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tique le plus fameux, excepté Athènes, qui fut charmante, mais horriblement injuste. Il y a une paix intérieure dans les nations modernes, un exercice continuel des plus tranquilles vertus, qu'on ne vit point régner au bord de l'Ilissus et du Tibre. Si la république de Brutus ou la monarchie d'Auguste sortoit tout à coup de la poudre, nous aurions horreur de la vie romaine. Il ne faut que se représenter les jeux de la déesse Flore, et cette boucherie continuelle de gladiateurs, pour sentir l'énorme différence que l'Évangile a mise entre nous et les païens; le dernier des chrétiens, honnête homme, est plus moral que le premier des philosophes de l'antiquité.

« Enfin, dit Montesquieu, nous devons au christianisme, et dans le gouvernement un certain droit politique, et dans la guerre un certain droit des gens que la nature humaine ne sauroit assez reconnoître.

« C'est ce droit qui fait que parmi nous la victoire laisse aux peuples vaincus ces grandes cho

la vie, la liberté, les lois, les biens, et toujours la religion, quand on ne s'aveugle pas soi-même '. >>

Ajoutons, pour couronner tant de bienfaits, un bienfait qui devroit être écrit en lettres d'or dans les annales de la philosophie :

L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE.

CHAPITRE XII.

RECAPITULATION GÉNÉRALE.

Ce n'est pas sans éprouver une sorte de crainte que nous touchons à la fin de notre ouvrage. Les graves idées qui nous l'ont fait entreprendre, la dangereuse ambition que nous avons eue de déterminer, autant qu'il dépendoit de nous, la question sur le christianisme, toutes ces considérations nous alarment. Il est difficile de découvrir jusqu'à quel point Dieu approuve que les hommes prennent dans leurs débiles mains la cause de son éternité, se fassent les avocats du Créateur au tribunal de la créature, et cherchent à justifier par des raisons humaines ces conseils qui ont donné naissance à l'univers. Ce n'est donc qu'avec une défiance extrême, trop motivée par l'insuffisance de nos talents, que nous offrons ici la récapitula

tion générale de cet ouvrage.

Toute religion a des mystères; toute la nature

est un secret.

'Esprit des Lois, liv. xxiv, chap. III.

Les mystères chrétiens sont les plus beaux possibles: ils sont l'archétype du système de l'homme et du monde.

Les sacrements sont une législation morale, et des tableaux pleins de poésie.

La foi est une force, la charité un amour, l'espérance toute une félicité, ou, comme parle la religion, toute une vertu.

Les lois de Dieu sont le code le plus parfait de la justice naturelle.

La chute de notre premier père est une tradition universelle.

On peut en trouver une preuve nouvelle dans la constitution de l'homme moral, qui contredit la constitution générale des êtres.

La défense de toucher au fruit de science est un commandement sublime, et le seul qui fût digne de Dieu.

Toutes les prétendues preuves de l'antiquité de la terre peuvent être combattues.

Dogme de l'existence de Dieu démontré par les merveilles de l'univers; dessein visible de la Providence dans les instincts des animaux; enchantement de la nature.

La seule morale prouve l'immortalité de l'âme. L'homme désire le bonheur, et il est le seul être qui ne puisse l'obtenir : il y a donc une félicité au delà de la vie; car on ne désire point ce qui n'est pas.

Le système de l'athéisme n'est fondé que sur des exceptions: ce n'est point le corps qui agit sur l'âme, c'est l'âme qui agit sur le corps. L'homme ne suit point les règles générales de la matière; il diminue où l'animal augmente.

L'athéisme n'est bon à personne, ni à l'infortuné auquel il ravit l'espérance, ni à l'heureux dont il dessèche le bonheur, ni au soldat qu'il rend timide, ni à la femme dont il flétrit la beauté et la tendresse, ni à la mère qui peut perdre son fils, ni aux chefs des hommes qui n'ont pas de plus sûr garant de la fidélité des peuples que la religion.

