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doute sur le but et les moralités religieuses de ou qu'un autre prélat fameux, qui, pour donner l'histoire de René. des leçons de vertu à un prince, et à un prince

IX. A l'égard d'Atala, on en a tant fait de com- chrétien, n'a pas craint de représenter le trouble mentaires, qu'il seroit superflu de s'y arrêter.des passions avec autant de vérité que d'énergie? On se contentera d'observer que les critiques qui Il est vrai que les Faidyt et les Gueudeville reont jugé le plus sévèrement cette histoire, ont prochèrent aussi à Fénelon la peinture des amours reconnu toutefois qu'elle faisoit aimer la reli- d'Eucharis; mais leurs critiques sont aujourgion chrétienne, et cela suffit à l'auteur. En vain d'hui oubliées (60) : le Télémaque est devenu un s'appesantiroit-on sur quelques tableaux ; il n'en livre classique entre les mains de la jeunesse; semble pas moins vrai que le public a vu sans personne ne songe plus à faire un crime à l'archetrop de peine le vieux missionnaire, tout prêtre vêque de Cambray d'avoir voulu guérir les pasqu'il est, et qu'il a aimé dans cet épisode indien sions par le tableau du désordre des passions; pas la description des cérémonies de notre culte. C'est plus qu'on ne reproche à saint Augustin et à saint Atala qui a annoncé, et qui peut-être a fait lire Jérôme d'avoir peint si vivement leurs propres le Génie du Christianisme; cette Sauvage a ré- foiblesses et les charmes de l'amour. veillé dans un certain monde les idées chrétiennes, et rapporté pour ce monde la religion du père Aubry des déserts où elle étoit exilée.

X. Au reste, cette idée d'appeler l'imagination au secours des principes religieux n'est pas nouvelle. N'avons-nous pas eu de nos jours le Comte de Valmont, ou les Égarements de la Raison? Le père Marin, minime, n'a-t-il pas cherché à introduire les vérités chrétiennes dans les cœurs incrédules, en les faisant entrer déguisés sous les voiles de la fiction '? Plus anciennement encore, Pierre Camus, évêque de Belley, prélat connu par l'austérité de ses mœurs, écrivit une foule de romans pieux pour combattre l'influence des romans de d'Urfé. Il y a bien plus : ce fut saint François de Sales lui-même qui lui conseilla d'entreprendre ce genre d'apologie, par pitié pour les gens du monde, et pour les rappeler à la religion, en la leur présentant sous des ornements qu'ils connoissoient. Ainsi Paul se rendoit foible avec les foibles pour gagner les foibles 3. Ceux qui condamnent l'auteur voudroient donc qu'il eût été plus scrupuleux que l'auteur du Comte de Valmont, que le père Marin, que Pierre Camus, que saint François de Sales, qu'Héliodore 4, évêque de Tricca, qu'Amyot 5, grand aumônier de France,

XI. Mais ces censeurs qui savent tout sans doute, puisqu'ils jugent l'auteur de si haut, ontils réellement cru que cette manière de défendre la religion, en la rendant douce et touchante pour le cœur, en la parant même des charmes de la poésie, fût une chose si inouïe, si extraordinaire? « Qui oseroit dire, s'écrie saint Augustin, que la vérité doit demeurer désarmée contre le mensonge, et qu'il sera permis aux ennemis de la foi d'effrayer les fidèles par des paroles fortes, et de les réjouir par des rencontres d'esprit agréables, mais que les catholiques ne doivent écrire qu'avec une froideur de style qui endorme les lecteurs? >> C'est un sévère disciple de Port-Royal qui traduit ce passage de saint Augustin; c'est Pascal luimême; et il ajoute, à l'endroit cité', « qu'il y a deux choses dans les vérités de notre religion, une beauté divine qui les rend aimables, et une sainte majesté qui les rend vénérables. » Pour démontrer que les preuves rigoureuses ne sont pas toujours celles qu'on doit employer en matière de religion, il dit ailleurs (dans ses Pensées) que le cœur a ses raisons que la raison ne connoit point. Le grand Arnauld, chef de cette école austère du christianisme, combat à son tour3 l'académicien du Bois, qui prétendoit aussi qu'on ne doit pas faire servir l'éloquence humaine à

Nous avons de lui dix romans pieux fort répandus: Adéprouver les vérités de la religion. Ramsay, dans laide de Witzbury, ou la Pieuse Pensionnaire; Virginie, ou la Vierge chrétienne; le baron de Van-Hesden, ou la République des incrédules; Farfalla, ou la Comédienne convertie, etc.

