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poir.

tien! Convenez que je suis bien heureux d'avoir | gulier ne s'est point brûlé la cervelle de déses-
converti ce barde, et qu'en le faisant entrer dans
les rangs de la religion j'enlève un des premiers
héros à l'age de la mélancolie.

Il n'y a plus que les étrangers qui soient encore dupes d'Ossian. Toute l'Angleterre est convaincue que les poëmes qui portent ce nom sont l'ouvrage de M. Macpherson lui-même. J'ai été longtemps trompé par cet ingénieux mensonge enthousiaste d'Ossian comme un jeune homme que j'étois alors, il m'a fallu passer plusieurs années à Londres, parmi les gens de lettres, pour être entièrement désabusé. Mais enfin je n'ai pu résister à la conviction, et les palais de Fingal se sont évanouis pour moi, comme beaucoup d'autres songes.

Vous connoissez toute l'ancienne querelle du docteur Johnson et du traducteur supposé du barde calédonien. M. Macpherson, poussé à bout, ne put jamais montrer le manuscrit de Fingal, dont il avoit fait une histoire ridicule, prétendant qu'il l'avoit trouvé dans un vieux coffre chez un paysan; que ce manuscrit étoit en papier et en caractères runiques. Or Johnson démontra que ni le papier ni l'alphabet runique n'étoient en usage en Écosse à l'époque fixée par M. Macpherson. Quant au texte qu'on voit maintenant imprimé avec quelques poëmes de Smith, ou à celui qu'on peut imprimer encore', on sait que les poëmes d'Ossian ont été traduits de l'anglois dans la langue calédonienne; car plusieurs montaguards écossois sont devenus complices de la fraude de leur compatriote. C'est ce qui a trompé.

Cependant il est certain qu'il existe d'anciens poëmes qui portent le nom d'Ossian. Ils sont irlandois ou erses d'origine. C'est l'ouvrage de quelque moine du treizième siècle. Fingal est un géant qui ne fait qu'une enjambée d'Écosse en Irlande; et les héros vont en Terre-Sainte pour expier les meurtres qu'ils ont commis.

Et, pour dire la vérité, il est même incroyable qu'on ait pu se tromper sur l'auteur des poëmes d'Ossian. L'homme du dix-huitième siècle y perce de toutes parts. Je n'en veux pour exemple que l'apostrophe du barde au soleil : « O soleil, lui ditil, qui es-tu? d'où viens-tu? où vas-tu? ne tomberas-tu point un jour, etc.?»

Madame de Staël, qui reconnoît si bien l'histoire de l'entendement humain, verra qu'il y a là-dedans tant d'idées complexes sous les rapports moraux, physiques et métaphysiques, qu'on ne peut presque sans absurdité les attribuer à un Sauvage. En outre, les notions les plus abstraites du temps, de la durée, de l'étendue, se trouvent à chaque page d'Ossian. J'ai vécu parmi les Sauvages de l'Amérique, et j'ai remarqué qu'ils parlent souvent des temps écoulés, mais jamais des temps à naître. Quelques grains de poussière au fond du tombeau leur restent en témoignage de la vie dans le néant du passé; mais qui peut leur indiquer l'existence dans le néant de l'avenir? Cette anticipation du futur, qui nous est si familière, est néanmoins une des plus fortes abstractions où la pensée de l'homme soit arrivée. Heureux toutefois le Sauvage qui ne sait pas, comme nous, que la douleur est suivie de la douleur, et dont l'âme, sans souvenii et sans prévoyance, ne concentre pas en elle-même, par une sorte d'éternité douloureuse, le passé, le présent et l'avenir!

Mais ce qui prouve incontestablement que M. Macpherson est l'auteur des poëmes d'Ossian, c'est la perfection, ou le beau idéal de la morale dans ces poëmes. Ceci mérite quelque développement.

