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étoit peut-être différente avant le déluge. Quoi | portant ces mêmes années à la commune année
qu'il en soit, il n'est pas indigne de la puissance attique de 354 jours, et à l'année embolismique
de Dieu et de la grandeur de l'homme de sup- de 384 jours?
poser que la race d'Adam fut destinée à parcou-
rir les espaces, et à animer tous ces soleils qui,
privés de leurs habitants par le péché, ne sont
restés que d'éclatantes solitudes.

LIVRE QUATRIÈME.

suite des VÉRITÉS DE L'ÉCRITURE. OBJECTIONS CONTRE LE SYSTÈME DE MOÏSE.

CHAPITRE PREMIER.

CHRONOLOGIE.

Depuis que quelques savants ont avancé que le monde portoit dans l'histoire de l'homme, ou dans celle de la nature, des marques d'une trop grande antiquité, pour avoir l'origine moderne que lui donne la Bible, on s'est mis à eiter Sanchoniathon, Porphire, les livres sanscrits, etc. Ceux qui font valoir ces autorités les ont-ils toujours consultées dans leurs sources?

D'abord, il est un peu téméraire de vouloir nous persuader qu'Origène, Eusèbe, Bossuet, Pascal, Fénelon, Bacon, Newton, Leibnitz, Huet, et tant d'autres, étoient ou des ignorants, ou des simples, ou des pervers parlant contre leur conviction intime. Cependant ils ont cru à la vérité de l'histoire de Moïse, et l'on ne peut disconvenir que ces hommes n'eussent une doctrine auprès de laquelle notre érudition est bien peu de chose.

Mais, pour commencer par la chronologie, les savants modernes ont donc dévoré, en se jouant, les insurmontables difficultés qui ont fait pålir Scaliger, Peteau, Usher, Grotius. Ils riroient de notre ignorance, si nous leur demandions quand ont commencé les olympiades; comment elles s'accordent avec les manières de compter par archontes, par éphores, par édiles, par consuls, par règnes, jeux pythiques, néméens, séculaires; comment sé réunissent tous les calendriers des nations; de quelle manière il faut opérer pour faire tomber l'ancienne année de Romulus, de dix mois, et de 354 jours, avec l'année de Numa, de 355 jours, et celle de Jules-César, de 365; par quel moyen on évitera les erreurs, en rap

Et pourtant ce ne sont pas là les seules perplexités touchant les années. L'ancienne année juive n'avoit que 354 jours; on ajoutoit quelquefois douze jours à la fin de l'an, et quelquefois un mois de trente jours après le mois Adar, afin d'avoir l'année solaire. L'année juive moderne compte douze mois, et prend sept années de treize mois en dix-neuf ans. L'année syriaque varie également, et se forme de 365 jours. L'année turque ou arabe reconnoît 354 jours, et reçoit onze mois intercalaires, en vingt-neuf ans. L'année égyptienne se divise en douze mois de trente jours, et ajoute cinq jours au dernier; l'année persane, nommée yezdegerdic, lui ressemble *.

Outre ces mille manières de mesurer les temps, toutes ces années n'ont ni les mêmes commencements, ni les mêmes heures, ni les mêmes jours, ni les mêmes divisions. L'année civile des Juifs (ainsi que toutes celles des Orientaux) s'ouvre à la nouvelle lune de septembre, et leur année ecclésiastique à la nouvelle lune de mars. Les Grecs comptent le premier mois de leur année, de la nouvelle lune qui suit le solstice d'été. C'est à notre mois de juin que correspond le premier mois de l'année des Perses, et la Chine et l'Inde partent de la première lune de mars. Nous voyons ensuite des mois astronomiques et civils qui se subdivisent en lunaires et solaires, en synodiques et périodiques; nous voyons des sections de mois en kalendes, ides, décades, semaines; nous voyons des jours de deux espèces artificiels et naturels, et qui commencent, ceux-ci au soleil levant, comme chez les anciens Babyloniens, Syriens, Perses; ceux-là au soleil couchant, ainsi qu'en Chine, dans l'Italie moderne, et comme autrefois chez les Athéniens, les Juifs, et les barbares du Nord. Les Arabes commencent leur jour à midi, et la France actuelle à minuit, de même que l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal. Enfin, il n'y a pas jusqu'aux heures qui ne soient embarrassantes en chronologie, en se distinguant en babyloniennes, italiennes et astronomiques; et si l'on vouloit insister davan

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tage, nous ne verrions plus soixànte minutes dans une heure européenne, mais mille quatre-vingts scrupules dans l'heure chaldéenne et arabe.