? Dorothée, Alcine, Daphnide, Hyacinthe, etc. 3 I. Cor., IX, 22.

Auteur de Théagène et Chariclée. On sait que l'histoire ridicule, rapportée par Nicéphore au sujet de ce roman, est dénuée de toute vérité. Socrate, Photius, et les autres auteurs ne disent pas un mot de la prétendue déposition de l'évêque de Tricca.

Traducteur de Théagène et Chariclée, et de Daphnis et

Chloe.

sa Vie de Fénelon, parlant du Traité de l'Existence de Dieu par cet illustre prélat, observe « que M. de Cambray savoit que la plaie de la plupart de ceux qui doutent vient, non de leur esprit, mais de leur cœur, et qu'il faut donc

'Lettres provinciales, lettre x1, pag. 154-98.

2 Pensées de Pascal, chap. XXVIII, pag. 179.

3 Dans un petit traité intitulé: Réflexions sur l'éloquence des Prédicateurs.

répandre partout des sentiments pour toucher, pour intéresser, pour saisir le cœur.» Raymond de Sébonde a laissé un ouvrage écrit à peu près dans les mêmes vues que le Génie du Christianisme; Montaigne a pris la défense de cet auteur contre ceux qui avancent que les chrétiens se font tort de vouloir appuyer leur créance par des raisons humaines 2. « C'est la foy seule,» ajoute Montaigne, «< qui embrasse vivement et certainement les hauts mysteres de nostre religion. Mais ce n'est pas à dire que ce ne soit une très-belle et très-louable entreprise d'accommoder encore au service de nostre foy les outils naturels et humains que Dieu nous a donnez.... Il n'est occupation ni desseins plus dignes d'un homme chrestien que de viser par tous ses estudes et pensements à embellir, estendre et amplifier la vérité de sa créance 3. »

toucher à leurs idoles, pour embellir l'arche sainte '. C'étoit une vérité si unanimement reconnue des Pères, qu'il est bon d'appeler l'imagination au secours des idées religieuses, que ces saints hommes ont été jusqu'à penser que Dieu s'étoit servi de la poétique philosophie de Platon pour amener l'esprit humain à la croyance des dogmes du christianisme.

XII. Mais il y a un fait historique qui prouve invinciblement la méprise étrange où les critiques sont tombés lorsqu'ils ont cru l'auteur coupable d'innovation dans la manière dont il a défendu le christianisme. Lorsque Julien, entouré de ses sophistes, attaqua la religion avec les armes de la plaisanterie, comme on l'a fait de nos jours; quand il défendit aux Galiléens d'enseigner 2 et même d'apprendre les belles-lettres; quand il dépouilla les autels du Christ, dans l'espoir d'ébranler la fidélité des prêtres, ou de les réduire

élevèrent la voix pour repousser les sarcasmes de l'impiété, et pour défendre la beauté de la religion chrétienne. Apollinaire le père, selon l'historien Socrate, mit en vers héroïques tous les livres de Moïse, et composa des tragédies et des comédies sur les autres livres de l'Écriture. Apollinaire le fils écrivit des dialogues à l'imitation de Platon, et il renferma dans ces dialogues la morale de l'Évangile et les préceptes des Apôtres (62). Enfin, ce Père de l'Église surnommé par excellence le théologien, Grégoire de Nazianze, combattit aussi les sophistes avec les armes du poëte. Il fit une tragédie de la mort de Jésus-Christ, que nous avons encore. Il mit en vers la morale, les dogmes et les mystères mêmes de la religion chrétienne 3. L'historien de sa vie affirme positivement que ce saint illustre ne se livra à son talent poétique que pour défendre le christianisme contre la dérision de l'impiété ; c'est aussi l'opinion du sage Fleury. «Saint Grégoire, dit-il, vouloit donner à ceux qui aiment la poésie et la musique des sujets utiles pour se divertir, et ne pas laisser aux païens l'avantage de croire qu'ils fussent les seuls qui pussent réussir dans les belles-lettres (63). »