Les châtiments et les récompenses que le christianisme dénonce ou promet dans une autre vie s'accordent avec la raison et la nature de l'âme.

En poésie, les caractères sont plus beaux, et les passions plus énergiques sous la religion chrétienne qu'ils ne l'étoient sous le polythéisme. Celui-ci ne présentoit point de partie dramatique, point de combats des penchants naturels et des

vertus.

La mythologie rapetissoit la nature; et les anciens, par cette raison, n'avoient point de poésie descriptive. Le christianisme rend au désert et ses tableaux et ses solitudes.

Le merveilleux chrétien peut soutenir le parallèle avec le merveilleux de la Fable. Les anciens fondent leur poésie sur Homère, et les chrétiens sur la Bible; et les beautés de la Bible surpassent les beautés d'Homère.

rope chrétienne, quatre mille trois cents villes et
villages.

Sur ces quatre mille trois cents villes et villages,
trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze sont
de la première, de la seconde, de la troisième et
de la quatrième grandeur.

En accordant un hôpital à chacune de ces trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze villes (calcul au-dessous de la vérité), vous aurez trois

C'est au christianisme que les beaux-arts doi- mille deux cent quatre-vingt-quatorze hôpitaux, vent leur renaissance et leur perfection.

En philosophie, il ne s'oppose à aucune vérité naturelle. S'il a quelquefois combattu les sciences, il a suivi l'esprit de son siècle, et l'opinion des plus grands législateurs de l'antiquité.

En histoire, nous fussions demeurés inférieurs aux anciens sans le caractère nouveau d'images, de réflexions et de pensées qu'a fait naître la religion chrétienne: l'éloquence moderne fournit la même observation.

Restes des beaux-arts, solitudes des monastères, charmes des ruines, gracieuses dévotions du peuple, harmonies du cœur, de la religion et des déserts, c'est ce qui conduit à l'examen du culte. Partout, dans le culte chrétien, la pompe et la majesté sont unies aux intentions morales, aux prières touchantes ou sublimes. Le sépulcre vit et s'anime dans notre religion : depuis le laboureur qui repose au cimetière champêtre jusqu'au roi couché à Saint-Denis, tout dort dans une poussière poétique. Job et David, appuyés sur le tombeau du chrétien, chantent tour à tour la mort aux portes de l'éternité.

Nous venons de voir ce que les hommes doivent au clergé séculieret régulier, aux institutions, au génie du christianisme.

Si Shoonbeck, Bonnani, Giustiniani et Hélyot avoient mis plus d'ordre dans leurs laborieuses recherches, nous pourrions donner ici le catalogue complet des services rendus par la religion à l'humanité. Nous commencerions par faire la liste des calamités qui accablent l'âme ou le corps de l'homme, et nous placerions sous chaque douleur l'ordre chrétien qui se dévoue au soulagement de cette douleur. Ce n'est point une exagération un homme peut penser telle misère qu'il voudra, et il y a mille à parier contre un que la religion a deviné sa pensée et préparé le remède. Voici ce que nous avons trouvé après un calcul aussi exact que nous l'avons pu faire.

:

presque tous institués par le génie du christia-
nisme, dotés sur les biens de l'Église, et desser-
vis par des ordres religieux.

Prenant une moyenne proportionnelle, et don-
nant seulement cent lits à chacun de ces hôpitaux,
ou, si l'on veut, cinquante lits pour deux mala-
des, vous verrez que la religion, indépendam-
ment de la foule immense de pauvres qu'elle
nourrit, soulage et entretient par jour, depuis plus
de mille ans, environ trois cent vingt-neuf mille
quatre cents hommes.

Sur un relevé des colléges et des universités, on trouve à peu près les mêmes calculs, et l'on peut admettre hardiment qu'elle enseigne au moins trois cent mille jeunes gens dans les divers États de la chrétienté1 (58).

Nous ne faisons point entrer ici en ligne de compte les hôpitaux et les colléges chrétiens dans les trois autres parties du monde, ni l'éducation des filles par les religieuses.