Au reste, c'est une chose fort commune en Angleterre que tous ces manuscrits retrouvés. On a vu dernièrement une tragédie de Shakespeare, et, ce qui est plus extraordinaire, des ballades du temps de Chaucer, si parfaitement imitées pour le style, le parchemin et les caractères antiques, que tout le monde s'y est mépris. Déjà mille volumes se préparoient pour développer les beautés et prouver l'authenticité de ces merveilleux ou vrages, lorsqu'on surprit l'éditeur écrivant et composant lui-même ces poëmes saxons. Les ad- Le beau idéal est né de la société. Les hommes mirateurs en furent quittes pour rire et pour jeter très-près de la nature ne le connoissent pas. Ils se leurs commentaires au feu; mais je ne sais si le contentent dans leurs chansons de peindre exacjeune homme qui s'étoit exercé dans cet art sin-tement ce qu'ils voient. Mais, comme ils vivent au milieu des déserts, leurs tableaux sont toujours grands et poétiques. Voilà pourquoi vous

Quelques journaux anglois ont dit, et des journaux françois ont répété, que le texte véritable d'Ossian alloit enfin paroître; mais ce ne peut être que la version écossoise faite sur le texte même de Macpherson.

J'écris de mémoire, et je puis me tromper sur quelques mots; mais c'est le sens, et cela suffit.

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ne trouvez point de mauvais goût dans leurs compositions. Mais aussi elles sont monotones, et les sentiments qu'ils expriment ne vont pas jusqu'à l'héroïsme.

Le siècle d'Homère s'éloignoit déjà de ces premiers temps. Qu'un Sauvage perce un chevreuil de sa flèche; qu'il le dépouille au milieu de toutes les forêts; qu'il étende la victime sur les charbons du tronc d'un chêne, tout est noble dans cette action. Mais dans la tente d'Achille il y a déjà des bassins, des broches, des couteaux. Un instrument de plus, et Homère tomboit dans la bassesse des descriptions allemandes; ou bien il falloit qu'il cherchât le beau idéal physique, en commençant à cacher. Remarquez bien ceci. L'explication suivante va tout éclaircir.

A mesure que la société multiplia les besoins et les commodités de la vie, les poëtes apprirent qu'ils ne devoient plus, comme par le passé, peindre tout aux yeux, mais voiler certaines parties du tableau. Ce premier pas fait, ils virent encore qu'il falloit choisir; ensuite, que la chose choisie étoit susceptible d'une forme plus belle et d'un plus bel effet dans telle ou telle position. Toujours cachant et choisissant, retranchant ou ajoutant, ils se trouvèrent peu à peu dans des formes qui n'étoient plus naturelles, mais qui étoient plus belles que celles de la nature; et les artistes appelèrent ces formes le beau idéal. On peut donc définir le beau idéal l'art de choisir et de cacher.

Le beau idéal moral se forma comme le beau idéal physique. On déroba à la vue certains mouvements de l'âme, car l'âme a ses honteux besoins et ses bassesses comme le corps. Et je ne puis m'empêcher de remarquer que l'homme est le seul de tous les êtres vivants qui soit susceptible d'être représenté plus parfait que nature et comme approchant de la Divinité. On ne s'avise pas de peindre le beau idéal d'un aigle, d'un lion, etc. Si j'osois m'élever jusqu'au raisonnement, mon cher ami, je vous dirois que j'entrevois ici une grande pensée de l'Auteur des êtres, et une preuve de notre immortalité.

La société où la morale atteignit le plus vite tout son développement, dut atteindre le plus tôt au beau idéal des caractères. Or c'est ce qui distingue éminemment les sociétés formées dans la religion chrétienne. C'est une chose étrange, et cependant rigoureusement vraie, qu'au moyen de l'Évangile la morale avoit acquis chez nos pères

son plus haut point de perfection, tandis qu'ils étoient de vrais barbares dans tout le reste.

