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un morceau précieux que nous devons à l'amitié. L'auteur y a fait de si grands changements, que c'est, pour ainsi dire, un nouvel ouvrage. Ces beaux vers prouveront aux poëtes que leurs muses gagneroient plus à rêver dans les cloîtres qu'à se faire l'écho de l'impiété.

LA CHARTREUSE DE PARIS.

Vieux cloitre où de Bruno les disciples cachés
Renferment tous leurs vœux sur le ciel attachés ;
Cloitre saint, ouvre-moi tes modestes portiques!
Laisse-moi m'égarer dans ces jardins rustiques
Ou venoit Catinat méditer quelquefois,
Heureux de fuir la cour et d'oublier les rois.

J'ai trop connu Paris : mes légères pensées,
Dans son enceinte immense au hasard dispersées,
Veulent enfin rejoindre et lier tous les jours
Leur til demi-formé, qui se brise toujours.
Seul, je viens recueillir mes vagues rêveries.
Fuyez, bruyants remparts, pompeuses Tuileries,
Louvre, dont le portique à mes yeux éblouis
Vante après cent hivers la grandeur de Louis!
Je préfère ces lieux où l'âme, moins distraite,
Mème au sein de Paris peut goûter la retraite :
La retraite me plait, elle eut mes premiers vers.
Déjà, de feux moins vifs éclairant l'univers,
Septembre loin de nous s'enfuit et décolore
Cet éclat dont l'année un moment brille encore.
Il redouble la paix qui m'attache en ces lieux;
Son jour mélancolique, et si doux à nos yeux,
Son vert plus rembruni, son grave caractère,
Semblent se conformer au deuil du monastère.
Sous ces bois jaunissants j'aime à m'ensevelir.
Couché sur un gazon qui commence à pålir,
Je jouis d'un air pur, de l'ombre et du silence.

Ces chars tumultueux où s'assied l'opulence,
Tous ces travaux, ce peuple à grands flots agité,
Ces sons confus qu'élève une vaste cité,
Des enfants de Bruno ne troublent point l'asile;
Le bruit les environne, et leur áme est tranquille.
Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants,
Le fantôme du siècle emporté par le temps
Passe, et roule autour d'eux ses pompes mensongères.
Mais c'est en vain : du siècle ils ont fui les chimères ;
Hormis l'éternité tout est songe pour eux.
Vous déplorez pourtant leur destin malheureux!
Quel préjugé funeste à des lois si rigides
Attacha, dites-vous, ces pieux suicides?

Ils meurent longuement, rongés d'un noir chagrin :
L'autel garde leurs vœux sur des tables d'airain;
Et le seul désespoir habite leurs cellules.

Hé bien! vous qui plaignez ces victimes crédules,
Pénétrez avec moi ces murs religieux :
N'y respirez-vous pas l'air paisible des cieux?
Vos chagrins ne sont plus, vos passions se taisent,
Et du cloître muet les ténèbres vous plaisent.

Mais quel lugubre son, du haut de cette tour,
Descend et fait frémir les dortoirs d'alentour?
C'est l'airain qui, du temps formidable interprète,
Dans chaque heure qui fuit, à l'humble anachorète
Redit en longs échos: Songe au dernier moment!
Le son sous cette voûte expire lentement;
Et quand il a cessé, l'áme en frémit encore.
La Méditation qui, seule dès l'aurore,

Dans ces sombres parvis marche en baissant son œil,
A ce signal s'arrête, et lit, sur un cercueil,
L'épitaphe à demi par les ans effacée,
Qu'un gothique écrivain dans la pierre a tracée.
O tableaux éloquents! oh! combien à mon cœur
Plait ce dome noirci d'une divine horreur,
Et le lierre embrassant ces débris de murailles
Ou croasse l'oiseau chantre des funérailles;

Les approches du soir, et ces ifs attristés
Où glissent du soleil les dernières clartés;
Et ce buste pieux que la mousse environne,
Et la cloche d'airain à l'accent monotone;
Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts
Sortir d'un long silence et monter dans les airs;
Un martyr dont l'autel a conservé les restes,
Et le gazon qui croit sur ces tombeaux modestes
Où l'heureux cénobite a passé sans remord
Du silence du cloître à celui de la mort!