Maintenant il faut ajouter à ces résultats le dictionnaire des hommes célèbres sortis du sein de l'Église, et qui forment à peu près les deux tiers des grands hommes des siècles modernes : il faut dire, comme nous l'avons montré, que le renouvellement des sciences, des arts et des lettres, est dû à l'Église ; que la plupart des grandes découvertes modernes, telles que la poudre à canon, l'horloge, les lunettes, la boussole, et en politique le système représentatif, lui appartiennent; que l'agriculture, le commerce, les lois et le gouvernement lui ont des obligations immenses; que ses missions ont porté les sciences et les arts chez des peuples civilisés, et les lois chez des peuples sauvages; que sa chevalerie a puissamment contribué à sauver l'Europe d'une invasion de nouveaux Barbares; que le genre humain luí

doit :

On a mis sous les yeux du lecteur les bases de tous ces calculs, que l'on a laissés exprès infiniment au-dessous de la

On compte à peu près, sur la surface de l'Eu- | vérité.

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Le culte d'un seul Dieu;

après la mort de ce tyran, ses fantômes faisoient

Le dogme plus fixe de l'existence de cet Etre tressaillir l'empire de joie et d'espérance. C'est suprême;

La doctrine moins vague et plus certaine de l'immortalité de l'âme, ainsi que celle des peines et des récompenses dans une autre vie;

Une plus grande humanité chez les hommes; Une vertu tout entière, et qui vaut seule toutes les autres, la charité;

Un droit politique et un droit des gens, inconnus des peuples antiques; et par-dessus tout cela, l'abolition de l'esclavage.

Qui ne seroit pas convaincu de la beauté et de la grandeur du christianisme? Qui n'est écrasé par cette effrayante masse de bienfaits?

CHAPITRE XIII

ET DERNIER.

QUEL SEROIT AUjourd'hui l'étaT DE LA SOCIÉTÉ SI LE
CHRISTIANISME N'EUT POINT PARU SUR LA TERRE.

CONJECTURES. — CONCLUSION.

Nous terminerons cet ouvrage par l'examen de l'importante question qui fait le titre de ce dernier chapitre en tâchant de découvrir ce que nous serions probablement aujourd'hui si le christianisme n'eût pas paru sur la terre, nous apprendrons à mieux apprécier ce que nous devons à cette religion divine.

Auguste parvint à l'empire par des crimes, et régna sous la forme des vertus. Il succédoit à un conquérant, et, pour se distinguer, il fut tranquille.

ici qu'il faut s'arrêter pour contempler les mœurs romaines. Ni Titus, ni Antonini, ni Marc-Aurèle, ne purent en changer le fond: un Dieu seul le pouvoit.

Le peuple romain fut toujours un peuple hor rible: on ne tombe point dans les vices qu'il fit éclater sous ses maîtres, sans une certaine perver sité naturelle et quelque défaut de naissance dans le cœur. Athènes corrompue ne fut jamais exé crable dans les fers, elle ne songea qu'à jouir. Elle trouva que ses vainqueurs ne lui avoient pas tout ôté, puisqu'ils lui avoient laissé le temple des muses.

Quand Rome eut des vertus, ce furent des vertus contre nature. Le premier Brutus égorge ses fils, et le second assassine son père. Il y a des vertus de position qu'on prend trop facilement pour des vertus générales, et qui ne sont que des résultats locaux. Rome libre fut d'abord frugale, parce qu'elle étoit pauvre; courageuse, parce que ses institutions lui mettoient le fer à la main, et qu'elle sortoit d'une caverne de brigands. Elle étoit d'ailleurs féroce, injuste, avare, luxurieuse : elle n'eut de beau que son génie; son caractère fut odieux.

