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est l'amour des citoyens. Mais il me semble que rien ne fait plus aimer un prince, que de conserver et d'augmenter les libertés auxquelles ses sujets sont habitués; et de ne point introduire de nouveauté contraire. C'est à chaque gouvernant qu'il est dit: Vous n'outrepasserez point les bornes anciennes qu'ont posées vos pères. Car la nouveauté enfante la discorde, et, pour en introduire, il faut une utilité évidente ou bien une urgente nécessité. C'est pourquoi, si le prince veut ôter les libertés accordées par ses prédécesseurs, son gouvernement n'est plus aimé, comme il apparaît de Roboam. Et l'histoire nous montre que c'est pour cela que bien des royaumes ont été transférés d'une nation à une autre. Or, il est certain que vos prédécesseurs, Charlemagne, saint Louis et plusieurs autres, ont confirmé cette liberté de l'Eglise. Vous conseiller donc maintenant d'ôter à l'Eglise quelque chose, c'est vous conseiller d'ôter ce qui fait aimer votre gouvernement.

De dire que vous ou vos prédécesseurs n'avez pu accorder ces choses à l'Eglise, semble diminuer de beaucoup votre puissance et majesté. Car, que vous, sire, qui avez droit sur le royaume de France, non-seulement par élection, mais par hérédité, vous ne puissiez octroyer rien de pareil, cela semble grandement déroger à votre puissance, à tel point que, si cela était vrai, il s'ensuivrait que vos prédécesseurs ont été continuellement dans le péché, et même, ce qui est impie, que saint Louis, qui fait la gloire de toute la France, n'a pas été canonisé justement. Car si, comme disait le proposant, il a fait serment de ne rien aliéner, et de révoquer ce qui aurait été aliéné par d'autres, et que cela fût inséparable de la couronne, il s'ensuit qu'il aurait commis un parjure; par conséquent il aurait péché mortellement, et n'aurait pu être canonisé. Il s'ensuivrait encore que vous ne pourriez rien donner, ni duché, ni comté, ni métairie; et cependant il y en a peu qui n'en reçussent volontiers, nonobstant le serment de fidélité qu'ils vous ont fait.

En troisième lieu, celui-là honore effectivement le roi, qui lui conseille ce qui conserve sa bonne renommée. Car, après la conscience, c'est ce qu'il y a de plus précieux. Or, votre majesté veuille considérer, si on allait ôter ou diminer la liberté de l'Eglise sous son règne, quelle tache ce serait à votre gloire, et combien d'écrivains la consigneraient dans leurs chroniques. Vos prédécesseurs, les rois très-chrétiens, ont toujours donné aux autres princes l'exemple de favoriser la liberté de l'Eglise, et de prendre sa défense contre ceux qui l'opprimaient. A Dieu ne plaise que, dans un moment où l'Eglise est persécutée en plusieurs lieux, vous alliez donner l'exemple contraire de lui ravir ce que lui ont accordé vos prédécesseurs.

Je dis, quatrièmement, que celui-là honore effectivement le roi, qui lui conseille ce qui ne blesse pas sa conscience. Je suis fermement persuadé que, pour rien au monde, vous ne voudriez faire quoi que ce soit qui blessât la vôtre, et vous avez grandement raison; car plus vous avez reçu de bienfaits de Dieu, qui vous a fait si merveilleusement parvenir à la royauté, plus vous devez craindre de l'offenser, de peur qu'il ne s'irrite d'autant plus vivement contre vous, comme il a fait contre Saül. Faites donc bien attention si dans votre couronnement vous avez juré ce qui suit, et pas davantage, savoir, de garder aux évêques et aux églises leurs droits et leurs priviléges, et d'en prendre la défense; de faire en sorte que tout le peuple chrétien garde toujours la vraie paix de Dieu et de son Eglise; d'interdire à toute espèce de gents toute espèce de rapacités et d'iniquités; de faire observer l'équité et la miséricorde dans tous les jugements; d'extirper de vos domaines les hérétiques dénoncés par les églises. Voilà ce que vous avez juré, et pas dayantage, sauf le respect du seigneur de Cugnières, qui a prétendu y ajouter encore autre chose. Si donc vous ne conserviez pas les priviléges authentiques de l'Eglise, votre conscience serait blessée.