Cependant sur ces murs l'obscurité s'abaisse,
Leur deuil est redoublé, leur ombre est plus épaisse;
Les hauteurs de Meudon me cachent le soleil,

Le jour meurt, la nuit vient : le couchant, moins vermeil
Voit pålir de ses feux la dernière étincelle.
Tout à coup se rallume une aurore nouvelle
Qui monte avec lenteur sur les dômes noircis
De ce palais voisin qu'éleva Médicis ';
Elle en blanchit le faite, et ma vue enchantée
Reçoit par ces vitraux la lueur argentée.
L'astre touchant des nuits verse du haut des cieux
Sur les tombes du cloître un jour mystérieux,

Et semble y réfléchir cette douce lumière

Qui des morts bienheureux doit charmer la paupière.
Ici, je ne vois plus les horreurs du trépas:
Son aspect attendrit et n'épouvante pas.
Me trompé-je? Ecoutons : sous ces voûtes antiques
Parviennent jusqu'à moi d'invisibles cantiques,
Et la Religion, le front voilé, descend :
Elle approche déjà son calme attendrissant,
Jusqu'au fond de votre âme en secret s'insinue;
Entendez-vous un Dieu dont la voix inconnue
Vous dit tout bas : Mon fils, viens ici, viens à moi;
Marche au fond du désert, j'y serai près de toi?

Maintenant, du milieu de cette paix profonde,
Tournez les yeux : voyez, dans les routes du monde,
S'agiter les humains que travaille sans fruit
Cet espoir obstiné du bonheur qui les fuit.
Rappelez-vous les mœurs de ces siècles sauvages
Où, sur l'Europe entière apportant les ravages,
Des Vandales obscurs, de farouches Lombards,
Des Goths se disputoient le sceptre des Césars.
La force étoit sans frein, le foible sans asile :
Parlez, blamerez-vous les Benoit, les Basile,
Qui, loin du siècle impie, en ces temps abhorrés,
Ouvrirent au malheur des refuges sacrés?
Déserts de l'Orient, sables, sommets arides,
Catacombes, forêts, sauvages Thébaïdes,
Oh! que d'infortunés votre noire épaisseur
A dérobés jadis au fer de l'oppresseur!
C'est là qu'ils se cachoient; et les chrétiens fidèles,
Que la religion protégeoit de ses ailes,
Vivant avec Dieu seul dans leurs pieux tombeaux,
Pouvoient au moins prier sans craindre les bourreaux.
Le tyran n'osoit plus y chercher ses victimes.
Et que dis-je? accablé de l'horreur de ses crimes,
Souvent dans ces lieux saints l'oppresseur désarmé
Venoit demander grâce aux pieds de l'opprimé.
D'héroïques vertus habitoient l'ermitage.
Je vois dans les débris de Thèbes, de Carthage,
Au creux des souterrains, au fond des vieilles tours,
D'illustres pénitents fuir le monde et les cours.
La voix des passions se tait sous leurs cilices;
Mais leurs austérités ne sont point sans délices :
Celui qu'ils ont cherché ne les oublira pas;
Dieu commande au désert de fleurir sous leurs pas.
Palmier, qui rafraichis la plaine de Syrie,
Ils venoient reposer sous ton ombre chérie!
Prophétique Jourdain, ils erroient sur tes bords!
Et vous, qu'un roi charmoit de ses divins accords,
Cèdres du haut Liban, sur votre cime altière,
Vous portiez jusqu'au ciel leur ardente prière!
Cet antre protégeoit leur paisible sommeil;
Souvent le cri de l'aigle avança leur réveil;
Ils chantoient l'Éternel sur le roc solitaire,
Au bruit sourd du torrent dont l'eau les désaltère,