Je demande à présent où Ossian auroit pris cette morale parfaite qu'il donne partout à ses héros? Ce n'est pas dans sa religion, puisqu'on convient qu'il n'y a point de religion dans ses ouvrages. Seroit-ce dans la nature même? et comment le sauvage Ossian, sur un rocher de la Calédonie, tandis que tout étoit cruel, barbare, sanguinaire, grossier autour de lui, seroit-il arrivé en quelques jours à des connoissances morales que Socrate eut à peine dans les siècles les plus éclairés de la Grèce, et que l'Évangile seul a révélées au monde, comme le résultat de quatre mille ans d'observations sur le caractère des hommes? La mémoire de madame de Staël l'a trahie, lorsqu'elle avance que les poésies scandinaves ont la même couleur que les poésies du prétendu barde écossois. Chacun sait que c'est tout le contraire. Les premières ne respirent que brutalité et vengeance. M. Macpherson lui-même a bien soin de remarquer cette différence, et de mettre en contraste les guerriers de Morven et les guer riers de Lochlin. L'ode que madame de Staël rappelle dans une note a même été citée et commentée par le docteur Blair, en opposition aux poésies d'Ossian. Cette ode ressemble beaucoup à la chanson de mort des Iroquois : « Je ne crains « point la mort, je suis brave; que ne puis-je « boire dans le crâne de mes ennemis et leur dé<«< vorer le cœur ! etc. »> Enfin M. Macpherson a fait des fautes en histoire naturelle, qui suffiroient seules pour découvrir le mensonge. Il a planté des chênes où jamais il n'est venu que des bruyères, et fait crier des aigles où l'on n'entend que la voix de la barnache et le sifflement du courlieu.

M. Macpherson étoit membre du parlement d'Angleterre. Il étoit riche; il avoit un fort beau parc dans les montagnes d'Écosse, où, à force d'art et de soin, il étoit parvenu à faire croître quelques arbres; il étoit en outre très-bon chrétien et profondément nourri de la lecture de la Bible'; il a chanté sa montagne, son parc, génie de sa religion.

et le

1 Plusieurs morceaux d'Ossian sont visiblement imités de la Bible, et d'autres traduits d'Homère, tels que la belle expression the joy of grief ; κρυεροῖο τεταρπώμεσθα γόοιο. (Οd., lib. 11, V. 211, le plaisir de la douleur.) J'observerai qu'Homère a une teinte mélancolique dans le grec que toutes les traductions ont fait disparoître. Je ne crois pas, comme madame de Staël, qu'il y ait un age particulier de la mélancolie; mais je crois que tous les grands génies ont été mélancoliques.

Cela, sans doute, ne détruit rien du mérite des | dire assez que les Guichardin, les Mariana, les poëmes de Temora et de Fingal; ils n'en sont Hume, les Robertson, disparoissent devant lui. pas moins le vrai modèle d'une sorte de mélan- Quelle revue il fait de la terre! il est en mille colie du désert, pleine de charmes. J'ai fait ve- lieux à la fois patriarche sous le palmier de nir la petite édition qu'on vient de publier der- Tophel, ministre à la cour de Babylone, prêtre nièrement en Écosse; et, ne vous en déplaise, à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athèmon cher ami, je ne sors plus sans mon Homère nes et à Rome, il change de temps et de place à de Westein dans une poche, et mon Ossian de son gré; il passe avec la rapidité et la majesté des Glascow dans l'autre. Mais cependant, il résulte siècles. La verge de la loi à la main, avec une de tout ce que je viens de vous dire que le sys- autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant tème de madame de Staël, touchant l'influence lui et Juifs et gentils au tombeau; il vient enfin d'Ossian sur la littérature du Nord, s'écroule; lui-même à la suite du convoi de tant de généraet quand elle s'obstineroit à croire que le barde tions, et, marchant appuyé sur Isaïe et sur Jéréécossois a existé, elle a trop d'esprit et de raison mie, il élève ses lamentations prophétiques à trapour ne pas sentir que c'est toujours un mauvais vers la poudre et les débris du genre humain. système que celui qui repose sur une base aussi Sans religion on peut avoir de l'esprit, mais il contestée1. Pour moi, mon cher ami, vous voyez est presque impossible d'avoir du génie. Qu'ils que j'ai tout à gagner par la chute d'Ossian, et me semblent petits la plupart de ces hommes du que chassant la perfectibilité mélancolique des dix-huitième siècle, qui, au lieu de l'instrument tragédies de Shakespeare, des Nuits de Young, infini dont les Racine et les Bossuet se servoient de l'Héloïse de Pope, de la Clarisse de Richard- | pour trouver la note fondamentale de leur éloson, j'y rétablis victorieusement la mélancolie quence, emploient l'échelle d'une étroite philodes idées religieuses. Tous ces auteurs étoient sophie, qui subdivise l'âme en degrés et en michrétiens, et l'on croit même que Shakespeare nutes, et réduit tout l'univers, Dieu compris, à étoit catholique. une simple soustraction du néant!

