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C'est à Anselme, raconte la chronique, que fut prédite par Hugues la mort prématurée de ce roi normand, qui périssait subitement, au moment même, dans une partie de chasse.

Les maisons monastiques et toutes les ressources de l'abbaye de Cluny s'accroissaient sans relâche. Dans le testament de Guillaume le Bâtard, il y avait un legs annuel pour Cluny. La première fille de l'abbaye de Cluny, la Charité-sur-Loire, est fondée. Thibaud III, comte de Troyes, et Adélaïde, sa femme, font une donation considérable à Cluny. Le monastère de Saint-Arnoul de Crespy lui est soumis par le comte Simon de Crespy; celui de Saint-Bertin, par Robert, comte de Flandre; celui de Rimesingue, par l'empereur Henri; celui de Saint-Wulmar, par le comte de Boulogne ; celui de SaintNogent-le-Rotrou, par le comte Geoffroy. L'évêque d'Orléans, l'évêque de Bâle, les archevêques de Lyon, de Besançon, de Reims, concèdent à l'abbé de Cluny des monastères de leurs diocèses. A Auxerre, à Auch, à Tarbes, à Limoges, dans toute l'Aquitaine, partout des concessions nouvelles dont l'énumération deviendrait aussi vaine que fatigante.

Les papes et les rois ne sont pas satisfaits de protéger de leurs chartes l'agrandissement progressif du monastère de Cluny; ils lui soumettent eux-mêmes des établissements monastiques. Urbain II, en plein concile, exalte et privilégie l'abbaye de Cluny, et fait signer sa bulle par les pères du concile. Il menace ceux qui troublent Cluny de toutes les peines spirituelles, et lève tous les interdits dont les évêques jaloux peuvent avoir frappé le monastère privilégié. Enfin il donne à Hugues le droit de porter les ornements pontificaux dans les fêtes solennelles.

Il convient peut-être que, pour mieux faire juger les siècles que je parcours, et les dangers violents qui entouraient sans cesse les possessions des monastères et leurs immunités ecclésiastiques, je traduise la formule d'excommunication la plus énergique que je connaisse, prononcée par le pape Benoît XII contre les violateurs des libertés et des biens de l'abbaye de Cluny. On peut rapprocher cette bulle des termes mêmes de

l'acte de fondation du monastère; et d'ailleurs toutes les bulles papales de ces temps d'énergie barbare ne se terminent jamais sans cette sanction spirituelle, si redoutable alors, et pourtant encore si impuissante.

« Je maudis tous les malfaiteurs, dit Benoît XII, qui attaqueront les franchises, les habitations, les propriétés, les églises de l'ordre de Cluny. S'ils ne réparent point le mal qu'ils ont fait, que leurs membres corrompus soient retranchés du corps du Christ par le fer brûlant du glaive ecclésiastique; qu'ils soient chassés du seuil de la sainte église de Dieu et séparés de la communion des fidèles. Qu'ils soient maudits dans leur marche et dans leur repos, dans leur veille et dans leur sommeil. Soit qu'ils entrent ou qu'ils sortent, qu'ils mangent ou qu'ils boivent, qu'ils soient maudits! Que leur nourriture. et leur boisson soient maudites. Maudit soit le fruit de leurs entrailles et le fruit de leurs terres. Qu'ils supportent les ardeurs du midi, jusqu'à ce qu'ils soient damnés et tourmentés dans les supplices de l'enfer, jusqu'à la fin des siècles, avec le Démon et les esprits infidèles. Que leurs fils deviennent orphelins, et leurs femmes veuves. Que les fils de leurs fils soient chancelants, exilés et mendiants. Qu'ils soient chassés de leurs maisons, et qu'ils demeurent anathématisés et maudits de toutes les malédictions contenues dans l'Ancien et le Nouveau Testament, jusqu'à ce qu'ils viennent à résipiscence et qu'ils satisfassent pleinement à notre avertissement sévère ! »

A ces menaces terribles, aux prodiges de la vie publique de saint Hugues, opposons un moment les douces qualités de sa vie intérieure. Il paraissait tellement digne des faveurs célestes, qu'un moine de Cluny, plusieurs disent Hildebrand, crut voir un jour Jésus-Christ s'asseoir dans une stalle du chœur à côté de Hugues, et lui dicter les décrets et les règles monastiques. Il est divinement averti des fautes de ses monastères, et court à Cluny, comme à Saint-Marcel, surprendre et corriger les désordres au moment où il est le moins attendu. Une autre fois, cheminant à travers les Alpes, pour se rendre à Rome, une pauvre vieille femme, cachée dans le creux d'un

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Spacin

rocher, effraye la mule qui portait l'abbé Hugues. La mule et le saint homme tombent dans un affreux précipice. Tandis que tout le cortége s'épouvante et s'afflige, ô merveille! on aperçoit Hugues retenu aux branches d'un arbre, on le délivre ; mais à peine est-il hors de danger, que l'arbre mystérieux disparaît dans le vide de l'abîme, et que nul œil humain ne peut voir ses miraculeuses branches.

La piété de Hugues était si grande que des pèlerins furent avertis, au sépulcre des apôtres, par une vision divine, d'aller à Cluny dont ils n'avaient jamais entendu parler.

