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entre les deux puissances se conciliaient assez bien, en la manière qu'il est dit dans l'ouvrage : Des rapports naturels entre les deur puissances; ouvrage que précédemment il avait lu et trouvé bon, et qui a été imprimé depuis. Il me répondit que, pour répondre aux questions que j'avais soulevées, il faudrait des volumes; que nous différions sur bien des points; qu'après tout, le principal était la charité, suivant ce mot d'un apôtre : Filioli, diligite in

vicem.

Quelques jours après, ayant su que le moment de la crise approchait, et qu'il n'y avait plus guère d'espoir, je crus devoir, pour l'acquit de ma conscience, tenter un dernier effort, et je lui écrivis la lettre suivante :

< Mon très-cher M. de La Mennais, dans votre dernière lettre, vous me dites un mot qui m'est allé au cœur : Filioli, diligite invicem. Eh! mon cher monsieur, je n'osais vous dire combien je vous aime, de crainte de vous déplaire! Oui, je vous aime plus que ma vie. Mais plus j'aime, plus je crains. Vous le comprendrez par un exemple.

» Il y a des années, j'aimais un ami de tout mon cœur ; mais je remarquai en lui comme deux hommes, dont l'un me faisait craiudre pour l'avenir, l'autre me faisait espérer. Ce qui me faisait craindre, c'est que, quand cet ami.... (Ici je rappelais en détail et avec franchise tout ce que j'avais remarqué de dangereux en lui depuis que je le connaissais, et je terminais l'énumération par ces paroles :) Voilà, mon très-cher monsieur, ce qui me faisait craindre pour cet ami, mais craindre au point qu'une fois, malgré mon bon tempé rament, j'en fus malade, et je sentis que je pouvais en mourir; car je n'osais épancher tout mon cœur, ni dans le vôtre, ni dans celui de personne.

> Ce qui me faisait espérer, c'est qu'à côté d'un fond assez irritable d'orgueil naturel, je voyais des semences d'humilité chrétienne; je voyais un sincère amour de Dieu et de son Eglise ; j'apercevais quelquefois la grâce de Dieu qui perfectionnait ces bonnes dispositions; et je me souviens d'en avoir pleuré de joie. Au dehors, je voyais des protestations publiques et réitérées d'une soumission sans réserve à tous les décrets du chef de l'Eglise. Il est vrai, on usa de procédés capables de pousser à bout un homme ordinaire';

'Je ne parle point ici de la conduite de l'Eglise à son égard, mais de certains fa particuliers qu'il est inutile de faire connaître, et qui, à mon avis, ont puissammer contribué à le jeter dans une mauvaise voie.

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mais à celui que j'aimais, je croyais l'esprit et le cœur assez grands, assez chrétiens, pour surmonter tous les soulèvements de la nature, et pour étonner le monde par le miracle de la vertu chrétienne. L'épreuve est venue. Celui que j'aimais est resté jusqu'à présent bien au-dessous de ce que j'attendais. Au lieu d'un saint, je ne vois qu'un homme, et un homme en colère, qui tourne tout son esprit à se venger. Je crains qu'il ne s'obstine; je crains que l'esprit de ténèbres, qui se transforme en ange de lumière, ne réussisse à lui faire illusion. Porté, comme il est, à se contenter d'une connaissance incomplète du dogme et de l'Ecriture, je crains que ces demivérités ne le conduisent à douter à la fin de tout, et à expirer dans le vide, suivant une de vos expressions. Cependant celui que j'aimais ainsi, je l'aime encore; et le jour qui dissipera mes craintes, sera le plus heureux des mes jours.

> Mon très-cher M. de La Mennais, vous êtes le premier et le seul devant qui j'épanche ainsi mon cœur tout entier. Si cela vous déplaît, pardonnez-le-moi. Je vous aime assez pour consentir à ce que vous me repoussiez et me haïssiez, pourvu que vous viviez et mouriez en bon chrétien et bon catholique, et que vous sauviez votre âme. Malestroit, le 10 avril 1855, fête des Sept-Douleurs de la très-sainte Vierge. >

Cette lettre fut remise à Paris, dans le moment qu'il allait rompre, ou qu'il venait de rompre, et avec lui-même, et avec l'Eglise de Dieu.

