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lectures, à quoi bon ces ridicules monstruosités, ces admirables beautés difformes, ou ces difformités si belles? Que font là ces figures de singes immondes, de lions féroces, de monstrueux centaures, de moitiés d'hommes, de tigres tachetés, de guerriers combattants, de chasseurs sonnant de la trompette? Vous pourriez y voir plusieurs corps sous une seule tête, puis plusieurs têtes sur un seul corps; là est un quadrupède avec une queue de serpent, ici un poisson avec une tête de quadrupède : là une bête affreuse, cheval par-devant, chèvre par-derrière; ici un animal à cornes qui porte la croupe d'un cheval. C'est enfin un tel nombre, une telle variété de formes bizarres ou merveilleuses, qu'on a plus de plaisir à lire dans les marbres que dans les livres, et à passer tout le jour à admirer ces œuvres singulières qu'à méditer la loi divine. Grand Dieu! si l'on n'a pas honte de ces misères, que ne se repent-on du moins des dépenses qu'elles entraînent ! »

Mais en même temps que saint Bernard se livrait à sa fougue native, dans ses controverses avec l'Ordre de Cluny et Pierre-le-Vénérable, il avait besoin de s'excuser de s'être fait le détracteur emporté des Clunistes. Il se défendait de tout esprit d'exagération, d'orgueil, d'hypocrisie, d'injustice il était même juste envers Cluny, dans ces belles pages, adressées à Guillaume, abbé de Saint-Théoderic, de l'Institut clunisois :

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« Jusqu'ici, quand vous m'avez commandé d'écrire, ou je ne vous ai obéi qu'à regret, ou je ne me suis point rendu à vos désirs: non que je misse de la mauvaise volonté à vous complaire, mais je ne voulais pas traiter présomptueusement des matières que j'ignorais. Aujourd'hui une nouvelle raison me presse, je mets de côté ma crainte

ancienne; la nécessité me rend la confiance en moi-même; et je me vois forcé, habile ou non, de laisser parler mon chagrin. Car comment voulez-vous que je me taise alors que je vous entends me traiter comme le dernier des hommes, qui, sous ses vêtements misérables et sa chétive ceinture, s'arroge le droit de juger le monde, du fond de sa cellule, attaque de la façon la plus intolérable votre Ordre illustre, se prend impudemment aux saints personnages qui vivent pieusement dans les monastères de Cluny, et, du sein de sa profonde obscurité, ose insulter aux grandes lumières de l'univers? Suis-je donc, caché sous des vêtements de brebis, non-seulement un loup ravisseur, mais un vil insecte rongeant en secret la vie des hommes pieux que je n'ose ouvertement attaquer, me livrant à de lâches et calomnieux bourdonnements, et n'osant pas du moins crier an grand jour mes accusations? S'il en est ainsi, pourquoi, chaque jour, me mortifier sans cause, et me regarder comme la brebis du sacrifice? Si, par une jactance de pharisien, je jette le mépris sur le reste des hommes, et, ce qui serait d'un orgueil pire encore, sur ceux qui valent mieux que moi, que me sert-il d'être si frugal et si sévère à moi-même dans mes repas, si humble et si vil dans mes vêtements? A quoi bon mes sueurs de tous les jours dans le travail des mains, ma pratique con-stante du jeune et des veilles incessantes, et les habitudes austères et spéciales de toute ma vie? à moins que je n'agisse ainsi qu'afin d'être remarqué par les hommes. Mais le Christ a dit : En vérité, ceux-là ont reçu leur récompense. Ne suis-je pas mille fois plus malheureux que les autres hommes si mes espérances dans le Christ se bornent à cette vie? Et ne suis-je point plus malheureux

encore si, portant au delà des temps mes espérances chrétiennes, je ne recherche au service du Christ qu'une gloire temporelle?

» Et moi, pauvre moine, qui mets tous mes efforts à ne point ressembler ou à ne paraître pas ressembler au reste des hommes, je ne serais donc pas mieux traité, que dis-je? je serais donc plus sévèrement puni que les autres hommes! Ainsi donc, je ne pouvais trouver une plus douce voie pour descendre aux enfers! S'il était nécessaire que je tombasse dans les flammes éternelles, pourquoi n'ai-je pas choisi du moins le chemin facile et vulgaire qui conduit tant de gens à la mort, en les faisant passer des joies de ce monde aux peines de l'autre vie, au lieu de passer, moi, des supplices de la vie aux supplices d'après la mort? Oh! qu'ils sont plus heureux ceux qui ne pensent point à la mort, qui ne lèvent jamais les yeux vers le ciel, ne se mêlent jamais aux travaux humains, et ne subissent jamais les flagellations du siècle! Ils sont pécheurs, il est vrai, ils sont destinés aux tourments éternels, en échange de leurs plaisirs passagers: mais du moins ils ont joui des richesses abondantes de la vie. Ah! malheur à ceux qui ne portent pas leur croix, comme le Sauveur porta la sienne, mais qui portent la croix des autres, comme fit le Cyrénéen ! Malheur à ceux qui chantent les louanges divines, non pas, comme les Saints de l'Apocalypse, sur leurs propres harpes, mais comme des hypocrites, sur des cithares étrangères! Malheur, deux fois malheur aux pauvres orgueilleux ! Malheur, deux fois malheur à ceux qui portent la croix du Christ et ne l'imitent pas; à ceux qui, prenant part à la passion du Sauveur, négligent de suivre ses exemples d'humilité !