3

Les décemvirs la foulent aux pieds. Marius verse à volonté le sang des nobles, et Sylla celui du peuple: pour dernière insulte, celui-ci abjure publiquement la dictature. Les conjurés de Catilina s'engagent à massacrer leurs propres pères ', et se font un jeu de renverser cette majesté roNe pouvant être un grand homme, il voulut maine que Jugurtha se propose d'acheter '. Vienêtre un prince heureux. Il donna beaucoup de re-nent les triumvirs et leurs proscriptions: Auguste pos à ses sujets : un immense foyer de corrup-ordonne au père et au fils de s'entre-tuer 3, et le tion s'assoupit; ce calme fut appelé prospérité. père et le fils s'entre-tuent. Le sénat se montre Auguste eut le génie des circonstances: c'est ce- trop vil, même pour Tibère 4. Le dieu Néron a lui qui recueille les fruits que le véritable génie a des temples. Sans parler de ces délateurs sortis préparés ; il le suit, et ne l'accompagne pas tou- des premières familles patriciennes ; sans montrer jours. les chefs d'une même conjuration, se dénonçant et s'égorgeant les uns les autres 5; sans représenter des philosophes discourant sur la vertu, au milieu des débauches de Néron, Sénèque excusant un parricide, Burrhus 6 le louant et pleurant à

Tibère méprisa trop les hommes, et surtout leur fit trop voir ce mépris. Le seul sentiment dans lequel il mit de la franchise étoit le seul où il eût dû dissimuler; mais c'étoit un cri de joie qu'il ne pouvoit s'empêcher de pousser, en trouvant le peuple et le sénat romain au-dessous même de la bassesse de son propre cœur.

Lorsqu'on vit ce peuple-roi se prosterner devant Claude, et adorer le fils d'Enobarbus, on put juger qu'on l'avoit honoré en gardant avec lui quelque mesure. Rome aima Néron. Longtemps

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la fois; sans rechercher sous Galba, Vitellius, Domitien, Commode, ces actes de lâcheté qu'on a lus cent fois, et qui étonnent toujours, un seul trait nous peindra l'infamie romaine : Plautien, ministre de Sévère, en mariant sa fille au fils aîné de l'empereur, fit mutiler cent Romains libres, dont quelques-uns étoient mariés et pères de famille, «< afin, dit l'historien, que sa fille eût à sa suite des eunuques dignes d'une reine d'Orient '. >>

"

A cette lâcheté de caractère joignez une épouvantable corruption de mœurs. Le grave Caton vient pour assister aux prostitutions des jeux de Flore. Sa femme Marcia étant enceinte, il la cède à Hortensius; quelque temps après Hortensius meurt, et ayant laissé Marcia héritière de tous ses biens, Caton la reprend au préjudice du fils d'Hortensius. Cicéron se sépare de Térentia pour épouser Publilia sa pupille. Sénèque nous apprend qu'il y avoit des femmes qui ne comptoient plus leurs années par consuls, mais par le nombre de leurs maris : Tibère invente les scellarii et les spintriæ; Néron épouse publiquement l'affranchi Pythagore 3, et Héliogabale célèbre ses noces avec Hiéroclès 4.

Ce fut ce même Néron, déjà tant de fois cité, qui institua les fêtes Juvénales. Les chevaliers, les sénateurs et les femmes du premier rang étoient obligés de monter sur le théâtre, à l'exemple de l'empereur, et de chanter des chansons dissolues, en copiant les gestes des histrions 5. Pour le repas de Tigellin, sur l'étang d'Agrippa, on avoit bâti des maisons au bord du lac, où les plus illustres Romaines étoient placées vis-à-vis de courtisanes toutes nues. A l'entrée de la nuit tout fut illuminé, afin que les débauches eussent un sens de plus et un voile de moins.

La mort faisoit une partie essentielle de ces divertissements antiques. Elle étoit là pour contraste et pour rehaussement des plaisirs de la vie. Afin d'égayer le repas, on faisoit venir des gladiateurs avec des courtisanes et des joueurs de flûte. En sortant des bras d'une infâme, on alloit voir une bête féroce boire du sang humain: de la vue d'une prostitution on passoit au spectacle des convulsions d'un homme expirant. Quel peuple que celui-là, frère Géta: « Il est plus aisé de commettre un parricide que de le justifier.» (Hist. Aug.)

