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tableau un jeune homme ardent et plein d'esprit s'abandonne à ses passions; il épuise bientôt les voluptés, et s'étonne que les amours de la terre ne puissent remplir le vide de son cœur. Il tourne son âme inquiète vers le ciel : quelque chose lui dit que c'est là qu'habite cette souveraine beauté après laquelle il soupire: Dieu lui parle tout bas, et cet homme du siècle, que le siècle | n'avoit pu satisfaire, trouve enfin le repos et la plénitude de ses désirs dans le sein de la religion. Montaigne et Rousseau nous ont donné leurs Confessions. Le premier s'est moqué de la bonne foi de son lecteur; le second a révélé de honteuses turpitudes, en se proposant, même au jugement de Dieu, pour un modèle de vertu. C'est dans les Confessions de saint Augustin qu'on apprend à connoître l'homme tel qu'il est. Le saint ne se confesse point à la terre, il se confesse au ciel ; il ne cache rien à celui qui voit tout. C'est un chrétien à genoux dans le tribunal de la pénitence, qui déplore ses fautes, et qui les découvre afin que le médecin applique le remède sur la plaie, Il ne craint point de fatiguer par des détails celui dont il a dit ce mot sublime : Il est patient, parce qu'il est éternel. Et quel portrait ne nous fait-il point du Dieu auquel il confie ses erreurs!

« Vous êtes infiniment grand, dit-il, infiniment bon, infiuiment miséricordieux, infiniment juste; votre beauté est incomparable, votre force irrésistible, votre puissance sans bornes. Toujours en action, toujours en repos, vous soutenez, vous remplissez, vous conservez l'univers; vous aimez sans passion, vous êtes jaloux sans trouble; vous changez vos opérations et jamais vos desseins.... Mais que vous dis-je ici, Dieu! et que peut-on dire en parlant de vous?» Le même homme qui a tracé cette brillante image du vrai Dieu, va nous parler à présent avec la plus aimable naïveté des erreurs de sa jeu

nesse :

α

ô mon

« Je partis enfin pour Carthage. Je n'y fus pas plutôt arrivé que je me vis assiégé d'une foule de coupables amours, qui se présentoient à moi de toutes parts.... Un état tranquille me sembloit insupportable, et je ne cherchois que les chemins pleins de piéges et de précipices.

« Mais mon bonheur eût été d'être aimé aussi bien que d'aimer; car on veut trouver la vie dans ce qu'on aime.... Je tombai enfin dans les filets où

je désirois d'être pris : je fus aimé, et je possédai ce que j'aimois. Mais, ô mon Dieu! vous me fites

afors sentir votre bonté et votre miséricorde, en
m'accablant d'amertume; car, au lieu des dou-
ceurs que je m'étois promises, je ne connus que
jalousie, soupçons, craintes, colère, querelles et
emportements. »

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Le ton simple, triste et passionné de ce récit, ce retour vers la Divinité et le calme du ciel, au moment où le saint semble le plus agité par les illusions de la terre et par le souvenir des erreurs de sa vie : tout ce mélange de regrets et de repentir est plein de charmes. Nous ne connoissons point de mot de sentiment plus délicat que celui-ci : « Mon bonheur eût été d'être aimé aussi bien quê d'aimer, car on veut trouver la vie dans ce qu'on aime. » C'est encore saint Augustin qui a dit cette parole: « Une âme contemplative se fait à elle-même une solitude. La Cité de Dieu, les épîtres et quelques traités du même Père sont pleins de ces sortes de pensées.

Saint Jérôme brille par une imagination vigoureuse, que n'avoit pu éteindre chez lui une immense érudition. Le recueil de ses lettres est un des monuments les plus curieux de la littérature des Pères. Ainsi que saint Augustin, il trouva son écueil dans les voluptés du monde.

Il aime à peindre la nature et la solitude. Du
fond de sa grotte de Bethléem, il voyoit la chute
de l'empire romain vaste sujet de réflexions
pour un saint anachorète! Aussi, la mort et la
vanité de nos jours sont-elles sans cesse présen-
tes à saint Jérôme !