3

On a dit que la chronologie est le flambeau de l'histoire (7) plût à Dieu que nous n'eussions que celui-là pour nous éclairer sur les crimes des hommes! Que seroit-ce si, pour surcroît de perplexité, nous allions nous engager dans les périodes, les ères ou les époques? La période victorienne, qui parcourt cinq cent trente-deux années, est formée de la multiplication des cycles du soleil et de la lune. Les mêmes cycles, multipliés par celui d'indiction, produisent les sept mille neuf cent quatre-vingts années de la période julienne. La période de Constantinople, à son tour, renferme un égal nombre d'années à celui | de la période julienne, mais ne commence pas à la même époque. Quant aux ères, ici on compte par l'année de la création', là par olympiade, par la fondation de Rome ', par la naissance de Jésus-Christ, par l'époque d'Eusèbe, par celle des Séleucides, celle de Nabonassar', celle des martyrs. Les Turcs ont leur hégire 7, les Persans leur yezdegerdic 3. On compute encore par les ères julienne, grégorienne, ibérienne 9 et actienne. Nous ne parlerons point des marbres d'Arundel, des médailles et des monuments de toutes les sortes, qui introduisent de nouveaux désordres dans la chronologie. Est-il un homme de bonne foi qui, en jetant seulement un coup d'œil sur ces pages, ne convienne que tant de manières indécises de calculer les temps suffisent pour faire de l'histoire un épouvantable chaos? Les annales des Juifs, de l'aveu même des savants, sont les seules dont la chronologie soit simple, régulière et lumineuse. Pourquoi donc aller, par un zèle ardent d'impiété, se consumer l'esprit sur des chicanes de temps, aussi arides qu'indéchiffrables, lorsque nous avons le fil le plus certain pour nous guider dans l'histoire? Nouvelle évidence en faveur des Écritures.

1 Cette époque se subdivise en grecque, juive, alexandrine, etc.

2 Les historiens grecs.

3 Les historiens latins.

4 L'historien Josèphe.

5 Ptolémée et quelques autres.

Les premiers chrétiens jusqu'en 532, A. D., et de nos

jours par les chrétiens d'Abyssinie et d'Égypte.

Les Orientaux ne la placent pas comme nous.

8 Nom d'un roi de Perse tué dans une bataille contre les Sarrasins, l'an de notre ère 632.

9 Suivie dans les conciles et sur les vieux monuments de l'Espagne.

10 Qui tire son nom de la bataille d'Actium, et dont se sont servis Ptolémée, Josèphe, Eusèbe et Censorinus.

CHAPITRE II.

LOGOGRAPHIE et faits HISTORIQUES. Après les objections chronologiques contre la Bible viennent celles qu'on prétend tirer des faits même de l'histoire. On rapporte la tradition des prêtres de Thèbes, qui donnoit dix-huit mille ans au royaume d'Égypte, et l'on cite la liste des dynasties de ces rois, qui existe encore.

Plutarque, qu'on ne soupçonnera pas de christianisme, se chargea d'une partie de la réponse. « Encore, dit-il en parlant des Égyptiens, que leur année ait été de quatre mois, selon quelques auteurs, elle n'était d'abord composée que d'un seul, et ne contenoit que le cours d'une seule lune. Et ainsi, faisant d'un seul mois une année, cela est cause que le temps qui s'est écoulé depuis leur origine paroît extrêmement long, et que, bien qu'ils habitent nouvellement leur pays, passent pour les plus anciens des peuples'. Nous savons d'ailleurs, par Hérodote, Diodore de Sicile 3, Justin, Jablonsky, Strabon", que les Égyptiens mettent leur orgueil à égarer leur origine dans les temps, et, pour ainsi dire, à cacher leur berceau sous les siècles.

ils

Le nombre de leurs règnes ne peut guère embarrasser. On sait que les dynasties égyptiennes sont composées de rois contemporains; d'ailleurs, le même mot, dans les langues orientales, se lit de cinq ou six manières différentes, et notre ignorance a souvent fait de la même personne cinq ou six personnages divers 7. Et c'est aussi ce qui est arrivé par rapport aux traductions d'un seul nom. L'Athoth des Égyptiens est traduit, dans Ératosthène, par 'Epμoyevns, ce qui signifie en grec le lettre, comme Athoth l'exprime en égyptien : on n'a pas manqué de faire deux rois d'Athoth, et d'Hermès, ou Hermogènes. Mais l'Athoth de Manéthon se multiplie encore; il devient Thoth dans Platon, et le texte de Sanchoniathon prouve en effet que c'est le nom primitif. La lettre A est 'PLUT., in Num., 30.

