au milien de si ardents intérêts.

Pascal II, devenu pape, vint revoir Cluny, en 1007; de là il remonta vers Dijon, où il consacra l'église de Saint-Bénigne. Il fut pour Hugues ce qu'avait été Urbain II; et tous deux renouvelèrent et confirmèrent tous les priviléges que Grégoire VII avait déjà renouvelés, dans une longue bulle, en faveur de l'abbaye et de l'abbé de Cluny.

Certes, dans le siècle des croisades, et lorsque Cluny était devenu comme le séminaire des papes qui faisaient déclarer ces guerres saintes, déjà sollicitées par Grégoire VII, il est facile de pressentir que toutes les églises cathédrales de la chrétienté se remplissaient en foule des disciples de l'abbaye de Cluny qu'il ne nous est pas possible d'énumérer. On peut deviner dès lors ce qu'allait devenir la rivalité des évêques de Mâcon avec l'abbé de Cluny.

Un synode s'assemble à Châlons, en 1063, sous la présidence du légat d'Alexandre II, le célèbre Pierre Damien, qui était venu séjourner à Cluny et former avec Hugues des relations durables entretenues par une précieuse correspondance que nous avons encore. L'évêque de Mâcon, Drogon, est réprimandé d'avoir entrepris sur les immunités apostoliques de l'abbaye, d'être entré par force dans le monastère. L'autorité du pape et les priviléges de Cluny sont reconnus solennellement, et Drogon condamné, malgré ses excuses, à faire pénitence sept jours, au pain et à l'eau. Ainsi croissait l'indépendant monastère avec le pouvoir papal à la protection immédiate duquel le fondateur l'avait dévoué. Quarante ans ne s'étaient pas encore écoulés, depuis qu'Odilon s'était humilié devant l'évêque Gaulénus.

Désormais prévaudra sans contestation la maxime, déjà établie dans le grand ordre de Cluny, que les chefs des abbayes

soumises à l'abbaye mère se contenteraient du simple titre de prieurs. En 1106, Pascal II le décréta formellement encore, et si plus tard quelques abbayes nouvellement assujetties au chef d'ordre conservent leurs abbés, ces abbés du moins ne pourront être élus que du consentement exprès de l'abbé de Cluny.

Peu s'en fallut que Hugues décidât le roi de France, Philippe Ier, par ses entretiens familiers, à venir, sous l'habit de moine de Cluny, faire pénitence de sa vie passée. Le roi pourtant se contenta de soumettre à Hugues l'abbaye de SaintMartin des Champs, qui depuis fut Port-Royal.

Mais rien n'égala l'amitié dévouée qu'Alphonse VI, roi de Castille, porta à l'abbé de Cluny. Alphonse, retenu prisonnier par Sanche, son frère, avait dû sa délivrance aux prières et à l'autorité de Hugues. Dans sa reconnaissance, il fonda en Espagne deux monastères soumis à Cluny, et il doubla le cens annuel que Ferdinand, son père, avait promis à l'abbaye. Si Hugues ne l'eût retenu sur le trône, il se serait fait moine en Bourgogne; il voulut du moins, en conservant la royauté, contribuer généreusement à la construction de la basilique, dont l'abbé de Cluny entreprit l'immense construction. Hugues vint à Burgos pour voir le roi Alphonse, et dans ce voyage on lui attribue l'honneur d'avoir introduit dans l'Église d'Espagne le rit romain à la place du rit gothique ou mosarabique.

La même année, l'arbitrage de Hugues fut sollicité par deux princes, Raymond de Bourgogne, comte de Galice, et Henri, comte de Portugal, qui lui envoyèrent un traité de partage sur la succession de leur beau-père, Alphonse, roi de Castille et de Léon.

Les grandeurs de la terre s'inclinaient toutes devant un habit de moine. Un comte de Mâcon, Wido, entre au monastère de Cluny avec sa femme, ses fils, trente chevaliers et un grand nombre de ses serviteurs. La comtesse se retira dans le couvent de Marcigny, que Hugues venait de créer pour recevoir les femmes qui voulaient vivre hors du monde. Cette étonnante résolution du comte et de toute sa maison fut attribuée

par la légende à un miraculeux événement. Le noble père de Wido, comme tant d'autres seigneurs, n'avait point épargné les biens des églises et des monastères, et il passait bien follement sa vie. Un jour qu'il était à se réjouir dans son palais de Mâcon avec les compagnons de ses plaisirs, un homme à cheval se présente à la porte, et demande à parler au comte. Celui-ci vient à l'étranger, qui, par une irrésistible puissance, le place en croupe sur son cheval, et s'élève dans les airs au milieu de l'épouvante générale, et en laissant une large brèche aux murs du palais. Le comte ne reparut plus; on ne sut jamais ce qu'il était devenu, et lorsqu'on voulait réparer la brèche de la muraille, une force invisible ne permettait point qu'elle se refermåt.

Quand l'imagination des peuples était ainsi frappée de ces vengeances surnaturelles, quelle prise les repentirs religieux ne devaient-ils pas avoir sur les âmes!

C'est encore ce qui arriva à Hugues Ier, duc de Bourgogne, le petit-fils de celui que l'abbé de Cluny avait amené au concile d'Autun. De superbe qu'il était, il devint souple et humble, et céda ses états à son frère, Eudes, pour finir ses jours à Cluny dans les austérités chrétiennes. Enterré à Cluny, on lui fit cette épitaphe: Hic requiescit vir celebrandæ memoriæ, magnusque sæculi contemptor, Hugo, olim dux Burgundiæ, postea sacerdos et monachus hujus sanctæ ecclesiæ cluniacensis. Anima ejus requiescat in pace. Amen.

Il n'est pas jusqu'à Guillaume le Conquérant qui n'ait sollicité l'abbé de Cluny de venir gouverner les choses religieuses de sa conquête. Il proposait de lui soumettre tous les monastères de la Grande-Bretagne. Il le conjurait de lui envoyer du moins six moines. Hugues refusa tout, peut-être parce qu'il vit bien que le dessein de Guillaume était de renouveler la face de l'Église anglicane, et que les sympathies de Hugues étaient pour le clergé anglo-saxon, qui résistait à la conquête normande. Il fut d'ailleurs l'intime ami du populaire archevêque de Cantorbéry, Anselme, quelques années après exilé de son siége par le fils du Conquérant, Guillaume le Roux.

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