D'ailleurs, si vous devez faire en sorte que tout le peuple chrétien garde toujours la vraie paix de Dieu, combien plus ne le devezvous pas à l'égard des barons, qui ont toujours été avec l'Eglise comme une seule et même chose? Car partout où l'Eglise a été en honneur, là brillait la bravoure des barons et des chevaliers, dont l'office est de défendre l'Eglise, comme celui de l'Eglise est de pricr pour eux et d'offrir pour eux le saint sacrifice. Saint Louis y a travaillé beaucoup en son temps. Les grands barons s'étant confédérés pour ôter cette liberté à l'Eglise et même lui faire donner une partie de ses biens, il ne consentit point à leur entreprise, mais les en détourna, et confirma à l'Eglise sa liberté. J'oserai dire enfin que, si une dissension éclatait entre les prélats et les barons, le peuple pourrait bien vite en prendre occasion d'usurper le domaine des uns et des autres. Chacun de nous l'a pu voir de fait. Quelquesuns ayant excité le peuple contre la cour ecclésiastique dans une partie de la Champagne et de la Bourgogne, au point que le peuple soulevé établit presque dans chaque village un roi pour battre les huissiers, et un pape pour donner des absolutions, aussitôt le même peuple s'insurgea contre les seigneurs temporels, et leur fit la même chose, jusqu'à ce que le roi en eût fait pendre un grand nombre, et que le trouble fût ainsi apaisé pour le moment. En vérité, les nobles ne devraient pas se plaindre de ce que l'Eglise possède; car il en est peu qui n'aient des frères ou des parents qui vivent des

biens de l'Eglise; s'ils étaient obligés de partager avec ceux-ci leur héritage, ils le réduiraient insensiblement à rien. De plus, il y en a peu qui ne tiennent de l'Eglise quelque fief. Ils se rendraient donc plus dignes de blâme que de louange, s'ils contribuaient à dépouiller l'Eglise de ces libertés.

L'archevêque conclut son discours par une réponse générale aux soixante-six articles de réformation proposés par le seigneur de Cugnières. Plusieurs de ces articles, dit-il, renverseraient la juridiction ecclésiastique si on les admettait; ainsi nous sommes déterminés à les combattre jusqu'à la mort. D'autres ne nous reprochent que des abus dont nous ne croyons pas nos officiers coupables; mais s'ils étaient réels, nous ne voudrions les tolérer en aucune manière. Assemblés ici, nous sommes prêts à procurer les remèdes convenables, afin de satisfaire au devoir de nos consciences, de maintenir la dignité du roi, de procurer la tranquillité des peuples et la gloire de Dieu. Ainsi soit-il 1.

Dans une troisième conférence, le vingt-neuf du même mois de décembre, Pierre Bertrandi, évêque d'Autun, porta la parole pour le clergé. Après s'être concilié la bienveillance du roi par ces paroles d'Abraham dans la Genèse: Ne vous fâchez pas, Seigneur, si je parle, il prit pour texte de son discours: Seigneur, vous êtes devenu notre refuge. Ensuite, ayant fait la même protestation que l'archevêque de Sens, savoir, qu'il parlait pour instruire le roi par forme de conseil, et non en vue de faire une réponse juridique au seigneur de Cugnières, il appuya à peu près sur les mêmes raisons que Pierre Roger, pour fonder la juridiction dont jouissaient alors les évêques et le clergé; puis il répondit en détail à tous les articles qu'on avait objectés, distinguant ceux dont l'Eglise usait justement, et que les prélats voulaient défendre, de quelques autres où il pouvait s'être glissé des abus et qu'on était prêt à réformer. Quand tout fut dit de part et d'autre, le roi fit demander à l'archevêque de Sens et à l'évêque d'Autun leurs réponses par écrit, telles qu'il les avaient prononcées. L'assemblée des prélats en délibéra, et il fut conclu qu'il ne serait donné qu'un extrait de ce que les deux orateurs du clergé avaient dit en public. Cet extrait fut réduit en forme de requête contenant les demandes du clergé, tout opposées aux objections de Pierre du Cugnières, excepté dans les points où les évêques reconnaissaient de l'abus.

Huit jours après, cinquième de janvier 1330, les évêques allèrent à Vincennes, où était le roi, pour attendre la réponse qu'il devait

1 Biblioth. PP., t. 26, p. 109-120.

donner à leur requête. Le seigneur de Cugnières leur fit, au nom du roi, un petit discours qui commençait par ces mots : La paix soit avec vous! c'est moi, ne craignez point, pour leur annoncer simplement qu'ils ne devaient point se troubler de certaines choses qui s'étaient dites, parce que l'intention du roi était de conserver à l'Eglise et aux prélats leurs droits autorisés par les lois et par une coutume juste et raisonnable. Cependant il insinua que les causes civiles ne pouvaient appartenir au clergé, parce que le temporel appartient aux séculiers comme le spirituel aux ecclésiastiques. Il insista même sur ce point par des citations et des raisonnements; il exceptait certains cas exprimés dans le droit. Enfin il conclut par ces mots : Le roi est prêt à recevoir les remontrances qu'on youdra lui faire sur quelques coutumes, et à maintenir celles qui sont raisonnables. L'évêque d'Autun répondit pour tous, et, après avoir loué poliment la prudence et la bonté du roi, il réfuta en peu de mots les réflexions de Cugnières; ensuite il demanda avec beaucoup de respect une réponse plus nette et plus consolante pour le clergé, de peur que l'ambiguité ne donnât lieu aux seigneurs temporels d'en abuser. Le roi dit alors lui-même qu'il n'entendait point attaquer les usages de l'Eglise, dont on lui donnerait une pleine connaissance.