Si j'allois maintenant, mon cher ami, suivre madame de Staël dans le siècle de Louis XIV, c'est alors que vous me reprocheriez d'être tout à fait extravagant. J'avoue que, sur ce sujet, je suis d'une superstition ridicule. J'entre dans une sainte colère quand on veut rapprocher les auteurs du dix-huitième siècle des écrivains du dix-septième; et même, à présent que je vous en parle, ce seul souvenir est prêt à m'emporter la raison hors des gonds, comme dit Blaise Pascal. Il faut que je sois bien séduit par le talent de madame de Staël pour rester muet dans une pareille cause.

Mon ami, nous n'avons pas d'historiens, ditelle. Je pensois que Bossuet étoit quelque chose! Montesquieu lui-même lui doit son livre de la Grandeur et de la décadence de l'empire romain, dont il a trouvé l'abrégé sublime dans la troisième partie du Discours sur l'Histoire universelle. Les Hérodote, les Tacite, les Tite-Live sont petits, selon moi, auprès de Bossuet; c'est

' D'ailleurs, quand ces poèmes auroient existé avant Macpherson (ce qui est sans vraisemblance), ils n'étoient point rassemblés, et les poêtes célèbres de l'Angleterre ne les connoissoient pas. Gray lui-même, si voisin de nous, dans son ode du Barde, ne rappelle pas une seule fois le nom d'Ossian.

Tout écrivain qui refuse de croire en un Dieu, auteur de l'univers et juge des hommes, dont il a fait l'âme immortelle, bannit l'infini de ses ouvrages. Il enferme sa pensée dans un cercle de boue, dont il ne sauroit plus sortir. Il ne voit plus rien de noble dans la nature. Tout s'y opère par d'impurs moyens de corruption et de régénération. Le vaste abîme n'est qu'un peu d'eau bitumineuse; les montagnes sont de petites protubérances de pierres calcaires ou vitrescibles. Ces deux admirables flambeaux des cieux, dont l'un s'éteint quand l'autre s'allume, afin d'éclairer nos travaux et nos veilles, ne sont que deux masses pesantes formées au hasard par je ne sais quelle agrégation fortuite de matière. Ainsi, tout est désenchanté, tout est mis à découvert par l'incrédule: il vous dira même qu'il sait ce que c'est que l'homme; et si vous voulez l'en croire, il vous expliquera d'où vient la pensée, et ce qui fait que votre cœur se remue au récit d'une belle action: tant il a compris facilement ce que les plus grands génies n'ont pu comprendre! Mais approchez et voyez en quoi consistent les hautes lumières de la philosophie! Regardez au fond de ce tombeau; contemplez ce cadavre enseveli;

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cette statue du néant, voilée d'un linceul : c'est | ticle du bonheur, pour rendre mes sermons moins tout l'homme de l'athée.