DION., lib. LXXVI, pag. 1271.

2 De Benefic., III, 16.

3 TACIT., Ann. xv, 37.

DION,, lib. XXIX, pag. 1363; Hist. Aug., pag. 10.

STACIT., Ann., XIV, 15.

• Id. ibid., XV, 37.

qui avoit placé l'opprobre à la naissance et à la mort, et élevé sur un théâtre les deux grands mystères de la nature pour déshonorer d'un seul coup tout l'ouvrage de Dieu!

Les esclaves qui travailloient à la terre avoient constamment les fers aux pieds : pour toute nourriture on leur donnoit un peu de pain, d'eau et de sel; la nuit on les renfermoit dans des souterrains qui ne recevoient d'air que par une lucarne pratiquée à la voûte de ces cachots. Il y avoit une loi qui défendoit de tuer les lions d'Afrique, réservés pour les spectacles de Rome. Un paysan qui eût disputé sa vie contre un de ces animaux eût été sévèrement puni '. Quand un malheureux périssoit dans l'arène déchiré par une panthère ou percé par les bois d'un cerf, certains malades couroient se baigner dans son sang et le recevoir sur leurs lèvres avides. Caligula souhaitoit que le peuple romain n'eût qu'une seule tête, pour l'abattre d'un seul coup 3. Ce même empereur, en attendant les jeux du Cirque, nourrissoit les lions de chair humaine; et Néron fut sur le point de faire manger des hommes tout vivants à un Égyptien connu par sa voracité 4. Titus, pour célébrer la fête de son père Vespasien, donna trois mille Juifs à dévorer aux bêtes 3. On conseilloit à Tibère de faire mourir un de ses anciens amis qui languissoit en prison : « Je ne me suis pas réconcilié avec lui,» répondit le tyran par un mot qui respire tout le génie de Rome.

C'étoit une chose assez ordinaire qu'on égorgeât cinq mille, six mille, dix mille, vingt mille personnes de tout rang, de tout sexe et de tout âge sur un soupçon de l'empereur 6; et les parents des victimes ornoient leurs maisons de feuillages, baisoient les mains du dieu, et assistoient à ses fêtes. La fille de Séjan, âgée de neuf ans, qui disoit qu'elle ne le feroit plus, et qui demandoit qu'on lui donnát le fouet lorsqu'on la condui– soit en prison, fut violée par le bourreau avant d'être étranglée par lui: tant ces vertueux Romains avoient de respect pour les lois! On vit sous Claude (et Tacite le rapporte comme un beau spectacle) dix-neuf mille hommes s'égorger sur le lac Fucin pour l'amusement de la populace

1 Cod. Theod., tom. vi, pag. 92.
TERT., Apologet.

3 SUET., in Vit.

▲ Id., în Calig. et Ner.'

5 JOSEPH., de Bell. Jud., lib. vir.

TACIT., Ann., lib. xv; DION., lib. LXVII, pag. 1290: HEROD., lib. IV, pag. 150.

* TACIT., Ann., lib. v,

Id. ibid., lib. XII, 66.

9.

romaine avant d'en venir aux mains, les combattants saluèrent l'empereur : Ave, imperator; morituri te salutant! « César, ceux qui vont mourir te saluent ! » Mot aussi lâche qu'il est touchant.

Des traditions nous sont restées de la méchanceté des hommes, et des catastrophes terribles qui n'ont jamais manqué de suivre la corruption des mœurs. Ne seroit-il pas possible que Dieu eût combiné l'ordre physique et moral de l'univers de manière qu'un bouleversement dans le dernier entraînât des changements nécessaires dans l'autre, et que les grands crimes amenassent naturellement les grandes révolutions? La pensée agit sur le corps d'une manière inexplicable; l'homme est peut-être la pensée du grand corps de l'univers. Cela simplifieroit beaucoup la nature et agrandi. roit prodigieusement la sphère de l'homme; ce seroit aussi une clef pour l'explication des miracles, qui rentreroient dans le cours ordinaire des choses. Que les déluges, les embrasements, le renversement des États, eussent leurs causes secrètes dans les vices de l'homme; que le crime et le châtiment fussent les deux poids moteurs