'Le Luxembourg,

Quand tout à coup un ange, en dévoilant ses traits,
Leur porte, au nom du ciel, un message de paix.
Et cependant leurs jours n'étoient point sans orages.
Cet éloquent Jérôme, honneur des premiers âges,
Voyoit, sous le cilice et de cendres couvert,
Les voluptés de Rome assiéger son désert.
Leurs combats exerçoient son austère sagesse.
Peut-être, comme lui, déplorant sa foiblesse,
Un mortel trop sensible habita ce séjour.
Hélas! plus d'une fois les soupirs de l'amour
S'élevoient dans la nuit du fond des monastères;
En vain le repoussant de ses regards austères,
La pénitence veille à côté d'un cercueil :
Il entre déguisé sous les voiles du deuil;
Au Dieu consolateur en pleurant il se donne;

A Comminge, à Rancé, Dieu sans doute pardonne :
A Comminge, à Rancé, qui ne doit quelques pleurs?
Qui n'en sait les amours? qui n'en plaint les malheurs?
Et toi, dont le nom seul trouble l'âme amoureuse,
Des bois du Paraclet vestale malheureuse,
Toi qui, sans prononcer de vulgaires serments,
Fis connoitre à l'amour de nouveaux sentiments;
Toi que l'homme sensible, abusé par lui-même,
Se plait à retrouver dans la femme qu'il aime;
Héloïse! à ton nom quel cœur ne s'attendrit?
Tel qu'un autre Abeilard tout amant te chérit.
Que de fois j'ai cherché, loin d'un monde volage,
L'asile où dans Paris s'écoula tout jeune âge!
Ces vénérables tours qu'allonge vers les cieux,
La cathédrale antique où prioient nos aïeux,
Ces tours ont conservé ton amoureuse histoire.
Là tout m'en parle encor : là revit ta mémoire;
Là du toit de Fulbert j'ai revu les débris.
On dit même, en ces lieux, par ton ombre chéris,
Qu'un long gémissement s'élève chaque année
A l'heure où se forma ton funeste hyménée.
La jeune fille alors lit, au déclin da jour,
Cette lettre éloquente où brûle ton amour :

Son trouble est aperçu de l'amant qu'elle adore,
Et des feux que tu peins son feu s'accroit encore.
Mais que fais-je, imprudent? quoi ! dans ce lieu sacré
J'ose parler d'amour, et je marche entouré
Des leçons du tombeau, des menaces suprêmes !
Ces murs, ces longs dortoirs, se couvrent d'anathèmes,
De sentences de mort qu'aux yeux épouvantés
L'ange exterminateur écrit de tous côtés;

Je lis à chaque pas: Dieu, l'enfer, la vengeance.
Partout est la rigueur, nulle part la clémence.
Cloitre sombre, où l'amour est proscrit par le ciel;
Où l'instinct le plus cher est le plus criminel,
Déjà, déjà ton deuil plait moins à ma pensée.
L'imagination, vers tes murs élancée,
Chercha le saint repos, leur long recueillement;
Mais mon âme a besoin d'un plus doux sentiment.
Ces devoirs rigoureux font trembler ma foiblesse.
Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse,
Pour moi des passions détruira les erreurs,

Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs;
Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète,
Dans ces moments plus doux et si chers au poëte,
Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins,
Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins,
Alors je reviendrai, solitude tranquille,
Oublier dans ton sein les ennuis de la ville,
Et retrouver encor, sous ces lambris déserts,
Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.

CHAPITRE III.

LES RUINES EN GÉNÉRAL.

QU'IL Y EN A DE DEUX ESPÈCES.

De l'examen des sites des monuments chrétiens, nous passons aux effets des ruines de ces

Héloïse vivoit dans le cloitre Notre-Dame; on y voit encore la maison de son oncle le chanoine Fulbert.

monuments. Elles fournissent au cœur de majestueux souvenirs, et aux arts des compositions touchantes. Consacrons quelques pages à cette poétique des morts.

Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. Il s'y joint, en outre, une idée qui console notre petitesse, en voyant que des peuples entiers, des hommes quelquefois si fameux, n'ont pu vivre cependant au delà du peu de jours assignés à notre obscurité. Ainsi, les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature; quand elles sont placées dans un tableau, en vain on cherche à porter les yeux autre part : ils reviennent toujours s'attacher sur elles. Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeroientils pas, quand le soleil qui les éclaire doit luimême tomber de sa voûte? Celui qui le plaça dans les cieux est le seul souverain dont l'empire ne connoisse point de ruines.

Il y a deux sortes de ruines : l'une, ouvrage du temps; l'autre, ouvrage des hommes. Les premières n'ont rien de désagréable, parce que la nature travaille auprès des ans. Font-ils des décombres, elle y sème des fleurs; entr'ouvrentils un tombeau, elle y place le nid d'une colombe: sans cesse occupée à reproduire, elle environne la mort des plus douces illusions de la vie.

Les secondes ruines sont plutôt des dévastations que des ruines; elles n'offrent que l'image du néant, sans une puissance réparatrice. Ouvrage du malheur, et non des années, elles ressemblent aux cheveux blancs sur la tête de la jeunesse. Les destructions des hommes sont d'ailleurs plus violentes et plus complètes que celles des âges; les seconds minent, les premiers renversent. Quand Dieu, pour des raisons qui nous sont inconnues, veut hâter les ruines du monde, il ordonne au Temps de prêter sa faux à l'homme; et le Temps nous voit avec épouvante ravager dans un clin d'œil ce qu'il eût mis des siècles à détruire. Nous nous promenions un jour derrière le palais du Luxembourg, et nous nous trouvâmes près de cette même Chartreuse que M. de Fontanes a chantée. Nous vîmes une église dont les toits étoient enfoncés, les plombs des fenêtres arrachés, et les portes fermées avec des planches mises debout. La plupart des autres bâtiments du monastère n'existoient plus. Nous nous prome

names longtemps au milieu des pierres sépulcrales de marbre noir semées çà et là sur la terre; les unes étoient totalement brisées, les autres offroient encore quelques restes d'épitaphes. Nous entrâmes dans le cloître intérieur; deux pruniers sauvages y croissoient parmi de hautes herbes et des décombres. Sur les murailles on voyoit des peintures à demi effacées, représentant la vie de peintures à demi effacées, représentant la vie de saint Bruno; un cadran étoit resté sur un des pignons de l'église ; et dans le sanctuaire, au lieu de cette hymne de paix qui s'élevoit jadis en l'honneur des morts, on entendoit crier l'instrument du manœuvre qui scioit des tombeaux.

CHAPITRE IV.

EFFET PITTORESQUE DES RUINES.

RUINES DE PALMYRE, D'ÉGYPTE, ETC.
Les ruines, considérées sous le rapport du
paysage, sont plus pittoresques dans un tableau

que le monument frais et entier. Dans les tem-
ples que les siècles n'ont point percés, les murs
masquent une partie du site et des objets exté-
rieurs, et empêchent qu'on ne distingue les co-
lonnades et les eintres de l'édifice; mais quand
ces temples viennent à crouler, il ne reste que des
débris isolés, entre lesquels l'œil découvre au
haut et au loin les astres, les nues, les monta-
gnes, les fleuves et les forêts. Alors, par un jeu
de l'optique, l'horizon recule et les galeries sus-
pendues en l'air se découpent sur les fonds du ciel
et de la terre. Ces effets n'ont point été inconnus
des anciens ; ils élevoient des cirques sans masses
pleines, pour laisser un libre accès aux illusions
de la perspective.