Voilà une lettre bien longue, mon cher ami, et cependant je ne vous ai pas dit la moitié des choses que j'aurois à vous dire,

On m'appellera capucin, mais vous savez que Diderot aimoit fort les capucins. Quant à vous, en votre qualité de poëte, pourquoi seriez-vous effrayé d'une barbe blanche? Il y a longtemps qu'Homère a réconcilié les muses avec elle. Quoi qu'il en soit, il est temps de mettre fin à cette épître. Mais, comme vous savez que nous autres papistes avons la fureur de vouloir convertir notre prochain, je vous avouerai en confidence que je donnerois beaucoup de choses pour voir madame de Staël se ranger sous les drapeaux de la religion. Voici ce que j'oserois lui dire si j'avois l'honneur de la connoître :

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ennuyeux, je varierois ma manière. J'emprunterois cette langue des forêts qui m'est permise en ma qualité de Sauvage. Je dirois à ma néophyte:

« Vous paroissez n'être pas heureuse : vous vous « plaignez souvent, dans votre ouvrage, de manquer de cœurs qui vous entendent. Sachez qu'il y a de certaines âmes qui cherchent en vain dans la nature les âmes auxquelles elles sont faites pour s'unir, et qui sont condamnées par le grand Esprit à une sorte de veuvage éternel.

« Si c'est là votre mal, la religion seule peut le « guérir. Le mot philosophie, dans le langage de « l'Europe, me semble correspondre au mot soli« tude dans l'idiome des Sauvages. Or, comment « la philosophie remplira-t-elle le vide de vos « jours? Comble-t-on le désert avec le désert?

α

« Il y avoit une femme des monts Apalaches « qui disoit : Il n'y a point de bons génies, carje « suis malheureuse, et tous les habitants des ca« banes sont malheureux. Je n'ai point encore ren«contré d'homme, quel que fùt son air de félicité, « qui n'entretînt une plaie cachée. Le cœur le plus serein en apparence ressemble au puits naturel « de la savane Alachua : la surface vous en pa« roît calme et pure; mais lorsque vous regardez « au fond du bassin tranquille, vous apercevez un large crocodile que le puits nourrit dans ses « ondes.

a

« Vous êtes sans doute une femme supérieure: « votre tête est forte, et votre imagination quel« quefois pleine de charmes, témoin ce que vous « dites d'Herminie déguisée en guerrier. Votre ex« pression a souvent de l'éclat et de l'élévation. Mais, malgré tous ces avantages, votre « ouvrage est bien loin d'être ce qu'il auroit pu | « devenir. Le système en est monotone, sans mou«<vement, et trop mêlé d'expressions métaphysi«ques. Le sophisme des idées repousse, l'érudi« tion ne satisfait pas, et le cœur surtout est trop « sacrifié a la pensée. D'où proviennent ces défauts? « La femme alla consulter le jongleur du dé« de votre philosophie. C'est la partie éloquente « sert de Scambre, pour savoir s'il y avoit de bons qui manque essentiellement à votre ouvrage. Or, génies. Le jongleur lui répondit: Roseau du « il n'y a point d'éloquence sans religion. L'homme « fleuve, qui est-ce qui t'appuiera s'il n'y a pas de « a tellement besoin d'une éternité d'espérance, « bons génies? Tu dois y croire par cela seul que « que vous avez été obligée de vous en former << tu es malheureuse. Que feras-tu de la vie si tu es « une sur la terre par votre système de perfecti- «sans bonheur, et encore sans espérance? Occupebilité, pour remplacer cet infini, que vous re- toi, remplis secrètement la solitude de tes jours << fusez de voir dans le ciel. Si vous êtes sensible à « par des bienfaits. Sois l'astre de l'infortune, réa la renommée, revenez aux idées religieuses. Je« pands tes clartés modestes dans les ombres; sois

