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Il fut élevé ensuite auprès de son oncle, Guillaume de Sabran, abbé de Saint-Victor de Marseille, qui n'oublia rien de ce qui pouvait lui former l'esprit dans les sciences, et le cœur dans la piété. Mais Elzéar avait pour la science du salut un maître intérieur qui le dressait à la vertu et le conduisait dans les voies du ciel. On ne remarquait rien de léger, rien d'inconsidéré ou de frivole dans ce jeune homme. Il était retenu dans ses paroles, sage et composé dans ses mœurs, sérieux et réservé dans toutes ses manières d'agir ; cependant toujours gai et agréable, d'un naturel vif, d'une humeur charmante, qui, jointe à une grande beauté de corps, le faisait affectionner de tout le monde. Il croissait ainsi en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes, et formait le projet d'aller annoncer la foi parmi les infidèles, afin d'y trouver l'occasion de souffrir le martyre. La Providence en disposa différemment. Il n'avait encore que dix ans, lorsque Charles II, roi de Naples, comte de Provence, envoya un ordre exprès à son père de le marier avec une demoiselle de la maison de Glandèves, qu'on lui avait recommandée. Elle s'appelait Delphine, et n'avait que douze ans. Elle était très-digne de lui, mais plus encore par sa vertu que par la noblesse de son sang ou la grandeur de sa famille, qui était des premières de la Provence. On les fiança aussitôt dans Marseille, en présence du roi même, sans que l'un et l'autre se connussent encore et sans qu'ils eussent beaucoup de part à ce qu'on leur faisait faire. Delphine avait perdu de bonne heure son père et sa mère, E. de Sinha, seigneur de Puy-Michel, et Delphine de Barras. Quand elle entendit ses oncles et ses tuteurs parler de la marier à quelque jeune seigneur des plus nobles et des plus puissants de la Provence, à cause des grands biens qu'elle possédait, elle en ressentait une grande peine; car elle souhaitait demeurer toujours vierge, prévenue qu'elle était de l'amour divin. Elle eût donc voulu que tous ses châteaux fussent brûlés, toutes ses terres anéanties et ses vassaux dispersés, pour qu'on ne lui parlât jamais d'aucun mariage charnel. Plus d'une fois même elle eût désiré être aveugle, pour servir plus librement Dieu dans sa virginité. Quand il fut donc question de la marier au jeune comte de Sabran, elle résista tant qu'elle put. Même à Marseille, près de paraître devant le roi, elle se déroba de ses oncles et de ses tuteurs, se cacha dans le comble de la maison, où elle recommanda sa virginité avec beaucoup de larmes à Jésus-Christ et à sa sainte mère, en disant : Vierge bénic, mère de notre Seigneur Jésus-Christ, s'il plaît à votre bonté maternelle que j'aie votre béni fils pour époux, secourez-moi à cette heure où je suis délaissée et destituée de tout secours humain.

Après cette prière, elle ressentit une grande consolation intérieure, et obtint que le mariage qu'on voulait faire ne fût que des fiançailles.

Cependant, trois ans après, le mariage fut célébré solennellement en face de l'Eglise, le jour de Sainte-Agathe, au château de PuyMichel. Elzéar était dans sa treizième année, Delphine dans sa quinzième. La première nuit qu'ils se trouvèrent seuls dans la chambre nuptiale, elle apprit confidemment à son jeune époux qu'elle ne s'était mariée que forcée par ses proches, que tout son désir était de demeurer vierge pour l'amour de Dieu; elle en avait demandé la grâce à la vierge Marie, qui lui avait promis son assistance. Si donc elle avait consenti à l'épouser, c'est que, connaissant sa vertu et sa piété, elle espérait que non-seulement il ne s'y opposerait point, mais qu'il ferait lui-même comme elle. Elzéar, à qui cette pensée n'était pas encore venue, fut bien surpris de la proposition; mais comme il était d'un naturel doux et complaisant, il respecta le désir de sa jeune épouse et ne lui dit pas un mot qui pût lui déplaire. Delphine passa toute cette nuit sans fermer l'œil, priant incessamment Dieu avec beaucoup de larmes et de soupirs, de vouloir bien être le protecteur de la virginité. Les nuits suivantes, elle obtint de même de son époux, par de douces paroles, de les passer ensemble, comme le jeune Tobie et Sara passèrent ensemble les trois premières à prier Dieu avec ferveur. La chambre nuptiale fut dès-lors un oratoire.

Cette première année, quoiqu'il en fut exempt par son âge, Elzéar jeûna tout le carême. De plus, il se procura, par le moyen d'une religieuse, parente de sa femme, une corde pleine de nœuds, dont il se ceignit le corps, mais au point de le mettre en sang et en plaies. La religieuse s'en étant aperçue à la pâleur de son visage, menaça de le dire à ses parents, s'il n'ôtait la corde; il le fit, mais la remplaça par un cilice.