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à volonté dans les langues orientales: ainsi l'historien Josèphe traduit par Apachnas le nom du même homme qu'Africanus appelle Pachnas. Voici donc Thoth, Athoth, Hermès, ou Hermogènes, ou Mercure, cinq hommes fameux qui vont composer entre eux près de deux siècles; et cependant ces cinq rois n'étoient qu'un seul Égyptien qui n'a peut-être pas vécu soixante

une de ces lettres qu'on retranche et qu'on ajoute | Hypsuranius qui bâtit ces huttes de roseaux où logea la primitive innocence; Usous couvrit sa nudité de peaux de bêtes, et affronta la mer sur un trone d'arbre'. Tubalcaïn mit le fer dans la main des hommes 2; Noé ou Bacchus planta la vigne, Caïn ou Triptolème courba la charrue, Agrotès3 ou Cérès recueillit la première moisson. L'histoire, la médecine, la géométrie, les beaux-arts, les lois, ne sont pas plus anciennement au monde, et nous les devons à Hérodote, Hippocrate, Thalès, Homère, Dédale, Minos. Quant à l'origine des rois et des villes, l'histoire nous en a été conservée par Moïse, Platon, Justin et quelques autres, et nous savons quand et pourquoi les diverses formes de gouvernement se sont établies chez les peuples 4.

ans'.

Après tout, qu'est-il besoin de s'appesantir sur des disputes logographiques, lorsqu'il suffit d'ouvrir l'histoire pour se convaincre de l'origine moderne des hommes? On a beau former des complots avec des siècles inventés dont le temps n'est point le père; on a beau multiplier et supposer la mort pour en emprunter des ombres, tout cela n'empêche pas que le genre humain ne soit que d'hier. Les noms des inventeurs des arts nous sont aussi familiers que ceux d'un frère ou d'un aïeul. C'est

1 Des personnes, qui pouvoient d'ailleurs être fort instruites, ont accusé les Juifs d'avoir corrompu les noms historiques. Comment ne savent-elles pas que ce sont les Grecs, au contraire, qui ont défiguré tous les noms d'hommes et de lieux, et en particulier ceux d'Orient *? Les Grecs, à cet égard comme à beaucoup d'autres, ressembloient fort aux François. Croit-on que si Livius revenoit au monde il se reconnut sous le nom de Tite-Live? Il y a plus: Tyr porte encore aujourd'hui, parmi les Orientaux, le nom d'.4sur, de

Sour ou de Sur. Les Athéniens eux-mêmes devoient prononcer Tur ou Tour; puisque cette lettre qu'il nous plait d'appeler y grec, et de faire siffler comme un i, n'est autre que Pupsilon ou l'u parvum des Grecs.

Il n'est pas plus difficile de retrouver Darius dans Assuerus. L'A initial n'est d'abord, comme nous l'avons dit, qu'une de ces lettres mobiles, tantôt souscrites, tantôt supprimées. Reste donc Suerus. Or, le delta ou le D majuscule des Grecs se rapproche du sameck ou de l'S majuscule des Hébreux. Le premier est un triangle, et le second un parrallélogramme obtusangle, souvent même un parallelogramme curviligne. Le della, dans les vieux manuscrits, sur les médailles et sur les monuments, n'est presque jamais fermé dans ses angles. L'S hébraïque s'est donc transformée en D chez les Grecs; changement de lettre si commun dans toute l'antiquité.

Si vous joignez à ces erreurs de figures les erreurs de prononciation, vous aurez une grande probabilité de plus. Supposons qu'un François, entendant le mot through (à travers) dans la bouche d'un Anglois, voulut le prononcer et l'écrire sans connoitre la puissance et la forme du th, il écriroit nécessairement ou zrou, ou dsrou, ou simplement trou. Il en est ainsi du sameck ou de l'S en hébreu. Le son de cette lettre, en suivant les points massérétiques, est mixte et participe fortement du D. Les Grecs, qui avoient le th comme les Anglois, mais non pas l'S, comme les Israélites, ont dù prononcer et écrire Duerus au lieu de Suerus. De Duerus à Darius la conversion est facile; car on sait que les voyelles sont à peu près nulles en étymologie, puisqu'il est vrai que chaque peuple en varie les sons à l'infini. Lorsqu'on veut être plaisant aux dépens de la religion, de la morale universelle, du repos des nations et du bonheur général des hommes, avant de se livrer à une gaieté si funeste, il faudroit au moins être bien sûr de ne pas tomber soi-même dans de grandes ignorances.