>> Ils sont doublement à plaindre; car, ici-bas, ils se condamnent à des macérations temporelles, pour une vaine gloire périssable, et dans la vie future, à cause de leur orgueil intérieur, ils sont dévoués à des supplices sans fin. Ils souffrent avec le Christ, et ne règnent pas avec le Christ ils le suivent dans sa pauvreté, et non pas dans sa gloire; ils boivent dans le chemin l'eau du torrent, et n'élèveront pas la tête dans la patrie céleste; ils pleurent maintenant, et ailleurs ils ne seront pas consolés, et ils l'auront bien mérité; car à quoi bon cet orgueil caché sous les humbles vêtements de Jésus? La méchanceté humaine ne peut-elle donc prendre un autre déguisement que de se masquer des langes qui enveloppèrent l'enfance du Christ? Comment leur arrogance dissimulée peut-elle se contraindre et se contenir dans la crêche du Seigneur, et y murmurer, au lieu des vagissements de l'innocence, de mauvaises et médisantes paroles? Ces orgueilleux, dont parle le Psalmiste, qui laissaient éclater leur iniquité au milieu même de leurs voluptés luxueuses, n'étaient-ils pas mieux cachés dans leurs iniquités impies que nous ne le serions sous une sainteté d'emprunt? Quel est le plus impie, de celui qui affiche son impiété, ou de celui qui affecte une sainteté menteuse? n'est-il pas doublement impie celui qui à l'impiété ajoute le mensonge?.

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>> Qui m'a jamais entendu parler publiquement, ou murmurer en secret, contre l'Ordre de Cluny ? Quel est le religieux de Cluny que je n'aie vu avec plaisir, accueilli avec honneur, entretenu avec respect, averti avec humilité ? J'ai dit, et je le répète : leur manière de vivre est sainte, honnête, remarquable par sa chasteté et sa réserve; établie

par les Saints-Pères, organisée d'avance par l'Esprit-Saint, elle est admirablement propre au salut des âmes. Irai-je donc condamner ou mépriser ce que j'ai ainsi proclamé moi-même ? Je me souviens d'avoir autrefois reçu souvent l'hospitalité dans les monastères de l'Ordre de Cluny : que le Seigneur rende aux habitants de ces cloîtres les soins miséricordieux et presque exagérés qu'ils m'ont donnés en mes maladies, et les honneurs excessifs dont ils m'ont entouré. Je me suis recommandé à leurs prières, j'ai assisté à leurs conférences; je me suis entretenu avec un grand nombre d'entre eux, publiquement dans les chapitres, en particulier dans leurs cellules, sur les Saintes-Ecritures et sur le salut des âmes. Quel est celui d'entre eux que j'aie ouvertement ou confidentiellement cherché à enlever à son Ordre, ou tenté d'amener à l'Ordre de Cîteaux ? N'ai-je pas plutôt dans plusieurs réprimé ce désir de changement, et repoussé ceux qui venaient à nous ?... Pourquoi donc croit-on que je condamne un Ordre dans lequel je conseille à mes amis de persévérer, auquel je rends ceux de ses moines qui s'offrent à Cîteaux, et dont je sollicite pour moi les prières avec autant d'empressement que je les reçois avec piété? Quoi donc ! parce que juis Cistercien, est-ce une raison pour que je condamne les Clunistes? Loin de là, je les aime, je les vante, je les glorifie. Mais pourquoi, me dites-vous, n'entrez-vous pas dans cet Ordre, puisque vous le louez si fort? Ecoutez-moi à cause de ce que dit l'Apôtre: « Que chacun demeure dans la vocation où il a été appelé. » Que si vous me demandez pourquoi je ne l'ai pas choisi dès le commencement, puisque j'en connaissais les mérites, je réponds avec ces autres paroles de l'Apôtre : « Toute chose m'est permise, mais toute chose ne me con

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