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PRÉFACE

DE LA NOUVELLE ÉDITION.

Ce livre paraît ici tel qu'il a été publié d'abord, en très-grande partie, dans la Revue des deux Bourgognes, puis réimprimé dans l'édition illustrée de 1839. S'il a fait quelque bien, s'il doit rendre grâces de son succès à la bienveillance publique et aux éminents suffrages qui l'ont favorisé, c'était peut-être un devoir et une opportunité de le reproduire aujourd'hui, sous un format plus simple et plus populaire qui répondit mieux aux convenances de tous. Cette fois encore Pierre-le-Vénérable sera le modeste précurseur de son glorieux ami, saint Bernard.

Il eût été facile à l'auteur de modifier ou de développer son livre; car ses idées se sont mûries et complétées par les années et l'expérience de la vie. Mais il a mieux aimé laisser intacte la première expression de sa pensée. Il regardera toujours comme un honneur d'avoir pu et osé, du fond de sa province, il y a bientôt dix ans, et avant que se fût élevée la polémique des intérêts et des passions, rendre l'un des premiers, lui obscur et simple homme du monde, justice et hommage aux Ordres religieux, l'une des plus grandes institutions du christianisme, contre les préjugés vulgaires, contre les haines vivaces et actives d'une sorte d'intolérance posthume à laquelle on a laissé usurper, on ne sait pourquoi, le nom de philosophique.

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L'auteur est disposé moins que jamais à déserter ou à décliner l'honneur de ses opinions anciennes, au moment où des menaces, parties du haut de la tribune législative, semblent un prélude de persécution contre la religion monastique.

Il ne comprend pas bien clairement comment on s'y prendrait, avec les armes rouillées de l'ancienne toute-puissance royale, de la violence révolutionnaire, ou de l'impériale dictature, pour expulser, de domicile en domicile, c'est-à-dire jusqu'à la frontière, c'est-à-dire jusqu'à l'exil, des moines dont tout le crime est de vivre, d'étudier et de prier en commun.

Il ne comprend pas bien clairement quel intérêt d'État il peut y avoir, de nos jours, à forcer administrativement une maison conventuelle, à disperser des prières et des livres, ou à traîner l'éloquent et révérend Père de Ravignan devant la police correctionnelle.

Il ne comprend pas bien clairement quelle gloire il Y aurait à imiter à l'endroit des jésuites les violents procédés de Louis XV, qui ne fut pas le plus illustre de nos rois absolus, ou les voies expéditives de l'autocrate Russe, qui ne veut rien de tout ce qui résiste au schisme grec.

Il ne comprend pas bien clairement de quels moyens nouveaux nos législateurs comptent user pour rendre saisissables, par voie forcée, les consciences monastiques, les promesses religieuses, les trois vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, qui constituent tout Ordre régulier; alors surtout qu'on ne fait nulle difficulté d'avouer qu'on n'espère trouver dans la rue des Postes ni placards séditieux, ni armes, ni poignards, ni poudres, ni fusils, ni balles, ni listes de proscription, ni plans de conspiration actuelle ou

prochaine, ni embrigadement, ni intrigues des sociétés secrètes, ni menaces concertées d'attentats à la Charte, à la dynastie, à la propriété, à nos libertés, à nos institutions, à nos lois, à notre souveraineté civile, à quoi que ce soit au monde.

A tout le bruit qu'on a fait, ou qu'on a eu l'air de faire, en ces derniers temps, contre quelques hommes soufferts patiemment jusqu'ici par tous les ministères, et qui, cette année, n'ont rien fait qu'ils n'eussent fait depuis de longues années, on eût dit vraiment qu'on avait découvert une nouvelle conspiration des poudres, ou que le R. P. Rootham annonçait hautement la prétention de convertir toute l'Europe, qui sait même? le monde entier, en un immense couvent de saint Ignace.