Les ruines ont ensuite des harmonies particu-
lières avec leurs déserts, selon le style de leur
architecture, les lieux où elles sont placées, et
les règnes de la nature au méridien qu'elles oc-
cupent.

Les réflexions que nous fimes dans ce lieu, tout le monde les peut faire. Nous en sortîmes le cœur flétri, et nous nous enfonçâmes dans le faubourg voisin, sans savoir où nous allions. La nuit approchoit comme nous passions entre deux murs, dans une rue déserte, tout à coup le son d'un orgue vint frapper notre oreille, et les paroles du cantique Laudate Dominum, omnes gentes, sortirent du fond d'une église voisine; c'étoit alors l'octave du Saint-Sacrement. Nous ne saurions peindre l'émotion que nous causèrent ces chants religieux; nous crûmes ouïr une voix du ciel qui disoit : « Chrétien sans foi, pourquoi perds-tu l'espérance? Crois-tu donc que je change Dans les pays chauds, peu favorables aux hermes desseins comme les hommes; que j'aban-bes et aux mousses, elles sont privées de ces gradonne, parce que je punis? Loin d'accuser mes minées qui décorent nos châteaux gothiques et décrets, imite ces serviteurs fidèles qui bénissent nos vieilles tours; mais aussi de plus grands véles coups de ma main, jusque sous les débris où gétaux se marient aux plus grandes formes de je les écrase. >> leur architecture. A Palmyre, le dattier fend les tétes d'hommes et de lions qui soutiennent les chapiteaux du temple du Soleil; le palmier remplace par sa colonne la colonne tombée; et le pêcher, que les anciens consacroient à Harpocrate, s'élève dans la demeure du silence. On y voit encore une espèce d'arbre dont le feuillage échevelé et les fruits en cristaux forment, avec les débris pendants, de beaux accords de tristesse. Quelquefois une caravane arrêtée dans ces déserts y multiplie les effets pittoresques : le costume oriental allie bien sa noblesse à la noblesse de ces ruines; et les chameaux semblent en accroître les dimensions, lorsque, couchés entre des fragments de maçonnerie, ils ne laissent voir que leurs têtes fauves et leurs dos bossus.

Nous entrâmes dans l'église au moment où le prêtre donnoit la bénédiction. De pauvres femmes, des vieillards, des enfants étoient prosternés. Nous nous précipitâmes sur la terre, au milieu d'eux; nos larmes couloient; nous dîmes, dans le secret de notre cœur : Pardonne, ô Seigneur, si nous avons murmuré en voyant la désolation de ton temple; pardonne à notre raison ébranlée! L'homme n'est lui-même qu'un édifice tombé, qu'un débris du péché et de la mort; son amour tiède, sa foi chancelante, sa charité bornée, ses sentiments incomplets, ses pensées insuffisantes, son cœur brisé, tout chez lui n'est que ruines (36).

Les ruines changent de caractère en Égypte; souvent elles offrent dans un petit espace diverses sortes d'architecture et de souvenirs. Les colonnes du vieux style égyptien s'élèvent auprès

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de la colonne corinthienne; un morceau d'ordre | des voussures, les pilastres des cloîtres, et quel-
toscan s'unit à une tour arabe, un monument du ques pans de la tour des cloches, sont en général
peuple pasteur à un monument des Romains. Des les parties qui ont le plus résisté aux efforts du
Sphinx, des Anubis, des statues brisées, des obé- temps.
lisques rompus, sont roulés dans le Nil, enter-
rés daus le sol, cachés dans des rizières, des
champs de fèves et des plaines de trèfle. Quel-
quefois, dans les débordements du fleuve, ces
ruines ressemblent sur les eaux à une grande
flotte; quelquefois des nuages, jetés en ondes sur
les flancs des pyramides, les partagent en deux
moitiés. Le chakal, monté sur un piedestal vide,
allonge son museau de loup derrière le buste d'un
Pan à tête de belier; la gazelle, l'autruche, l'i-
bis, la gerboise, sautent parmi les décombres,
tandis que la poule sultane se tient immobile sur
quelque débris, comme un oiseau hiéroglyphique
de granit et de porphyre.