Sa charité ne se lassait jamais toujours entouré de pauvres, il donnait toujours; il se faisait préparer, pour eux, d'avance, des vêtements, des vivres, parce que, disait-il, la miséricorde ne doit pas se faire attendre. Ses dons étaient si inépuisables, que les peuples croyaient qu'à mesure qu'il donnait de l'argent aux malheureux, Dieu le remplaçait dans la bourse du bienfaiteur, espèce de juif errant de l'aumône. Il ordonna qu'à la Pentecôte le monastère nourrît autant de pauvres qu'il renfermait de religieux. Son indulgence égalait sa charité. Un jour qu'il revenait d'Espagne, il ramenait avec lui un jeune Maure, nouvellement baptisé. Ce jeune homme, dit la légende, dont l'âme était plus noire encore que la peau, osa voler son maître; mais le saint homme pardonna, et ne voulut jamais abandonner sur le chemin le nouveau converti.

Une autre fois qu'il visitait ses monastères dans la Vasconie, il aperçut, près de la route, un pauvre toit de lépreux : c'était un homme autrefois riche et bien portant qui était venu se cacher dans cette solitude. Chacun fuit et s'écarte de la contagion. Hugues seul entre dans la cabane, parle au lépreux, le touche, le console, lui donne sa tunique, et le guérit par l'ardeur de sa charité.

Et cet abbé, qui faisait simplement de grandes choses, ne buvait pas de vin. Il ne se désaltérait presque jamais; et ses aliments, pour parler avec la légende, étaient comme une sorte de ciment, un mélange de chaux et de sable. Il n'en défendait pas moins les frères de Cluny contre les exagéra

tions de l'abstinence. Le légat Pierre Damien, visitant l'abbaye, voulait augmenter la sévérité de la règle. Travaillez avec nous, vivez de notre vie pendant huit jours, et vous déciderez après, dit le paternel abbé; et le légat n'insista pas davantage, et ne voulut point se soumettre à l'épreuve.

Il ne faut donc pas être surpris que, sous un chef pareil, les moines de l'ordre de Cluny devinssent très-nombreux. Dans un seul chapitre, Hugues se vit entouré de trois mille. moines, qu'il regardait comme ses enfants; et un auteur contemporain, Orderic Vital (1), assure que dix mille moines vivaient sous la conduite de l'abbé de Cluny.

Hugues vieillissait, fidèle gardien de la discipline monastique; il ne retranchait rien de ses jeûnes, de ses veilles, de ses prières. Sentant sa fin s'approcher, il se fait porter à la chapelle de la Vierge. Avant de mourir, en 1109, il laisse à ses frères ses dernières et touchantes paroles, il lave leurs pieds, il les bénit, puis il expire sur la cendre et couché dans son cilice, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.

roi

Il n'a pas laissé beaucoup d'écrits. De toutes les lettres qu'il a dû adresser à tous les illustres personnages avec lesquels nous l'avons vu en relation, sept seulement nous restent; l'une à Guillaume le Conquérant, une autre à Philippe Ier, de France, une troisième à Urbain II, trois à l'archevêque de Contorbéry, Anselme; et la septième à un de ses disciples, Anastase. Quelques conseils pieux à ses frères (2), des recommandations pour son couvent de Marcigny qu'il chérissait, quelques règlements monastiques sur les aumônes et les livres de la bibliothèque, une espèce de confession générale; voilà à peu près tout ce qui reste de ce grand homme : et bien que la latinité en soit assez pure, et le style remarquable pour l'époque, nous n'en parlons que par respect pour une aussi glorieuse mémoire. Mais les lettres qui lui ont été adressées

(1) L'un des historiens les plus importants de ce siècle, et moine de l'ordre de Cluny.

(2) V. la note D dans les pièces justificatives.

par les papes, les rois, les évêques, et dont un grand nombre subsiste dans divers recueils, prouvent, si on les avait su recueillir, toute la variété de la correspondance de Hugues, et de quel prix elle serait aujourd'hui pour l'histoire générale. Il pouvait croire, du reste, avoir laissé de lui des traces plus durables dans la basilique de Cluny, dont nous avons jusqu'ici différé la description, pour ne point interrompre le tableau moral de la vie du saint abbé.

CHAPITRE NEUVIÈME.

Fondation de la grande basilique de Cluny, par saint Hugues.
-Description de l'église.

Les grandes institutions morales ne commencent point par de grands édifices. Il faut que la religion soit puissante avant qu'on lui enlève un beau temple. Partout où les premiers chrétiens n'ont pas fait servir les basiliques païennes à l'adoration de Dieu, les primitives églises ont été modestes. Lorsque les cathédrales magnifiques se sont élevées, gothiques ou romanes, c'est que le culte était fort et les fidèles fervents et nombreux. Le temps était venu que l'église ne suffisait plus au nombre des moines et à la spendeur du monastère. Saint Hugues entreprit, en 1089, l'édifice colossal; il n'eut point la joie de voir la solennelle dédicace de l'église entière; car cette dédicace fut retardée jusqu'en 1131. Mais sa dépouille mortelle y reposa du moins derrière ce maître-autel qu'il avait fait bénir par le pape Urbain II.

L'origine de l'église de Cluny, comme celle de toutes les basiliques du moyen âge, est enveloppée de circonstances miraculeuses, qu'il faut aller fouiller dans les chroniques latines. On dit qu'un moine, nomme Gunzon, malade et paralytique,

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