L'auteur ne finiroit point s'il vouloit citer tous les écrivains qui ont été de son opinion sur la né-à l'avilissement de la pauvreté, plusieurs fidèles cessité de rendre la religion aimable, et tous les livres où l'imagination, les beaux-arts et la poésie ont été employés comme un moyen d'arriver à ce but. Un ordre tout entier de religieux connus par leur piété, leur aménité et leur science du monde, s'est occupé pendant plusieurs siècles de cette unique idée. Ah! sans doute, aucun genre d'éloquence ne peut être interdit à cette sagesse, qui ouvre la bouche des muets 4, et qui rend diserte la langue des petits enfants. Il nous reste une lettre de saint Jérôme où ce Père se justifie d'avoir employé l'érudition païenne à la défense de la doctrine des chrétiens (61). Saint Ambroise eût-il donné saint Augustin à l'Église, s'il n'eût fait usage de tous les charmes de l'élocution? « Augustin, encore tout enchanté de l'éloquence profane, dit Rollin, ne cherchoit dans les prédications de saint Ambroise que les agréments du discours, et non la solidité des choses; mais il n'étoit pas en son pouvoir de faire cette séparation. » Et n'est-ce pas sur les ailes de l'imagination que saint Augustin s'est élevé à son tour jusqu'à la Cité de Dieu? Ce Père ne fait point de difficulté de dire qu'on doit ravir aux païens leur éloquence, en leur laissant leurs mensonges, afin de l'appliquer à la prédication de l'Évangile, comme Israël emporta l'or des Égyptiens sans

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Cette espèce d'apologie poétique de la religion

De Doct. chr., lib. II, no 7.

2 Nous avons encore l'édit de Julien. JUL., p. 42. Vid. GREG. NAZ., or. III, cap. Iv; Амм., lib. xxII.

3 L'abbé de Billy a recueilli cent quarante-sept poëmes de ce Père, à qui saint Jérôme et Suidas attribuent plus trente mille vers pieux.

Naz Fit., pag. 12.

aété continuée, presque sans interruption, depuis Julien jusqu'à nos jours. Elle prit une nouvelle force à la renaissance des lettres: Sannazar écrivit son poëme de partu Virginis (64), et Vida son poëme de la Vie de Jésus-Christ (Christiade)'; | Buchanan donna ses tragédies de Jephté et de saint Jean-Baptiste. La Jérusalem délivrée, le Paradis perdu, Polyeucte, Esther, Athalie, sout devenus depuis de véritables apologies en faveur de la beauté de la religion. Enfin Bossuet, dans le second chapitre de sa préface intitulée de grandiloquentia et suavitate Psalmorum; Fleury, dans son traité des Poésies sacrées; Rollin, dans son chapitre de l'Eloquence de l'Écriture; Lowth, dans son excellent livre de sacra Poesi Hebræorum; tous se sont complu à faire admirer la grâce et la magnificence de la religion. Quel besoin d'ailleurs y a-t-il d'appuyer de tant d'exemples ce que le seul bon sens suffit pour enseigner? Dès lors que l'on a voulu rendre la religion ridicule, il est tout simple de montrer qu'elle est belle. Hé quoi! Dieu lui-même nous auroit fait annoncer son Église par des poëtes inspirés; il se seroit servi pour nous peindre les grâces de l'Epouse des plus beaux accords de la harpe du roi-prophète et nous, nous ne pourrions dire les charmes de celle qui vient du Liban, qui regarde les montagnes de Sanir et d'Hermon 3, qui se montra comme l'aurore, qui est belle comme la lune, et dont la taille est semblable à un palmier 5! La Jérusalem nouvelle que saint Jean vit s'élever du désert étoit toute brillante de clarté.

3

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PLAN DE L'OUVRAGE.

L'auteur ne peut pas parler d'après lui-même du plan de son ouvrage, comme il a parlé du fond de son sujet; car un plan est une chose de l'art, qui a ses lois, et pour lesquelles on est obligé de s'en rapporter à la décision des maîtres. Ainsi, en rappelant les critiques qui désapprouvent le plan de son livre, l'auteur sera forcé de compter aussi les voix qui lui sont favorables.