Vid. BOCH., GROG., SAC., Cumb. ou Sanch.; Saur., sur la Bible; DANET, BAYLE, etc., etc.

Que si pourtant on est étonné de trouver tant de grandeur et de magnificence dans les premières cités de l'Asie, cette difficulté cède sans peine à une observation tirée du génie des Orientaux. Dans tous les âges, ces peuples ont bâti des villes immenses, sans qu'on en puisse rien conclure en faveur de leur civilisation, et conséquemment de leur antiquité. L'Arabe, échappé des sables brûlants où il s'estimoit heureux d'enfermer une ou deux toises d'ombre sous une tente de peaux de brebis, cet Arabe a élevé, presque sous nos yeux, des cités gigantesques, vastes métropoles où ce citoyen des déserts semble avoir voulu enclore la solitude. Les Chinois, si peu avancés dans les arts, ont aussi les plus grandes villes du globe, avec des jardins, des murailles, des palais, des lacs, des canaux artificiels, comme ceux de l'ancienne Babylone 5. Nous-mêmes enfin, ne sommes-nous pas un exemple frappant de la rapidité avec laquelle les peuples se civilisent? Il n'y a guère plus de douze siècles que nos ancêtres étoient aussi barbares que les Hottentots, et nous surpassons aujourd'hui la Grèce dans les raffinements du goût, du luxe et des arts.

La logique générale des langues ne peut fournir aucune raison valide en faveur de l'ancienneté des hommes. Les idiomes du primitif Orient, loin d'annoncer des peuples vieillis en société,

SANCH. ap. EUs., præparat. Evang., lib. 1, cap. x.
2 Gen., cap. IV, 22.
3 SANCH., loc. cit.

Vid. Moys., Pent. PLAT., de Leg. et Tim.; JUST., lib. II;
HEROD., PLUT., in Thes, Num. Lycurg., Solon., etc., etc.
Vid. le P. DU HALD, Hist. de la Ch.; Lettres édif.; lord
MAC., Amb. to Ch., etc.

du Nil'.

décèlent au contraire des hommes fort près de la | les pasteurs à abandonner entièrement les bords nature. Le mécanisme en est d'une extrême simplicité l'hyperbole, l'image, les figures poétiques, s'y reproduisent sans cesse, tandis qu'on y trouve à peine quelques mots pour la métaphysique des idées. Il seroit impossible d'énoncer clairement en hébreu la théologie des dogmes chrétiens'. Ce n'est que chez les Grecs et chez les Arabes modernes qu'on rencontre les termes composés propres au développement des abstractions de la pensée. Tout le monde sait qu'Aristote est le premier philosophe qui ait inventé des catégories, où les idées viennent se ranger de force, quelle que soit leur classe ou leur nature'. Enfin l'on prétend qu'avant que les Égyptiens eussent bâti ces temples dont il nous reste de si belles ruines, les peuples pasteurs gardoient déjà leurs troupeaux sur d'autres ruines laissées par une nation inconnue: ce qui supposeroit une trèsgrande antiquité.

Pour décider cette question, il faudroit savoir au juste qui étoient et d'où venoient les peuples pasteurs. M. Bruce, qui voyoit tout en Éthiopie, les fait sortir de ce pays. Et cependant les Éthiopiens, loin de pouvoir répandre au loin des colonies, étoient eux-mêmes, à cette époque, un peuple nouvellement établi. Æthiopes, dit Eusèbe, ab Indo flumine consurgentes, juxta Ægyptum consederunt. Manéthon, dans sa sixième dynastie, appelle les pasteurs Poivixèç Çévot, Phéniciens étrangers. Eusèbe place leur arrivée en Égypte sous le règne d'Aménophis; d'où il faut tirer ces deux conséquences: 1o que l'Égypte n'étoit pas alors barbare, puisque Inachus, Egyptien, portoit vers ce temps-là les lumières dans la Grèce; 2o que l'Égypte n'étoit pas couverte de ruines, puisque Thèbes étoit bâtie, puisque Aménophis étoit père de ce Sésostris, qui éleva la gloire des Égyptiens à son comble. Au rapport de l'historien Josèphe, ce fut Thetmosis qui contraignit

On s'en peut assurer en lisant les Pères qui ont écrit en syriaque, tels que saint Ephrem, diacre d'Édesse.