A l'âge de quinze ans, il se trouvait, avec son oncle paternel, l'abbé de Marseille, dans le château de son oncle maternel, le seigneur du Sault. Un nouveau prêtre devait y chanter sa première messe, un noble y être armé chevalier, le jour de l'Assomption de la sainte Vierge. Elzéar assista la nuit à matines, fit ensuite la confession de ses péchés et communia dévotement à la messe, comme pour se préparer aux grâces extraordinaires que Dieu devait lui faire en ce jour. Au festin, il fit l'écuyer tranchant, par honneur pour ses oncles. Après le repas, comme il prenait sa réfection en lui-même, l'Esprit de grâce descendit subitement sur lui, son visage parut changé. Ses compagnons, croyant qu'il avait la fièvre, le

menèrent dans sa chambre. Dès qu'il y fut seul, il se prosterna par terre, s'abandonnant, suivant que l'esprit intérieur lui suggérait. Il ressentit une si vive flamme de l'amour divin, qu'elle faisait fondre toute son âme et la transformait totalement en Dieu. Et alors Dieu lui montra la brièveté de cette vie caduque, et combien ce monde est méprisable en comparaison des biens célestes. Il conçut un si grand mépris de tous les avantages temporels, que si on lui avait offert toutes les richesses de ce monde, il n'eût rien accepté, mais méprisé tout comme de la boue, tant il avait soif de Dieu seul.

Il voyait aussi très-clairement par quelles miséricorde et bienveillance Dieu l'avait préservé jusqu'à ce jour de tomber dans toutes sortes de péchés, et par quelle grâce singulière il l'avait conservé dans sa virginité. Il se résolut donc dès ce moment à ne plus songer à laisser d'héritiers, mais à garder constamment la virginité, à quoi l'exhortait tant son épouse. Il commença donc à penser fortement aux moyens de plaire à Dieu seul. Dans cette méditation et cet incendie d'amour, il se mit à prier Dieu de tout son cœur de lui montrer de quelle manière il voulait qu'il vécût dans ce monde. Il aspirait à quitter tout pour se retirer dans un désert et y servir Dieu, sans être connu de personne ; mais une voix intérieure lui dit de ne pas changer d'état. Il objecta sa fragilité, mais la voix répondit: Je sais ce que vous pouvez ; et ce que vous ne pouvez faire, je le ferai et le suppléerai. Elzéar sortit de cette extase, résolu à garder la virginité perpétuelle, sans pourtant en faire de vœu. Et, merveille bien extraordinaire de la grâce divine, attestée par les deux époux, quand ils étaient ensemble, ils se sentaient plus affermis dans leurs saintes résolutions que quand ils se trouvaient éloignés l'un de l'autre.

Après cette première extase, Elzéar en eut plusieurs autres, dans lesquelles Dieu lui fit voir, sans nuage, les principaux mystères de la foi, les mystères de la Trinité, de l'Incarnation, de la Rédemption, ainsi que les autres vérités du Symbole ; ce qui le remplit d'un amour ineffable pour Dieu. Plusieurs âmes pieuses connurent par révélation la vie angélique et virginale des deux époux.

Ils vécurent ainsi sept ans au château d'Ansois; mais Elzéar ne pouvait jouir en ce lieu de toute la tranquillité d'esprit qu'il souhaitait, à cause des inquiétudes et des soins excessifs que son grandpère et tous ses proches avaient pour les choses temporelles, et dans lesquelles ils tâchaient de l'entraîner. A l'âge de vingt ans, il demanda et obtint, après de longues sollicitations, la liberté d'aller demeurer au château de Puy-Michel, qui lui appartenait par sa femme. Ils y demcurèrent trois ans.