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« suis convaincu que vous avez en vous le germe d'un ouvrage beaucoup plus beau que tous ceux « que vous nous avez donnés jusqu'à présent. Vo<< tre talent n'est qu'à demi développé; la philo« sophie l'étouffe; et si vous demeurez dans vos « opinions, vous ne parviendrez point à la hauteur où vous pouviez atteindre en suivant la « route qui a conduit Pascal, Bossuet et Racine « à l'immortalité. »

Voilà comme je parlerois à madame de Staël sous les rapports de la gloire. Quand je viendrois à l'ar

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« témoin des pleurs qui coulent en silence, et que « les misérables puissent attacher les yeux sur « toi sans être éblouis. Voilà le seul moyen de trou« ver ce bonheur qui te manque. Le grand Esprit « ne t'a frappée que pour te rendre sensible aux «< maux de tes frères, et pour que tu cherches à « les soulager. Si notre cœur est comme le puits « du crocodile, il est aussi comme ces arbres qui « ne donnent leur baume pour les blessures des hommes que lorsque le fer les a blessés euxmêmes.

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L'Encyclopédie est un fort mauvais ouvrage; c'est l'opinion de Voltaire lui-même.

« J'ai vu par hasard quelques articles de ceux qui se « font, comme moi, les garçons de cette grande boutique : « ce sont, pour la plupart, des dissertations sans méthode. « On vient d'imprimer dans un journal l'article Femme, « qu'on tourne horriblement en ridicule. Je ne peux croire « que vous ayez souffert un tel article dans un ouvrage « si sérieux : Chloé presse du genou un petit-maitre, a et chiffonne les dentelles d'un autre; il semble que « cet article soit fait pour le laquais de Gil-Blas.

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« J'ai vu Enthousiasme, qui est meilleur; mais on « n'a que faire d'un si long discours pour savoir que « l'enthousiasme doit être gouverné par la raison. Le lec«<teur veut savoir d'où vient ce mot, pourquoi les an« ciens le consacrèrent à la divination, à la poésie, à l'éloquence, au zèle de la superstition; le lecteur veut << des exemples de ce transport secret de l'âme appelé enthousiasme; ensuite il est permis de dire que la rai« son, qui préside à tout, doit aussi conduire ce transport. «< Enfin, je ne voudrais, dans votre Dictionnaire, que « vérité et méthode. Je ne me soucie pas qu'on me donne « son avis particulier sur la comédie; je veux qu'on m'en << apprenne la naissance et les progrès chez chaque nation: « voilà ce qui plaît, voilà ce qui instruit. On ne lit point « ces petites déclamations dans lesquelles un auteur ne donne « que ses propres idées, qui ne sont qu'un sujet de dis« pute.» Correspondance de Voltaire et de d'Alembert, vol. 1er, pag. 19, édit. în-8°, de Beaumarchais. (Lettre du 13 novembre 1756.)

Page 25. « Vous m'encouragez à vous représenter en « général qu'on se plaint de la longueur des dissertations « vagues et sans méthode que plusieurs personnes vous << fournissent pour se faire valoir; il faut songer à l'ouvrage, « et non à soi. Pourquoi n'avez-vous pas recommandé une espèce de protocole à ceux qui vous servent : étymologie, « définitions, exemples, raison, clarté et brièveté? Je n'ai « vu qu'une douzaine d'articles, mais je n'y ai rien trouvé << de tout cela. »> (22 décembre 1756.)

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Page 62. « Je cherche, dans les articles dont vous me «< chargez, à ne rien dire que de nécessaire, et je crains de « n'en pas dire assez; d'un autre côté je crains de tomber « dans la déclamation.

« Il me parait qu'on vous a donné plusieurs articles remplis de ce défaut; il me revient toujours qu'on s'en plaint beaucoup. Le lecteur ne veut qu'être instruit, et il ne « l'est point du tout par les dissertations vagues et pué"riles, qui, pour la plupart, renferment des paradoxes,

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« des idées hasardées, dont le contraire est souvent vrai, << des phrases ampoulées, des exclamations qu'on sifflerait « dans une académie de province. » (29 décembre 1757.) D'Alembert, dans le discours à la tête du troisième volume de l'Encyclopédie, et Diderot, dans le cinquième volume, article Encyclopédie, ont fait eux-mêmes la satire la plus amère de leur ouvrage.