2 Si les langues demandent tant de temps pour leur entière confection, pourquoi les Sauvages du Canada ont-ils des dialectes si subtils et si compliqués? Les verbes de la langue huronne ont toutes les inflexions des verbes grecs. Ils se distinguent, comme les derniers, par la caractéristique, l'augment, etc.; ils ont trois modes, trois genres, trois nombres, et pardessus tout cela un certain dérangement de lettres particulier aux verbes des langues orientales. Mais ce qu'ils ont de plus inconcevable, c'est un quatrième pronom personnel qui se place entre la seconde et la troisième personne, au singulier et au pluriel. Nous ne connoissons rien de pareil dans les langues mortes ou vivantes dont nous pouvons avoir quelque teinture.

Mais quels nouveaux arguments n'auroit-on point formés contre l'Écriture, si on avoit connu un autre prodige historique qui tient également à des ruines, hélas! comme toute l'histoire des hommes? On a découvert, depuis quelques années, dans l'Amérique septentrionale, des monuments extraordinaires sur les bords du Muskingum, du Miani, du Wabache, de l'Ohio, et surtout du Scioto (8), où ils occupent un espace de plus de vingt lieues en longueur. Ce sont des murs en terre avec des fossés, des glacis, des lunes, demi-lunes, et de grands cônes qui servent de sépulcres. On a demandé, mais sans succès, quel peuple a laissé de pareilles traces? L'homme est suspendu dans le présent, entre le passé et l'avenir, comme sur un rocher entre deux gouffres; derrière lui, devant lui, tout est ténèbres; à peine aperçoit-il quelques fantômes qui, remontant du fond des deux abîmes, surnagent un instant à leur surface, et s'y replongent.

Quelles que soient les conjectures sur ces ruines américaines, quand on y joindroit les visions d'un monde primitif, et les chimères d'une Atlantide, la nation civilisée qui a peut-être promené la charrue dans la plaine où l'Iroquois poursuit aujourd'hui les ours, n'a pas eu besoin, pour consommer ses destinées, d'un temps plus long que celui qui a dévoré les empires de Cyrus, d'Alexandre et de César. Heureux du moins ce peuple qui n'a point laissé de nom dans l'histoire, et dont l'héritage n'a été recueilli que par les chevreuils des bois et les oiseaux du ciel ! Nul ne viendra renier le Créateur dans ces retraites sauvages, et, la balance à la main, peser la poudre des morts, pour prouver l'éternité de la race humaine.

Pour moi, amant solitaire de la nature, et simple confesseur de la Divinité, je me suis assis sur ces ruines. Voyageur sans renom, j'ai causé avec ces débris comme moi-même ignorés. Les sourêveries venirs confus des hommes, et les vagues

I MANET. ad JOSEPH. et AFRIC.; HEROD., lib. 11, cap. c; DIOD., lib. 1, ps. 48; EUSEB. Chron., lib. I, pag. 13.

Au reste, l'invasion de ces peuples, rapportée par les auteurs profanes, nous explique ce qu'on lit dans la Genèse au sujet de Jacob et de ses fils : Ut habitare possitis in terra Gessen, quia detestantur Ægyptii omnes pastores ovium. (Gen., cap. XLVI, 34.)

D'où l'on peut aussi deviner le nom grec du Pharaon sous lequel Israël entra en Egypte, et le nom du second Pharaon sous lequel il en sortit. L'Écriture, loin de contrarier les autres histoires, leur sert évidemment de preuve.

du désert se mêloient au fond de mon âme. La | oiseaux de l'automne ils ne remarquoient point la nuit étoit au milieu de sa course; tout étoit muet, fuite des années, et la chute des feuilles ne les et la lune, et les bois, et les tombeaux. Seule- avertissoit que du retour des frimas. Lorsque le ment, à longs intervalles, on entendoit la chute coteau prochain avoit donné toutes ses herbes à de quelque arbre que la hache du temps abattoit leurs brebis, montés sur leurs chariots couverts dans la profondeur des forêts: ainsi tout tombe, de peaux, avec leurs fils et leurs épouses, ils altout s'anéantit. loient à travers les bois chercher quelque fleuve ignoré, où la fraîcheur des ombrages et la beauté des solitudes les invitoient à se fixer de nouveau.