Le pouvoir politique oublie-t-il donc que des lois nouvelles ne lui manqueraient point pour le défendre si, dans l'air que nous respirons en France, il avait besoin d'être défendu contre les monastères? Qu'il continue à tenir pour non avenus civilement les vœux religieux et les corporations monastiques; qu'il fasse, s'il le veut, des lois encore pour protéger son fisc contre les biens de main-morte; s'il n'est pas suffisamment rassuré par l'exubérance d'une population toujours croissante, et si tel est son bon plaisir, qu'il provoque des décrets, comme l'empire romain corrompu et tombant, contre les célibataires et les hommes sans enfants. Mais, pour Dieu! qu'il ne s'imagine pas témoigner de la virilité de son civisme en tenant suspendue sur la tête des religieux français une situation pareille à celle des réfugiés étrangers, en tourmentant les domiciles et les consciences, ou en exigeant le serment inquisitorial prescrit par le projet de loi sur la liberté d'enseignement.

Perd-on le titre et les priviléges du citoyen français en se liant par le triple vœu de la profession monastique?

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Aliène-t-on les droits de la liberté individuelle en se dévouant, dans une vie sévère, à la cause de la prédication, de la religion et des mœurs?

Gesse-t-on d'aimer sa patrie parce qu'on est devenu plus spécialement le soldat du Christ?

Et si l'on en venait à une poursuite ouverte, exceptionnelle, contre de rares serviteurs de Dieu, poursuite qui pourrait bientôt, quoi qu'on en dise, atteindre tous les autres; si l'on pouvait, en 1845, sans se mettre en contradiction avec soi-même, chasser les jésuites, sous le prétexte souterrain de je ne sais quel péché de lèse-révolution, comme on les expulsait sous Charles X en les tenant pour convaincus de doctrines régicides et du crime de lèse-royauté, ne craindrait-on pas que tant de faiblesse et de folie, que tant de petites oppressions sans portée et sans but, ne vinssent à éclairer les aveuglements d'une opinion publique à laquelle le gouvernement, à défaut des partis, devrait luimême apporter la lumière?

Autrefois, les citoyens romains, battus de verges par les satellites et les courtisans de Verrès, épouvantèrent leurs persécuteurs par ce cri sublime: Ego sum civis Romanus!"

Ne craint-on pas que les moines, si on ose les persécuter, ne s'écrient à leur tour: Nous sommes citoyens français! ne craint-on pas qu'un jour enfin, en entendant retentir ce cri de liberté, les oreilles du peuple luimême, si longtemps abusé, ne demeurent plus sourdes à cette éloquente réclamation?

Ah! qu'il eût été plus juste et meilleur de reconnaître que le catholicisme est encore l'âme de la France, l'âme

de sa nationalité, l'âme de son éducation morale! Ne vous montrez donc pas envers lui pires que l'anglicanisme et que les cultes dissidents. Laissez-lui sa libre et consciencieuse manifestation, ne réprimez que ses abus. Respectez ses institutions consacrées par les traditions de toute l'Église, et songez à nos intrépides missionnaires d'Asie, d'Afrique et du nouveau monde, et à tant de pieuses et saintes œuvres de vertu, de charité, de miséricorde.

Vous dites que les moines font des vœux qui les soumettent à un maître étranger, et les affilient à une corporation dont la tête est hors de France. Mais si ces vœux sont tout spirirituels ; si ces vœux ne les lient pas autrement que tous les États catholiques ne sont liés à l'Église, que tous les catholiques ne sont liés au Saint-Siége; si ces vœux n'attentent en rien à la nationalité et à la grandeur de la France, qu'avez-vous à redouter?

Vous vous étonnez avec effroi de ces communications intellectuelles entre les chrétiens et Rome; et vous ne vous inquiétez pas du cosmopolitisme de l'or et des banquiers, juifs ou chrétiens, qui, de leurs comptoirs étrangers, et des diverses capitales du monde, gouvernent l'Europe et l'univers, décident de la paix et de la guerre, et mettent le poids matériel des emprunts dans la balance des États! Vous ne vous effrayez pas de l'argent anglais qui vient travailler et spéculer jusque sur vos propres chemins de fer; vous ne vous effrayez pas de ces liens internationaux qui s'agrandissent incessamment entre tous les peuples de la terre; et vous tremblez des rapports purement religieux d'une centaine de moines avec leur général! et c'est par ces moines, puissant instrument de force et de civilisation, que vous pourriez faire triompher et dominer la nationalité française en Syrie,

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