Le dimanche suivant, septième de janvier, les évêques retournèrent à Vincennes. L'archevêque de Sens, portant la parole, rappela le contenu de la dernière supplique du clergé, et la réponse que le roi avait donnée le vendredi précédent. Sur quoi l'archevêque de Bourges, Guillaume de la Brosse, assura les prélats que le roi avait promis de conserver tous leurs droits et leurs coutumes, ne voulant pas qu'il fût dit que son règne eût donné l'exemple d'attaquer l'Eglise. L'archevêque de Sens remercia le roi au nom des prélats, puis il dit qu'on avait fait certaines publications ou annonces au préjudice de la juridiction ecclésiastique, et que les évêques priaient le roi de les révoquer. Alors le roi répondit encore de sa propre bouche, qu'on ne les avait point faites par son ordre, et qu'il ne les approuvait pas. L'archevêque répliqua que les évêques avaient pris de si bonnes mesures pour corriger certains abus dont on s'était plaint, que le roi et les seigneurs en seraient contents. Il ajouta, pour dernière conclusion, que le roi était encore supplié de vouloir bien les consoler par une réponse plus bénigne et plus nette. Alors Cugnières prononça ces mots au nom du roi : Il plaît au roi de vous accorder jusqu'à Noël prochain pour que vous corrigiez ce qui doit l'être; pendant ce temps-là, toutes choses demeureront sur le même pied; mais si vous négligez jusqu'à ce

terme de faire les réformes qu'on souhaite, le roi ordonnera luimême des remèdes qui seront agréables à Dieu et au peuple. Telle fut l'audience de congé donnée aux prélats, qui se retirèrent1.

Les suites de ces conférences font mieux connaître encore la faveur que le roi avait accordée à l'église gallicane. Ce fut à cette occasion qu'on donna à ce prince le surnom de Vrai catholique, et qu'on lui érigea une statue équestre à la porte de l'église cathédrale de Sens, avec une inscription en deux vers latins, par lesquels il se déclarait le protecteur du clergé. Le pape Jean XXII, instruit par le roi même de tout ce qui s'était passé dans l'assemblée, remercia sa sérénité royale de la réponse qu'elle avait faite aux ennemis de l'Eglise, et la pria de persévérer dans ce dessein. Ce sont les termes de la lettre du Pape, datée du cinq de juin 1530: preuve sensible du témoignage que se rendait le roi d'avoir protégé les évêques, et de la satisfaction entière qu'il avait donnée sur cela au Pape et à la cour romaine. Des deux prélats qui avaient plaidé la cause du clergé, Pierre Roger, archevêque de Sens, puis de Rouen, devint cardinal et enfin pape sous le nom de Clément VI. L'évêque d'Autun, Pierre Bertrandi, devint aussi cardinal.

Nous avons de lui un traité de l'origine et de l'usage des juridictions; autrement, de la puissance spirituelle et temporelle. Il y propose quatre questions à résoudre : 1o La puissance temporelle qui régit le peuple, quant au temporel, est-elle de Dieu ? 2o Outre cette puissance laïque, est-il nécessaire ou expédient qu'il y en ait une autre pour le bon gouvernement du peuple? 3° Ces deux puissances ou juridictions peuvent-elles se rencontrer dans la même personne? 4° La puissance spirituelle doit-elle dominer la temporelle, ou contrairement? Sur ces quatre articles du quatorzième siècle, voici comme l'évêque d'Autun répond.

1o La puissance séculière est de Dieu quant à sa nature, mais non pas toujours quant à son acquisition ni quant à l'usage qui s'en fait. Elle est de Dieu, en ce qu'il est naturel et convenable aux hommes d'avoir un chef et d'en convenir. Mais elle n'est pas toujours de Dieu, quant à la manière de l'acquérir ou d'en user, savoir, lorsque cette manière est mauvaise ou illicite. De là cette parole dans Osée : Ils ont régné, mais non par moi; ils ont été princes, mais je ne les ai pas connus. Or, la manière légitime de parvenir à la puissance est de deux sortes: par la succession héréditaire, ou par l'élection. La succession ne peut pas être la première; car celui qui succède à un autre n'est pas le premier, attendu qu'un autre

Biblioth. PP., t. 26, p. 120-127. Hist. de l'égl. gall., 1. 37.

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