Or, s'il se fait une illusion sur son plan, et qu'il ne le croie pas tout à fait défectueux, ne doit-on pas excuser un peu en lui cette illusion, puisqu'elle semble être aussi le partage de quelques écrivains dont la supériorité en critique n'est contestée de personne? Ces écrivains ont bien voulu donner leur approbation publique à l'ouvrage; M. de la Harpe l'avoit pareillement jugé avec indulgence. Une telle autorité est trop précieuse à l'auteur pour qu'il manque à s'en prévaloir, dût-il se faire accuser de vanité. Ce grand critique avoit donc repris pour le Génie du Christianisme le projet qu'il avoit eu longtemps pour Atala'; il vouloit composer la Défense que l'auteur est réduit à composer lui-même aujourd'hui : celui-ci eût été sûr de triompher, s'il eût été secondé par un homme aussi habile; mais la Providence a voulu le priver de ce puissant secours et de ce glorieux suffrage.

Si l'auteur passe des critiques qui semblent l'approuver aux critiques qui le condamnent, il a beau lire et relire leurs censures, il n'y trouve rien qui puisse l'éclairer : il n'y voit rien de précis, rien de déterminé; ce sont partout des expressions vagues ou ironiques. Mais au lieu de juger l'auteur si superbement, les critiques ne devroient-ils pas avoir pitié de sa foiblesse, lui montrer les vices de son plan, lui enseigner les remèdes? « Ce qui résulte de tant de critiques amères, dit M. de Montesquieu dans sa Défense, c'est que l'auteur n'a point fait son ouvrage suivant le plan et les vues de ses critiques, et que, si ses critiques avoient fait un ouvrage sur le même sujet, ils y auroient mis un grand nombre de choses qu'ils savent 2. »

Je connoissois à peine M. de la Harpe dans ce temps-là; mais ayant entendu parler de son dessein, je le tis prier par ses amis de ne point répondre à la critique de M. l'abbé Morellet. Toute glorieuse qu'eût été pour moi une défense d'Atala par M. de la Harpe, je crus avec raison que j'étois trop peu de chose pour exciter une controverse entre deux écrivains célèbres.

2 Défense de l'Esprit des Lois.

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Puisque ces critiques refusent (sans doute parce | gination, perd-il souvent de vue son sujet dans que cela n'en vaut pas la peine) de montrer l'inconvénient attaché au plan, ou plutôt au sujet du Génie du Christianisme, l'auteur va lui-même essayer de le découvrir.

son ouvrage ? Il en appelle au critique impartial: quel est le chapitre, quelle est, pour ainsi dire, la page où l'objet du livre ne soit pas reproduit1? Or, dans une apologie du christianisme, où l'on ne veut que montrer au lecteur la beauté de cette religion, peut-on dire que le plan de cette apolo

Quand on veut considérer la religion chrétienne ou le génie du christianisme sous toutes ses faces, on s'aperçoit que ce sujet offre deux parties très-gie est essentiellement défectueux, si, dans les distinctes :

1o Le christianisme proprement dit, à savoir ses dogmes, sa doctrine et son culte; et sous ce dernier rapport se rangent aussi ses bienfaits et ses institutions morales et politiques;

2° La poétique du christianisme ou l'influence de cette religion sur la poésie, les beaux-arts, l'éloquence, l'histoire, la philosophie, la littérature en général; ce qui mène aussi à considérer les changements que le christianisme a apportés dans les passions de l'homme et dans le développement de l'esprit humain.

L'inconvénient du sujet est donc le manque d'unité, et cet inconvénient est inévitable. En vain pour le faire disparoître l'auteur a essayé d'autres combinaisons de chapitres et de parties dans les deux éditions qu'il a supprimées. Après s'être obstiné longtemps à chercher le plan le plus régulier, il lui a paru en dernier résultat qu'il s'agissoit bien moins, pour le but qu'il se proposoit, de faire un ouvrage extrêmement méthodique, que de porter un grand coup au cœur et de frapper vivement l'imagination. Ainsi, au lieu de s'attacher à l'ordre des sujets, comme il l'avoit fait d'abord, il a préféré l'ordre des preuves. Les preuves de sentiment sont renfermées dans le premier volume, où l'on traite du charme et de la grandeur des mystères, de l'existence de Dieu, etc.; les preuves pour l'esprit et l'imagination remplissent le second et le troisième volume, consacrés à la poétique; enfin, ces mêmes preuves pour le cœur, l'esprit et l'imagination, réunies aux preuves pour la raison, c'est-à-dire aux preuves de fait, occupent le quatrième volume, et terminent l'ouvrage. Cette gradation de preuves sembloit promettre d'établir une progression d'intérêt dans le Génie du Christianisme; il paroît que le jugement du public à confirmé cette espérance de l'auteur. Or, si l'intérêt va croissant de volume en volume, le plan du

livre ne sauroit être tout à fait vicieux.