C'est l'extinction absolue du sens moral qui donnoit aux Romains cette facilité de mourir qu'on a si follement admirée. Les suicides sont toujours communs chez les peuples corrompus. L'homme réduit à l'instinct de la brute meurt indifféremment comme elle. Nous ne parlerons point des autres vices des Romains, de l'infanticide autorisé par une loi de Romulus, et confirmé par celle des Douze Tables; de l'avarice sordide de ce peuple fameux. Scaptius avoit prêté quelques fonds au sénat de Salamine. Le sénat n'ayant pu le rembourser au terme fixé, Scaptius le tint si longtemps assiégé par des cavaliers, que plusieurs sénateurs moururent de faim. Le stoïque Brutus, ayant quelque affaire commune avec ce concus-placés dans les deux bassins de la balance morale sionnaire, s'intéresse pour lui auprès de Cicéron, et physique du monde, la correspondance seroit qui ne peut s'empêcher d'en être indigné '. belle, et ne feroit qu'un tout d'une création qui Si donc les Romains tombèrent dans la servi-semble double au premier coup d'œil. tude, ils ne durent s'en prendre qu'à leurs mœurs. C'est la bassesse qui produit d'abord la tyrannie; et, par une juste réaction, la tyrannie prolonge ensuite la bassesse. Ne nous plaignons plus de l'état actuel de la société ; le peuple moderne le plus corrompu est un peuple de sages auprès des nations païennes.

Quand on supposeroit un instant que l'ordre politique des anciens fût plus beau que le nôtre, leur ordre moral n'approcha jamais de celui que le christianisme a fait naître parmi nous. Et comme enfin la morale est en dernier lieu la base de toute institution sociale, jamais nous n'arriverons à la dépravation de l'antiquité, tandis que nous serons chrétiens.

Lorsque les liens politiques furent brisés à Rome et dans la Grèce, quel frein resta-t-il aux hommes? Le culte de tant de divinités infâmes

pouvoit-il maintenir des mœurs que les lois ne soutenoient plus? Loin de remédier à la corruption, il en devint un des agents les plus puissants. Par un excès de misère qui fait frémir, l'idée de l'existence des dieux, qui nourrit la vertu chez les hommes, entretenoit les vices parmi les païens, et sembloit éterniser le crime en lui donnant un principe d'éternelle durée.

L'intérêt de la somme étoit de quatre pour cent par mois. (Vid. CICER., Epist. ad Att., lib. vi, epist, II. )

Il se peut donc faire que la corruption de l'empire romain ait attiré du fond de leurs déserts les Barbares qui, sans connoître la mission qu'ils avoient de détruire, s'étoient appelés par instinct le fléau de Dieu (59). Que fût devenu le monde si la grande arche du christianisme n'eût sauvé les restes du genre humain de ce nouveau déluge? Quelle chance restoit-il à la postérité? où les lumières se fussent-elles conservées?

Les prêtres du polythéisme ne formoient point un corps d'hommes lettrés, hors en Perse et en Égypte; mais les mages et les prêtres égyptiens, qui d'ailleurs ne communiquoient point leurs sciences au vulgaire, n'existoient déjà plus en corps lors de l'invasion des Barbares. Quant aux sectes philosophiques d'Athènes et d'Alexandrie, elles se renfermoient presque entièrement dans ces deux villes, et consistoient tout au plus en quelques centaines de rhéteurs qui eussent été égorgés avec le reste des citoyens.

Point d'esprit de prosélytisme chez les anciens; aucune ardeur pour enseigner; point de retraite au désert pour y vivre avec Dieu et pour y sauver les sciences. Quel pontife de Jupiter eût marché au-devant d'Attila pour l'arrêter? Quel lévite eût persuadé à un Alaric de retirer ses troupes de Rome? Les Barbares qui entroient dans l'empire étoient déjà à demi chrétiens; mais voyons-les

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