Nous ne nous croyons pas obligé de parler sérieusement des quatre jo gues, ou âges indiens, dont le premier a duré trois millions deux cent mille ans, le second un million d'années, le troisième seize cent mille ans, et le quatrième, ou l'âge actuel, qui durera quatre cent mille ans.

Si l'on joint à toutes ces difficultés de chronologie, de logographie et de faits, les erreurs qui naissent des passions de l'historien ou des hommes qui vivent dans ses fastes; si on y ajoute les fautes de copistes, et mille accidents de temps et de lieux, il faudra, de nécessité, convenir que toutes les raisons en faveur de l'antiquité du globe par l'histoire sont aussi peu satisfaisantes qu'inutiles à rechercher. Et certes, on ne peut nier que c'est assez mal établir la durée du monde, que d'en prendre la base dans la vie humaine. Quoi! c'est par la succession rapide d'ombres d'un moment que l'on prétend nous démontrer la permanence et la réalité des choses! c'est par des décombres qu'on veut nous prouver une société sans commencement et sans fin! Faut-il donc beaucoup de jours pour amasser beaucoup de ruines? Que le monde seroit vieux, si l'on comptoit ses années par ses débris !

Mais il falloit une boussole pour se conduire dans ces forêts, sans chemins, et le long de ces fleuves sans navigateurs; on se confia naturellement à la foi des étoiles: on se dirigea sur leurs cours. Législateurs et guides, ils réglèrent la tonte des brebis et les migrations lointaines. Chaque famille s'attacha aux pas d'une constellation; chaque astre marchoit à la tête d'un troupeau. A me-, sure que les pasteurs se livroient à ces études, ils découvroient de nouvelles lois. En ce temps-là, Dieu se plaisoit à dévoiler les routes du soleil aux habitants des cabanes, et la Fable raconta qu'Apollon étoit descendu chez les bergers.

De petites colonnes de briques servoient à conserver le souvenir des observations: jamais plus grand empire n'eut une histoire plus simple. Avec le même instrument dont il avoit percé sa flûte, au pied du même autel où il avoit immolé le chevreau premier-né, le pâtre gravoit sur un rocher ses immortelles découvertes. Il plaçoit ailleurs d'autres témoins de cette pastorale astronomie ; il échangeoit d'annales avec le firmament; et, de même qu'il avoit écrit les fastes des étoiles parmi ses troupeaux, il écrivoit les fastes de ses troupeaux parmi les étoiles. Le soleil, en voyageant, ne se reposa plus que dans les bergeries; le taureau annonça par ses mugissements le passage du Père On cherche dans l'histoire du firmament les du jour, et le bélier l'attendit pour le saluer au secondes preuves de l'antiquité du monde et des nom de son maître. On vit au ciel des vierges, erreurs de l'Écriture. Ainsi, les cieux qui racondes enfants, des épis de blé, des instruments de tent la gloire du Très-Haut à tous les hommes, labourage, des agneaux, et jusqu'au chien du et dont le langage est entendu de tous les peu-berger; la sphère entière devient comme une ples', ne disent rien à l'incrédule. Heureusement grande maison rustique habitée par le pasteur ce ne sont pas les astres qui sont muets, ce sont les athées qui sont sourds.

CHAPITRE III.

ASTRONOMIE.

L'astronomie doit sa naissance à des pasteurs. Dans les déserts de la création nouvelle, les premiers humains voyoient se jouer autour d'eux leurs familles et leurs troupeaux. Heureux jusqu'au fond de l'âme, une prévoyance inutile ne détruisoit point leur bonheur. Dans le départ des

Ps. XVIII, V. I-3.

des hommes.

Ces beaux jours s'évanouirent, les hommes en gardèrent une mémoire confuse dans ces histoires de l'âge d'or, où l'on trouve le règne des astres mêlé à celui des troupeaux. L'Inde est encore aujourd'hui astronome et pastorale, comme l'Égypte l'étoit autrefois. Cependant, avec la corruption naquit la propriété, et avec la propriété la mensuration, second âge de l'astronomie. Mais,

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