Qu'il soit permis à l'auteur de faire remarquer une chose de plus. Malgré les écarts de son ima

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choses les plus directes comme dans les plus éloignées, on a fait reparoître partout la grandeur de Dieu, les merveilles de la Providence, l'influence, les charmes et les bienfaits des dogmes, de la doctrine et du culte de Jésus-Christ?

En général, on se hâte un peu trop de prononcer sur le plan d'un livre. Si ce plan ne se déroule pas d'abord aux yeux des critiques comme ils l'ont conçu sur le titre de l'ouvrage, ils le condamnent impitoyablement. Mais ces critiques ne voient pas ou ne se donnent pas la peine de voir que, si le plan qu'ils imaginent étoit exécuté, il auroit peut-être une foule d'inconvénients qui le rendroient encore moins bon que celui que l'auteur a suivi.

Quand un écrivain n'a pas composé son ou vrage avec précipitation; quand il y a employé plusieurs années; quand il a consulté les livres et les hommes, et qu'il n'a rejeté aucun conseil, aucune critique ; quand il a recommencé plusieurs fois son travail d'un bout à l'autre ; quand il a livré deux fois aux flammes son ouvrage tout imprimé, ce ne seroit que justice de supposer qu'il a peut-être aussi bien vu son sujet que le critique qui, sur une lecture rapide, condamne d'un mot un plan médité pendant des années. Que l'on donne toute autre forme au Génie du Christianisme, et l'on ose assurer que l'ensemble des beautés de la religion, l'accumulation des preuves aux derniers chapitres, la force de la conclusion générale, auront beaucoup moins d'éclat et seront beaucoup moins frappants que dans l'ordre où le livre est actuellement disposé. On ose encore avancer qu'il n'y a point de grand monument en prose dans la langue françoise (le Télémaque et les ouvrages historiques exceptés) dont le plan ne soit exposé à autant d'objections que l'on en peut faire au plan de l'auteur. Que d'arbitraire dans la distribution des parties et des sujets de nos livres les plus beaux et les plus utiles! Et certainement (si l'on peut comparer un chef-d'œuvre

1 Cette vérité a été reconnue par le critique même qui s'est le plus élevé contre l'ouvrage.

à une œuvre très-imparfaite), l'admirable Esprit | ont compromis leur mémoire. Ils ne veulent pas des Lois est une composition qui n'a peut-être que l'auteur dise, déchirer le rideau des monpas plus de régularité que l'ouvrage dont on es- des, et laisser voir les abimes de l'éternité; et saye de justifier le plan dans cette défense. Tou- ces expressions sont de Tertullien: ils soulitefois la méthode étoit encore plus nécessaire au gnent le puits de l'abîme et le cheval pále de la sujet traité par Montesquieu qu'à celui dont l'au- mort, apparemment comme étant une vision de teur du Génie du Christianisme a tenté une si l'auteur; et ils ont oublié que ce sont des images foible ébauche. de l'Apocalypse: ils rient des tours gothiques coiffées de nuages; et ils ne voient pas que l'auteur traduit littéralement un vers de Shakes

DETAILS DE L'OUVRAGE.'