La vallée de Tempé, les bois de l'Olympe, les côtes de l'Attique et du Péloponèse étalent les ruines de la Grèce. Là commencent à paroître les mousses, les plantes grimpantes et les fleurs saxatiles. Une guirlande vagabonde de jasmin embrasse une Vénus, comme pour lui rendre sa ceinture; une barbe de mousse blanche descend du menton d'une Hébé; le pavot croît sur les feuillets du livre de Mnemosyne : symbole de la renommée passée et de l'oubli présent de ces lieux. Les flots de l'Égée, qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d'un autel, le cygne qui fait son nid dans le sein de quelque Léda, mille accidents, produits comme par les Grâces, enchantent ces poétiques débris: on diroit qu'un souffle divin anime encore la poussière des temples d'Apollon et des Muses; et le paysage entier, baigné par la mer, ressemble à un tableau d'Apelles, consacré à Neptune et suspendu à ses rivages (37).

CHAPITRE V.

RUINES DES MONUMENTS CHRÉTIENS. Les ruines des monuments chrétiens n'ont pas la même élégance que les ruines des monuments de Rome et de la Grèce; mais, sous d'autres rapports, elles peuvent supporter le parallèle. Les plus belles que l'on connoisse dans ce genre sont celles que l'on voit en Angleterre, au bord du lac de Cumberland, dans les montagnes d'Écosse, et jusque dans les Orcades. Les bas côtés du chœur, les arcs des fenêtres, les ouvrages ciselés

Dans les ordres grecs, les voûtes et les cintres suivent parallèlement les arcs du ciel; de sorte que, sur la tenture grise des nuages ou sur un paysage obscur, ils se perdent dans les fonds; dans l'ordre gothique, au contraire, les pointes contrastent avec les arrondissements des cieux et les courbures de l'horizon. Le gothique, étant tout composé de vides, se décore ensuite plus aisément d'herbes et de fleurs que les pleins des ordres grecs. Les filets redoublés des pilastres, les dômes découpés en feuillage ou creusés en forme de cueilloir, deviennent autant de corbeilles où les vents portent, avec la poussière, les semences des végétaux. La joubarbe se cramponne dans le ciment, les mousses emballent d'inégaux décombres dans leur bourre élastique, la ronce fait sortir ses cercles bruns de l'embrasure d'une fenêtre, et le lierre, se traînant le long des cloîtres septentrionaux, retombe en festons dans les arcades.

Il n'est aucune ruine d'un effet plus pittoresque que ces débris: sous un ciel nébuleux, au milieu des vents et des tempêtes, au bord de cette mer dont Ossian a chanté les orages, leur architecture gothique a quelque chose de grand et de sombre comme le Dieu de Sinaï, dont elle perpétue le souvenir. Assis sur un autel brisé, dans les Orcades, le voyageur s'étonne de la tristesse de ces lieux; un océan sauvage, des syrtes embrumées, des vallées où s'élève la pierre d'un tombeau, des torrents qui coulent à travers la bruyère, quelques pins rougeâtres jetés sur la nudité d'un morne flanqué de couches de neige, c'est tout ce qui s'offre aux regards. Le vent circule dans les ruines, et leurs innombrables jours deviennent autant de tuyaux d'où s'échappent des plaintes; l'orgue avoit jadis moins de soupirs sous ces voûtes religieuses. De longues herbes tremblent aux ouvertures des dômes. Derrière ces ouvertures on voit fuir la nue et planer l'oiseau des terres boréales. Quelquefois égaré dans sa route, un vaisseau caché sous ses voiles arrondies, comme un esprit des eaux voilé de ses ailes, sillonne les vagues désertes; sous le souffle de l'aquilon, il semble se prosterner à chaque pas, et saluer les mers qui baignent les débris du temple de Dieu.

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