« Nous mourons et nous changeons à toute heure,
écrit-il à un de ses amis, et cependant nous vivons
comme si nous étions immortels. Le temps même
que j'emploie ici à dicter, il le faut retrancher de
mes jours. Nous nous écrivons souvent, mon cher
Héliodore; nos lettres passent les mers,
sure que le vaisseau fuit, notre vie s'écoule :
et à me-
chaque flot en emporte un moment1. »

De même que saint Ambroise est le Fénelon
des Pères, Tertullien en est le Bossuet. Une par-
tie de son plaidoyer en faveur de la religion pour-
roit encore servir aujourd'hui dans la même cause.
Chose étrange, que le christianisme soit main-
tenant obligé de se défendre devant ses enfants,
comme il se défendoit autrefois devant ses bour-
devenue l'Apologétique aux CHRétiens!
reaux, et que l'Apologétique aux GENTILS soit

Ce qu'on remarque de plus frappant dans cet
ouvrage, c'est le développement de l'esprit hu-

I HIERON, Epist.

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:

main on entre dans un nouvel ordre d'idées; on sent que ce n'est plus la première antiquité ou le bégayement de l'homme qui se fait entendre. Tertullien parle comme un moderne; ses motifs d'éloquence sont pris dans le cercle des vérités éternelles, et non dans les raisons de passion et de circonstance employées à la tribune romaine ou sur la place publique des Athéniens. Ces progrès du génie philosophique sont évidemment le fruit de notre religion. Sans le renversement des faux dieux et l'établissement du vrai culte, l'homme auroit vieilli dans une enfance interminable; car étant toujours dans l'erreur par rapport au premier principe, ses autres notions se fussent plus ou moins ressenties du

vice fondamental.

Les autres traités de Tertullien, en particulier ceux de la Patience, des Spectacles, des Martyrs, des Ornements des femmes, et de la Résurrection de la chair, sont semés d'une foule de beaux traits. « Je ne sais (dit l'orateur en reprochant le luxe aux femmes chrétiennes), je ne sais si des mains accoutumées aux bracelets pourront supporter le poids des chaînes; si des pieds, ornés de bandelettes, s'accoutumeront à la douleur des entraves. Je crains bien qu'une tête couverte de réseaux de perles et de diamants ne laisse aucune place à l'épée 1. »

encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue 1; tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprime ses malheureux restes! >>

Tertullien étoit fort savant, bien qu'il s'accuse d'ignorance, et l'on trouve dans ses écrits des détails sur la vie privée des Romains qu'on chercheroit vainement ailleurs. De fréquents barbarismes, une latinité africaine, déshonorent les ouvrages de ce grand orateur. Il tombe souvent dans la déclamation, et son goût n'est jamais sûr. « Le style de Tertullien est de fer, disoit Balzac, mais avouons qu'avec ce fer il a forgé

d'excellentes armes. »>

Selon Lactance, surnommé le Cicéron chrétien, saint Cyprien est le premier Père éloquent de l'Église latine. Mais saint Cyprien imite presque partout Tertullien, en affoiblissant également les défauts et les beautés de son modèle. C'est le jugement de la Harpe, dont il faut toujours citer l'autorité en critique.

Parmi les pères de l'Église grecque, deux seuls sont très-éloquents, saint Chrysostôme et saint Basile. Les homélies du premier sur la Mort et sur la Disgrace d'Eutrope sont des chefs-d'œuvre (29). La diction de saint Chrysostôme est pure, mais laborieuse; il fatigue son style à la Ces paroles, adressées à des femmes qu'on manière d'Isocrate : aussi Libanius lui destinoitconduisoit tous les jours à l'échafaud, étincel-il sa chaire de rhétorique avant que le jeune oralent de courage et de foi.

Nous regrettons de ne pouvoir citer tout entière l'épître aux Martyrs, devenue plus intéressante pour nous depuis la persécution de Robespierre: « Illustres confesseurs de Jésus-Christ, s'écrie Tertullien, un chrétien trouve dans la prison les mêmes délices que les prophètes trouvoient au désert....... Ne l'appelez plus un cachot, mais une solitude. Quand l'âme est dans le ciel, le corps ne sent point la pesanteur des chaînes; elle emporte avec soi tout l'homme! »

Ce dernier trait est sublime.

C'est du prêtre de Carthage que Bossuet a emprunté ce passage si terrible et si admiré : Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom; méme celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu'il nous montre

1 Locum spathæ non det. On peut traduire, ne plie sous l'épée. J'ai préféré l'autre sens comme plus littéral et plus énergique. Spatha, emprunté du grec, est l'étymologie de notre mot épée.

teur fût devenu chrétien.

Avec plus de simplicité, saint Basile a moins d'élévation que saint Chrysostôme. Il se tient presque toujours dans le ton mystique, et dans la paraphrase de l'Écriture 2.

Saint Grégoire de Nazianze 3, surnommé le Théologien, outre ses ouvrages en prose, nous a laissé quelques poëmes sur les mystères du christianisme.