En changeant de lieu, ils changèrent de bien en mieux encore. Le nouveau père de famille régla d'abord sa maison comme une espèce de monastère. Il lui donna un règlement en huit articles. 1° Toutes les personnes à son service, hommes et femmes, devaient entendre chaque jour au moins une messe. 2o Tous devaient mener une vie chaste et pure: ceux qui se trouvaient convaincus du contraire étaient chassés de la maison. 3o Les nobles et les chevaliers, les demoiselles et les dames se confesseront une fois chaque semaine, et se disposeront à communier dévotement chaque mois. 4o Ces mêmes demoiselles et dames s'occuperont le matin de prières et d'actes de piété et de dévotion jusqu'au dîner, après quoi elles vaqueront au travail manuel. 5o Nul n'osera proférer de blasphême contre Dieu, contre la sainte Vierge, contre aucun saint, ni jurer à faux, à la légère et sans cause, ni proférer de paroles déshonnêtes; car la vie et la mort sont dans les mains de la langue, dit le sage; les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs, dit l'apôtre. Les transgresseurs de ce statut étaient punis de cette manière. A dîner, ils étaient assis à terre devant les autres, ne mangeant que du pain et ne buvant que de l'eau, ou bien ils étaient enfermés toute la journée dans une chambre où ils ne recevaient à manger que des choses communes. 6° Nul ne devait jouer aux dés ni à aucun jeu illicite ou déshonnête. Les contrevenants étaient punis avec sévérité. 7° Tous ceux de sa famille devaient vivre ensemble dans la paix, l'amitié et la concorde, nul n'offenser l'autre de parole ni d'action; si quelqu'un avait fait le contraire, il devait se réconcilier aussitôt avec l'offensé. Le saint veillait à cela d'une façon spéciale, et punissait le délinquant selon la gravité de sa faute. 8° Tous les jours après le dîner ou à une autre heure du soir, à moins qu'on ne soit empêché par une autre cause légitime, ils auront une conférence ensemble, et lui-même avec eux, sur les paroles du Seigneur pour l'édification de leurs âmes. Dans cet entretien, tandis que l'un parlera, tous les autres prieront pour lui dans leur cœur, afin que Dieu lui inspirât des paroles profitables à tous. Nul ne doit interrompre ni empêcher de quelque manière celui qui parle. Le contrevenant était privé de ce bon et dévot entretien, jusqu'à ce que, s'étant corrigé, il y fût rappelé par les autres.

Lui-même, dans ces entretiens, le visage rayonnant d'une sainte joie, avait des paroles de feu, qui jaillissaient de la source même de la divine sagesse ; les auditeurs sentaient leurs cœurs tout changés, remués par de saints désirs, et devenaient humbles et timorés. Car, comme un autre Tobie, il enseignait à sa famille à craindre Dieu, à s'abstenir du péché èt à observer les divins commandements.

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Illes exhortait à aimer Dieu et à s'aimer les uns les autres, et à er conserver leurs corps purs et sans tache. Quant à l'oraison, il disait que le chrétien doit la commencer par s'humilier profondément; car la prière de qui s'humilie pénétrera les nues.

Son confesseur lui ayant demandé un jour quelle méthode il suivait dans l'oraison et quel saint il avait choisi pour son patron spécial, le saint lui répondit : J'ai choisi pour mon avocate la glorieuse vierge Marie, et quand je veux me préparer à l'oraison, je considère d'abord mon indignité et ma vileté, à cause de quoi je me tourne vers la mère de grâce, et je la supplie humblement qu'elle mette dans mon cœur et dans ma bouche ce qui lui est agréable, à elle et à son béni Fils; je lui offre, avec toute la dévotion que je puis, un Ave Maria; lequel dit, je ne manque jamais de matière nouvelle pour les choses divines.

Dans la maison d'Elzéar ainsi réglée, il régnait une charité, une dévotion, une paix, une aménité, une pureté si grande, que, sauf l'habit, ce paraissait plutôt un vrai monastère et une vie religieuse que la maison d'un comte et une vie séculière. Aussi la religieuse Alasie, sœur de Delphine, assurait qu'elle vivait plus saintement auprès de ces deux époux que dans son couvent. De plus, beaucoup de nobles et de chevaliers, ainsi que d'autres personnes, inspirés par un si bel exemple, promirent et gardèrent la chasteté perpétuelle, plusieurs même la pureté virginale. Enfin, la renommée publiant partout de quelle manière le comte Elzéar de Sabran avait réglé sa maison, plusieurs commencèrent à vivre et à former leurs maisons sur ce modèle; entre autre l'évêque de Digne, Renaud de Porcelets, cousin du saint, et qui lui-même est appelé saint dans quelques auteurs du temps, lui demanda le règlement de sa famille et le fit observer dans la sienne.

Outre ce règlement domestique, on attribue encore à saint Elzéar un règlement public pour ses domaines, en dix articles. 1° Nul de mes sujets ne blasphemera d'une manière quelconque en mes domaines; car, comme les louanges de Dieu nous attirent ses faveurs et ses grâces, de même les parjures et les jurements, qui sentent plus le langage des enfers que celui des hommes, attirent sur nous les foudres du ciel qui perdent et nos corps et nos âmes. 2° Je veux introduire dans toutes mes terres la piété envers le sainte mère de Dieu; en conséquence, je veux que tous mes sujets la choisissent pour leur patrone; car, quand nous avons besoin de la miséricorde de Dieu, nous ne pouvons mieux recourir qu'à cette reine toute-puissante, puisqu'elle daigne nous recevoir sous sa protection et qu'elle se montre le refuge de tous les pécheurs. Je

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