Six mois après, comme j'étais sur le point de quitter la Bretagne pour revenir en Lorraine, je me rendis à La Chenaye pour lui faire mes derniers adieux, en revenant d'un voyage dans le Maine, où j'avais été consulter M. l'évêque du Mans sur les principaux aperçus de mon travail sur l'histoire. Trop gêné pour lui dire de vive voix les dernières pensées que j'avais sur le cœur, je les lui communiquai par écrit, le 9 septembre au soir, en ces termes :

<< Mon très-cher M. de La Mennais, dans le petit voyage que je viens de faire, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui vous aimaient précédemment; toutes elles vous aiment encore et ne cessent de prier pour vous; mais toutes se plaignent de vous en un point. M. de La Mennais nous a manqué de parole, disent-elles ; il nous a trompées. Mille fois il a protesté de sa soumission sans réserve au chef de l'Eglise; nous avons tenu la parole qu'il a donnée : lui seul y a manqué. Toutes conviennent qu'on a usé envers vous de procédés déplorables; mais toutes conviennent aussi que vous

avez manqué d'humilité, et que c'est l'orgueil qui vous perd. Ceux qui vous aiment se demandent avec anxiété : A-t-il encore la foi? pratique-t-il encore la religion? et nul ne sait que répondre à des bruits fâcheux qui s'accréditent. Voici où quelques-uns pensent que vous en êtes. Vous avez établi dans vos ouvrages que sans religion point de société, sans le christianisme point de religion, et sans le Pape point de christianisme. En résistant opiniâtrément au Pape, il est comme nécessaire que vous descendiez cette échelle, et que, i pour la pratique comme pour la croyance, vous arriviez à un christianisme vague, qui va se confondant avec l'indifférence en matière de religion. Oh! mon cher monsieur, si vous saviez le chagrin, l'affliction que vous causez à ceux qui vous aiment, mais surtout à votre bon, à votre excellent, à votre saint frère, en vérité vous auriez pitié de nous. Je vais vous quitter pour long-temps, peutêtre pour toujours. Partout, ceux qui vous aiment vont me demander de vos nouvelles : vous serait-il donc impossible de me dire un mot de consolation pour eux et pour moi ? C'est l'unique récompense que je vous demande pour mon long et inaltérable attachement. »

Il me répondit entre autres :

<< Mais vous m'avez déjà écrit tout cela à Paris. Je vous dirai même que votre lettre m'avait blessé; mais je ne vous en veux point, parce que c'est l'amitié qui vous fait parler. Quant à mes dispositions présentes, mes convictions d'aujourd'hui ne sont plus celles de ma vie passée, et je ne suis pas sûr que, dans quelques mois, elles seront encore les mêmes qu'aujourd'hui. Il n'y a point de loi pour l'esprit. Il n'y a qu'une loi pour le cœur : l'amour de Dieu et du prochain. >>

Depuis cette conversation, j'ai toujours pensé et toujours dit qu'il n'y a que la grâce et la miséricorde de Dieu qui puissent le tirer de là où il est tombé. Aussi la publication de son Esquisse d'une Philosophie m'afflige, mais ne m'étonne pas. Au lieu d'une philosophie catholique, ce n'est que l'esquisse d'une philosophie quelconque; au lieu de la doctrine sur la grâce et le péché originel qu'on lui avait fait connaître et qu'il avait adoptée, c'est la négation de cette doctrine. Mais ce qui me paraît le plus fâcheux, c'est que lui, qui s'est toujours piqué de franchise et de bonne foi, se permette d'attribuer à l'Eglise de Dieu des choses qu'il doit bien savoir qu'elle n'enseigne pas. De pareils moyens ne font jamais honneur

ne portent jamais bonheur à qui les emploie. Quand un homme, Irtout un prêtre, en vient là, rien ne l'empêche d'aller jusqu'au ond de l'abîme. C'est peut-être là que Dieu l'attend pour avoir itié de lui.