« Il étoit toujours en sa solitude d'Arianze, dans son pays natal, dit Fleury: un jardin, une fontaine, des arbres qui lui donnoient du couvert, faisoient toutes ses délices. Il jeûnoit, il prioit avec abondance de larmes.... Ces saintes poésies furent les occupations de saint Grégoire dans sa dernière retraite. Il y fait l'histoire de sa

1 Orais. fun. de la duch. d'Orl.

2 On a de lui une lettre fameuse sur la solitude; c'est la première de ses épitres: elle a servi de fondement à sa règle. 3 Il avoit un fils du même nom et de la même sainteté que lui.

Nous n'emploierons donc pas toutes nos armes; nous n'abuserons pas de nos avantages, de peur de jeter, en pressant trop l'évidence, les ennemis du christianisme dans l'obstination, dernier refuge de l'esprit de sophisme poussé à bout.

vie et de ses souffrances.... Il prie, il enseigne, il | illustres preuves de la beauté du christianisme? explique les mystères, et donne des règles pour les mœurs.... Il vouloit donner à ceux qui aiment la poésie et la musique des sujets util e pour se divertir, et ne pas laisser aux païens l'avantage de croire qu'ils fussent les seuls qui pussent réussir dans les belles-lettres '. »

Enfin, celui qu'on appeloit le dernier des Pères avant que Bossuet eût paru, saint Bernard, joint à beaucoup d'esprit une grande doctrine. Il réussit surtout à peindre les mœurs; et il avoit reçu quelque chose du génie de Théophraste et de la Bruyère.

« L'orgueilleux, dit-il, a le verbe haut et le silence boudeur; il est dissolu dans la joie, furieux dans la tristesse, déshonnête au dedans, honnête au dehors; il est roide dans sa démarche, aigre dans ses réponses, toujours fort pour attaquer, toujours foible pour se défendre; il cède de mauvaise grâce, il importune pour obtenir ; il ne fait pas ce qu'il peut et ce qu'il doit faire, mais il est | prêt à faire ce qu'il ne doit pas et ce qu'il ne peut pas 2. »

Ainsi nous ne ferons paroître à l'appui de nos raisonnements, ni Fénelon, si plein d'onction dans les méditations chrétiennes ; ni Bourdaloue, force et victoire de la doctrine évangélique : nous n'appellerons à notre secours ni les savantes compositions de Fléchier, ni la brillante imagination du dernier des orateurs chrétiens, l'abbé Poulle. O religion, quels ont été tes triomphes! qui pouvoit douter de ta beauté lorsque Fénelon et Bossuet occupoient tes chaires, lorsque Bourdaloue instruisoit d'une voix grave un monarque alors heureux, à qui, dans ses revers, le ciel miséricordieux réservoit le doux Massillon !

Non toutefois que l'évêque de Clermont n'ait en partage que la tendresse du génie; il sait aussi faire entendre des sons mâles et vigoureux. Il nous semble qu'on a vanté trop exclusivement son N'oublions pas cette espèce de phénomène du | Petit Carême : l'auteur y montre sans doute une treizième siècle, le livre de l'Imitation de Jésus-grande connoissance du cœur humain, des vues Christ. Comment un moine, renfermé dans son cloître, a-t-il trouvé cette mesure d'expression, a-t-il acquis cette fine connoissance de l'homme au milieu d'un siècle où les passions étoient grossières, et le goût plus grossier encore? Qui lui avoit révélé, dans sa solitude, ces mystères du cœur et de l'éloquence? Un seul maître : JésusChrist.

CHAPITRE III.

MASSILLON.

Si nous franchissons maintenant plusieurs siècles, nous arriverons à des orateurs dont les seuls noms embarrassent beaucoup certaines gens; car ils sentent que des sophismes ne suffisent pas pour détruire l'autorité qu'emportent avec eux Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Fléchier, Mascaron, l'abbé Poulle.

Il nous est dur de courir rapidement sur tant de richesses, et de ne pouvoir nour arrêter à chacun de ces orateurs. Mais comment choisir au milieu de ces trésors? Comment citer au lecteur des choses qui lui soient inconnues? Ne grossirionsnous pas trop ces pages en les chargeant de ces