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Venons maintenant aux critiques de détail. On ne peut s'empêcher d'observer d'abord que peare 3; ils croient que les ours enivrés de raisins la plupart de ces critiques tombent sur le premier sont une circonstance inventée par l'auteur; et et sur le second volume. Les censeurs ont marqué l'auteur n'est ici qu'historien fidèle (65): l'Esquiun singulier dégoût pour le troisième et le quamau qui s'embarque sur un rocher de glace leur trième. Ils les passent presque toujours sous si- paroît une imagination bizarre; et c'est un fait lence. L'auteur doit-il s'en attrister ou s'en réjouir? rapporté par Charlevoix 4: le crocodile qui pond Seroit-ce qu'il n'y a rien à redire sur ces deux un auf est une expression d'Hérodote 5; ruse de volumes, ou qu'ils ne laissent rien à dire ? la sagesse appartient à la Bible 6, etc. Un critiOn s'est donc presque uniquement attaché à que prétend qu'il faut traduire l'épithète d'Hocombattre quelques opinions littéraires particu-mère, 'Hovers, appliquée à Nestor, par Nestor lières à l'auteur, et répandues dans le second voau doux langage. Mais 'Hoves ne voulut jamais lume'; opinions qui, après tout, sont d'une petite dire au doux langage. Rollin traduit à peu près importance, et qui peuvent être reçues ou reje- comme l'auteur du Génie du Christianisme, tées sans qu'on en puisse rien conclure contre le Nestor cette bouche éloquente, d'après le texte fond de l'ouvrage : il faut ajouter à la liste de ces grec, et non d'après la leçon latine du scoliaste, graves reproches une douzaine d'expressions vé- Suaviloquus, que le critique a visiblement suivie. ritablement répréhensibles, et que l'on a fait disparoître dans les nouvelles éditions.

Quant à quelques phrases dont on a détourné le sens (par un art si merveilleux et si nouveau) pour y trouver d'indécentes allusions, comment éviter ce malheur, et quel remède y apporter ? Un auteur (c'est la Bruyère qui le dit), un auteur n'est pas obligé de remplir son esprit de toutes les extravagances, de toutes les saletés, de tous les mauvais mots qu'on peut dire, et de toutes les ineptes applications que l'on peut faire au sujet de quelques endroits de son ouvrage, et encore moins de les supprimer; il est convaincu que quelque scrupuleuse exactitude qu'on ait dans sa manière d'écrire, la raillerie froide des mauvais plaisants est un mal inévitable, et que les meilleures choses ne leur servent souvent qu'à leur faire rencontrer une sottise 2. »

L'auteur a beaucoup cité dans son livre, mais il paroît encore qu'il eût dû citer davantage. Par une fatalité singulière, il est presque toujours arrivé qu'en voulant blâmer l'auteur, les critiques

'Encore n'a-t-on fait que répéter les observations judicieuses et polies qui avoient paru à ce sujet dans quelques journaux accrédités.

7 Caract. de LA BRUYÈRE.

Au reste l'auteur a déjà dit qu'il ne prétendoit pas défendre des talents qu'il n'a pas sans doute; mais il ne peut s'empêcher d'observer que tant de petites remarques sur un long ouvrage ne servent qu'à dégoûter un auteur sans l'éclairer; c'est la réflexion que Montesquieu fait lui-même dans ce passage de sa Défense:

« Les gens qui veulent tout enseigner empêchent beaucoup d'apprendre; il n'y a point de

1 Cum ergo finis et limes medius, qui interhiat, adfuerit, ut etiam mundi ipsius species transferatur æque temporalis, Apolog., cap. XLVIII.) quæ illi dispositioni æternitatis aulæi vice oppansa est.

2 Equus pallidus, cap. vi, v. 8; Puteus abyssi, cap. IX,

V. 2.

3 The clouds-capt towers, the gorgeous palaces, etc.
(In the Temp.)
Delille avoit dit dans les Jardins, en parlant des rochers
J'aime à voir leur front chauve et leur tête sauvage
Se coiffer de verdure, et s'entourer d'ombrage.

J'ai cependant mis, dans les dernières éditions, couronnées

d'un chapiteau de nuages.

«Croiroit-on que sur ces glaces énormes on rencontre

des hommes qui s'y sont embarqués exprès? On assure pourtant qu'on y a plus d'une fois aperçu des Esquimaux, etc. »> (Histoire de la Nouvelle-France, tom. II, liv. x, pag. 293, édit. de Paris, 1744.)

5 Τίκτει μὲν γὰρ ἐὰ ἐν γῆ, καὶ ἐκλέπει. (HEROD., lib. ", cap. LXVIII.)

6 Astutias sapientiæ (Eccl., cap. 1, v. 6.) 'Traité des Études, tom. 1, pag. 375, de la lecture d'Homère.

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