En examinant de près ce qu'il a supprimé dans son premier traail, et ce qu'il y a substitué dans le second, nous y avons aperçu in pas effrayant vers le fond de l'abîme. Dans son Essai de philosophie catholique, il y avait un chapitre sur le péché originel, deux sur la régénération de l'homme, un sur la grâce. Il disait dans le premier :

<< Telles sont pour l'homme les suites du péché. Mais comment pèsent-elles sur les descendants du premier homme, et comment le péché, avec ses conséquences, leur est-il transmis? Le fait est incontestable; il est et fut toujours reconnu : à nulle époque on n'a cessé de voir dans l'homme un être malade, c'est-à-dire hors de sa nature et dans un état de désordre originairement volontaire. Pour concevoir comment cet état de désordre a pu et dû se transmettre, il faut se souvenir qu'engendrer, c'est produire un être semblable à soi: or, le péché, directement relatif à la volonté qui l'accomplit, est une opposition naturelle à Dieu, résultant du vice radical du moi; or, le moi appartient à la substance; il est ce qui constitue radicalement l'être en tant qu'il est lui, et non pas un autre. Donc le vice du moi se transmet nécessairement par la génération; car tout ce qui est donné par la génération, c'est tout ce qui est dans le principe générateur, et l'être engendré est rigoureusement l'image de l'être qui l'engendre. L'homme naît donc dans l'état du péché, c'est-à-dire en état d'opposition actuelle avec Dieu; et, par là, il naît hors de la société des intelligences, en état de mort, puisqu'il ne peut participer à la vie commune des êtres unis à Dieu et qu'anime son amour, son esprit, par une effusion perpétuelle de luimême. En d'autres termes, supposer qu'un être dont la nature intime a été altérée par le péché, puisse produire un être sans péché, comme était Adam après sa création, c'est dire qu'il produirait un fils qui ne serait pas semblable à lui; il y aurait un effet sans

cause. »

Voilà ce que disait l'auteur de l'Essai de philosophie catholique, lans la seconde partie de son ouvrage, livre premier, chapitré iv. Dans les deux chapitres suivants : De la Régénération de l'homme, I établissait que l'homme déchu n'aurait pu se régénérer lui-même ; qu'il lui fallait pour cela un secours extérieur et divin; que, pour

qu'il pût rentrer dans sa première amitié avec Dieu, il était néces saire que Dieu vînt à lui. De là, l'incarnation du Verbe pour rache ter et régénérer l'homme, que ce même Verbe avait créé. L'Homme Dieu devait opérer cette rédemption, en expiant les péchés de l'homme par ses souffrances et son sacrifice.

<< Pour mieux entendre cette grande question, disait l'auteur dans le chapitre vi, considérons-la sous un autre point de vue dans ses rapports avec la notion de justice. Dieu aime, Dieu veut invinciblement l'ordre, parce que l'ordre est lui-même: quiconque trouble l'ordre, attente, pour ainsi dire, directement à son être; et c'est ainsi que l'opposition à Dieu, qui constitue le péché, renferme quelque chose de correspondant à l'idée de crime, comme l'idée de crime correspond à l'idée de châtiment. En effet, il existe en Dieu une justice essentiellement rigoureuse et inflexible, et l'inflexibilité des lois qui l'établissent et la maintiennent, n'est que l'amour nécessaire de l'ordre. Ces lois, qui dérivent de la nature de Dieu, sont immuables comme elle. Si elles cessaient un seul instant d'avoir leur plein effet, Dieu cesserait d'être Dieu. Les conséquences inévitables de leur observation ou de leur violation sont la récompense ou le châtiment qui découlent de la justice divine: et comme tout est infini dans l'ordre qui règle les lois des créatures intelligentes, leurs conséquences sont infinies aussi, et par conséquent la récompense ou la punition inséparablement liées à leur observation ou à leur violation. La récompense est la jouissance d'un bien infini par sa nature; le châtiment, la privation du bien. et comme aucune créature ne peut participer que d'une manière finie au bien infini, la récompense n'est complète qu'autant qu'elle se prolonge toujours par un développement infini; de mème la privation ne peut être actuellement infinie, et pour l'être, elle doit être prolongée sans terme; autrement elles seraient contradictoires en soi, puisqu'elles se rattachent au but général de la création, qui est de manifester Dieu par un développement progressif et sans

terme. >>

Ainsi donc, jusqu'en 1832, la transmission du péché originel étai un fait incontestable; on en concevait si bien le mode, que le contraire eût été un effet sans cause, une absurdité; les peines d péché étaient nécessairement éternelles, autrement Dieu eût cess d'être Dieu; il fallait donc, pour détruire le péché de l'homme. une expiation infinie; il fallait donc que le Verbe se fit homme. pour expier le péché de l'homme par un sacrifice infini. Oui,

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