1 FLEURY, Hist. eccl. tom. IV, liv. XIX, pag. 557, chap. ix. * De Mor., lib. xxxiv, cap. XVI.

fines sur les vices des cours, des moralités écrites avec une élégance qui ne bannit pas la simplicité; mais il y a certainement une éloquence plus pleine, un style plus hardi, des mouvements plus pathétiques et des pensées plus profondes dans quelques-uns de ses autres sermons, tels que ceux sur la Mort, sur l'Impénitence finale, sur le Petit nombre des élus, sur la Mort du pécheur, sur la Nécessité d'un avenir, sur la Passion de Jésus-Christ. Lisez, par exemple, cette peinture du pécheur mourant :

yeux se fixent, ses traits changent, son visage se Enfin, au milieu de ces tristes efforts, ses défigure, sa bouche livide s'entr'ouvre d'ellemême, tout son esprit frémit; et, par ce dernier effort, son âme s'arrache avec regret de ce corps de boue, et se trouve seule au pied du tribunal de la pénitence 1. »

joignez celui des choses du monde dans le néant. A ce tableau de l'homme impie dans la mort,

"

dans vos premières années, et tel que vous le Regardez le monde tel que vous l'avez vu à celle que vos premiers ans ont vue ; de nouveaux voyez aujourd'hui; une nouvelle cour a succédé personnages sont montés sur la scène, les grands

MASS., Avent, Mort du Pécheur, prem. part.

rôles sont remplis par de nouveaux acteurs : ce | dans un affreux chaos, et tout est confondu sur sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros, dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques. Rien ne demeure, tout change, tout s'use, tout s'éteint: Dieu seul demeure toujours le même. Le torrent des siècles, qui entraîne tous les siècles, coule devant ses yeux, et il voit avec indignation de foibles mortels emportés par ce cours rapide l'insulter en passant. »

L'exemple de la vanité des choses humaines, tiré du siècle de Louis XIV, qui venoit de finir (et cité peut-être devant des vieillards qui en avoient vu la gloire), est bien pathétique! le mot qui termine la période semble être échappé à Bossuet, tant il est franc et sublime.

Nous donnerons encore un exemple de ce genre ferme d'éloquence qu'on paroît refuser à Massillon, en ne parlant que de son abondance et de sa douceur. Pour cette fois, nous prendrons un passage où l'orateur abandonne son style favori, c'est-à-dire le sentiment et les images, pour n'ètre qu'un simple argumentateur. Dans le sermon sur la Vérité d'un avenir, il presse ainsi l'incré

dule:

"

Que dirai-je encore? Si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles; l'honneur qu'on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu'il est ridicule d'honorer ce qui n'est plus; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu'il faut jeter au vent, et qui n'appartient à perşonne; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d'une machine qui se dissout; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée; nous, les lois sont donc une servitude insensée; les rois et les souverains, des fantômes que la foiblesse des peuples a élevés ; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes; la loi des mariages, un vain scrupule; la pudeur, un préjugé; l'honneur et la probité, des chimères; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés?

« Voilà où se réduit la philosophie sublime des impies; voilà cette force, cette raison, cette sagesse qu'ils nous vantent éternellement. Convenez de leurs maximes, et l'univers entier retombe

la terre, et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées, et les lois les plus inviolables de la société s'évanouissent, et la discipline des mœurs périt, et le gouvernement des Etats et des empires n'a plus de règle, et toute l'harmonie des corps politiques s'écroule, et le genre humain n'est plus qu'un assemblage d'insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n'ont plus d'autres lois que la force, plus d'autre frein que leurs passions et la crainte de l'autorité, plus d'autre lien que l'irréligion et l'indépendance, plus d'autres dieux qu'eux-mêmes : voilà le monde des impies; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux tout ce qui nous reste à vous dire, c'est que vous êtes digne d'y occuper une place.

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Que l'on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthènes, et l'on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées : dans les orateurs chrétiens, un ordre d'idées plus général, une connoissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l'antiquité.

Massillon a fait quelques oraisons funèbres; elles sont inférieures à ses autres discours. Son Éloge de Louis XIV n'est remarquable que par la première phrase: « Dieu seul est grand, mes frères! » C'est un beau mot que celui-là, prononcé en regardant le cercueil de Louis le Grand (30), CHAPITRE IV.

BOSSUET ORATEUR.

Mais que dirons-nous de Bossuet comme orateur?à qui le comparerons-nous? et quels discours de Cicéron et de Démosthènes ne s'éclipsent point devant ses Oraisons funèbres? C'est pour l'orateur chrétien que ces paroles d'un roi semblent avoir été écrites: L'or et les perles sont assez communs, mais les lèvres savantes sont un vase rare et sans prix '. Sans cesse occupé du tombeau, et comme penché sur les gouffres d'une autre vie, Bossuet aime à laisser tomber de sa bouche ces grands mots de temps et de mort, qui retentissent dans les abîmes silencieux de l'éter

nité. Il se plonge, il se noie dans des tristesses incroyables, dans d'inconcevables douleurs. Les

1 Prov., cap. xx, v. 15.

cœurs après plus d'un siècle, retentissent encore du fameux cri Madame se meurt, Madame est morte. Jamais les rois ont-ils reçu de pareilles leçons? jamais la philosophie s'exprima-t-elle avec autant d'indépendance? Le diadème n'est rien aux yeux de l'orateur; par lui le pauvre est égalé au monarque, et le potentat le plus absolu du globe est obligé de s'entendre dire devant des milliers de témoins, que ses grandeurs ne sont que vanité, que sa puissance n'est que songe, et qu'il n'est lui-même que poussière.

Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet : le trait de génie ou d'éloquence; la citation, si bien fondue avec le texte, qu'elle ne fait plus qu'un avec lui; enfin, la réflexion ou le coup d'œil d'aigle sur les causes de l'événement rapporté. Souvent aussi cette lumière de l'Église porte la clarté dans la discussion de la plus haute métaphysique ou de la théologie la plus sublime; rien ne lui est ténèbres. L'évêque de Meaux a créé une langue que lui seul a parlée, où souvent le terme le plus simple et l'idée la plus relevée, l'expression la plus commune et l'image la plus terrible servent, comme dans l'Écriture, à se donner des dimensions énormes et frappantes.

Ainsi, lorsqu'il s'écrie, en montrant le cercueil de Madame: La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie! la voilà telle que la mort nous l'a faite ! Pourquoi frissonne-t-on à ce mot si simple, telle que la mort | nous l'a faite ? C'est par l'opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident inévitable de la mort, qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes; c'est parce que ce verbe faire, appliqué à la mort qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l'âme; comme si, pour peindre cet événement malheureux, les termes avoient changé d'acception, et que le langage fùt bouleversé comme le

cœur.

Nous avons remarqué qu'à l'exception de Pascal, de Bossuet, de Massillon, de la Fontaine, les écrivains du siècle de Louis XIV, faute d'avoir assez vécu dans la retraite, ont ignoré cette espèce de sentiment mélancolique dont on fait aujourd'hui un si étrange abus.

Mais comment donc l'évêque de Meaux, sans cesse au milieu des pompes de Versailles, a-t-il connu cette profondeur de rêverie? C'est qu'il a

trouvé dans la religion une solitude; c'est que son corps étoit dans le monde et son esprit au désert; c'est qu'il avoit mis son cœur à l'abri dans les tabernacles secrets du Seigneur; c'est, comme il l'a dit lui-même de Marie-Thérèse d'Autriche, qu'on le voyoit courir aux autels pour y goûter avec David un humble repos, et s'enfoncer dans son oratoire, où, malgré le tumulte de la cour, il trouvoit le Carmel d'Elie, le désert de Jean, et la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus. »

Les Oraisons funèbres de Bossuet ne sont pas d'un égal mérite, mais toutes sont sublimes par quelque côté. Celle de la reine d'Angleterre est un chef-d'œuvre de style et un modèle d'écrit philosophique et politique.

Celle de la duchesse d'Orléans est la plus étonnante, parce qu'elle est entièrement créée de génie. Il n'y avoit là ni ces tableaux de troubles des nations, ni ces développements des affaires publiques qui soutiennent la voix de l'orateur. L'intérêt que peut inspirer une princesse expirant à la fleur de son âge semble se devoir épuiser vite. Tout consiste en quelques oppositions vulgaires de la beauté, de la jeunesse, de la grandeur et de la mort; et c'est pourtant sur ce fonds stérile que Bossuet a bâti un des plus beaux monuments de l'éloquence; c'est de là qu'il est parti pour montrer la misère de l'homme par son côté périssable, et sa grandeur par son côté immortel. Il commence par le ravaler au-dessous des vers qui le rongent au sépulcre, pour le peindre ensuite glorieux avec la vertu dans des royaumes incorruptibles.

On sait avec quel génie, dans l'oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l'art oratoire, jusqu'à l'interprétation d'un songe, en même temps qu'il a déployé dans ce discours sa haute capacité pour les abstractions philosophiques.

Si, pour Marie-Thérèse et pour le chancelier de France, ce ne sont plus les mouvements des premiers éloges, les idées du panégyriste sontelles prises dans un cercle moins large, dans une nature moins profonde? - « Et maintenant, dit-il, ces deux âmes pieuses (Michel le Tellier et Lamoignon), touchées sur la terre du désir de faire régner les lois, contemplent ensemble à découvert les lois éternelles d'où les nôtres sont dérivées ; et si quelque légère trace de nos foibles distinctions paroît encore dans une si simple et

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