NOTE 2, page 18.

Il est curieux de rapprocher de ce fragment de l'Apologie de saint Justin le tableau des mœurs des chrétiens que l'on trouve dans la fameuse lettre de Pline le jeune à Trajan. Cette lettre, ainsi que la réponse de l'empereur, prouve que l'innocence des chrétiens était parfaitement reconnue, et que leur foi étoit leur seul crime. On y voit aussi la merveilleuse rapidité de la propagation de l'Évangile, puisque dès lors, dans une partie de l'empire, les temples étoient presque déserts. Pline écrivoit cette lettre un an ou deux après la mort de saint Jean l'évangéliste, et environ quarante ans avant que saint Justin publiât son Apologie. Quoique cette lettre soit extrêmement connue, on a cru qu'il ne seroit pas hors de propos de l'insérer ici.

«<< car,

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PLINE, proconsul dans la Bithynie et le Pont, à l'empereur TRAJAN.

« Je me fais une religion, seigneur, de vous exposer « mes scrupules; car qui peut mieux me déterminer ou "m'instruire? Je n'ai jamais assisté à l'instruction et au « jugement du procès d'aucun chrétien; ainsi, je ne sais << sur quoi tombe l'information que l'on fait contre eux, ni jusqu'où on doit porter leur punition. J'hésite beaucoup « sur la différence des âges. Faut-il les assujettir tous à la peine, sans distinguer les plus jeunes des plus âgés? « Doit on pardonner à celui qui se repent? ou est-il inutile << de renoncer au christianisme quand une fois on l'a embrassé? Est-ce le nom seul que l'on punit en eux, ou << sont-ce les crimes attachés à ce nom? Cependant, voici « la règle que j'ai suivie dans les accusations intentées << devant moi contre les chrétiens. Je les ai interrogés s'ils « étoient chrétiens: ceux qui l'ont avoué, je les ai inter«rogés une seconde et une troisième fois, et les ai menacés « du supplice: quand ils ont persisté, je les y ai envoyés; de quelque nature que fût ce qu'ils confessoient, j'ai cru que l'on ne pouvoit manquer à punir en eux leur « désobéissance et leur invincible opiniâtreté. Il y en a eu « d'autres, entêtés de la même folie, que j'ai réservés pour « envoyer à Rome, parce qu'ils sont citoyens romains. «Dans la suite, ce crime venant à se répandre, comme il << arrive ordinairement, il s'en est présenté de plusieurs espèces. On m'a mis entre les mains un mémoire sans nom d'auteur, où l'on accuse d'être chrétiens différentes per«< sonnes qui nient de l'être et de l'avoir jamais été. Ils «< ont, en ma présence, et dans les termes que je leur « prescrivois, invoqué les dieux, et offert de l'encens et « du vin à votre image, que j'avois fait apporter exprès « avec des statues de nos divinités; ils se sont encore emportés en imprécations contre le Christ; c'est à quoi, << dit-on, l'on ne peut jamais forcer ceux qui sont vérita«<blement chrétiens. J'ai donc cru qu'il les falloit absou<< dre. D'autres, déférés par un dénonciateur, ont d'abord << reconnu qu'ils étoient chrétiens, et aussitôt après ils « l'ont nié, déclarant que véritablement ils l'avoient été, « mais qu'ils ont cessé de l'être, les uns il y avoit plus de << trois ans, les autres depuis un plus grand nombre d'an«<nées, quelques-uns depuis plus de vingt ans. Tous ces gens-là ont adoré votre image et les statues des dieux; « tous ont chargé le Christ de malédictions. Ils assuroient << que toute leur erreur ou leur faute avoit été renfermée

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